Le
silence éternel de ces espaces infinis m'effraie.
Blaise
Pascal, Pensées.
Hier
soir, vers deux heures du matin, je suis parti avec des amis regarder
les étoiles filantes dans un pré, espace ouvert au milieu de la
forêt, loin des lumières encombrantes de la ville, pour contempler
l'espace infini du ciel nocturne au-dessus de nos têtes. C'était
l'heure où les Perséides étaient les plus nombreuses. Et sous la
voûte des étoiles immobiles, l'une ou l'autre étoile filante
venait silencieusement zébrer le ciel un court instant. Finalement,
il n'y avait que nos exclamations « Eh, tu as vu ? Là,
l'étoile filante ! » et les craquements des brindilles
dans la forêt toute proche pour perturber le silence céleste.
Couché
à même le sol pour éviter un torticolis, je regardais les étoiles
et je me disais que ces lumières familières sont en fait d'autres
soleils situés à des milliards de milliards de milliards de
kilomètres d'ici. Des distances que la lumière prend des années à
franchir, voire des milliers d'années, voire des millions d'années.
Ces points lumineux dans le ciel sont en fait des masses colossales
de feu en fusion autour desquelles tournent d'autres planètes,
d'autres astéroïdes, d'autres comètes dont la poussière de leur
queue produit des étoiles filantes sur une planète lointaine doté
d'une atmosphère comme la nôtre. J'eus un court moment la sensation
très forte d'être non pas sur la Terre, mais accrochée à elle par
le pouvoir de la gravitation. Et si la Terre avait décidé de
relâcher son emprise sur mon corps, je serais tombé dans cette nuit
obscure et infinie vers ces autres astres de la voûte céleste. Une
chute de plusieurs milliers d'années avant de rencontrer un autre
système de soleil et de planètes. On peut se sentir seul à la
surface de la Terre, mais quelle est la solitude de celui qui s'est
perdu dans l'espace intersidéral ?
Au
fond, c'est cette conscience de l'infini qui a inspiré à Pascal la
citation que j'ai mis en exergue de ce texte. Dans l'Antiquité, on
se figurait l'espace comme un monde clos où les étoiles étaient un
peu comme le décor, accrochées à la sphère céleste, limite
infranchissable de ce monde. Et pour les Anciens, tout était ordonné
à l'intérieur de ce cosmos. Cosmos en grec désigne d'ailleurs
l'ordre, la régularité. Les Anciens croyaient fermement en
l'harmonie de la sphère céleste. Bien sûr, les planètes décrivent
des trajectoires étranges dans ce monde ordonné, « planète »
signifie en grec « errant ». Mais les planètes étaient
elles-mêmes poussés par les dieux, le Soleil par le chariot
d'Hélios. Plus tard, le christianisme a remplacé les dieux par des
anges, mais n'ont pas changé cette vision d'un cosmos ordonné qui
fait sens, même l'intention des dieux ou des anges reste parfois
encore bien mystérieuse.
S. Vetter, Perséides, 2010 - temple du Donon, Vosges. |
Au
XVIème
et au XVIIème
siècle, cette belle harmonie des sphères est complètement
renversée par les découvertes de Copernic qui met le soleil au
centre du système solaire, par la réflexion de Giordano Bruno qui
conçoit une univers infini et qui brûlera sur le bûcher de
l'Inquisition pour cette hérésie, par Galilée qui invente le
télescope et qui a l'idée de projeter l'image du soleil sur un mur,
de telle sorte qu'il puisse voir qu'il y a des taches à la surface
du Soleil, ce qui va impliquer qu'on doive dès lors abandonner
l'idée de la perfection de l'astre solaire. Kepler réalise que
l'orbite de la Terre autour du soleil n'est pas un cercle (forme
parfaite pour Platon et l'Antiquité grecque), mais une ellipse.
Newton établit que c'est une force qui fait tourner les corps
célestes les uns autour des autres, et non une quelconque action des
dieux ou des anges.
Plus
tard, Emmanuel Kant aura l'intuition de ce qu'il appelle des
« univers-îles » semblables à notre Voie Lactée et qui
peupleraient telle des archipels lumineuses l'immensité de
l'Univers : « « L'analogie
avec le système d'étoiles dans lequel nous nous trouvons, leur
forme qui est précisément comme elle doit être selon notre
conception, la faiblesse de la lumière nous oblige à supposer une
distance infinie, tout concorde pour que nous considérions ces
figures elliptiques comme de tels ordres de mondes et, pour ainsi
dire comme des Voies Lactées dont nous venons de développer la
constitution ; et, si ces présomptions, dans lesquelles
l'analogie et l'observation concourent parfaitement à se soutenir
mutuellement, ont autant de dignité que des preuves formelles, on
devra tenir pour établie la certitude de ces systèmes 1
». Edwin Hubble (qui a donné son nom au satellite) confirmera
cette thèse des galaxies extérieures à notre Voie Lactée. En
1924, il établit que certaines nébuleuses n'appartiennent pas à
notre galaxie.
La
formule de Pascal « Le
silence éternel de ces espaces infinis m'effraie »exprime
donc la peur qui naît de cette perte de sens et de cette sensation
déroutante d'être perdu dans ce grand univers froid et sans vie.
Pourtant, la contemplation du ciel reste finalement quelque chose de
très apaisant, même si aucun sens ne se détache de la position des
étoiles ou des constellations entre elles. Le silence de ce ciel
nocturne m'a apaisé hier soir, beaucoup plus qu'entendre les bruits
de la forêt, brindilles qui craquent, signe d'une présence obscure
et peut-être menaçante, même si ce n'était probablement que des
faons, des chevreuils, des renards ou des sangliers qui nous
observaient intrigués et qui se demandaient pourquoi ces animaux
humains étaient couchés là, à regarder là-haut, vers les nuages
et les nuées d'étoiles.
Camille Flammarion, L'Atmosphère : Météorologie Populaire, París, 1888 |
Voir aussi :
Radmilje près de Stolar, sud de Sarajevo, Bosnie-Herzegovine |
À propos de Blaise Pascal :
C'est amusant, hier soir, j'ai pris un temps aussi pour contempler la voûte déleste mais la lumière reflétée par la lune était assez vive ce qui masquait pas mal d'étoiles mais quel apaisement, quelle joie même, c'est tellement fascinant et je dirais même salvateur de se sentir trois fois rien au milieu de cette vastitude. J'en avais fait un poème d'ailleurs. Je me souviens que j'éprouvais déjà un impression de cet ordre quand j'étais petit (vers 8 ans à peu près) quand j'étais dans mon lit et imaginer l'univers infini (je m'intéressais un peu à l'astronomie, je l'observais aussi) et je me demandais ce qu'était tout ça (en quelque sorte le fameux "pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien"). Il parait que les astronautes qui observent la Terre depuis l'espace en garde un quelque chose de "mystique" (je ne sais plus trop comment c'est qualifié par eux-mêmes, je mets "mystique" mais ça pourrait être "transcendant" ou autre chose). En tous cas, l'observation du ciel même sans le connaître vraiment (mais en ayant malgré tout quelques notions d'échelle) permet, en tous cas "me" permet, une certaine mise à distance de soi et du monde. Merci.
RépondreSupprimerDésolé pour les erreurs d'orthographe qui se sont glissées dans mon texte : "une impression" et "imaginais" bien sûr.
RépondreSupprimerOui, j'imagine que voir la Terre dans sa globalité, ce gigantesque écosystème doit avoir quelque chose de profondément mystique ou de transcendant. Quant à l'idée, de relativiser ses problèmes en regardant les étoiles, c'était déjà un exercice spirituel pratiqué par les philosophes de l'Antiquité. Adopter le point de vue de Sirius....
RépondreSupprimer*Ah tiens, une idée pour un prochain article ! :-)
Bonne journée !
Frédéric
J'ai retrouvé un article sur lequel j'étais tombé au sujet notamment du sentiment que retirent les astronautes d'avoir surplombé la Terre : http://rue89.nouvelobs.com/2015/12/06/voir-terre-depuis-lespace-devenir-mystique-ecolo-sage-262078
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