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mercredi 27 décembre 2017

Pour toi mon amour




Je suis allé au marché aux oiseaux
Et j'ai acheté des oiseaux
Pour toi
Mon amour

Je suis allé au marché aux fleurs
Et j'ai acheté des fleurs
Pour toi
Mon amour

Je suis allé au marché à la ferraille
Et j'ai acheté des chaînes, de lourdes chaînes
Pour toi
Mon amour

Et puis, je suis allé au marché aux esclaves
Et je t'ai cherchée
Mais je ne t'ai pas trouvée
Mon amour



Jacques Prévert, Paroles, 1946.







 Zsar Chankian




       J'aime ce petit poème grinçant de Jacques Prévert. Cela commence comme une petite poésie pleine de mièvreries et certainement une bonne dose de niaiseries, et puis cela expose crûment un visage sombre de l'amour, ce visage qu'on préfère taire puisqu'il est aussi sympathique qu'une porte de prison, mais qui est une dimension souvent persistante de l'amour dans notre culture : notre propension à enfermer l'autre dans notre relation, à l'envahir, à le manipuler, à l'enchaîner à notre ego. Tout ce qu'on fait au nom de l'amour et qui n'a rien à voir avec l'amour...


       L'amour se trouve dans la liberté : autant dans sa propre liberté qu'on assume que dans la liberté que l'on octroie à l'autre ; pourtant tant par peur de perdre l'autre que par envie de pouvoir sur cet autre, on tente d'exercer sur lui ou sur elle une coercition physique, morale et sociale. Dans l'amour, il y a le fait d'aimer et il y a aussi notre faiblesse. On sait ou on a la sensation souterraine qu'offrir des fleurs, donner des baisers, raconter des mots doux ou mettre un diamant au doigt de la personne aimée ne suffira pas toujours et tout le temps à garder cette personne auprès de nous. Déjà le mot « garder »... Alors on va acheter des chaînes et on utilise tous les moyens de pression que la société a mis à disposition pour « garder » l'autre à notre côté, la morale, la religion, le qu'en-dira-t-on, la rumeur, les on-dit, les jugements et les préjugés, les crises, les pleurs ou les éclats de colère.... Mais tout cela n'est pas du côté de l'amour, même si cela est humain, terriblement humain, trop humain certainement...


      Pour moi, la meilleure façon, si pas la seule, de dépasser cet éternel retour du problème de l'amour est de transformer notre amour lié au désir et à notre besoin de réconfort en amour bienveillant inconditionnel et illimité. Vouloir le bien de l'autre sans attendre quoi que ce soit. Même si l'autre s'en va, nous en veut ou nous trahit. Lui souhaiter tout le bonheur du monde avec ou sans nous. C'est pour moi la signification profonde du tantra : transformer l'énergie du désir en une énergie d'amour infini et libéré de l'ego. En Occident, on réduit souvent le tantra à l'idée de faire l'amour avec des huiles de massages, des bougies, des postures de yoga et de la musique de Ravi Shankar. C'est super, je ne critique pas. Mais c'est très loin d'exprimer l'idée abrupte du tantra, notamment de transformer abruptement nos activités profanes en activités sacrées. Et de transmuter une émotion perturbatrice, le désir notamment, en énergie sacrée pour l’Éveil.



        Le tantra est une voie abrupte, parce qu'il s'agit de traiter avec le désir et le sentiment amoureux, ce qui est sympa, mais en n'écartant rien de tout ce qui va avec ce sentiment heureux et ce désir : autant ce qui est positif que ce qui est négatif, nos faiblesses, nos fragilités, nos blessures. Le tantra est non-duel : il prend avec lui tant le plaisir que la douleur. Une image bouddhiste récurrente compare le plaisir des sens à du miel sur une lame de rasoir : le tantra ne renonce pas au miel, mais il ne renonce pas à la coupure. C'est peut-être la leçon de liberté du tantra : accepter l'amour dans la joie, mais aussi dans le malheur, et faire de l'amour sentimental ou de l'amour charnel une occasion de s'ouvrir de manière inconditionnelle à une dimension infinie. Je ne suis pas sûr que ce soit une Voie pour tout le monde ; mais même si on n'assume pas cette radicalité du tantra, au moins cela peut nous inspirer : savoir que derrière nos attachements, nos crises de jalousie, notre rancœur ou notre orgueil brisé, il y a une dimension plus profonde et illimitée de l'amour.  












André Villers, Prévert & Picasso, Beaucourt, 1930.










Voir aussi de Jacques Prévert :









Sur la méditation  de l'amour bienveillant et des Quatre Qualités Incommensurables :




Les différentes formes de l'amour et comment concilier ces différentes formes avec sagesse.



Les Quatre Demeures de Brahmā : amour illimité, compassion illimitée, joie illimité et équanimité illimitée



- Faire rayonner les quatre qualités


Méditation des Quatre Incommensurables




Esprit d’Éveil


     Comment produire l'esprit d’Éveil ou bodhicittaL'esprit d’Éveil est le souhait que tous les êtres soient libérés de la souffrance et deviennent des êtres pleinement éveillés. Les enseignements du lama tibétain Dza Patrül Rimpotché (XIXème siècle). 




Empathie et altruisme

   Développer l'empathie et l'altruisme selon la philosophie bouddhiste









Voir également à propos de la liberté :









- Liberté et sagesse








Georges Braques, Le couple.









Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.




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