J'ai
eu récemment une conversation avec un ami qui pratique zazen dans un
dojo de l'école Zen Sōtō. Il m'a
dit aimer les rituels qui entourent la pratique de la pratique de la
méditation proprement dite. Avant d'entrer dans le dojo, on revêt
de manière cérémonieuse le kimono noir et le kesa. On entre avec
le pied droit (à moins que ce soit le gauche). On s'incline devant
le Bouddha au centre de la pièce, on s'incline devant le mur et puis
on se retourne pour saluer l'ensemble de la pièce. On fait zazen
ensemble. Et puis on fait « kin-hin », une méditation
marchée réglée au millimètre près. On refait zazen non sans
avoir préalablement saluer les autres pratiquants. Ensuite on récite
le Hannya Shingyo en version sino-japonaise, le tout en rythme au son
du mokugyo et du tambour.
Cela
contraste absolument avec ma propre pratique. Pour reprendre un terme
appartenant à l'univers du zen, ma pratique consiste à simplement
s'asseoir (shikantaza en japonais, 只管打坐).
Je m'assieds dans un pièce de méditation dans laquelle rien
n'évoque la méditation ou le bouddhisme, si ce n'est un coussin de
méditation. Et je médite. Quand j'en ai assez de méditer, je me
relève et je fais autre chose. Tout au plus, il m'arrive avant de
commencer de réciter trois la prise de refuge et les vœux de
bodhisattvas :
« Dans
le Bouddha, je prends refuge jusqu'à l’Éveil.
Dans
le Dharma, je prends refuge jusqu'à l’Éveil.
Dans
la Sangha, je prends refuge jusqu'à l’Éveil. (3 fois)
Par
les mérites engendrés par ma pratique du don et des autres
perfections, puissé-je atteindre le Nirvâna pour le bien de tous
les êtres. (3 fois) ».
Mais
encore, ce n'est pas systématique. Pour moi, les rituels ne sont que
du décorum. Je comprends néanmoins qu'ils participent d'une
esthétique et d'un style comme dans le Zen où tout est fait pour
pointer du doigt une conduite de vie épurée. Pour Confucius, les
rituels sont là pour indiquer tout un univers de relations sociales
et faire en sorte que ces relations sociales soient harmonieuses. Je
comprends très bien que l'on apprécie ces rituels, même si
personnellement je n'en ai pas besoin. Les rituels permettent de
sentir qu'on sort de la vie profane et qu'on entre dans l'univers
sacré de la méditation. En même temps, pour moi, il ne devrait pas
y avoir de dualité entre le sacré et le profane, entre le moment de
la méditation et la vie de tous les jours. La méditation est là
pour apaiser les tensions qui surgissent dans la vie quotidienne.
Pour moi, la frontière entre méditation et non-méditation est
floue. Il m'arrive d'être assis sur le banc d'un quai de gare et
d'entrer en méditation. Il m'arrive de marcher dans une rue et de
ralentir le rythme pour prendre conscience de chacun de mes pas dans
l'instant présent.
Je
n'ai rien contre à ce qu'on récite le Hannya
Shingyo,
le Soûtra du Cœur de la Perfection de Sagesse. Mais pourquoi ne pas
le réciter en langue française ? Il y a là dans ce texte un
message profond, mais si vous le récitez ce texte dans sa version
sino-japonaise qui est difficilement accessible même pour un
personne dont le japonais est la langue maternelle, vous allez passer
à côté du sens. J'imagine que les pratiquants du Zen me diront que
l'essentiel n'est pas là, qu'il s'agit de scander en rythme ce
texte, tous ensemble, comme des générations de moines Zen ont pu le
faire depuis des siècles, se relier à l'antique tradition de
l’Éveil qui a parcouru les siècles et les pays. Mon ami me disait
justement que la récitation du Hannya
Shingyo lui
permettait de comprendre tout le sens de faire communauté dans la
pratique du Dharma.
Dans
zazen, on est seul face au mur, me disait-il ; et quand on
récite le Hannya
Shingyo,
on est vraiment en commun, sur la même longueur d'onde que le reste
de la communauté. Cela me laisse un peu dubitatif. Pour moi, quand
on pratique la méditation en groupe, on est seul face à soi-même
certes, mais on est toujours seul face à soi-même quand on fait les
courses, quand on travaille, quand on conduit sa voiture... C'est
juste que l'on n'a pas tendance à s'en rendre compte. Mais quand on
pratique la méditation en groupe, on est aussi en groupe dans l'acte
de la méditation ! On partage quelque chose de profond, on
partage le silence, on partage l'air ambiant et l'on sent la présence
des autres. Pour moi, on devrait faire plus souvent la méditation
ensemble, de manière informelle. Un peu comme on va boire un verre.
Pas de chichis, pas de cérémonie. On s'assoit simplement et on
médite ensemble.
Dans
sa chanson Richard,
Léo Ferré évoque la camaraderie et la fraternité qui peut exister
autour du fait d'aller boire un verre avec ses potes :
« Les
gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles
A
certaines heures pâles de la nuit
Près
d'une machine à sous, avec des problèmes d'hommes
simplement
Des problèmes de mélancolie ».
Des problèmes de mélancolie ».
Quand
j'écoute cette chanson, cela m'évoque la méditation et je me dis
souvent qu'il conviendrait de ne les connaître les gens pleinement
disponibles à l'instant présent et méditer avec la présence
humaine de l'autre. Partager un moment de silence, un moment de rien.
Partager cette joie de simplement s'asseoir là, n'importe où.
Partager dans ce moment sa condition humaine.
Stuart Freedman - Zazen au temple Seiryu-ji - Hikone, Japon |
Voir également :
Beaucoup de gens aiment faire quelques longueurs à la piscine pour se relaxer. C'est effectivement quelque chose de délassant de se baigner dans l'eau et d'activer l’entièreté de son corps. Mais je trouve que la piscine est aussi excellent endroit pour pratiquer la méditation et l'attention.
La sagesse est-elle tempérance, sérénité ou connaissance ? Que veut dire le mot "sagesse" dans un contexte bouddhique ?
On entend beaucoup parler ces temps-ci de méditation dans les entreprises, des bienfaits de la pleine conscience ou mindfulness dans le management. En soi, cela me paraît être une bonne chose : si les entrepreneurs s'enthousiasment pour la méditation et veulent organiser des séances de zazen au milieu de l'open space. Pourquoi pas, en fait ? Néanmoins, quelque chose me laisse sceptique : est-il judicieux de réduire la méditation à une pratique prometteuse en terme d'augmentation de la productivité ? Est-on plus aware des objectifs quantitatifs fixés par l'entreprise quand on s'est livré à une séance de pleine conscience ? Est-ce qu'on est un meilleur employé quand on s'applique sagement à s'asseoir en lotus et à faire le vide dans son entreprise ?
On m'a récemment posé la question : je ne peux pas pratiquer la méditation de l'attention portée à la respiration, puisque je suis asthmatique. Que dois-je faire ? Il se trouve que je suis, moi aussi, asthmatique. En fait, le fait de respirer bien ou mal n'a rien à voir avec la pratique de l'attention telle qu'est enseignée par le Bouddha. Il s'agit de prêter attention à la respiration, pas de la réguler à tout prix. Même pendant une crise d'asthme, on continue à inspirer et expirer. Vous le faites difficilement du fait de la crise, mais vous le faites, sinon vous seriez mort. Il faut seulement prendre conscience de cette conscience de cette respiration et laisser l'esprit se calmer et se libérer de lui-même.
Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.
Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.
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Pour moi il n'y a rien de sacré dans les rituels zen. Ils permettent de se synchroniser avec les autres. Ils sont comme la politesse. Ils permettent de de vérifier que l'on est bien concentré, que l'esprit est juste. Ils ont aussi une dimension esthétique. Certains sons sont vraiment beaux et efficaces. Le son de certaines cloches a le don de nous plonger dans le silence. les cascades sur le gros tambour a le don de nous sortir de la torpeur dans laquelle nous sommes parfois.
RépondreSupprimerJe préfère chanter les textes dans leur langue originale. Quand on le chante dans sa version française, le rythme n'est pas le même car les mots sont plus longs.
Nous ne passons pas à côté du sens, parce que nous disposons de la traduction sur nos petits papiers que nous distribuons à chaque personne. Le dernier livre de Roland Rech qui s'appelle Sûtras Zen propose un commentaire de ces textes que nous chantons. Il est accompagné d'un cd et propose même une version de l'Hannya Shingyo chanté en français au dojo de Nice.
Cet été dans le centre zen dans lequel j'étais le sutras des repas était parfois lu en français et non pas chanté ça passait mieux qu'en version chanté en français.
Je préfère méditer à plusieurs dans un dojo que seul aussi parce qu'on est tenu par les autres. Je n'arrive pas à méditer aussi longtemps quand je suis seul. Quand on médite dans un dojo où il y a beaucoup de monde, cela donne du baume au cœur... Un peu comme les concerts et les spectacles lorsque la salle est comble on se réjouit de ne pas être seul à profiter de la chance que nous avons d'être là, de respirer, d'être vivant.
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RépondreSupprimer(doublon)
SupprimerBen non, s'asseoir comme l'a indiqué le Bouddha Shakyamouni et après lui tous les pratiquants et les instructeurs jusqu'à nos jours, ce n'est certainement pas "pour apaiser les tensions qui surgissent dans la vie quotidienne". Ce serait une bien piètre motivation, bien éloignée de la pensée d'Eveil du bodhisattva et il ne serait pas du tout nécessaire de faire référence au Dharma du Bouddha.
RépondreSupprimerLe point de vue du site "un zen occidental" est intéressant : lire zazen est différent de la méditation". Si vous voulez.
RépondreSupprimerBen si... Le but de la méditation est d'abord d'apaiser les tensions de la vie quotidienne. Shamatha. Calmer le flux de conscience. C'est là un but important de la méditation. Ce n'est certes pas le but ultime: il faut aussi cultiver la vision pénétrante, vipashyâna, pour déjouer les illusions de l'existence et couper l'enracinement à la souffrance.
RépondreSupprimerL'image traditionnelle est celle d'une eau boueuse agitée.Si vous voulez voir à travers cette eau trouble, il faut d'abord laisser reposer l'eau et lentement les particules de boue finiront par se déposer au fond de l'eau, de telle sorte que vous pourrez voir à travers cette eau.