William Shakespeare a interrogé dans sa pièce de théâtre « Hamlet » cette conscience morale qui, parfois, nous tiraille entre le bien et le mal, entre l’action et l’inaction et qui nous pousse constamment à nous interroger sur nous-mêmes et le monde.
Quelle
est l’histoire d’Hamlet ? L’intrigue se déroule à la
cour du roi du Danemark. Le père d’Hamlet était le roi du
Danemark ; mais il est mort récemment. Claudius, le frère du
roi, a pris le pouvoir et a épousé la femme de son frère, la mère
d’Hamlet donc. Or il se trouve qu’Hamlet va être hanté par le
fantôme de son père qui lui révèle qu’il a été assassiné par
son frère Claudius. Hamlet se retrouve alors dans le désespoir et
agit de manière de plus en plus étrange. Il veut se venger de son
oncle, tout en n’étant pas absolument certain que le fantôme de
son père n’est pas une grossière illusion.
Il
tient alors un des cours les plus célèbres de la littérature qui
commence par ces mots : « To
be, or not to be: that is the question ».
HAMLET
(monologue, acte III, scène 1)
- Être, ou ne pas être,
c'est là la question. Y a-t-il plus de noblesse d'âme à subir la
fronde et les flèches de la fortune outrageante, ou bien à
s'armer contre une mer de douleurs et à l'arrêter par une
révolte ?
Mourir... dormir, rien de
plus... et dire que par ce sommeil, nous mettons fin aux maux du
cœur et aux mille tortures naturelles qui sont le legs de la
chair : c'est là un dénouement qu'on doit souhaiter avec
ferveur.
Mourir... dormir, dormir
! peut-être rêver ! Oui, là est l'embarras. Car quels rêves
peut-il nous venir dans ce sommeil de la mort, quand nous sommes
débarrassés de l'étreinte de cette vie ? Voilà qui doit nous
arrêter. C'est cette réflexion-là qui nous vaut la calamité d'une
si longue existence.
Qui, en effet, voudrait
supporter les flagellations, et les dédains du monde, l'injure de
l'oppresseur, l'humiliation de la pauvreté, les angoisses de
l'amour méprisé, les lenteurs de la loi, l'insolence du pouvoir,
et les rebuffades que le mérite résigné reçoit d'hommes
indignes, s'il pouvait en être quitte avec un simple poinçon ?
Qui voudrait porter ces
fardeaux, grogner et suer sous une vie accablante, si la crainte
de quelque chose après la mort, de cette région inexplorée,
d'où nul voyageur ne revient, ne troublait la volonté, et ne
nous faisait supporter les maux que nous avons par peur de
nous lancer dans ceux que nous ne connaissons pas ?
Ainsi la conscience fait
de nous tous des lâches ; ainsi les couleurs natives de la
résolution blêmissent sous les pâles reflets de la pensée ; ainsi
les entreprises les plus énergiques et les plus importantes se
détournent de leur cours, à cette idée, et perdent le nom
d'action...
Hamlet
est tiraillé par les choix que lui propose sa conscience : être
ou ne pas être, vivre ou mourir pour fuir les tourments de cette
vie, ne rien faire ou agir pour venger son père et tuer son oncle.
Toute la tragédie d’Hamlet est là : dans ce tiraillement. En
plus, plus il y réfléchit, plus sa conscience l’oblige à se
demander si le fantôme de son père est réel ou irréel… Peut-on
vraiment faire confiance à une apparition ? Il doit aussi se
demander s’il ne serait quand même pas fou comme beaucoup le
disent à la cour du roi du Danemark…
Hamlet
fait l’expérience lancinante de la conscience qui oscille sans
cesse entre doute et certitude, raison et folie, ferme résolution et
abandon. Cet oscillement aussi entre la volonté de vivre et le désir
de la mort pour en finir avec les tourments qui frappent le corps
comme l’esprit.
Hamlet
oppose aussi l’action (ici la vengeance contre son oncle) et la
conscience. La conscience nous pousse à la patience, à essayer de
résoudre les problèmes calmement dans le respect des lois et des
règles, tandis qu’Hamlet voudrait agir tout de suite, mu
uniquement par sa rage, sa détresse, sa révolte et son désir de
vengeance. La conscience, au contraire, le pousse à envisager la
conséquence de ses actes.
C’est
pourquoi Hamlet dit : « la
conscience fait de nous tous des lâches »
parce qu’elle empêche d’agir. En même temps, la conscience nous
empêche de commettre des actions désastreuses. Après son
monologue, Hamlet n’écoute plus du tout sa conscience. Il agit,
mais malheureusement pour les plus fâcheuses conséquences. Il tue
Polonius, le père sa fiancée Ophélie, qui se cachait derrière des
rideaux et qu’il a pris pour un espion de son oncle. Ophélie,
prise de désespoir, se suicide en se noyant dans les marécages
d’Elseneur. Mais cela n’arrête pas la rage d’Hamlet : la
pièce se termine en effet tragiquement dans un bain de sang où
meurent Hamlet, sa mère et son oncle.
Shakespeare
touche ici à quelque chose d’universel dans l’être humain :
notre nature qui nous pousse à toujours nous poser des questions, à
toujours devoir des choix dans l’existence et, parfois, à être
tiraillé par ces choix. La conscience nous pousse à comprendre que
chaque action à ses conséquences et à adopter l’action la plus
juste possible afin d’avoir une vie bonne et juste. Mais le
tragique est que ce choix et ce doute entre plusieurs options qui
s’ouvrent à nous ne cessent jamais vraiment. Nous sommes condamnés
à être libres comme le disait Nietzsche.
Shakespeare
touche d’une manière plus philosophique à la dualité de notre
conscience et son insatisfaction fondamentale. Pour les besoins de la
dramaturgie, il pousse les conséquences tragiques de la colère
vengeresse d’Hamlet jusqu’à son paroxysme ; mais en creux,
il décrit une tendance que nous avons à soit refouler notre
ressentiment et nous autodétruire, soit nous lancer des actions que
l’on regrettera très vite amèrement. Face à cette dualité, il
y a de la sagesse à pratiquer la méditation de la pleine
conscience. Laisser s’apaiser nos conflits intérieurs et nos
tensions internes en ne nous attachant plus à chaque pensée ou
émotion qui traverse notre le mental. Laisser décanter toutes ces
pensées et émotions et progressivement voir que cette dualité ne
se situe pas entre agir ou en pas agir dans telle ou telle
circonstance, entre aller à gauche ou à droite ; mais qu’il
s’agit d’une dualité plus fondamentale dans les profondeurs de
l’esprit. L’enjeu spirituel est de se réintégrer dans sa
véritable nature, s’ouvrir à la dimension non-duelle de notre
conscience. C’est là le cheminement de shamatha-vipashyâna.
To be, or not to be: that is the question:
Whether 'tis nobler in the mind to sufferThe slings and arrows of outrageous fortune,
Or to take arms against a sea of troubles,
And, by opposing, end them. To die, to sleep,
No more, and by a sleep to say we end
The heartache, and the thousand natural shocks
That flesh is heir to; 'tis a consummation
Devoutly to be wish'd. To die, to sleep,
To sleep, perchance to dream, ay, there's the rub;
For in that sleep of death what dreams may come
When we have shuffled off this mortal coil,
Must give us pause. There's the respect
That makes calamity of so long life,
For who would bear the whips and scorns of time,
The oppressor's wrong, the proud man's contumely,
The pangs of despis'd love, the law's delay,
The insolence of office and the spurns
That patient merit of th'unworthy takes,
When he himself might his quietus make
With a bare bodkin? Who would fardels bear,
To grunt and sweat under a weary life,
But that the dread of something after death,
The undiscover'd country from whose bourn
No traveller returns, puzzles the will,
And makes us rather bear those ills we have
Than fly to others that we know not of?
Thus conscience does make cowards of us all,
And thus the native hue of resolution
Is sicklied o'er with the pale cast of thought,
And enterprises of great pitch and moment
With this regard their currents turn awry,
And lose the name of action.
Autres citations de William Shakespeare :- un récit plein de bruit et de fureur (Macbeth, V, 5)
- Ô Roméo ! Roméo ! pourquoi es-tu Roméo ? (Roméo & Juliette, acte II, scène II)
Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.
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