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jeudi 4 juin 2015

L’équanimité d’un Arahant


Dialogue entre le roi indo-grec Milinda (Ménandre) et le moine bouddhiste Nāgasena.


« - Vénérable, celui qui ne renaîtra pas éprouve-t-il des sensations douloureuses ?

- Il en éprouve certaines, d’autres non.

- Quelles sont-elles ?

- Il éprouve des sensations physiques, mais pas de sensations mentales.

- Comment cela, Vénérable ?

- Il éprouve des sensations physiques de par la non-cessation de toute cause, de toute condition qui font que ces sensations se produisent. Le Bienheureux a dit ceci : «  Il n’éprouve qu’une sorte de sensation : physique, et non mentale ».




- Pourquoi celui qui éprouve des sensations douloureuses ne s’éteint-il pas dans le Nirvāna complet ?

- Ô roi, l’Arahant n’a ni inclination, ni aversion, et les Arahants ne font pas tomber ce qui n’est pas mûr : les hommes avisés attendent la pleine maturation. Le thera Sāriputta1, généralissime de l’armée de la doctrine, a dit ceci :

Sâriputta
« 
Je ne me réjouis pas de la mort, je ne me réjouis pas de la vie ;
J’attends l’heure comme un soldat son salaire.
Je ne me réjouis pas de la mort, je ne me réjouis pas de la vie ;
J’attends l’heure, réfléchi et attentif ».


- Tu es habile, Vénérable Nāgasena.







1 Sāriputta (Shāriputra en sanskrit) était le premier disciple du Bouddha par la sagesse. 


Les entretiens de Milinda et Nâgasena, traduit par Edith Nolot, Gallimard/Connaissance de l’Orient, Paris, 1995, pp. 56-57.







             Autre citation de Nāgasena :
             - L'illusion du sujet connaissant



             - Continuum






Et les commentaires de ces textes :





    « Qui suis-je ? » est une des plus anciennes questions de la philosophie. Nous avons la tendance naturelle à postuler un sujet connaissant, un « je », un « moi », un « ego », peu importe comment on l'appelle, qui serait à la base de toutes nos perceptions du monde environnant et de notre expérience intime de la vie. Le roi Milinda, dans le célèbre ouvrage bouddhiste, « Les questions de Milinda à Nāgasena » (Milinda Panha), défend l'idée d'un sujet connaissant toujours identique qui percevrait le monde tout comme le même homme percevrait le monde à partir des différentes fenêtres d'une même tour. Le moine bouddhiste Nāgasena déconstruit cette croyance en un sujet connaissant permanent qui serait sous-jacent à la perception de nos six sens et à notre connaissance du monde.  






    On se représente toujours le Sage comme un être imperturbable, baignant dans la béatitude et une souveraine sérénité, toujours absolument maître de lui-même, contrôlant tout son être par la puissance de son esprit. Cette image, on la retrouve dans l’imaginaire spirituel indien, mais aussi dans la philosophie antique gréco-romaine. Est-ce une image correcte ?




    Un Arahant ressent toujours les sensations physiques, même s'il est délivré des sensations mentales. Il est donc encore soumis à la douleur physique. Pourtant il n'aspire pas à quitter ce monde et attend son heure tranquillement. Pourquoi ?





     Pour Nāgasena, la personne que nous avons été dans une vie précédente n'est ni autre, ni identique à nous-mêmes. Nāgasena prend l'exemple de notre propre vie : quand on était bébé, étions-nous la même personne qu'aujourd'hui ? Cela semble difficile à croire : nos capacités ne sont pas du tout la même, notre apparence physique a complètement changé, nos pensées ne sont pas les mêmes. Pour autant, on ne peut pas dire non plus qu'on soit complètement différent de quand on était bébé. Cela voudrait dire que l'on n'aurait pas été ce bébé à un moment de notre vie. Ce bébé que nous avons été n'est ni autre, ni identique à nous-mêmes. Il est un moment de notre continuum d'existence.





















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