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vendredi 26 juin 2015

Des montagnes et des plaines

Si je pouvais croquer la terre entière
et lui trouver un goût,
j'en serais plus heureux un instant...
Mais ce n'est pas toujours que je veux être heureux.
Il faut être malheureux de temps à autre
afin de pouvoir être naturel....

D'ailleurs il ne fait pas tous les jours soleil,
et la pluie, si elle vient à manquer très fort, on l'appelle.
C'est pourquoi je prends le malheur comme le bonheur,
naturellement, en homme qui ne s'étonne pas
qu'il y ait des montagnes et des plaines
avec de l'herbe et des rochers.

Ce qu'il faut, c'est qu'on soit naturel et calme
dans le bonheur comme dans le malheur,
c'est sentir comme on regarde,
penser comme l'on marche,
et, à l'article de la mort, se souvenir que le jour meurt,
que le couchant est beau, et belle la nuit qui demeure...
Puisqu'il en est ainsi, ainsi soit-il...

Alberto Caeiro (alias Fernando Pessoa), Le gardeur de troupeaux, XXI, Gallimard/Poésie.


Stephanie Guilin, Livermore, USA






    Ce très beau poème de Fernando Pessoa est un appel vibrant à vivre plus sereinement la vie comme la mort. La Nature nous pousse à connaître tant la vie que la mort, tant le bonheur que le malheur ; et le sage est sage en cela qu'il a appris à accepter cette réalité. La vie implique de connaître à un moment ou à un autre de la douleur, la perte, la maladie ou la mort. L'existence connaît des hauts et des bas tout comme le territoire peut connaître des reliefs accidentés : cela n'enlève rien à la beauté du paysage.

    Accepter pleinement l'existence. L'amor fati des stoïciens, l'amour du destin pour tout ce qui arrive, que ce destin soit lumineux ou sombre. Si l'on refuse la part d'ombre, on ne perd pas la possibilité de développer le courage, l'endurance et la patience par rapport à ce qui est pénible, on perd aussi la possibilité de voir s'épanouir en nous des qualités belles et inattendues. On voudrait que le ciel soit toujours bleu sans nuages à l'horizon ; mais même si la pluie nous trempe jusqu'à l'os, elle n'est pas moins une source de vie pour les arbres et les champs.


     Ayant dit oui à la vie et au monde, cultiver une esthétique de l'existence où nous avons la sagesse de voir le déclin comme un soleil couchant et la mort comme une belle nuit étoilée de l'été. Pour cela, il faut s'être entraîné l'équanimité par rapport aux sensations plaisantes et déplaisantes et avoir médité sur ce qui est inévitable dans l'existence : la vieillesse, la maladie et la mort, de telle façon qu'on soit en mesure de se détacher des concepts et des notions que l'on rattache toujours à celles-ci : « sinistre », « sombre », « terrifiant »... Voir qu'il y a une beauté dans chaque aspect de la vie.










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