3ème
partie
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Venons-en
maintenant à la partie essentielle du soûtra : les
enseignements sur la technique de l'attention portée au souffle et
son alternance d'inspiration et d'expiration. Le principe de cette
méditation est simple : le pratiquant s'isole dans un lieu où
il ne sera pas dérangé et il prête attention à sa respiration.
Comme le dit le Bouddha : « Le moine va dans la forêt
ou au pied d’un arbre dans un endroit désert; il s’assied dans
la posture du lotus, le corps stable et droit, son attention fixée
devant lui. Lorsqu’il inspire, il sait qu’il inspire ; lorsqu’il
expire, il sait qu’il expire ».
Ce
lieu isolé n'est pas nécessairement dans un forêt ou au pied d'un
arbre. Cela peut être dans votre chambre ou dans une salle consacrée
à la méditation. Cela peut aussi être dans une prairie ou sur une
plage. Ou encore dans les dunes, sur un rocher au sommet d'une
falaise. Peu importe du moment que l'endroit soit calme et retiré,
qu'on ne viendra pas vous déranger toutes les cinq minutes pour des
motifs futiles...
Si
le Bouddha mentionne la forêt ou le pied d'un arbre, c'est d'une
part le lieu retiré le plus évident dans l'Inde ancienne :
retiré de la ville ou du village dans lequel le moine va mendier sa
nourriture. D'autre part, c'est en référence à toute la symbolique
de l'arbre dans l'univers mental du bouddhisme, notamment le fait que
le Bouddha accède au plein Éveil parfait et incomparable sous
« l'arbre de l’Éveil ».
L'important
est pour nous de trouver un lieu où l'on pourra rester suffisamment
solitaire. Faisons attention qu'à notre époque moderne très
éloignée de l'époque du Bouddha, il existe toutes sortes d'engins
technologiques qui ont le pouvoir diabolique de briser notre solitude
et notre retrait momentané du monde : téléphone portable,
smartphone notamment... S'isoler veut dire d'être en mesure de les
couper si l'on sait qu'il vont nous importuner de manière répétée
durant le temps de la séance de méditation.
Faut-il
privilégier les endroits en intérieur comme une chambre, une salle
de méditation ou les endroits en extérieur comme le pied d'un
arbre, un rocher, un promontoire surplombant une colline ? C'est
à vous de voir ; chaque endroit peut avoir des avantages et des
désavantages. Personnellement, j'aime beaucoup méditer dans des
endroits naturels : je m'y ressource et je m'y reconnecte avec
la nature. Mais il faut avoir le temps de s'y rendre. Les « villes
tentaculaires » grignotent toujours plus de terrain sur la
Nature ; et il est de plus en plus difficile de trouver un lieu
qui ne soit pas sous l'emprise d'une activité urbaine que ce soit
une route avec ses voitures et autres engins motorisés, une usine et
sa pollution, etc.... Il m'arrive aussi de méditer dans des friches
urbaines ou des usines abandonnés où la Nature reprend ses droits.
Lieux où le béton explose sous la pression lente et souveraine des
racines des arbres.
Mais
toujours est-il que ce lieu est secondaire : ce qui est
primordial ici, c'est de prêter attention au va-et-vient de sa
respiration. Quand j'inspire, je sais que j'inspire. Quand j'expire,
je sais que j'expire. Notre attention est sans cesse détournée,
passant d'une pensée à une autre, d'une émotion à une autre, d'un
objet de préoccupation à un autre. La conscience est sans cesse
agitée pour un rien. La méditation consiste justement à revenir à
l'attention.
On
pourrait comparer l'esprit à un taureau fou qui se cabre et qui rue
dans toutes les directions. L'attention est comme la corde qui sert à
attacher le taureau à un piquet. Au début, la fougue du taureau
furieux reste intacte et il brise constamment la corde. Dès qu'on
s'en en compte, il faut rattacher le taureau bondissant de nos
pensées avec la corde de l'attention. Encore et encore, le taureau
s'échappera dans la forêt de notre mental. Encore et encore, il
faudra le rattacher avec la corde de l'attention. L'idée est que,
progressivement, le taureau va se calmer et s'apaiser de lui-même.
Il
ne faut donc pas chercher à tout prix à contrôler nos pensées.
Celles-ci peuvent se produire au gré des sollicitations de notre
mental, tantôt un souvenir, tantôt un questionnement ou une
appréhension concernant le futur, tantôt des commentaires sur notre
genou qui nous fait, à un autre moment, un jugement sur la couleur
de notre coussin de méditation, suivi d'une pensée métaphysique
qui s'envole vers des considérations sur le pourquoi du comment nous
sommes ici sur Terre à nous poser des questions.... L'important est
de laisser ces pensées sans s'y attacher et revenir à notre
attention.
Justement,
un bon point de repère pour retrouver l'attention, c'est le
va-et-vient de notre respiration. Notre souffle est toujours
présent ; c'est tellement naturel qu'on ne se pose pas
trente-six mille questions sur notre souffle. C'est donc un objet
idéal pour fixer notre attention : « Lorsque
j'inspire, je sais que j'inspire ; lorsque j'expire, je sais que
j'expire ». On peut bien sûr fixer notre attention sur
toutes sortes d'objets : un caillou que l'on aurait poser devant
soi, son nombril, les chakras de son corps, son gros orteil, le bout
de son nez... Cela peut être un objet purement imaginaire :
certaines techniques de méditation demande de visualiser un point de
lumière au niveau du chakra du cœur ou encore des cercles de
couleur flottant dans les airs à un ou deux mètres devant nos yeux,
voire de concentrer son attention sur l'image du Bouddha que nous
visualisons dans les airs devant nous ou assis devant nous.
L'avantage
de la respiration, c'est que c'est d'une part un phénomène
dynamique qui va et qui vient et sur lequel on se lasse moins vite
qu'un objet fixe. Par rapport à un objet imaginaire, on n'a pas
besoin de faire l'effort mental d'imaginer cet objet et de maintenir
cette visualisation. En outre, la respiration est un phénomène
vital qui met directement en connexion le corps et l'environnement en
faisant entrer et sortir de l'air de nos poumons ainsi que le corps
avec le mental : si notre mental est agité, notre respiration
sera beaucoup saccadée ; si nous calmons notre souffle et
expirons de manière longue et sereine, on peut calmer un sentiment
de panique. Le souffle joue donc un rôle central et souvent oublié
dans notre être profond. Y prêter attention est donc intéressant à
plus d'un titre. C'est pourquoi le Bouddha lui consacre ce soûtra.
*****
Venons-en
aux seize techniques que le Bouddha propose dans cet enseignement.
Ces seize techniques peuvent être regroupées par groupe de quatre.
1er
groupe : l'attention au corps dans le corps
« 1.
En inspirant longuement, il sait : ‘J’inspire longuement’.
En expirant longuement, il sait : ‘J’expire longuement’.
2.
En inspirant brièvement, il sait : ‘J’inspire brièvement’. En
expirant brièvement, il sait ‘J’expire brièvement’.
3.
‘J’inspire et je suis conscient de tout mon corps. J’expire et
je suis conscient de tout mon corps’. C’est ainsi qu’il
pratique.
4.
‘J’inspire et j’apaise mon corps tout entier. J’expire et
j’apaise mon corps tout entier’. Ainsi pratique-t-il ».
Ces
quatre premières pratiques touchent donc le corps. On commence par
les deux premières qui demandent d'être spécialement attentif au
rythme de notre respiration. On vient de le dire, le rythme de notre
respiration est un indicateur important de notre état psychique
ainsi qu'un marqueur de notre état corporel et de notre état de
santé. Attention toutefois ! Il ne s'agit pas ici de contrôler
drastiquement notre respiration comme on peut le voir dans certaines
techniques de yoga. La respiration est un phénomène spontané et
totalement naturel. Laissons notre corps respirer à son rythme.
J'entends souvent dans le milieu du yoga des injonctions du style :
« il faut apprendre à respirer » ou « tu dois
respirer correctement ». Cela n'a aucun sens : notre corps
n'a pas attendu notre mental pour se mettre à respirer !
Heureusement d'ailleurs ! Si on en savait pas respirer, on
mourrait tout simplement ! Vous savez donc respirer ! Pas
besoin d'un professeur de yoga pour vous instruire en cette matière
où votre corps sait de toute façon mieux comment se comporter.
Parfois,
certaines maladies obstruent votre capacité respiratoire. Je pense,
par exemple, à l'asthme qui bloque l'expiration. Dans ce cas, prenez
conscience de votre respiration difficile, mais de grâce n'émettez
aucun jugement : vous respirez comme cela parce que les bronches
de vos poumons sont enflammées. Vous n'y pouvez rien : vous
respirez au mieux de cet handicap respiratoire. Il faut prendre
conscience de cette respiration plus saccadée sans la juger. C'est
comme ça ! N'essayez de contrôler à tout prix votre
respiration de telle façon que votre professeur de yoga la juge
« correcte ». Ce qui compte, c'est l'intensité et la
durée de votre attention à la respiration, pas la qualité de la
respiration elle-même ! Si la respiration est bonne, il faut en
être conscient, si elle est mauvaise, il faut en être conscient,
mais ne pas coller de jugement et d'appréciation sur la respiration.
Que la respiration soit brève ou longue, calme ou saccadée,
silencieuse ou rauque, cela importe peu dans la méditation.
L'important en méditant n'est pas comment est cette respiration,
mais comment on en prend conscience, à quel point on est capable de
lui prêter attention.
Il
faut en profiter aussi pour réaliser à quel point la respiration,
phénomène d'une entière banalité, est essentielle à la vie. Si
vous plongez en apnée dans un lac, dans une piscine ou dans la mer,
vous allez très vite vous rendre compte à quel point respirer est
essentiel ! La respiration est aussi un interface puissant pour
prendre conscience de tout son corps. « J'inspire et et je
suis conscient de tout mon corps. J'expire et je suis conscient de
tout mon corps ».
Tous
les organes, toutes les cellules du corps sont connectées à la
respiration. L'air entre dans les poumons pour y capter l'oxygène
indispensable à la vie. Le cœur bat pour envoyer le sang dans le
poumon se charger de cet oxygène et voyager au travers des artères
et des veines dans tout le corps, toucher tous les organes, tous les
tissus, toutes les cellules, et repartir chargé du dioxyde de
carbone dans les poumons où cet air vicié sera expiré. Le souffle
est donc une porte d'entrée incomparable pour prendre conscience de
son corps.
« J'inspire
et j'apaise mon corps. J'expire et j'apaise mon corps ».
Tel est l'exercice suivant. Il se situe dans le même esprit que le
conseil que l'on peut donner aux gens en prise à une crise de
panique : « Respire ! ». J'ai déjà dit plus
haut à quel point la respiration est dans une relation intime tant
avec le corps qu'avec le mental. Dans le yoga, le souffle tel qu'on
le connaît est appelé « souffle externe » et l'énergie
qui circule dans tout le corps est appelée « souffle
interne ». Chaque souffle interne anime le corps et lui
transmet des impulsions à se mouvoir dans tel ou tel sens. Ces
souffles internes sont très liés à la conscience et à nos
intentions. L'image traditionnelle compare le souffle interne à un
cheval, notre conscience à un cavalier et les canaux subtils dans
lesquels se déplace les souffles internes sont comparés aux routes
qu'emprunte le cheval. Notre situation existentielle est celle d'un
cheval monté par un cavalier aveugle sur des routes cahoteuses. Les
souffles internes courent dans tous les sens dans le corps et le
rendent agités et fébriles ; c'est pourquoi il nous est si
difficile de rester longtemps le corps immobile en méditation. Après
peu de temps, nous n'avons qu'une envie, c'est de nous lever et de
nous agiter.
La
méditation au contraire essaye de rendre la vue au cavalier qu'est
la conscience, d'apaiser les souffles et faire en sorte que notre
corps soit un lieu de fluidité pour la circulation de notre énergie.
Le souffle externe peut interagir avec le souffle interne ; et
la conscience elle-même interagit tant avec le souffle externe
qu'avec le souffle interne. Il ne s'agit pas de contrôler à tout
prix le souffle comme je l'ai déjà dit plus haut, mais de revenir à
la conscience de sa respiration et de profiter de cette respiration
pour laisser le corps s'apaiser et retrouver le calme.
Parfois
le corps relâchera très vite les tensions, les crispations et
l'agitation qui le traversent ; parfois, le corps restera bloqué
dans cette tension, mais ce n'est pas grave. Il n'y a pas de mauvaise
méditation. Si le corps se relâche, c'est très bien, c'est
« cool ». Mais s'il ne se relâche pas, c'est qu'il avait
le besoin de manifester ce blocage. Il faut simplement en prendre
conscience et surtout ne pas juger notre méditation selon notre
capacité à nous relâcher. L'intérêt du lâcher-prise, c'est
précisément de lâcher-prise ; et si on comcmence à se juger
négativement et à se crisper parce qu'on est nul de ne pas savoir
bien se relâcher, bien lâcher-prise, franchement, cela n'a aucun
intérêt. Le lâcher-prise implique de lâcher prise précisément
avec notre niveau de relâchement : parfois, on est tout détendu
et c'est très agréable, parfois on est tout tendu et c'est
désagréable, mais on lâche prise, on laisse l'expérience de
l'équanimité nous envahir, cette équanimité qui accueille
pareillement les bonnes et les mauvaises expériences.
*****
Voir aussi sur le Reflet de la Lune :
Lire ici la première partie et la 2ème partie de ce commentaire du Soûtra du Va-et-Vient de la Respiration.
Voir aussi sur le Reflet de la Lune :
- "Commentaires sur « L’Art de la Méditation » de Matthieu Ricard" (voir le texte) dont un des thèmes est : Est-ce que la méditation sur la nature de l'esprit dans le bouddhisme tibétain n'occulte pas l'établissement de l'attention portée sur le corps (telle que le Bouddha l'enseigne dans le Soûtra des Quatre Etablissements de l'Attention) ?
- "Demeurer dans la nature de l'esprit" (voir le texte) dont le thème est similaire: Est-ce que l'injonction propre au bouddhisme tibétain à demeurer dans la nature de l'esprit n'occulte pas l'établissement de l'attention au corps prônée par le Bouddha ? L'analyse de la conscience empirique selon l'Abhidharma par opposition au postulat métaphysique de la nature de l'esprit prôné par l'école idéaliste du Cittamâtra.
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Il est très très très bien cet article bravo et merci tout plein.
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