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dimanche 11 janvier 2015

Penser l’homme et l’animal au sein de la Nature - 5ème partie

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          Mon propos, ici, n’est pas de faire l’apologie de Schelling contre Kant ou vice-versa, mais de replacer le présent débat dans une Histoire des idées philosophiques, qui influence les termes de ce débat. Selon moi, Yves Bonnardel et David Olivier s’arrêtent aux Lumières : la Nature n’a pas à être dotée d’aucune transcendance, elle n’a pas de caractère sacré, elle n’est pas un Tout ou une entité avec un statut particulier. Il vaudrait même mieux parler de « réalité », parce que le mot « réalité » n’est pas connoté avec des jugements de valeur ou des appréciations subjectives. Le mot « réalité » est neutre et suffisant pour décrire le monde environnant, tandis le mot « Nature » est flou et tend à nourrir une mystique que la Raison triomphante réprouve.

            Sans nier la difficulté et sans reprendre à mon compte de manière dogmatique la pensée de Schelling ou de tout autre philosophe romantique, je pense pourtant que la Nature dépasse la seule agglomération des atomes et des molécules qui la composent. Je pense que la Nature n’est pas un simple objet, mais que l’on peut établir une relation avec elle, une relation complexe et subtile qui ne se réduit pas à des propositions simples comme : « La Nature, c’est l’enfer. Tout le monde bouffe tout le monde » ou « Notre Mère, la Terre, est la source de toute félicité en cette vie ».

La Nature est insaisissable ; elle échappe à toutes nos catégorisations. Comme le disait Héraclite : « La nature aime à se cacher ». Il y a certainement un travail philosophique à entreprendre pour repenser la Nature. Œuvrer à nouveau à une « philosophie de la Nature ». Jusqu’au XVIIIème siècle, la philosophie de la Nature n’était autre que ce qu’on appelle aujourd’hui la science. Ainsi au XVIIème siècle, Galilée et Newton étaient considérés comme des philosophes de la Nature. Le terme « scientifique » n’est apparu qu’au XIXème siècle. Ce sont les romantiques qui ont commencé à faire une distinction entre la philosophie naturelle (c’est-à-dire la science) et la philosophie de la Nature. La philosophie naturelle pense la Nature comme objet là où la philosophie de la Nature pense la Nature comme sujet. C’est cela qu’il faut repenser, pas seulement pour assouvir notre soif métaphysique, mais aussi et surtout pour retrouver une relation plus harmonieuse et apaisée avec la Nature que la société industrielle détruit impitoyablement. Tout miser sur les éoliennes et les panneaux solaires n’a aucun sens pour nous sortir du réchauffement climatique et freiner l’effondrement de la biodiversité, si nous ne changeons pas notre rapport à la Nature, si nous ne consommons pas moins les ressources naturelles et si nous n'arrêtons pas cette guerre effrénée que nous avons lancé contre la Nature. Une autre relation avec la Nature est à redessiner. D’urgence.


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Photo de Kobi Refaeli



            Ma relation à la Nature est surtout le fait de mes ballades et  de mes errances au sein de la Nature, mais aussi la saveur si particulière de la méditation au sein de la Nature. Savoir apprécier le silence bruissant de la Nature, voilà que les gens abreuvés d’objets technologiques ne savent plus faire. Ma mère me demandait un jour pourquoi j’avais abandonné les écouteurs quand je marchais dans la rue, écouteurs qui ne me quittaient pas quand j’étais adolescent. La réponse est simple : il y a tellement de choses à apprécier dans l’ici et maintenant pour qui sait apprécier la Nature, le bruit du feuillage dans le vent, les nuages, les merveilleux nuages, comme disait Baudelaire, et la luminosité à travers ces nuages ou ces feuillages. Tant de choses simples et insignifiantes, mais qui valent infiniment plus qu’un iPhone ou une tablette. La nature donne à tout le monde et en tout lieu. Il suffit de cueillir le jour comme disait Horace (Carpe Diem) ; même si le mot « suffit » peut sembler tellement cela demande d’exercices spirituels pour savoir cueillir cette simplicité. Même en ville, la nature est présente. J’habite dans une ville industrielle moribonde avec ses hauts-fourneaux délabrés et agonisants. Même là, la Nature est présente dans des chemins à l’écart, entre les pavés des rues, et l’eau de javel ou le Round-up ready n’y peuvent rien ! J’habitais auparavant dans un appartement qui donnait sur un immeuble. Sur le toit de cette immeuble, en haut de la cheminée, avait poussé un arbrisseau en creusant dans la pierre, au point de faire exploser cette pierre et de menacer les passants dans la rue qui passait inconcients du danger en contrebas. Le propriétaire de l’immeuble n’était pas tracassé par la situation ; pourtant, la cheminée menaçait d’éclater. Finalement, c’est une bourrasque de vent lors d’une tempête qui est venu à bout de l’arbrisseau !       



Oeuvre de Roadsworth à Montreal


Là où je suis complètement en porte-à-faux avec Yves Bonnardel, c’est quand il dit dans le passage que j’ai déjà cité plus haut : « Cette mystique se porte bien (…) Si certains communient dans les associations de « protection de la Nature » ou les magasins « bios » (et excommunient les médicaments, les pilules, la chimie et le béton...), bien plus nombreux sont les croyants non pratiquants ». Il est vrai qu’une certaine idée culturellement valorisée de la Nature est répandue : la Terre-Mère, « les produits naturels bon pour la santé »  dans les publicités de yaourt, et j’en passe. Mais cette mystique en elle-même se porte mal. La mystique de la Nature se porte globalement mal. Tout le monde passe le plus clair de son temps libre devant la télévision ou son écran d’ordinateur. La Nature pour la plupart des gens, c’est justement ce qui figure sur le fond d’écran de son ordinateur. Vous savez le champ fleuri ou le grand canyon… Mais entre le boulot, les trajets en voiture ou en métro et notre lobotomie quotidienne devant les écrans plasmas, il ne reste plus beaucoup de temps pour apprécier la Nature.


J’ai travaillé dans une école qui avait la particularité de se trouver à côté d’une forêt. J’étais regardé comme un excentrique simplement parce que j’allais me balader dans le bois pour décompresser entre les cours ! Mes élèves étaient d’ailleurs convaincus que, si je me rendais si souvent dans les bois, c’était pour aller fumer des joints. La seule utilité d’une forêt à leurs yeux, c’était de pouvoir s’y cacher derrière un buisson pour y consommer tranquillement des substances illicites. Cela me rendait triste, non pas parce qu’ils répandaient des rumeurs fallacieuses sur mon compte, mais parce qu’ils ne voyaient absolument pas le potentiel d’apaisement et de bien-être que peut procurer une balade en forêt. Les Japonais parlent de prendre des « bains de forêt ». C’est assez saisissant comme image car on est vraiment purifié tant de la pollution que de l’agitation et le stress de la vie en société. Mais ça, mes étudiants ne le percevaient absolument pas ! Non vraiment, monsieur Bonnardel, la mystique de la Nature se porte mal ! Une certaine idée de la Nature peut encore éventuellement avoir une aura positive ; mais sinon la Nature pour la plupart des gens se borne au fond d’écran de leur ordinateur ! 



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Photo de Laurent Del Fabbro et Bruno Gros


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Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici..

3 commentaires:

  1. cette expression prendre un bain de forêt me plaît énormément,. Chaque jour je m'évade dans les bois pendant ma pause déjeuner et le soir avant de rentrer dans l'appartement que j'occupe en plein centre ville. Je parle lorsque je m'évade de promenade de survie, mais le bain de forêt est tellement plus juste. Vos article Monsieur bien que je me sois "évadée" de goggle +++ m'attire chaque jour, chaque jour de vous lire me donne un peu + de force : Je sais nous sommes seuls sur le chemin ou la voie, pourtant de sentir qu'en fait je ne suis pas seule à vivre en marge et pourtant dans la société me donne du bon en moi. Bien à vous : Chloé

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  2. Merci aussi à vous pour vos encouragements, votre lecture et vos commentaires. Cela fait plaisir de se savoir être lu par autre chose que les google-bots!
    Etre sur la Voie, c'est effectivement être à la lisière de la société et de la Nature, d'où d'ailleurs cette interrogation sur la Nature dans mon article.
    Merci et plein de bonnes choses pour vous ! Sarva mangalam (toutes les bénédictions).

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  3. Je prends en mon coeur en moi les bonnes choses que vous m'envoyez ainsi que les bénédictions. Je vous envoie également mes meilleures voeux et énergies et vous remercie de votre belle présence sur cette toile virtuelle. Bien à vous .

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