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lundi 13 avril 2020

Altruisme intéressé et altruisme désintéressé - 2ème partie




Altruisme intéressé et altruisme désintéressé


2ème partie





Je pense donc qu'il faut encourager les gens de bien à développer le plus possible l'altruisme, mais aussi à prendre conscience du pouvoir de notre ego et à se libérer le plus possible de celui-ci, ce qui revient à dire : à se transformer soi-même encore et encore, tout au long de sa vie pour tendre vers l'altruisme désintéressé. Néanmoins, je pense qu'il faut garder aussi conscience qu'on vit en société. L'altruisme désintéressé est une très belle chose, mais il ne faut pas oublier dans un excès d'idéalisme qu'il y a des gens égoïstes qui sont prêt à manipuler les personnes serviables pour les mettre à leur service.


Si je veux être très schématique, dans la société, il y a globalement trois types de personnes : des gens qui prennent, des gens qui donnent et enfin la catégorie intermédiaire des gens qui donnent et qui prennent avec un sens pointilleux de légalité et de la justice : « Je veux bien te donner pour autant que tu me rendes une quantité équivalente de services et de biens ». Je n'ai pas fait d'études sociologiques ou anthropologiques pour étayer mes dires, mais il me semble bien que cette catégorie intermédiaire des gens qui donnent et prennent est la plus représentée dans la société, et de loin. Les gens qui prennent tout sans rien donner en retour est vue avec méfiance par cette catégorie intermédiaire et à juste titre : des gens qui sont toujours à demander des choses « pour dépanner » et à toujours à réclamer notre aide, mais qui sont aux abonnés absents dès que nous sommes dans le besoin, ce ne sont pas là des amis très fiables.



Et comme la catégorie intermédiaire regarder avec suspicion, dédain et colère les gens qui prennent, forcément, la cible de ces gens qui prennent sera en priorité la catégorie des gens qui donnent, qu'il sera très facile d'exploiter et de culpabiliser. C'est pourquoi je pense qu'il faut encourager à l'altruisme désintéressé certes, mais qu'il faut également être vigilant, ne pas être dupe et mettre en garde des problèmes que pourraient connaître les personnes trop bienveillantes et trop altruistes, notamment le fait d'être la cible et la proie des gens toujours prompts à manipuler et à tout ramener à eux. C'est à cause de ce parasitage des personnes altruistes qu'on en vient à véhiculer des adages répugnants du style « trop bon, trop con ». On ne devrait jamais dire d'un individu qu'il est trop bon ou qu'il est trop bienveillant, trop altruiste. On n'est jamais assez bon, assez bienveillant, assez altruiste.


Malheureusement, on vit dans une société où la manipulation et l'exploitation existent. Et il faut se prémunir des individus parasites qui détournent l'altruisme, altruisme qui devrait profiter au bien commun, et non à leur seul profit personnel. Si vous donnez beaucoup et inconditionnellement, sans rien en retour, vous devenez cette cible, une aubaine pour ceux qui ne pensent qu'à eux. Et il faut résister aux élans du cœur que savent si bien susciter les personnes manipulatrices pour détourner à leur seul profit votre bonne volonté. C'est pourquoi je pense que les élans du cœur doivent aller avec la raison


Il faut également encourager la dimension collective de l'altruisme intéressé qui demande un minimum en retour : je veux parler de la solidarité, l'idée d'être plus solide ensemble et la compréhension que les individualités sont interdépendantes. Avec la solidarité, on n'est pas un altruiste intéressé tout seul dans son coin, on est altruiste intéressé ensemble, chacun apportant et recevant de l'aide des autres. Globalement, cette solidarité convient mieux à la psychologie de la majorité de la population et permet une entraide supérieure à la quantité d'aide fournie par les altruistes désintéressés isolés (quand, en plus, cette aide désintéressée n'est pas détournée au profit d'individus manipulateurs).


Bien sûr, la solidarité est un idéal. Il faut constamment raviver cet idéal et encourager les uns et les autres à servir l'intérêt des autres pour que les autres soient là en cas de besoin. Il faut que cette solidarité soit généreuse car sinon on retombe dans les travers de la réciprocité où tout le monde surveille tout le monde et comptabilise si on a bien reçu la même quantité de bienfaits que l'on a soi-même donné. J'ai dit que la solidarité était l'union et la mise en commun d'altruismes intéressés, mais ceux qui partagent cet idéal de solidarité doivent faire effort pour aller vers le désintéressement et le service au bien commun.


Car si ce bien commun est fort et important, alors ce n'est pas grave si quelques personnes à la marge resquillent. Il y a cette expérience de pensée où, en 1986, le philosophe américain John Rawls refusaient qu'on donne des allocations de chômage et encore moins un revenu de base à des gens qui passeraient toute la sainte journée à faire du surf sur les plages de Malibu ou Hawaï puisque ces personnages oisifs ne participent à la solidarité nationale et à l'effort collectif : « Ceux qui surfent toute la journée sur les plages de Malibu doivent trouver un moyen de subvenir eux-mêmes à leurs besoins, et ne devraient pas bénéficier de fonds publics ». Dans le même esprit, dans les sixties, il y avait sénateur républicain de Hawaï qui se plaignait des hippies venant profiter des plages idylliques et du climat agréable dans son État grâce aux allocations sociales qui leur permettaient d'avoir le minimum pour vivre sur cet archipel du Pacifique. Ce sénateur faisait campagne contre cette présence un peu trop envahissante à son goût, et il avait pris comme slogan, « No parasites in paradise » : pas de parasites au paradis 1.


Pourtant, ce qui est problématique au niveau d'un individu (une personne qui est toujours à mettre la pression sur un bon gars, une bonne poire pour bénéficier d'aides et de ressources sans trop se fouler) l'est beaucoup moins au niveau d'une collectivité tant que cela reste marginal. En réalité, ces individus qui semblent tirer au flanc dans l'ordre de la société et qui semblent ne servir à rien peuvent s'avérer plus utiles que leur oisiveté ne le laisse présager. Prenons des surfeurs qui passent leur temps à chercher la bonne vague plutôt que de chercher un boulot digne de ce nom. Ils semblent être juste un poids pour la société ou des gens qui, en terme philosophique, ne respectent pas le contrat social. Pour autant, il est faux d'affirmer qu'ils n'ont aucune utilité sociale : ils font rêver les gosses quand ils surfent en-dessous de la vague qui se referme sur eux comme un tunnel d'eau, ils sont un bon sujet de photos et de vidéos spectaculaires, ils contribuent à donner une aura « cool » à certains lieux, ils attirent tout un tourisme et donc une activité économique qui va tourner autour de cette passion avec des infrastructures pour loger les vacanciers, pour les nourrir, pour les équiper et pour les divertir, et définitive, ils pourront eux-mêmes se mettre à dispenser des cours à ces vacanciers pour arrondir leurs fins de mois. Leur inutilité apparente peut en fait créer du lien social et s'avérer contribuer positivement à la société de manière peu orthodoxe.


En conclusion, s'il est bon de chercher à avoir comme objectif un altruisme désintéressé, il est bon de prendre conscience de notre tendance à ramener la couverture à nous même quand on aide autrui. Et comprenant cette tendance à chercher notre intérêt et que nous partageons avec les autres cette tendance, alors on peut développer une solidarité où chacun a à gagner de la collaboration mutuelle.

Et je terminerai en citant la belle formule du père Ceyrac qui a été missionnaire en Inde où il s'est occupé d'enfants défavorisés et que Matthieu Ricard mentionne dans son « Plaidoyer pour l'altruisme » :  : « Malgré tout, je suis frappé par l’immense bonté des gens, même de ceux qui semblent avoir le cœur et l’œil fermés. Ce sont les autres, tous les autres, qui fondent la trame de nos vies et forment la matière de nos existences. Chacun est une note dans le “grand concert de l’univers”, comme le disait le poète Tagore. Personne ne peut résister à l’appel de l’amour. On craque toujours au bout d’un certain temps. Je pense réellement que l’homme est intrinsèquement bon. Il faut toujours voir le bon, le beau d’une personne, ne jamais détruire, toujours chercher la grandeur de l’homme, sans distinction de religion, de caste, de pensée ».



Frédéric Leblanc,
le 13 avril 2020.












1 Anecdote racontée par Philippe Van Parijs : « De chacun (volontairement) selon ses capacités à chacun (inconditionnellement) selon ses besoins », Mouvements 2013/1 (n° 73), pages 155 à 174.















Morgan Maassen, Scène de surf à Byron Bay (Australie).















Voir également sur le sujet de l'altruisme, de la solidarité et de l'empathie envers les autres : 


- Solidarité et charité


- La joie et le don 






Rien n'est plus utile (Spinoza)




Ce que tu donnes (James Joyce)





















Voir aussi à propos de Matthieu Ricard  :



       Le psychologue Serge Tisseron critique le moine bouddhiste ‪‎Matthieu Ricard‬ sur la question de l'empathie. Celui-ci ne distingue pas suffisamment les différents types d'empathie. Et face à la détresse émotionnelle qui peut survenir à cause d'un trop-plein d'empathie, il oppose la compassion au sens bouddhiste du terme. Mais comment le bouddhisme‬ pense-t-il vraiment des notions telles que l'empathie, l'altruisme et la compassion ?



Liberté


renouer avec la nature  



s'occuper aussi des animaux


Un mouton n'est pas un tabouret qui se déplace






- Le bonheur, un état ou une compétence ?


- Commentaires sur « L’Art de la Méditation » de Matthieu Ricard



Les autres notes sur les dialogues du cerveau à propos de "Cerveau et méditation" :






3ème partie: Nano-bonhomme et baleine cosmique



- 4ème partie : Libre-arbitre et déterminisme









Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.


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