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lundi 28 octobre 2013

Réponse à Kryss


Kryss faisait le 27 octobre cette objection à mon article "Bouddhisme et végétarisme" :


Un moine arrive dans une petite ville et reçoit de la part d'une famille les restes de leur repas, composé entre autre de poulet. Le moine, sachant que cette nourriture n'a pas été cuisinée que pour lui, accepte ce curry de poulet et le mange. Après avoir mangé ces restes, que va penser la famille l'ayant nourri et les passants l'ayant vu manger?

Il est probable que l'idée qu'un homme spirituellement avancé mange de la chair leur fasse penser que ce n'est pas si contraire au Dharma que cela de manger du poulet. Par cet acte d'acceptation, le moine va donc contribuer en partie à pousser les personnes l'ayant vu à commettre des actes contraire au Dharma.

Voici donc ma réponse : 


        C'est une très bonne question, car, en effet, cette situation met en conflit deux principes de vie du bhikkhu, le moine bouddhiste : d'une part, le premier principe des dix préceptes bouddhistes qui est de « ne pas tuer » et le principe de l'acceptation. Selon ce principe d'acceptation, le moine prend ce qu'on lui donne sans faire de discrimination. Il ne dit pas : « je veux de la bonne nourriture », « je veux des frites » ou « je veux des spaghettis ». Il ne dit pas non plus « je veux de la bouffe bio parce que c'est bon pour la santé ou pour l'environnement » ou « je veux un menu diététique parce que c'est bon pour ma ligne ». Non, le moine accepte ce qu'on lui donne, même si ce n'est pas assez, que c'est mauvais, que c'est trop gras ou que cette nourriture contrevienne à ses principes éthiques, comme la viande, mais aussi de la nourriture non-bio pleine de pesticide qui a tué des insectes ou une nourriture où on a exploité les paysans. Non, il prend ce qu'on lui donne sans faire d'histoire.

         Cette acceptation est importante parce qu'elle se fonde sur l'absence de désir , l'absence de pensée « je veux ceci ou cela, je ne souhaite pas avoir ceci ou cela ». Or cette absence de désir est la clef qui permet d'atteindre la cessation de la souffrance. Dans son tout premier enseignement, le Sermon de Bénarès, ou Soutra de la Mise en Mouvement de la Roue du Dharma, le Bouddha parle des Quatre Nobles Vérités. A savoir :
  • la Vérité de la Souffrance,
  • la Vérité de l'Origine de la Souffrance,
  • la Vérité de la Cessation de la Souffrance
  • et la Vérité du Chemin qui conduit à la Cessation de la Souffrance.

     Or l'origine de la souffrance réside dans le désir qui nous pousse dans une quête incessante de satisfactions. Et la cessation de la souffrance coïncide avec le moment où l'on réussit à abandonner complètement ce désir, à accepter pleinement l'ici et maintenant. Ce principe d'acceptation conduit donc au Nirvâna (l'extinction de la souffrance) tandis qu'une alimentation végétarienne ou végane ne donne qu'un bon karma. Ce qui n'est déjà pas mal : en préservant la vie, on gagnera dans le futur de cette vie-ci ou d'une autre vie des conséquences positives comme une vie plus longue, en meilleur santé ou mieux préservée. Mais le seul végétarisme ne permet pas de se libérer du samsâra et d'atteindre le Nirvâna.

       Donc, de ces deux principes, principe de non-violence (ahimsâ) qui sous-tend le végétarisme et principe d'acceptation qui conduit à la cessation du désir, c'est ce dernier le plus essentiel , celui qui doit être privilégié. Mais il n'est évidemment pas non plus question de tuer expressément des animaux et de les faire tuer par un boucher pour notre usage personnel ! D'où le fait que le Bouddha admet une dérogation à la consommation de la viande du fait que le moine est dans l'acceptation de ce qu'on lui donne et pour laquelle il a énoncé la règle dites des « trois puretés » (qu'il vaudrait mieux appeler à mon sens : « absences d'impuretés ») : si le moine n'a pas vu, n'a pas entendu ou ne pouvait pas savoir que la viande est préparée expressément pour lui, alors il peut et il doit accepter cette viande qu'on lui donne en aumône.

           Cette viande consommée n'implique pas une souffrance nouvelle à l'encontre des animaux, puisque la viande donnée au moine n'était pas à l'origine achetée et cuisinée pour lui. De la même façon, un clochard vegan qui ferait les poubelles à la recherche de nourriture et qui trouverait du jambon périmé dans les poubelles ne déroge pas au véganisme s'il mange ce jambon: la nourriture a été abandonnée et n'engendre aucune souffrance (même si d'autres vegans, ignorant la provenance du jambon, pourraient lui faire des reproches). 

          Ceci étant dit, il est évident que cela a engendré des débats et des critiques. Le soutra de Jîvaka relate que l'on répandait le bruit que : « On tue des êtres vivants pour nourrir l’ascète Gotama qui mange délibérément de la chair d’animaux tués pour lui ». C'est évidemment une mauvaise compréhension des enseignements. Que faire face à cela ? Faire preuve de pédagogie et réaffirmer l'importance du principe de non-violence et l'inutilité de manger de la viande, de faire comprendre le point de vue des animaux condamnés par cette cruauté inutile et barbare. Le soutra de Jîvaka insiste que le moine, quand il fait l'aumône, doit être animé par la bienveillance, la compassion, la joie et l'équanimité. C'est important pour faire comprendre aux autres son rapport à l'existence, le fait que le moine ne consomme la viande par goût, mais bien par acceptation des autres hommes qui ne vivent pas nécessairement avec les mêmes principes moraux ou avec le même niveau de conscience.

      Pour conclure, je dirais qu'il faut bien rappeler que cette règle ne vaut que pour le moine vivant d'aumônes. Ce n'est pas le cas de tous les moines bouddhistes aujourd'hui : les moines tibétains, chinois, japonais ne vivent pas d'aumônes, contrairement aux moines thaïlandais ou birmans qui continuent à respecter cette règle de mendicité. Pour ces moines qui ont abandonné la mendicité et pour les laïcs, la règle dite des « trois puretés » ne compte pas, puisqu'ils choisissent leur nourriture (ou le monastère le fait pour eux) : aucune excuse pour eux de manger de la viande. J'insiste sur ce point par la règle des « trois puretés » est trop souvent déformées pour justifier une consommation de viande injustifiable selon le Dharma !




Voir aussi le texte "Être bouddhiste implique-t-il d’être végétarien ?" : voir le texte

Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.

Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme ici.

2 commentaires:

  1. Le bouddhisme a pour dogme : le Désir est l'Ennemi absolu. C'est pour cette raison que les bouddhistes méprisent le désir de vivre des créatures et les mangent. Il n'y a qu'en pays hindous où le végétarisme a réussi à percer : car le Désir est Kâma Déva, le Dieu Eros, c'est un Dieu, non un démon, et le Désir, fils du Seigneur Krishna, nous apprend à respecter le désir des autres créatures, qui ne sont pas nos inférieurs (comme le dit le bouddhisme), mais les représentants des Dieux sur Terre, leur vahana.

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  2. Ce que vous dites est complètement faux. De tous les commentaires stupides que j'ai pu lire sur mon blog, votre commentaire est certainement le plus stupide. Dans la philosophie bouddhique, le désir n'est pas un « ennemi absolu », mais un problème à régler d'urgence, car ce problème du désir conditionne notre souffrance en ce monde. Tuer une personne ne va certainement pas éteindre le désir de cette personne assassinée : tout ce que cela fera sera de projeter cette personne dans un karma de détresse horrible. Comment pouvez-vous attribuer des idées aussi monstrueuses aux bouddhistes ?

    La seule façon efficace d'éteindre le désir, c'est par la pratique spirituelle, le Dharma : la conduite éthique bienfaisante, la méditation et la sagesse. Dans les pratiques importantes de la méditation, il y a les quatre qualités incommensurables : amour incommensurable, compassion incommensurable, joie incommensurable et équanimité incommensurable. La compassion envers les êtres sensibles est donc essentielle si on veut guérir les êtres de la souffrance. Un bouddhiste doit éprouver de la compassion encore et encore envers les animaux. Il ne doit certainement pas les tuer !

    Par ailleurs, il me semble que vous idéalisiez beaucoup l'hindouisme : c'est un pays qui compte une majorité de mangeurs de cadavres et où on fait souffrir les animaux pour leur lait ou pour leur peau qui va servir à faire du cuir. Vous dites que dans l'hindouisme, les animaux ne sont pas des inférieurs. Malheureusement, tout l'hindouisme est structuré par le système des castes, un système profondément inégalitaire qui enferme les êtres dans une hiérarchie de maîtres et d'esclave dont ils ne peuvent pas sortir.

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