J'ai
récemment posté un article intitulé « Simplement
s'asseoir »
où je me posais la question si la méditation devait s'accompagner
de ritualisation (j'avais pris l'exemple des rites qui accompagnent
le zazen dans le Zen Sōtō,
mais j'aurais tout aussi bien pu prendre l'exemple du bouddhisme
tibétain...) ou si la méditation devait se faire comme une chose
spontanée, simplement s'asseoir pour reprendre un adage Zen.
Une internaute a réagi sur les réseaux sociaux en écrivant ce
petit commentaire : « Méditer,
ce n'est pas forcément être assis sur l'herbe ou un coussin dans un
temple ou un monastère....... c'est être présent... à l'écoute
de ce qui nous entoure.... aux pensées qui passent tels des
nuages..... ne rien retenir.... laisser circuler.... et surtout ne
pas s'obliger à
suivre une technique.... ».
C'est
cette dernière phrase « surtout
ne pas s'obliger à suivre une technique »
qui m'interpelle et me pose question. Si, dans mon article
« Simplement s'asseoir », je faisais l'apologie d'une
méditation pratiquée avec spontanéité, sans s'encombrer de
rituels, je ne pense pas néanmoins que la méditation elle-même puisse être une
pratique complètement libre, sans technique d'aucune sorte. Si on
prend la méditation enseignée par le Bouddha, on retrouve toute une
série de techniques dans les textes originaux du canon pâli. Pour
ne citer que quelques exemples : la méthode de l'attention
au souffle où l'on observe le va-et-vient de l'air qui rentre et
sort de nos poumons, les quatre établissements de l'attention
(attention au corps, attention aux sensations, attention à l'esprit,
attention aux objets de l'esprit) où on prête l'attention à toutes
les composantes de notre être et de notre expérience, la méthode
des Quatre Demeures de Brahmā,
où l'on répand dans toutes les directions de l'univers l'amour
bienveillant, la compassion, la joie et l'équanimité. Dans la
méditation, il s'agit d'amener l'esprit dans une certaine direction.
Cela suppose donc certaines techniques ou méthodes à mettre en
œuvre dans la méditation.
Pour
autant, la méditation ne doit pas s'enfermer dans ces techniques.
Ces techniques ne doivent pas devenir un cadre rigide pour le
méditant. Par exemple, dans beaucoup d'ouvrages, on décrit la
posture de méditation correcte ; mais en réalité, on peut
très bien s'ouvrir à une expérience méditative assis sur la
banquette dans le bus ou dans le train. On peut même être couché
ou débout ; on peut être en train de danser dans une boîte de
nuit et ressentir l'appel de la méditation. Trop s'attacher aux
techniques peut nous masquer l'ouverture profonde au champ de la
conscience que peut nous procurer la méditation. Il
y a toujours cette tension entre une certaine discipline de l'esprit
qui permet d'aiguiser son attention et sa concentration, ce qui
suppose de suivre fidèlement une technique, et la contemplation de
sa liberté fondamentale qui n'a que faire de suivre telle ou telle
méthode.
Suivre
une technique de méditation est toujours une activité mentale qui
se situe au niveau de la réalité relative, la réalité des
apparences. Les techniques conduisent à être plus attentif, plus
concentré, plus bienveillant, plus compatissant, plus heureux, plus
empli de félicité ; mais pour que l'esprit s'ouvre à sa
véritable nature, sa liberté fondamentale, il y a un saut à
accomplir qui n'est pas le fait d'une technique ou d'un programme à
suivre à la lettre. La réalité absolue est au-delà des notions de
technique ou de méthode. En cela, s'obliger à suivre une technique
de méditation peut être un voile pour accéder à la vérité
ultime des phénomènes. Le Bouddha comparait son propre enseignement
à un radeau. Un radeau est un outil tout désigné pour franchir un
fleuve ; mais une fois le fleuve traversé, quelle rationalité
y a-t-il à transporter sur son dos le radeau, parce que le radeau
fut utile à un certain moment ? Aucune. On peut laisser le
radeau à disposition pour une autre personne qui voudrait à son
tour franchir le fleuve. Il en va de même des techniques de
méditation. Les utiliser pour discipliner notre esprit livré à la
dispersion et à l'agitation est utile. Mais s'enfermer dans ces
techniques sans voir que le but de la méditation est de s'ouvrir à
l'existence telle qu'elle est, dans toutes ses dimensions, c'est
passer à côté de la dimension la plus essentielle de la
méditation.
C'est
dans le Dzogchen, un courant mystique du bouddhisme tibétain, que
cette dualité entre méditation ouverte et méditation avec
technique est certainement le mieux résolue. Dans le Dzogchen, le
maître spirituel enseigne la Grande Perfection, la réalité ultime
où l'esprit vient se libérer spontanément de lui-même. Mais cette
vision de la nature véritable de l'esprit n'est pas perceptible par
tous les disciples. Il faudra pratiquer les méthodes graduelles de
purification de l'esprit selon le Petit Véhicule (détachement,
discipline, conduite éthique, pratique de la méditation, études
des textes), selon le Grand Véhicule (production de l'esprit
d’Éveil), méditation sur l'union de la vacuité et de la
compassion, pratique des six perfections) ainsi que les méthodes
tantriques de purification et de transformation de l'esprit.
Plus
tard, on sera peut-être mieux à même de s'ouvrir spontanément à
la Grande Perfection. Comme le raconte cette histoire de transmission
spirituelle entre Patrül
Rimpotché et son disciple Nyoshül Lungtok Tenpe Nyima (1829-1901) :
« Chaque
soir, au coucher du soleil, Patrül faisait une session de méditation
sur la pratique de Namkha Sumtruk, étendu sur le dos sur un tapis de
laine neuf posé sur un bout de terrain herbeux de la dimension d'un
homme. Un soir qu'il était couché là, comme à l'ordinaire, il
demanda à Lungtok:
« Lungche
(cher Lung) ! As-tu dit que tu ne connaissais pas la véritable
nature de l'esprit? Oh, il n'y a rien là qui ne doive être connu,
dit Patrül. Viens donc ici ».
Lungtok
s'approcha.
« Étends-toi
là, tout comme moi, continua Patrül, et regarde le ciel."
Lungtok s'exécuta, et la conversation continua:
« Vois-tu
les étoiles dans le ciel!
-
Oui.
-
Entends-tu les chiens qui aboient au monastère de Dzogchen au loin?
-
Oui.
-
Eh bien, c'est cela la méditation ».
A
cet instant, Lungtok accéda à la confiance dans la réalisation en
tant que telle. Il avait été libéré des chaînes conceptuelles de
"est" ou "n'est pas". Il avait réalisé la
sagesse primordiale, l'union nue de la vacuité et de la conscience
intrinsèque, l'Esprit de Bouddha1 ».
*****
Donc
pour conclure, la méditation dépasse effectivement le cadre de la
posture assise dans une prairie de montagne ou le fait d'avoir ses
fesses posées sur un coussin au milieu d'un temple bouddhique. C'est
effectivement être présent dans le moment présent et à l'écoute
de ce qui nous entoure. C'est effectivement laisser les pensées qui
passent tels des nuages qui disparaissent dans le firmament du
ciel..... C'est effectivement ne rien retenir, ne s'accrocher à
rien. Lâcher prise.... Mais aussi et surtout comprendre la fine
distinction entre le moment où il faut s'astreindre à une
discipline, à une technique, et celui où il faut laisser la
conscience s'affranchir de toute technique et la laisser s'éveiller
à la liberté fondamentale.
1
Tulku Thondup, Les maîtres de la Grande Perfection,
traduction par Nathalie Koralnik, éd. Le Courrier du Livre, Paris.
S.M.H. Amsterdam |
Au sujet de la méditation :
- L'attention au souffle : les seize techniques de l'attention au va-et-vient de la respiration.
- En compagnie du souffle :
Commentaire au Soûtra de l'Attention au Va-et-vient de la Respiration
Voir également :
- Commentaires sur « L’Art de la Méditation » de Matthieu Ricard : voir le texte
Pourquoi les enseignements du Bouddha sont-ils si rarement cités par les lamas du bouddhisme tibétains ? Est-ce que la méditation sur la nature de l'esprit n'occulte pas l'établissement de l'attention portée sur le corps (telle que le Bouddha l'enseigne dans le Soutra des Quatre Etablissements de l'Attention) ? Les soutras du Petit Véhicule ont-ils un intérêt dans la méditation sur la vacuité telle que l'expriment les soutras de la Perfection de Sagesse ? Comment intégrer les différents Véhicules du bouddhisme ?
- Slowly, slowly, slowly.... : voir le texte
Le progrès lent et graduel de la méditation. Comment arriver à la pleine conscience ?
- Méditer à la piscine
- Méditer à la piscine
Beaucoup de gens aiment faire quelques longueurs à la piscine pour se relaxer. C'est effectivement quelque chose de délassant de se baigner dans l'eau et d'activer l’entièreté de son corps. Mais je trouve que la piscine est aussi excellent endroit pour pratiquer la méditation et l'attention.
- Faut-il une bonne respiration pour méditer ?
On m'a récemment posé la question : je ne peux pas pratiquer la méditation de l'attention portée à la respiration, puisque je suis asthmatique. Que dois-je faire ? Il se trouve que je suis, moi aussi, asthmatique. En fait, le fait de respirer bien ou mal n'a rien à voir avec la pratique de l'attention telle qu'est enseignée par le Bouddha. Il s'agit de prêter attention à la respiration, pas de la réguler à tout prix. Même pendant une crise d'asthme, on continue à inspirer et expirer. Vous le faites difficilement du fait de la crise, mais vous le faites, sinon vous seriez mort. Il faut seulement prendre conscience de cette conscience de cette respiration et laisser l'esprit se calmer et se libérer de lui-même.
- Qu'est-ce que la compassion?
On pense parfois que la compassion consiste à s'affliger soi-même de la détresse des autres, mais, dans la philosophie du Bouddha, rien de tout cela : la compassion est définie comme le souhait ardent que les autres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance.
- Joie
Qu'est-ce que la joie spirituelle prônée par le Bouddha ?
L'équanimité dans la méditation, l'apaisement des remous de la vie. Comment la pratiquer ? Comment la mettre en œuvre dans la vie de tous les jours ?
Je pense que c'est Dogen qui va le plus loin en disant que zazen n'est pas une technique lorsqu'il dit que shuzen n'est pas zazen.
RépondreSupprimerZazen ne s'apprend pas, il n'y a pas de méthode, de progression comme dans un sport. Il n'est pas une technique car il ne vise pas autre chose, pas même l'éveil. On dit que la pratique est réalisation.
Faut-il se forcer à faire zazen?
C'est une question difficile. Au début de la pratique on rencontre beaucoup de difficulté et il est souvent tentant d'abandonner. Ne rien faire pendant 1 heure seulement assis est beaucoup plus difficile que l'on ne pense. La posture est parfois douloureuse et nous avons souvent le sentiment d'avoir plus et mieux à faire.
Faut-il s'obliger?
Je pense que oui. Comment savoir autrement si l'eau est froide ou chaude si on y goute pas soi-même?
S'il ne se passe rien... si ce n'est l'ennui et des douleurs Faut-il continuer? Combien de temps? combien de fois?
C'est là que la fréquentation d'un maître peut être utile déjà pour résoudre les problèmes de douleurs et puis pour guider un peu la méditation.
Certes ce n'est pas une technique mais il y a quand même deux trois choses à connaitre et notamment ce que n'est pas la méditation. Cela ne consiste pas à ressasser ses problèmes, ni à attendre impatiemment que le temps passe.
Puis petit à petit on finit par trouver ce temps de la méditation extrêmement précieux et on se dit qu'on a bien fait de s'obliger un peu.
Ce n'est pas une technique mais c'est une discipline.
Les quelques aspects "techniques" nécessaires sont aisés à comprendre. Enfin se dire qu'il n'y a rien d'autre de mieux à faire que méditer ... le plus souvent possible, peu importe la durée, mais arrêter au moment où l'on se sent bien et non lorsqu'on est envahi de pensées ou de douleurs physiques !!
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