Du plomb dans l'aile et dans la nature

     Nous sommes à l'heure où les chasseurs de France font une campagne publicitaire où ils affirment être des « écologistes de terrain », et même : « les premiers écologistes de France » (sic). On peut cependant se poser la question de savoir si la chasse est vraiment bénéfique à la Nature, à défaut d'être d'être bénéfique aux animaux. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce sujet, mais je voudrais aborder un sujet dont on parle peu : la toxicité des munitions d'armes de chasse. Une cartouche de fusil de chasse pèse grosso modo 35g et contient 200 à 300 petites billes de métal (le plus souvent de la grenaille de plomb). On estime que plus de 250 millions de cartouches sont tirées chaque année sur le territoire français. Cela équivaut à 6000 tonnes de métaux répandus dans la nature chaque année en France.

   Or ce métal est souvent du plomb, un métal particulièrement toxique pour la faune sauvage. Les munitions au plomb sont souvent préférées aux autres de types de métaux pour des raisons de coût, mais aussi d'efficacité et de maniabilité. Or le plomb est à la source de maladies graves comme le saturnisme. Le plomb est dispersé dans la nature, il risque sur le long terme de contaminer l'eau et les zones humides. Le plomb n’est pas biodégradable, ce qui veut dire que la grenaille de plomb logée sur le sol, dans la terre, dans les plantes ou les arbres, se délite lentement, s’oxyde ou est peu à peu érodée, et agir sur l'environnement. Ce plomb est bioaccessible (les organismes vivants peuvent entrer en contact avec lui et l'absorber) et biodisponible (les organismes vivants vont être affectées par une quantité signifiante de ce plomb). Et ce plomb peut rester bioaccessible et biodisponible des décennies, voire des siècles ou des millénaires une fois dispersé dans les milieux naturels. Dans les zones acides, la biodisponibilité et la bioconcentration peuvent être très aggravées.

     La situation est encore plus problématique dans les milieux aquatiques. Non seulement, la toxicité du plomb s'y répand de manière beaucoup plus insidieuse que perdu par petits morceaux dans les champs ou les forêts ; mais en outre, certains oiseaux aquatiques absorbent la grenaille de plomb en avalant ce qu'ils prennent pour des petits graviers qui servent à broyer les aliments au sein de leur gésier. Ce plomb ingéré dans le corps de l'animal se solubilise ensuite dans l'organisme et provoque le saturnisme. Ce saturnisme, s'il ne tue pas tout de suite l'animal, l'affaiblit grandement et le rend plus faible face à ses prédateurs. Enfin, il ne faut pas oublier que tous les animaux ne meurent pas tous de s'être fait tirer dessus. Beaucoup d'animaux (20 à 30 %) échappent à leur bourreau et s'enfuient avec de la grenaille de plomb dans le corps. Ce qui va le contaminer et l'affaiblir toute sa vie.

     Ce problème du plomb répandu dans l'environnement touche toute la chaîne alimentaire. Ainsi les busards des roseaux en Camargue et en Charente-Maritime ont subi cette intoxication massive au plomb. Le plomb a été banni du territoire américain pour protéger le pygargue à tête blanche, l'aigle qui sert d'emblème pour les États-Unis. En bout de chaîne alimentaire, les humains sont aussi concernés par ce problème de saturnisme, surtout les personnes qui mangent du gibier victime de la chasse. Comme ce gibier est cuisiné, ce plomb chauffé durant tout le temps de la cuisson va se diffuser plus aisément dans la chair cuite (et cela sera encore plus facilité en présence d'éléments acides tels que le vinaigre, le citron ou de l'orange) ; cela accélère l'absorption par le tube digestif.

      Suite à ce problème des munitions contenant du plomb, les États ont réagi de manière diverse à ce problème écologique. Certains pays comme le Danemark interdisent totalement l'emploi de munitions contenant du plomb. D'autres pays l'interdisent partiellement, comme les États-Unis dans les zones où vivent des animaux emblématiques comme le pygargue à tête blanche ou le condor de Californie. En France, il est interdit de tirer des cartouches à grenailles de plomb dans les zones humides ou en direction des zones humides. Cette législation n'est que très partiellement respectée, avec encore beaucoup de résistance, ce qui est étonnant pour des gens qui prétendent être des « écologistes de terrain ». D'autres types de munition existe. Mais il faut dire aussi que d'autres métaux employés dans les munitions sont aussi des métaux toxiques : arsenic, antimoine, bismuth. La grenaille d'acier est apparemment un substitut efficace pour la chasse, mais cela suppose que les chasseurs s'habituent à ce genre de munition qui ne réagit pas exactement comme la grenaille de plomb, et ce type de munitions alternatives peut comporter des problèmes de précision ou d'encrassement du fusil.

      On peut s'attendre que les chasseurs utilisent légalement ou illégalement des munitions à base de plomb des années encore, voire des décennies. Or les scientifique ont constatés que le plomb répandu dans la nature a un effet délétère plus de 40 ans après son interdiction. Donc, loin d'être les premiers écologistes et des défenseurs de la Nature, les chasseurs sont plutôt pour cette raison, et pour d'autres raisons encore, des « pollueurs de terrain ».

Frédéric Leblanc, 

le 30 août 2018

Voir également à propos de la chasse : 

- Dieu qui fait les oiseaux ne fait pas le gibier (Victor Hugo)

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Giuliano Borghesan
(Nourrir les animaux plutôt que de leur prodiguer de la grenaille de plomb...)