Je rentre à la maison,
je ferme la fenêtre.
On m'apporte la lampe, on
me souhaite bonne nuit,
et d'une voix contente,
je réponds bonne nuit.
Plût au ciel que ma vie
fut toujours cette chose :
le jour ensoleillé, ou
suave de pluie,
ou bien tempétueux comme
si le Monde allait finir,
la soirée douce et les
groupes qui passent,
observés avec intérêt
de la fenêtre,
le dernier coup d’œil
amical jeté sur les arbres en paix,
et puis, fermées la
fenêtre et la lampe allumée,
sans rien lire, sans
penser à rien, sans dormir,
sentir la vie couler en
moi comme un fleuve en son lit,
et au-dehors un grand
silence ainsi qu'un dieu qui dort.
Fernando Pessoa (Alberto
Caeiro), Le gardeur de troupeaux, XLIX, NRF, Gallimard/Poésie,
Paris, 1960 (pour la traduction d'Armand Guibert), p.103.
Jackie Evans |
Je trouve ce poème
magnifique. Le joie de savoir savourer l'être, se réjouir d'une vie
simple. Se mettre au diapason de la Nature et être ce jour
ensoleillé, car il est agréable de savourer les rayons du soleil ;
et être ce jour de pluie car il est agréable la pluie et la brume
et des nuages gris ou noirs qui pèsent sur la vallée. D'habitude,
les gens râlent et se plaignent quand il pleut : leur humeur
est morose comme s'il fallait être d'autant plus sinistre que la
pluviométrie se montre importante. Alors que c'est les jours de
pluie, de gris, de froid qu'on a le plus besoin de chaleur humain
pour se réchauffer le corps et l'âme. Pour Fernando Pessoa sous son
hétéronyme Alberto Caeiro, il s'agit d'apprécier de manière égale
le temps qu'il fait, en tous cas, ne pas commencer à nourrir des
jugements, toutes sortes de temps sur le temps qu'il fait. De toutes
façons, le temps qu'il fait passe : autant donc l'apprécier
comme quelque chose d'agréable à regarder, à observer. Observer
avec sympathie les gens qui passent dans la rue, observer la vie qui
circule dans les rues et sur les places. Mais rentré chez soi,
apprécier s'observer soi-même, voir comment la vie coule en nous à
chaque instant de notre vie. Spectacle magnifique qui se joue à
huis-clos, tandis que dehors, tout est silencieux et on sent la
présence massive de ce dieu qui dort et soupire dans ses rêves.
Dieu, c'est-à-dire la Nature, comme disait Spinoza.
Denise Fontaine - matin brumeux sur Cointe (hauteurs de Liège en Belgique) - novembre 2011 |
Autres poèmes de Fernando Pessoa :
- Des montagnes et des plaines
- Voir les champs et la rivière
- Clair de lune à travers les hautes branches
- Ecriture et pensée
Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.
Écosse |
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