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mardi 19 décembre 2017

Grimpe en douceur



Grimpe en douceur
Petit escargot
Tu es sur le mont Fuji !

Kobayashi Issa (小林 一茶, 1763 – 1828)





Vyacheslav Mishchenko








      J'aime ce haïku de Kobayashi Issa. Une belle illustration de la progression sur la Voie. Quelque chose de très lent, très progressif. En fait, les résultats de la méditation ne se font pas sentir du jour au lendemain : il faut compter sur des progrès imperceptibles qui se développent au fil des jours, des semaines, des mois, voire des années... Il y a une histoire zen à ce propos. Un disciple vient trouver un vieux maître zen et lui demande : 
« Maître, si je pratique la Voie de manière disciplinée, dans combien de temps puis-je espérer atteindre le suprême Éveil ? » 
Le maître répond : 
 « Dans vingt ans ». 
Le disciple un peu déçu d'un délai aussi long pose encore une question :
« - Oui, mais si je me concentre et que je fais des efforts jours et nuits avec acharnement, dans combien puis-je espérer atteindre l’Éveil ?
- Oh, dans ce cas-là, c'est cinquante ans ! Répond le maître ».


       L’Éveil est un haut sommet dont l'ascension se fait à rythme d'escargot, sans compter les chemins tortueux et les montées et descentes successives dont éloigne encore le sommet pour une bonne portion de temps. En fait, dans l'extrême lenteur, il faudrait abandonner les notions de temps restant et de durée. La méditation, c'est apprécier cette extrême lenteur, la savourer dans l'instant présent.


           Il y a une vingtaine année quand je suis allé en Inde. J'ai rencontré un lama tibétain dans la gare des bus de Old Delhi. Dans son anglais approximatif (ayant passé plus de dix ans en retraite stricte, complètement coupé du monde, il avait oublié une bonne partie de ses connaissances en anglais), il m'a expliqué que les progrès dans le Dharma s'accomplisse lentement, lentement, lentement : « Slowly, slowly, slowly » ne cessait-il de répéter.


        Et ce court enseignement m'a beaucoup marqué. Pendant longtemps, j'avais été obsédé par l'idée d'un Éveil lumineux qui viendrait tout résoudre, d'une basculement radical qui permettrait de prendre l'existence sous son jour le meilleur. Ce moment d’Éveil lumineux dans lequel tous les problèmes, tous les tracas, toutes les angoisses viendraient se dissoudre devait advenir soudainement dans un moment de pratique parfaite. Une illumination intégrale qui n'est pourtant jamais venue, toujours reportée à une autre séance de méditation où l'on serait en mesure d'atteindre la perfection. On se met dans un état de tension beaucoup trop élevé si l'on ne veut pas voir que la Voie est jonchée d'imperfections.


          En fait, progresser comme un escargot demande de dépasser nos frustrations qui sont de ne pas régler tout notre passif existentiel, tous nos problèmes d'un seul coup. Cela demande d'accepter l'idée de travailler avec ses imperfections et ses limitations et d'être présent à sa part d'ombre ainsi qu'à sa négativité. Savoir que l'on va transformer cela lentement, lentement, lentement. Et dans cette lenteur, apprécier l'instant présent. Une longue persévérance qui n'est pas vaine.







Hokusai, Garçon jouant de la flûte en face du mont Fuji, 1839.






Voir également de Kobayashi Issa : 


Battement d'ailes d'un papillon


Rosée que ce monde


Les papillons






Sur la lenteur dans la progression dans le Dharma, voir aussi : 

- Slowly, slowly, slowly


- S'habituer







Sur la méditation de manière générale : 





Pour un commentaire beaucoup plus détaillé des pratiques du Soûtra de l'Attention au Va-et-Vient de la Respiration, voir : 

En compagnie du souffle :  

     














Hidenobu Suzuki, Mont Fuji.








Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.

Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.





2 commentaires:

  1. Ta réflexion Bai Wenshu m'a fait penser au remarquable livre de Francois Jullien :
    «les transformations silencieuses».

    http://www.lemonde.fr/livres/article/2009/04/02/les-transformations-silencieuses-de-francois-jullien_1175613_3260.html

    Dont voici un petit extrait où Francois Jullien parle ici de la transformation qui est la part émergente de la mutation.

    « Cette transformation est par conséquent à la fois trop discrète, dans son jeu d’influences internes, pour apparaître à l’observateur au-dehors, puis trop étale, dans son résultat, pour qu’il puisse en percevoir encore la différence.

    Au premier stade, comme elle ne fait que s’amorcer, la mutation ne se remarque pas ; au suivant, comme elle a fini par se laisser absorber, elle ne se remarque plus.

    Entre le moment où elle n’a pas encore accédé au visible et celui où elle s’est désormais trop étalée et confondue au sein du visible pour qu’on l’y discerne encore, la transformation n’offre qu’un étroit interstice de perceptibilité ;
    c’est pourquoi c’est avec tant de vigilance qu’il faut la « scruter ».

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  2. Il y a une notion intéressante dans la métaphysique chinoise où on parle de ce qui est en "amont des formes", les principes qui régissent le monde, ce qui corresponde au "transcendant" dans la métaphysique occidentale. Et puis il y a ce qui est "en aval des formes", l'empirique pour reprendre les termes de la philosophie occidentale.

    Et entre l'amont et l'aval, il y a la "mutation", la transformation effectivement silencieuse, presque imperceptible, qui est au cœur des choses en chaque instant. Dans l'aval des formes, on sait ce qu'est une graine, ce qu'est une pousse, ce qu'est un arbuste et ce qu'est enfin un arbre, mais on ne voit pas l'arborescence, le fait que l'arbre se développe chaque seconde de sa longue existence pour devenir l'être majestueux qu'il est. En fait, on ne se voit pas grandir soi-même !

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