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jeudi 7 août 2025

Encore et encore

 



Encore et encore


Petits conseils de méditation

(Troisième partie)




Une idée essentielle en méditation est qu'il faut y revenir encore et encore. Ce n'est pas une chose qu'on fait une fois dans sa vie, et puis on passe à autre chose. Il faut y revenir encore et encore. Il vaut mieux pratiquer tous les jours cinq minutes de méditation plutôt que faire chaque année une semaine intensive de méditation à dix heures par jour une semaine durant, et puis plus rien. Je ne minimise pas du tout l'intérêt d'une retraite de méditation intensive, mais cet intérêt, ce bénéfice est plus important encore que la méditation s'ancre dans le quotidien, même par petite touche.


Bien sûr, cela demande une certaine discipline de pratiquer la méditation régulièrement. Mais cela fait partie de ce qu'on appelle « l'effort juste » dans le Dharma : faire advenir ce qui est positif et bénéfique et renforcer ces tendances positives. Il y a donc un effort à fournir, une contrainte à s'imposer, une persévérance dans l'acte de revenir le plus souvent possible à la méditation.


Cela peut sembler pénible ou oppressant. Le découragement peut certes guetter, surtout quand on connaît à la longue ce que j'appelle la « traversée du désert » en méditation : on médite, mais on ne semble connaître aucun plaisir à rester assis là un temps qui semble s'étirer à l'infini, on ne ressent pas vraiment de bien-être ni pendant, ni après, et tout cela nous semble absurde, voire sans intérêt !


C'est là qu'il faut se souvenir du soûtra du Bouddha où le Bienheureux revient sur ce qu'il convient de faire encore et encore... Le contexte n'était pas celui de la méditation, mais du don à accomplir envers les moines bouddhistes qui vivaient de l'aumône de nourriture que les civils voulaient bien leur donner. Comme les moines revenaient tous les jours, cela a fini par agacer le brahmane Udaya qui se plaignait de voir ces moines revenir encore et encore. Ce à quoi le Bouddha a répondu :


« Les semences sont ensemencées encore et encore,

Le gros nuages donnent des pluies encore et encore.

Les cultivateurs labourent les champs encore et encore.

Les nouvelles graines apparaissent dans le pays encore et encore.


Les mendiants demandent encore et encore,

Les donateurs donnent encore et encore.

Ayant donné encore et encore,

Ils naissent dans un lieu céleste encore et encore.


On trait les vaches laitières encore et encore,

Le veau s'approche de sa mère encore et encore.

Il se fatigue et tremble encore et encore.


Le sot va dans une matrice encore et encore,

Il naît et il meurt encore et encore,

On le porte au cimetière encore et encore !


Cependant,

le sage qui a pris le chemin

par lequel on ne revient plus à l'existence

Ne naît plus encore et encore ».


Dans le contexte du soûtra, le principe d'encore et encore s'appliquait au fait de pratiquer un acte vertueux encore et encore malgré l'agacement, l'ennui et le manque de motivation qui peut s'emparer de nous. Mais le même principe vaut pour la méditation : pratiquer encore et encore, semer encore et encore des graines d'attention et de bienveillance dans le champ infini de notre conscience. Voilà ce à quoi il faut s'appliquer et ne pas se décourager en cours de route. Pratiquer encore et encore la méditation pour se libérer progressivement des conditionnements au malheur et aux tragédies.


Tout cela est très lent, incroyablement lent. On donne souvent la tortue comme symbole de la méditation : progresser très lentement, mais toujours pouvoir demeurer dans sa maison de l'ici et maintenant ! Je me souviens que, dans les années '90, j'étais dans la gare des bus de Delhi attendant mon car pour Dharamsala. J'avais eu une conversation avec lui dans un anglais approximatif. Il m'a à plusieurs reprises répété cette formule qui m'a accompagné comme un proverbe depuis tout ce temps : « Slowly, slowly, slowly », lentement, lentement, lentement...


N'ayez pas peur du temps long quand vous abordez la méditation, même si on essaye souvent de régler quelques problèmes personnels au travers de la méditation, en espérant que cette résolution vienne le plus rapidement possible ! Il y a cette histoire Zen où un disciple demande à son maître Zen : « Combien de temps avant que je n'atteigne l’Éveil ? ». Le maître répond « Vingt ans ». Et le disciple ajoute : « Et si je m'applique vraiment à fond et que je donne tout pour atteindre l’Éveil le plus rapidement possible ? ». Et le maître de répondre : « Ah, si vous êtes pressé, c'est 50 ans ! »


Et encore compter en dizaine d'années est en soi déjà très optimiste ! Dans le bouddhisme, on envisage de nombreuses vies à pratiquer le Dharma pour parvenir au plein Éveil d'un Bouddha ! Je me souviens d'une histoire hindouiste à ce sujet. Un disciple demande à son maître réputé pour ses dons de voyance la même question que le disciple zen : « Dans combien de temps vais-je atteindre l’Éveil ? » « 4 vies », lui répond le sage. « 4 vies !!! Mais c'est énorme !!! » Il escomptait un Éveil rapide en quelques années, voire quelques mois probablement. Cela fut un tel choc pour lui qu'il sombra dans le découragement, abandonna la pratique et se perdit dans le samsāra pour un nombre incalculable de vies... Un autre disciple vint trouver le sage et posa la même question. Ce dernier lui répondit : « Tu vois ce chêne majestueux avec toutes ses feuilles ? » Oui, lui répondit le disciple. « Et bien, tu renaîtras autant de fois que ce chêne porte de feuilles. » Le visage du disciple s'illumina. « Aussi peu de vies, mais c'est extraordinaire ! » Et il fut emplit de joie et d'enthousiasme, et il redoubla d'efforts dans sa pratique. Si bien qu'il se libéra en une seule vie.


Le Soûtra du Lotus évoque même des considérations de temps encore plus gigantesque : on y parle d'une pratique du Dharma qui s'étend sur autant de kalpas qu'il y a de grains de sable dans le lit du Gange. Un kalpa étant le temps que dure un univers. Un autre soûtra explique que, pour comprendre ce qu'est la durée d'un kalpa, il faut s'imaginer une énorme montagne, et tous les cent ans, un homme vient effleurer cette montagne avec un chiffon de la soie la plus fine de Bénarès. Et bien, un kalpa, c'est le temps qu'il faudra à cet homme pour éroder complètement la montagne. Maintenant, imaginez ce temps multiplié par le nombre de grains de sable dans le lit du Gange !


Imaginez tout ce temps à pratiquer la méditation sans se décourager et en se réjouissant même de ce gigantesque effort, cette gigantesque implication dans la méditation ! Voilà un exercice spirituel intéressant ! Mais il importe aussi un autre temps que ce temps long, voire très très long quand on pense à la méditation. Et cet autre dimension du temps, c'est l'instant présent. C'est ce que vous vivez quand vous êtes attentif à l'ici et maintenant et que vous n'êtes pas focus sur la durée ou le nombre des années.


Je me rappelle un sketch de l'humoriste Haroun où il demandait de frapper les gens qui vous conseillent de « profiter du moment présent ». Il disait que ce n'est pas possible de profiter du moment présent, puisque dès que vous le vivez, il est déjà passé. Et effectivement, la simple pensée : « je suis dans le moment présent » fait que vous n'y êtes plus. Le temps de penser cela, d'autres instants sont apparus et ont disparu tout aussi vite. Dans le textes bouddhistes, vous avez tout un questionnement : « Combien de temps dure une inspiration ? » certains parlent de 60 instants, d'autres de centaines, d'autres de milliers. Quelle est le plus petite unité du temps ? Je ne vais pas répondre à la question ici, mais il est vrai que vous ne pouvez vivre l'instant présent sans pouvoir le capter ou le saisir, parce qu'alors, il ne s'agit plus que de la mémoire de l'instant présent passé. La conscience d'un moment est déjà la conscience d'un moment qui est déjà passé au moment où se forme l'instant de conscience en question. N'est présent que la conscience, pas l'instant en lui-même !


Pour autant et n'en déplaise à l'humoriste Haroun, revenir à cet instant présent en acceptant d'être emporté par son flot est une exercice très utile. Et c'est là véritablement « profiter de l'instant présent ». Il y a de grandes expériences à y faire, et c'est là une grande joie pour autant qu'on se rappelle qu'une expérience n'est pas la réalisation : vous pouvez vivre des choses incroyables en méditation en terme de félicité, de calme, d'états modifiés de conscience, de ressenti étrange du temps et de l'espace, de pressentiment grisant d'une transcendance ou d'une non-dualité, etc... Cela est vrai, mais rappelez-vous que ces expériences ne sont pas nécessairement la réalisation. Vous vivez ces grands moments d'exaltations profondes, mais cela ne fait pas de vous quelqu'un de foncièrement plus sage, plus éveillé. Vous pouvez vivre une grande expérience d'absorption méditative sur votre coussin de méditation, puis vous reprenez votre voiture et vous enragez parce que le gars devant vous ne va pas assez vite !


L'expérience se passe dans l'instant présent pour autant qu'on se rappelle que l'instant n'est quelque chose de figé, mais un flot d'instants présents qui se succèdent continuellement comme les vaguelettes d'un torrent de montagnes. La réalisation se produit dans le temps long dont j'ai parlé où l'on gagne en sagesse, en maturité, en paix intérieure à rythme de tortue, voire d'escargot. Mais pour peu qu'on accepte la disparité des instants présents – des moments d'exaltation peuvent être suivis de moments d'ennuis – des pensées profondes peuvent être suivis de pensées vulgaires – des moments de paix peuvent être suivis de moments de conflit ou d'agitation, etc, etc... - la méditation est là qui s'ouvre à nous, sans effort à fournir. Et elle crée un appel à cette expérience toujours renouvelée. Ce n'est pas tant qu'on profite du moment présent, mais plutôt que le moment présent profite de nous.


Il y a donc un effort à fournir pour revenir encore et encore à la méditation au fil des semaines, des mois, des années, mais au fil du temps, on finit par s'ouvrir au non-effort et à la spontanéité de l'attention qui revient d'elle-même à l'instant présent, au corps, au sensation, à nos états d'esprit ainsi qu'aux objets de l'esprit. Comme le fait de se laisser emporter par une rivière sur un bateau ivre d’Éveil.










Louise V Durham, Shoreham by Sea







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