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dimanche 1 juillet 2018

Le contemporain des roses





Été :
Être pour quelques jours
le contemporain des roses ;
respirer ce qui flotte autour
de leurs âmes écloses.


Faire de chacune qui se meurt
une confidente,
et survivre à cette sœur
en d'autres roses absente.



Rainer Maria Rilke, Les Roses, XIV, 1924.








Christian Natschläger








     J'aime ce poème tiré du recueil « Les Roses » de Rainer Maria Rilke qu'il a écrit directement en français en 1924. Il y a là la conscience aiguë du caractère fugace de la présence des choses plaisantes et belles, et de la nécessité de ne pas rater par sa négligence ce moment fugace de la présence. « Été : être pour quelques jours le contemporain des roses ». Souvent, nous avons l'esprit préoccupé par tant de choses, par tant de bruits, par tant d'agitation, par tant de vanités que l'on oublie de se rendre présent à la beauté, à la sérénité d'un instant, la grâce d'une lumière, la sensation du vent chaud contre sa peau, des oiseaux qui traversent le ciel, des nuages qui sculptent le ciel, le branchage qui communique les secrets de la vie dans sa langue cachée, le clapotis de l'eau au fond de la vallée. Tout cela, nous le manquons, l'esprit étant ailleurs, dans d'autres préoccupations, stressantes la plupart du temps. Nous perdons tout ce que ce moment présent, cet instant suspendu, peut avoir d'apaisant et de revigorant.


      Cela est vrai pour les êtres humains de tout temps, mais de nos jours, toutes les nouvelles technologies modernes et hyper-modernes renforcent ce sentiment de coupure d'avec le monde naturel. Coupez donc la télévision, débranchez vos smartphones et vos tablettes, déconnectez-vous des toiles numériques, mettez-vous en mode avion même si vous avez les pieds bien sur terre et la tête à contempler les beaux nuages dans le ciel.


      Soyez le contemporain des roses et respirez le monde qui frémit tout autour de vous ici et maintenant. Voyez les choses naître et apparaître, voyez-les durer et se manifester, et voyez-les disparaître comme la rose finit toujours par faner. La splendeur de la jeunesse ne dure qu'un temps. Tout ce qui vit, tout ce qui existe est sujet à l'impermanence : à la jeunesse succède la vieillesse, à la santé succède la maladie, à la vie succède la mort. Mais dans la nature, tout est appelé à renaître : d'autres roses, d'autres éclosions, d'autres chants, d'autres souffles de vie...











Christian Natschläger









Voir également : 

Fleur des montagnes (du yogi tibétain Shabkar avec un thème assez semblable sur le sentiment d'impermanence que nous inspire les fleurs)


telle la génération des feuilles (Homère)


Choses qui ne font que passer (Sei Shōnagon)


- Sans savoir pourquoi (Natsume Sōseki)


L'horloge (Charles Baudelaire)


- Une charogne (Charles Baudelaire)









l'homme, l’Éternité et son passage dans le temps (Simon Leys / Pierre Ryckmans)


des montagnes et des plaines (Fernando Pessoa)








Rainer Maria Rilke








Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.

Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.






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