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samedi 18 juin 2016

Libéral, libertaire, libertarien




Dans mon article Libéral, j'expliquais dans les grandes lignes qu'il y avait trois sens distincts au mot « libéral » :
  • un sens économique : être favorable au libre-marché et à la liberté d'entreprendre
  • un sens moral : être favorable aux libertés individuelles des citoyens
  • un sens politique : être favorable à la démocratie libérale et parlementaire.

    J'expliquais qu'il fallait bien distinguer ces sens différents du terme, car il y a souvent des confusions entre les différentes acceptions du terme. Dans un commentaire, Degun fait valoir à juste titre qu'il faut prendre en compte deux autres termes proches : « libertaire » et « libertarien ». Comme le précise Degun : « En fait, c'est l'anglais qui a d'abord emprunté au français le mot "libertaire" sous la forme libertarian avant d'opérer des glissements de sens et puis, cela nous est revenu plus récemment sous diverses formes créant la plus grande confusion par rapport à l'usage du mot libéral (même si les divers mouvements liber- ont à la base une même racine fondé sur la liberté individuelle, il n'empêche qu'ils se sont très sensiblement éloignés les uns des autres). Les glissements de sens des mots lorsqu'ils sont empruntés et transposés d'une langue à l'autre sont fréquents ».


   Effectivement, ces deux termes « libertaire » et « libertarien » tournent autour du mot libéral, mais en s'en détachant de manière significative. Libertaire est plus ou moins synonyme d'anarchiste et désigne en première approximation quelqu'un aux mœurs particulièrement libre. Libertaire est en ce sens une version radicale de libéral au sens moral du terme. On pourrait citer ce célèbre slogan de Mai '68 : « Il est interdit d'interdire », qui ferait un bon mot d'ordre pour les libertaires, si ce n'est que les libertaires n'aiment pas les mots d'ordre. De manière générale, les libertaires n'aiment pas toutes les organisations qui supposent des hiérarchies très structurées et très coercitives. Typiquement, ils détestent l'armée, l’Église et la police.

      Mais la pensée libertaire n'est pas qu'une liberté totale en matière morale. La pensée libertaire suppose une certaine collectivisation des moyens de production, ce qui en fait des ennemis redoutables du libéralisme économique. En cela, ils rejoignent l'extrême-gauche et les communistes. Ceci étant dit, au niveau politique, les libertaires refusent toute organisation qui viendrait chapeauter et diriger la collectivisation comme cela a été le cas. Ils préfèrent l'autogestion, et non un système pyramidal avec un parti unique comme l'expérience communiste. En cela, la pensée libertaire n'est pas seulement une vision radicale de la pensée libérale sur un plan moral ; elle est aussi une radicalisation de la démocratie libérale. Là où la démocratie libérale accorde des droits inaliénables aux individus contre l'emprise de l’État, les libertaires veulent que les citoyens s'auto-organisent à la base sans même qu'une représentation démocratiquement élue vienne chapeauter cette organisation sociale. En outre, les libertaires sont demandeurs de plus de démocratie dans certains organismes sociaux tels que les écoles, les hôpitaux, les prisons, les asiles psychiatriques qui sont vues comme des structures autoritaires qui aliènent le droit de certains citoyens.




Banksy







       Les libertariens, par contre, s'ils contestent aussi le pouvoir démesuré selon eux de l’État le font pour d'autres raisons. Les libertariens contestent un premier tout main-mise de l’État en matière économique : ces anarchistes de droite prônent un système ultra-libéral où tout est libéralisé, y compris les fonctions régaliennes de l’État (police, armée, justice). Pour eux, cela fonctionnerait beaucoup mieux comme cela (surtout si on est un nostalgique du Far West). Les libertariens sont partisans d'un individualisme exacerbé, où le chacun pour soi prime sur tout sentiment de fraternité ou de solidarité. En cela, ils sont complètement à l'opposé des libertaires sur le champ économique et social. Sur un plan moral, ils sont en général plutôt conservateurs, bien que cela ne soit pas une obligation. Le mouvement américain Tea Party est ainsi à la fois ultra-conservateur et libertarien sur un plan économique. L'individu devrait assumer la conséquence de ses actes sans attendre que l’État vienne l'aider du fait de la mauvaise situation dans laquelle lui-même s'est fourré. Typiquement, les accros au drogue dure ne devraient pas attendre une aide de l’État pour aller en cure de désintoxication, car c'est leur faute s'ils sont tombés dans un tel état de déchéance et d'addiction. À eux de s'en sortir tout seuls ou de payer de leurs propres deniers un cure de désintox dans une clinique privée ou encore de s'en remettre à un organisme religieux qui aurait la charité d'accueillir des junkies repentants à se délivrer de leurs péchés et de leur dépendance grâce à la prière et à la lecture de la Bible. Il m'est arrivé de regarder l'interview d'un libertarien qui expliquait qu'il fallait condamner le sexe hors-mariage parce que les mères célibataires avaient tendance à faire appel à des aides d’État pour s'en sortir. En supprimant ces aides d’État, ce libertarien expliquait que ces femmes reviendraient naturellement à une vie de couple, beaucoup plus chrétienne. (J'avoue que ce genre de mentalité me donne envie de vomir).

     Les libertariens expliquent qu'il faut tout privatiser. Il ne doit avoir aucun bien commun, cette idée que les gauchistes essayent d'imposer depuis le siècle des Lumières. Les libertariens jurent que si on privatisait les forêts, cela irait beaucoup mieux pour l'environnement, puisque le propriétaire de ce bout de forêt aurait intérêt à maintenir son bien en bonne qualité et ferait tout pour qu'il ne soit pas pollué. C'est une vision du monde asse idiote. S'il y a des gaz de schistes en-dessus de la forêt, le propriétaire a tout intérêt à raser sa forêt et à se lancer dans la fracturation hydraulique, ce qui est une catastrophe environnementale sans nom !




    Enfin, une dernière catégorie de « liber » mérite d'être mentionnée, c'est la catégorie du libéral-libertaire. C'est quelqu'un provenant généralement de la gauche avec une idée avancée des libertés individuelles ; mais qui a progressivement viré vers l'individualisme et le libéralisme économique. La figure emblématique du « libéral-libertaire » en France et en Allemagne est Daniel Cohn-Bendit, ancienne figure marquante de Mai '68 où on l'appelait « Dany le Rouge ». Un proverbe dit : « Les jeunes libertaires font les vieux libéraux » ; et cela s'applique très bien à Cohn-Bendit. Au niveau international, Steve Jobs, le fondateur d'Apple est certainement le symbole de cette pensée libérale-libertaire. Le nom même d'Apple vient du fait qu'il fréquentait une communauté hippie où on ne ne mangeait que des pommes. Toute la communication et la publicité d'Apple ont récupéré les codes de la contre-culture américaine, l'idée notamment qu'il faut penser librement, en étant fidèle à soi-même et en ne suivant pas les chemins tout tracés. On retrouve cela dans la campagne qui montre un monde totalitaire gris et sinistre, où tout le monde est habillé dans le même uniforme et où une jeune femme forcément libre vient jeter un marteau contre l'écran géant qui délivre le message officiel de Big Brother, ou encore dans la campagne « Think different ». D'un côté, on adopte une phraséologie et une image contestataire, de l'autre, on fonce tête baissée dans le consumérisme le plus libéral. Steve Jobs cherchait par tous les moyens à passer pour un mec « cool », mais c'était concrètement un tyran qui appliquait des méthodes particulièrement dures de gestion du personnel.








La vidéo réalisée par Ridley Scott en 1984 pour la sortie sur le marché du MacIntosh :




La campagne Think Different :











Voir aussi :


- Ni Dieu, ni maître

Solidarité et charité

Résignation et acceptation



  

Voir tous les articles et les essais autour de la philosophie bouddhique  du "Reflet de la Lune" ici.




Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.




Steve Jobs, symbole du libéralisme américain triomphant, en réfugié syrien à Calais (par Banksy)
Le père de Steve Jobs était un réfugié syrien.







2 commentaires:

  1. Super ! Merci, c'est très clair ainsi.
    Plus ou moins en lien avec la question, je me demandais quelle était votre réflexion par rapport à l'école publique dite obligatoire. J'ai recueilli des positions très divergentes au sein des mouvements de gauche, bref, tout le monde est loin d'être d'accord sur la question (notamment entre libertaires et communistes): changer ou réformer l'école, supprimer l'école obligatoire, la supprimer à partir de 10 ans, faire école chez soi, comment on fait pour les classes populaires, "éduquer" est-il nécessaire, la vie en société éduque-t-elle d'elle-même les enfants, qu'est-ce qu'on enseigne... etc. la question est très très vaste, c'est un vrai choix de société même si j'ai bien peur que ce soit en définitive le système économique qui comme toujours ou presque donne la cadence.
    Ce qui m'interroge en premier pour ma part, c'est l'idée, qui m'est étrange, de mettre tous les membres d'une classe d'âge dans un même groupe un peu comme à l'armée, bref, tu t'adaptes ou l'école ne s'adaptera pas à toi en somme. Après, je n'ai pas d'opinion arrêtée sur la question et je soutiens fondamentalement les enseignants qui font un métier difficile et souvent ingrat.

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  2. Selon qu'on soit libéral, libertaire ou libertarien, on aura des conceptions extrêmement différentes de l'enseignement :

    - Les libéraux (économiques) privilégieront la pédagogie dite « des compétences » (on ne doit pas acquérir des connaissances, mais des compétences, le fait de savoir réaliser telle ou telle tâche). Ils privilégieront aussi l'idée que l'école doit préparer à travailler dans l'entreprise, donc un rapprochement très fort de l'école et de l'entreprise.

    - Les libertaires remettront en cause l'autorité du professeur et essayeront de mettre plus de « démocratie » au sein de l'école. Dans les écoles libertaires, élèves et professeurs décident à égalité de voix quels seront les cours.

    - Pour les libertariens, c'est très clair, il faut privatiser l'école. L'école doit cesser d'être un sanctuaire de la fonction publique pour être entièrement livrée aux multinationales.

    Qu'est-ce que j'en pense personellement ? En fait, en matière d'enseignement, je suis plutôt un conservateur. Je refuse complètement ces trois approches libérales, libertaires et libertariennes, mais je ne suis pas très chaud non plus par rapport aux pédagogies dites alternatives (Freynet, Montessori, Steiner....). Pour moi, les idéologies politiques ne devraient pas constamment modeler l'enseignement (que ces idéologies soient de gauche ou de droite). L'école évolue à son rythme. Ainsi l'école d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec l'école d'il y a cinquante ou cent ans. Je trouve que vouloir précipiter les choses ne provoque que des distorsions fâcheuses tant pour l'école que pour la société.

    Je développerai prochainement ces idées sur le Reflet de la Lune. Jusqu'à présent, il est vrai que j'ai très peu parlé de pédagogie et d'enseignement, ce qui peut paraître étrange quand on sait que je suis enseignant. Mais une fois sorti de l'école, j'ai plus envie de parler de la vie que de l'école !

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