Le
plus mauvais petit prince de l'Allemagne fait meilleure chère que
moi, n'est-ce pas, mon ami ? me dit Zamé. Voulez-vous savoir
pourquoi ? C'est qu'il nourrit son orgueil beaucoup plus que son
estomac, et qu'il imagine qu'il y a de la grandeur et de la
magnificence à faire assommer vingt bêtes pour en sustenter une
(...). Ce n'est point par aucun principe religieux que nous nous
abstenons de viande ; c'est par régime, c'est par humanité :
pourquoi sacrifier nos frères, quand la nature nous donne autre
chose ? (...)
Vous
voulez me prendre pour un disciple de Crotone1 ;
vous serez bien surpris quand vous apprendrez que je ne suis rien de
tout cela, et que j'ai adopté dans ma vie qu'un principe :
travailler à réunir autour de moi la plus grande somme de bonheur
possible, en commençant par celui des autres.
Donation
Alphonse François, marquis de Sade, Aline et Valcour, lettre
35, 1793, cité dans : Jean-Baptiste Jeangène Vilmer,
Anthologie d'éthique animale (Apologie des bêtes), PUF,
Paris, 2011, pp. 115-116.
On
ne s'attend point à un éloge du végétarisme et de l'altruisme
chez le divin marquis de Sade, lui qu'on associe beaucoup plus
aisément à la cruauté et à la jouissance de faire souffrir et de
voir souffrir. Dans le roman épistolaire Aline et Valcour,
Sade imagine un royaume sur l'île de Tamoé gouverné dans
l'harmonie par le roi Zamé dont il est question dans ce passage. Ce
qui est étonnant pour l'époque, ce que Sade imagine un gouvernement
idéal chercherait à trouver leur bonheur en assurant le bonheur de
plus grand nombre, mais en outre, ce bonheur inclut le bonheur des
animaux pour lesquels il faudrait avoir un minimum de considération.
Pourquoi sacrifier vingt animaux pour nourrir un seul homme ? Et
en plus tirer grand orgueil de ce sacrifice ! Non, si la Nature
a permis que l'on puisse vivre en mangeant des végétaux, et par là
même qu'on épargne la vie de toute une série d'animaux, pourquoi
ne pas préférer ce régime à l'habitude de se nourrir du cadavre
des animaux ? Pour le roi Zamé, nous sommes là sur Terre pour
récolter le plus de bonheur pour soi-même et autrui, et l'acte de
devenir végétarien est le premier acte altruiste que l'on poser.
1 Disciple
de Crotone : pythagoricien, Pythagore venait de la colonie
grecque de Crotone (dans l'actuelle Calabre).
Tadas Jucys - A meal of dandelions |
Voir également :
Plutarque: -Pour quel motif ?
- être sensible à la vie animale
Ovide : Vous avez le blé
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici.
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