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mercredi 17 août 2016

Approches du véganisme












    Je suis récemment tombé sur cette vidéo très bien faite qui expose un débat au sein de la communauté végane : est-il pertinent d'avancer des arguments de santé et des arguments d'écologie pour faire avancer la cause des véganes ? Certains véganes avancent que les arguments avancés devraient uniquement tourner autour des animaux, de leur bien-être et de leur droit à ne pas êtres exploités, massacrés et torturés pour le plaisir des hommes. C'est ce qu'on appelle l'approche « zoocentrée ». Delphine La Belette explique très bien dans sa vidéo que c'est vraisemblablement un faux débat. Les gens sont souvent plus préoccupés par leur intérêt égoïste que par les problèmes rencontrées par des personnes à l'autre bout du monde ou par les souffrances qui subit le monde animal. Invoquer des problématiques de santé ou d'écologie peut donc les inciter à s'intéresser au véganisme beaucoup plus que les seuls arguments « zoocentrés ».

      Delphine explique très bien aussi en quoi cela ne contredit pas l'abolitionnisme. Pour elles, les arguments éthiques concernant le bien-être et le droit des animaux sont les arguments qui vont faire que l'on va rester végane. Je pense qu'on ne peut pas mieux dire. Moi-même, j'étais végétarien depuis longtemps, mais ce qui m'a fait venir au véganisme, c'est un argument écologique. Si l'élevage est la cause de quantité monstrueuse d'émissions de gaz à effet de serre (CO2, méthane,...) et que je reste végétarien (que je fais donc appel à l'élevage pour le lait, les œufs, le fromage...), je participe encore à ces productions monstrueuses de gaz à effet de serre (peut-être moins qu'un mangeur de viande, mais quand même de manière très significative). Cette prise de conscience m'a obligé à admettre que si je voulais rester en phase avec mes idéaux écologiques, je devais adopter un régime végane.

     Donc, dans un premier temps, je suis devenu végane pour des raisons environnementales. Et c'est seulement après que les arguments purement éthiques concernant les animaux ont commencé à me toucher. En fait, il faut bien comprendre un ressort de la psychologie humaine. On a souvent l'idée fausse (défendue par Descartes dans le champ de la philosophie) que l'on évalue une situation avec sa raison et puis qu'on agit en conséquence avec sa volonté. En réalité, c'est souvent le contraire qui se passe : on change de comportement pour une raison x et y, et puis une fois le comportement modifié, on modifie sa vision du monde et ses arguments rationnels en conséquence. « On ne désire pas ce qu'on juge bon ; on juge bon ce qu'on désire », disait Spinoza. Concrètement, une fois que vous êtes devenu végane pour une raison x ou y (soit anthropocentrée, soit biocentrée, soit encore théocentrée), vous allez adopter beaucoup plus facilement les arguments zoocentrés : il est mal d'exploiter les animaux, les animaux sont des êtres sentients (doués de conscience et de sensibilité), il faut prendre en compte les droits des animaux, etc...

      Dans un commentaire de la vidéo sur YouTube, quelqu'un émettait l'objection qu'une personne devenant végane pour des raisons de santé ou écologiques pourrait très bien continuer à aller au cirque. Aller au cirque en effet ne nuit pas à votre santé ; et aller en voiture jusqu'au cirque pollue peut-être un peu, mais beaucoup moins que partir en voyage en Espagne ou au Mexique. Deux remarques contre cet argument : d'abord, le phénomène psychique dont je viens de parler. Une fois que l'on est devenu végane, même pour de « mauvaises raisons », on va être beaucoup plus perméable aux idées qui défendent l'intérêt des animaux, puisque notre mode de consommation est devenu soudain compatible avec la cause de la libération animale. Tant qu'on est pas végane, notre psychisme aura tendance à minimiser, voire à nier la tragédie vécue par les animaux. Par exemple, quand j'étais encore avec végétarien, une amie qui vivait dans une ferme en biodynamie m'avait expliqué que les veaux étaient séparés de leur mère pour qu'elles produisent du lait à destination des humains, et que, très souvent, le veau était envoyé à l'abattoir. J'avais l'information, mais je minimisais l'affaire. Je me disais que c'est parce qu'on tue les animaux qu'on se comporte de cette manière. C'est seulement une fois devenu végane que cet argument des veaux qui sont écartés de leur mère est devenu un argumentqui a renforcé et consolidé mon véganisme.

       Seconde remarque : ne vaut-il pas mieux un végane ou végétalien qui va encore au cirque qu'un mangeur invétéré de viande qui va aussi au cirque, qui chasse et qui aime la corrida ? Chez les défenseurs de la position « zoocentrée », il y a une certaine logique déplorable du « tout ou rien ». Soit vous êtes végane à 100 %, soit vous êtes un partisan de l'exploitation animale à 100%. Le philosophe américain Gary Francione résume cette position par une formule très douteuse : « Il n'y a pas de troisième choix ». Et bien en fait si. Il y a un troisième choix, il y a même toutes sortes de choix. En l'occurrence, entre le véganisme pur et le carnisme pur, il y a tout un éventail de possibilités. L'idéal étant de se rapprocher le plus possible du véganisme pur. Je rappelle au passage que le véganisme pur, absolu n'existe pas concrètement : même un végane très rigoureux qui n'achète rien qui contiendrait des traces de cruauté à l'encontre des animaux mange des légumes. Et ces légumes ont été produits par l'agriculture qui tue chaque années toutes sortes de petits animaux comme des insectes ou des mulots au moment de la moisson ou du labourage. En conséquence, on peut juste se rapprocher d'un idéal qui est le véganisme pur sans jamais l'atteindre à 100%.


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       En outre, l'approche zoocentrée a cette faiblesse de ne pas voir que tout est lié dans ce monde, tout est interconnecté. Si le réchauffement climatique continue à s'intensifier, ce n'est seulement l'humanité qui va en pâtir, mais bien l'ensemble des espèces animales. Combien d'animaux ne connaissent pas actuellement une détresse horrible, du fait que les ressources naturelles viennent à se tarir, que leur milieu de vie se transforme sans qu'ils aient le temps de s'adapter à cette transformation ? Une végane qui prendrait plaisir à rouler en hummer, qui prendrait sans cesse l'avion, qui ferait l'apologie des gaz de schistes seraient un végane qui fait du mal aux animaux, même s'il est « zoocentré ».

     De la même façon, l'approche végane de la santé peut paraître trop égoïste, encore plus l'idée de garder la ligne ou d'être dans une forme athlétique. Mais ce sont là des choses qui apparaissent aux yeux des gens dans la société. Un régime va-t-il me permettre de rester en bonne santé ? Va-t-il me permettre de garder la ligne ? Est-ce que j'aurai de la force physique si je deviens végane ? Est-ce que je ne vais pas devenir un gringalet si je ne mange plus que des carottes et du tofu ?

     On le voit bien avec la récente demande d'une députée italienne de mettre en prison les parents véganes qui imposeraient leur véganisme à leurs enfants. Face à cette menace, on ne peut pas répondre dogmatiquement avec l'approche zoocentrée. En fait, l'approche zoocentrée est typiquement ce qui semble extrêmement dogmatique et fanatique aux yeux de non-véganes. Les animaux y semblent plus importants que les enfants. Aux yeux du grand public, cette approche ressemble à l'attitude d'une secte dangereuse.

      Justement, en ayant une approche plus ouverte, les véganes apparaîtront comme ayant un rôle positif à jouer dans la société. Les véganes doivent communiquer beaucoup plus qu'ils ne le font sur la nutrition et les bienfaits d'un régime végane. Il ne suffit pas dire qu'on peut être en bonne santé, de répéter pour la millième fois qu'on n'a pas pas de carence en protéines et en calcium. Mais il faut montrer, études scientifiques à l'appui, que le véganisme est une bonne chose pour la santé et que des parents carnistes consciencieux se devraient de donner une nourriture végane pour les enfants dans le souci constant de leur bien-être et de leur santé.

       Il faudrait dire à cette députée italienne : OK, peut-être que le véganisme est dangereux pour la santé. Faisons donc des études scientifiques neutres et objectives, financées par le gouvernement italien, pour vérifier cette assertion, et dégageons le vrai du faux sur les conséquences d'une alimentation 100% végétale sur la santé. En fait, ils se rendront que c'est pas nocif pour la santé, et que c'est même bon pour le développement des enfants. Il y a déjà des études significatives qui vont dans ce sens, mais plus d'études ne fera pas de mal et enfoncera le clou que le véganisme est bon pour la santé. Au fond, cette proposition de loi de la députée italienne risque de se retourner contre les carnistes qui emmènent leurs enfants aux McDo et qui les gavent de produits animaux !

    Stratégiquement, les véganes ne peuvent pas faire l'impasse sur la santé. Sauf à accepter le fait de ne pas avoir d'enfants et de laisser les enfants aux mains des carnistes. L'attitude éthique qui consisterait à dire que : « je serai végane, même cela devait nuire à ma santé » peut susciter l'admiration devant tant d'abnégation, un peu comme devant le martyr qui accepte de mourir pour sa cause religieuse, mais elle ne fait pas avancer la cause végane auprès du grand public qui va associer véganisme à une vie sainte, mais pas à une vie saine !



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       Dernière remarque par rapport à la vidéo de Delphine La Belette : il n' y a pas que la dimension de santé et la dimension écologique. Il y a aussi toute la dimension humanitaire de la problématique de l'élevage. Comme il faut bien nourrir le bétail, on utilise des superficies extrêmement importantes de champs agricoles pour faire pousser du maïs, du soja ou d'autres végétaux qui vont nourrir le bétail, alors qu'on pourrait nourrir les humains avec ces champs. Par ailleurs, en mettant en concurrence les champs destinés à nourri les animaux et les champs destinés à nourrir les humains, on met une pression considérable sur les prix des ressources alimentaires, sur lesquels les spéculateurs jouent de plus en plus au détriment des consommateurs des pays pauvres, qui ont de plus en plus de difficultés de à nouer les deux bouts et à nourrir leurs enfants et leurs familles. Dans les cas les plus sévères, tous les jours, des personnes humaines, dont beaucoup d'enfants, meurent de cette famine et cette malnutrition. Le véganisme permet de soulager cette faim dans le monde. Et c'est encore une raison de mettre en avant le véganisme.




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     Voilà. Je pense qu'on peut faire la promotion du véganisme en adoptant une approche anthropocentrique (la dimension sociale et humanitaire dont je viens de parler ici, la santé des êtres humains, l'écologie en tant que préservation d'abord de l'espèce humaine) ou l'approche biocentrique (la défense de la Nature en elle-même, indépendamment du sort de cette espèce nuisible invasive que les scientifiques appellent homo sapiens sapiens) sans nécessairement trahir la cause abolitionniste. Bien sûr, il ne faut pas perdre de vue l'intérêt des animaux. Les arguments éthique en faveur des animaux ont toute leur pertinence, mais ce n'est pas parce qu'on développe certains arguments anthropocentrés ou biocentrés que l'on va perdre de vue la noble cause de la libération animale.









Maman Carotte





Sur la proposition de loi de la députée italienne Elvira Savino, voir : 




Pour des conseils très pratiques lié au véganisme et à la santé, voir notamment le site de L214 : Vegan pratique





Voir aussi : 


    Pour Gary Francione, la seule position morale cohérente par rapport à l'exploitation animale est le véganisme éthique (dans l’intérêt des animaux). Il refuse tout approche du véganisme qui prendrait en compte l'homme soit dans ses intérêts, soit dans sa psychologie. Que faut-il penser de cette approche ?



    Tout est lié, tout est interdépendant.

Penser l’homme et l’animal au sein de la Nature


    Yves Bonnardel et David Olivier, deux contributeurs des Cahiers Antispécistes, ont critiqué l'idée de Nature dans une perspective antispéciste. D'une part, parce que l'idée de Nature suppose une hiérarchie naturelle où les animaux sont considérés comme inférieurs aux être humains. Et d'autre part, parce que l'idée de Nature suppose de voir une harmonie qui régit les écosystèmes, là où il n'y a qu'une lutte infernale pour la survie. Cet article se propose de considérer ces arguments et de se demander si une mystique de la Nature est tout de même possible.




















Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.



Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.










1 commentaire:

  1. Ah oui, j'ai oublié de parler de cette riche idée que Delphine la Belette développe dans sa vidéo selon laquelle le véganisme ne profite pas seulement aux opprimés (les animaux), mais aussi aux oppresseurs (les humains). Cette idée mériterait aussi de plus amples commentaires....

    Le Reflet de la Lune

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