Pages

samedi 28 janvier 2017

Traversée du désert







     Je suis tombé hier sur un post sur facebook de Tobias Leenaert concernant la méditation. Tobias Leenaert est notamment le rédacteur du site « The Vegan Strategist » que je recommande à tout le monde. Tobias Leenaert s'interrogeait sur sa pratique récente de la méditation qui ne lui semble pas très fructueuse. Je permets de traduire sa question en français et j'essaierai du mieux que je peux d'y répondre.


        « Je m'interroge sérieusement à propos de la méditation – à l'adresse de ceux qui en ont une certaine expérience et connaissance. Je crois fondamentalement dans les bénéfices de la méditation (il semble y avoir des preuves évidentes de ceux-ci). J'ai donc fait plusieurs tentatives sérieuses pour m'appliquer à méditer. Il y a un certain temps, j'en ai fait durant six mois, plus ou moins quotidiennement. Il y a un mois, je m'y suis remis, cette fois avec l'application Headspace, faisant de dix à vingt minutes chaque jour.


     Mon expérience est que :
  • 1°) je n'aime pas ça (parfois, c'est même une torture),
  • 2°) je n'ai pas l'impression de faire un quelconque progrès,
  • 3°) je ne ressens aucun bénéfice,
  • 4°) je sens que je suis fondamentalement mauvais pour ça.


      Alors ma question est : est-ce que ça marche pour tout le monde ? Et combien de temps dois-je persévérer pour que cela soit concluant pour moi. Parce que je veux y croire, vous savez. Et j'aimerai apprécier les bénéfices.


    (S'il vous plaît, pas de clichés du genre « tu ne dois t'attendre à rien ». Je suis humain. Je ne peux pas vivre sans avoir des attentes) ».







*****






      Tout d'abord, j'aurais envie de comparer la pratique de la méditation à un voyage. Parfois, cela peut s'apparenter à une randonnée plaisantes dans des vallées souriantes et verdoyantes. Parfois c'est plus escarpé avec des hauts et des bas comme un trekking en montagne. Parfois, cela ressemble à un envolée sur un petit nuage ou sur un tapis volant. On regarde le paysage avec un sourire béat et on se laisse emporter sans effort vers les plus hauts sommets de l'existence spirituelle. Mais parfois, cela ne se passe pas du tout comme ça. Parfois la méditation s'apparente à une traversée dans un désert hostile. On fait des efforts insensés, on est accablé par le soleil le jour et on est gelé la nuit, et tout ce qu'on voit, ce sont des dunes qui succèdent à d'autres dunes. On a l'impression de ne pas avancer et on se sent perdu. La méditation peut ressembler à cela indéniablement. Cela n'est pas agréable sur le moment, et après dans la vie courante, on n'en perçoit pas les fruits.


        Alors que faire ?


      1°) J'ai bien conscience que ma première réponse n'est pas absolument enthousiasmante, mais je dirais qu'il faut persévérer. Toute traversée du désert a une fin. Il serait dommage de rester à pleurer sur un caillou parce que les conditions climatiques du désert sont vraiment trop dures et qu'on n'en voit pas le bout, et du fait de ces lamentations, ne plus avancer. En Belgique, on dit qu'il « faut mordre sur sa chique ». Dans la méditation, quand on n'a pas de plaisir et qu'aucun avancement ne semble se produire, il faut persévérer en sachant que les douleurs physiques ou psychiques, les tensions, les passages à vide, l'espèce de nausée qui peut nous envahir dans ces moments de méditation, tout cela connaîtra sa fin. Et que progressivement un rapport plus apaisé et harmonieux avec la méditation va se mettre en place.


   Je pense qu'il faut une grande confiance dans l'enseignement du Bouddha pour arriver à se motiver dans ce genre de traversée de désert, surtout si cela intervient au début de la pratique de la méditation. Il faut faire confiance à ce qu'on dit de la méditation, que cela apporte une certaine félicité dans l'instant présent et que cela aide dans l'existence. Je peux en témoigner : c'est vraiment le cas ; mais il faut me croire sur parole. Je pense qu'il y a là un mystère : comment arriver à se convaincre des bienfaits de la méditation, quand rien dans notre expérience de la méditation ne nous laisse deviner ces bienfaits ?


       2°) Il faut se rappeler qu'il n'y a pas de mauvaise méditation. C'est vraiment un principe essentiel. Ce n'est pas parce qu'on passe un sale moment en méditation, qu'on est tout le temps distrait, qu'on n'arrive pas à se concentrer, que le corps et l'esprit sont douloureux, voire que des angoisses et des mauvaises souvenirs refont surface dans la conscience, que c'est une mauvaise méditation. En fait, une mauvaise méditation, ça n'existe pas. On retire toujours quelque chose de la méditation, même si on ne s'en rend pas compte.


         En fait, la méditation est un acte d'attention à ce qu'il se passe dans l'instant présent. Si vous êtes vaseux, déprimé, envahi d'idées noires ou incapables de se concentrer, il faut s'exercer à prêter attention à cela, sans porter de jugement : « je suis vaseux là maintenant », « voilà une grosse déprime qui s'abat sur moi », « j'ai trop envie de me pendre », « mon esprit est présentement une véritable séance de zapping ». Vous notez cela et vous ne vous y attachez pas. La guérison passe par le fait de se confronter à tous les aspects rebutants de l'existence.


    3°) Si la méditation ne se passe pas bien, il serait intéressant de changer les conditions de la méditation. Par exemple, au lieu de faire une séance de méditation de dix à vingt minutes par jour, faire de petites séances de cinq minutes, entrecoupées de méditation marchée ou de méditation debout. Surtout si on a des articulations douloureuses. Changer sa posture peut être aussi une bonne chose aussi. Par exemple, il y a des gens qui éprouvent des difficultés à s'asseoir en tailleur ou en lotus. Il existe des petits tabourets qui permet de méditer à genou.


    Mais il serait également intéressant de varier ses méditations. Par exemple, si on pratique l'attention au va-et-vient de la respiration, on peut par exemple pratiquer les quatre qualités incommensurables que sont l'amour, la compassion, la joie et l'équanimité. Se focaliser sur un même point peut être très lassant et très contraignant, surtout pour un débutant dans la méditation. C'est pourquoi varier les pratiques méditatives peut être une bonne idée. On est alors un peu comme un enfant qui joue avec un jouet, qui s'en lasse très vite, et joue avec un autre jouet, et encore un autre, et qui en voit pas le temps passer.


        4°) Cela ne va pas faire plaisir à Tobias Leenaert, mais oui, en méditation, il est vrai que « tu ne dois t'attendre à rien ». Il y a en tous cas une sagesse à apprécier l'instant présent pour ce qu'il est, quel qu'il soit. C'est dans les textes ce qu'on appelle « la sagesse de l'absence de souhaits ». Tobias Leenaert dit qu'il est humain, qu'il ne peut pas vivre sans attente. Et son objection est judicieuse : nous sommes effectivement des êtres humains traversés de souhaits, de désirs, d'envies, et il nous est très difficile de faire abstraction de cette force qui agit en nous, dans toutes les parts de notre être, et dans notre inconscient, et qui nous pousse toujours à désirer quelque chose de meilleur. Il est donc très difficile d'entrer dans cette « sagesse de l'absence de souhaits ». Cela demande un long et très progressif travail de détachement par rapport au désir pour arriver à l'état où on attend rien et où on se contente d'observer l'instant présent sans parti-pris, ni émotion.

      Néanmoins, il est bon de se rappeler ce conseil qu'il ne faut s'attendre à rien. Parce qu'on a tendance à nourrir toutes sortes d'idées préconçues sur la méditation et à avoir des attentes illusoires qui ne pourront jamais vraiment êtres comblées, comme les gens qui pensent qu'ils vont léviter dans les airs s'ils pratiquent la méditation suffisamment longtemps. Ces idées préconçues parasitent la méditation et empêchent de voir le véritable intérêt de la méditation. Dans le Zen, on utilise l'expression mushotoku : « sans but, ni profit ». Pratiquer la méditation sans rien attendre de la méditation, sans avoir des attentes par rapport à notre progression spirituelle et sans attentes par rapport à des bénéfices que l'on pourrait retirer de l'acte de s'asseoir immobile sur le sol. 

      Bien sûr, comme le dit Tobias Leenaert, ce n'est pas humain de croire qu'on va tout de suite être un dans un état d'esprit mushotoku. Par contre, se rappeler cette formule « mushotoku » est utile pour revenir à la conscience de l'instant présent, sans jugement et pour éviter les pensées qui vont parasiter l'attention du style : « je devrais me sentir léger et spirituel ; et je ne ressens que mon corps lourd et encombrant », « cela devrait être une partie de plaisir, et mes genoux me font mal », « je devrais avoir des visions extralucides, et tout ce que je vois, ce sont les motifs du tapis au sol », « je devrais me sentir extraordinaire, et tout ce que je sens, c'est que je suis un paumé de la vie », « je me devrais me sentir comme un oiseau dans le ciel, mais mon mental bourdonne de pensées comme l'essaim d'une ruche », etc...


       Prendre conscience de ses souffrances est nécessaire pour les dépasser et leur trouver une solution, prendre conscience de ses faiblesses est nécessaire pour aller plus loin dans l'existence, prendre conscience de son agitation est aussi nécessaire pour chercher la paix. Tout cela n'est pas drôle, mais c'est nécessaire. La méditation consiste aussi à se frotter à l'aspect déplaisant de l'existence. Il faut savoir que l'on ne pratique pas tout seul, même si on vit pleinement dans une société d'individualisme exacerbé : on n'est parfois envahi émotionnellement des difficultés des autres et du stress engendré par nos relations humaines. Cela nous pousse à assumer une responsabilité auquel cette société individualiste ne nous prépare pas : une action silencieuse de bienveillance et d'altruisme qui s'étend de jour en jour, de mois en mois, d'années en années pour le profit des autres autour de nous. La méditation, c'est cela aussi, et nos traversées du désert sont souvent nécessaires pour apporter un souffle de bien-être à ce monde.




      Il ne me reste qu'à souhaiter que tous ceux qui connaissent des moments difficiles en méditation puissent trouver très rapidement la paix, la joie, la béatitude et la sagesse qu'ils peuvent en attendre pour eux-mêmes et pour autrui. Qu'un espace infini s'ouvre à eux.




F. Leblanc, le 28 janvier 2017.






















À propos de la méditation sur Le Reflet de la Lune :





Pour un commentaire beaucoup plus détaillé des pratiques du Soûtra de l'Attention au Va-et-Vient de la Respiration, voir : 

En compagnie du souffle :  

     










Voir également : 


- Commentaires sur « L’Art de la Méditation » de Matthieu Ricard : voir le texte

     Pourquoi les enseignements du Bouddha sont-ils si rarement cités par les lamas du bouddhisme tibétains ? Est-ce que la méditation sur la nature de l'esprit n'occulte pas l'établissement de l'attention portée sur le corps (telle que le Bouddha l'enseigne dans le Soutra des Quatre Etablissements de l'Attention) ? Les soutras du Petit Véhicule ont-ils un intérêt dans la méditation sur la vacuité telle que l'expriment les soutras de la Perfection de Sagesse ? Comment intégrer les différents Véhicules du bouddhisme ?




Slowly, slowly, slowly.... : voir le texte
       Le progrès lent et graduel de la méditation. Comment arriver à la pleine conscience ?




Méditer à la piscine 

       Beaucoup de gens aiment faire quelques longueurs à la piscine pour se relaxer. C'est effectivement quelque chose de délassant de se baigner dans l'eau et d'activer l’entièreté de son corps. Mais je trouve que la piscine est aussi excellent endroit pour pratiquer la méditation et l'attention. 





Faut-il une bonne respiration pour méditer ?


On m'a récemment posé la question : je ne peux pas pratiquer la méditation de l'attention portée à la respiration, puisque je suis asthmatique. Que dois-je faire ? Il se trouve que je suis, moi aussi, asthmatique. En fait, le fait de respirer bien ou mal n'a rien à voir avec la pratique de l'attention telle qu'est enseignée par le Bouddha. Il s'agit de prêter attention à la respiration, pas de la réguler à tout prix. Même pendant une crise d'asthme, on continue à inspirer et expirer. Vous le faites difficilement du fait de la crise, mais vous le faites, sinon vous seriez mort. Il faut seulement prendre conscience de cette conscience de cette respiration et laisser l'esprit se calmer et se libérer de lui-même.













    Il n'y a pas de mauvaise méditation. Voilà un principe fondamental de la méditation : on ne devrait pas juger notre pratique de la méditation assise shamatha/vipashyanâ au point de dire que celle-ci a été inutile ou nulle en terme de progression spirituelle. On ne peut jamais savoir ce qu'il en est réellement.




- Mushotoku - Sans but, ni profit










Sur la méditation des Quatre Qualités Incommensurables :





Les différentes formes de l'amour et comment concilier ces différentes formes avec sagesse.




Les Quatre Demeures de Brahmā : amour illimité, compassion illimitée, joie illimité et équanimité illimitée


Méditation des Quatre Incommensurables



Qu'est-ce que la compassion?

        On pense parfois que la compassion consiste à s'affliger soi-même de la détresse des autres, mais, dans la philosophie du Bouddha, rien de tout cela : la compassion est définie comme le souhait ardent que les autres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance.



- la compassion selon Shabkar




Joie 

   Qu'est-ce que la joie spirituelle prônée par le Bouddha ?





    L'équanimité dans la méditation, l'apaisement des remous de la vie. Comment la pratiquer ? Comment la mettre en œuvre dans la vie de tous les jours ?




















Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.

Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici






2 commentaires:

  1. Je suis allé à une sesshin de Kojun Kishigami qui dit qu'il est dangereux de pratiquer seul sans trop expliquer pourquoi.

    Soit la pratique est décevante car il ne se passe rien et on ne comprend pas pourquoi tant de gens parlent de la méditation comme si c'était la panacée soit il se passe quelque chose de transcendant et les gens planent pensant avoir atteint l'éveil avec un orgueil démesuré. Pour moi l'éveil c'est prendre conscience du chemin infini qui reste à parcourir. Tant qu'on n'a pas conscience de l'existence d'un tel chemin ni la relation entre ce chemin et la méditation en tant qu'exercice qui met en jeu le corps... ça va être difficile. Autant que je m'en souvienne je n'ai pas accroché non plus à mes premières séances de méditation (en dojo avec d'autres personnes)


    J'ai personnellement essayé de jouer d'un instrument de musique (guitare basse) quand j'étais jeune, tout seul et même en faisant partie d'un groupe... je pourrais dire la même chose... voire les autres jouer donnent envie mais moi je n'y arrivais pas alors j'ai vite abandonné. Mais pour la musique je pense qu'il faut un peu avoir l'oreille musicale ou le sens du rythme, des prédispositions... alors que pour la méditation il faut juste pouvoir s'assoir... mais je pense que c'est aussi une question de maturité... On ne peut pas forcer quelqu'un qui n'a pas envie... ni même se forcer soi-même.

    J'ai essayé les cd de pleine conscience mais même ceux avec la voix de Bernard Giraudeau je ne suis jamais allé très loin (en durée)

    Je préfère mille fois zazen avec un maître zen en chair et en os... qui, de préférence, ne parle pas ou très peu.

    Je pratique aussi parfois seul chez moi mais je préfère à plusieurs.

    J'aime bien aider les débutants. Dans notre tradition (zen soto) on insiste beaucoup sur la posture... tant que la posture n'est pas optimale, on ne risque pas d'avancer ni d'aimer ça. Le côté désagréable est précisément ce qui nous guide pour trouver la posture qui nous convient... et même avec un miroir il est difficile de se corriger soi-même.

    Kojun Kishigami est passé derrière moi et malgré ses 82 ans il s'est baissé avec une souplesse et une rapidité digne d'un jedi pour corriger ma posture en appuyant à deux endroits de mon dos en même temps... trop fort!

    RépondreSupprimer
  2. Avec quelqu'un qui n'a jamais essayé je n'insisterais pas sur le côté mushotoku. Je ne me lèverais pas à 4h30 du matin pour aller faire zazen dans un dojo de 6h à 7h du matin si je n'y trouverais pas mon compte.

    Je te l'ai peut-être déjà dit mais Deshimaru qui parlait souvent de Mushotoku disait aussi que si on pratique zazen mais que tout foire dans sa vie perso amoureuse ou professionnelle il faut s'interroger sur la profondeur de son zazen.

    Je dis également qu'il n'y a pas de mauvaise méditation mais ça ne veut pas dire qu'il ne faut faire aucun effort, du moins, au début.

    Et puis dix à vingt minutes chaque jour pendant six mois... pour moi ça reste vraiment trop peu pour espérer voir une différence avec rien du tout.

    Nos séquences quotidienne matin et soir c'est soit 45 minutes soit 2x30minutes coupé de 10 min de méditation en marche. Et je ne parle pas des semaines de sesshins dont la différence avec rien du tout reste encore subtile.

    Kojun Kishigami a pratiqué zazen depuis ses 17 ans donc ça fait plus de 60 ans... et dans une vidéo il raconte que beaucoup de français le regarde de haut.
    https://www.izauk.org/gallery-items/interview-master-kojun-kishigami-sewing-kesa/
    Et moi-même je trouve qu'il ne paye pas de mine... et la différence avec un vieux japonais ordinaire ne saute pas aux yeux ni aux oreilles... là aussi c'est du très subtile.
    Alors s'attendre à un résultat au bout de six mois de méditation au rythme de 10 minutes par jour...
    Kishigami nous a dit qu'il fallait 10 ans de pratique intensive pour comprendre Hishiryo (pensée non-pensée) propre à zazen.

    Avant cela si on obtient une sorte d'effet placebo... c'est peut-être mieux que rien.

    RépondreSupprimer