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vendredi 4 janvier 2019

Un arbre noueux





Hui-tseu, s'adressant à Tchouang-tseu, lui dit : "J'ai dans mon bien, une arbre de grande taille. Son tronc est si noueux et si tordu qu'on ne peut pas le scier correctement. Ses branches sont si voûtées et vont tellement de travers qu'on ne peut pas les travailler d'après le compas et l'équerre. Il est là au bord du chemin, mais aucun charpentier ne le regarde. Telles sont vos paroles, ô mon maître, grandes et inutilisables, et tout le monde se détourne unanimement de vous."


Tchouang-Tseu dit à son tour : "N'avez-vous jamais vu une martre qui, s'aplatissant, est aux aguets en attendant que quelque chose arrive ? Elle va sautant de place en place et n'a pas peur de sauter trop haut, jusqu'à ce qu'elle tombe dans un piège ou se laisse prendre au lacet pour son beau pelage. Mais il y a encore le yack. Il est aussi grand qu'une nuée d'orage. Il se dresse, considérable. Seulement il n'est même pas capable d'attraper des souris. Vous avez, dites-vous, un arbre de grande taille et déplorez qu'il ne serve à rien. Que ne le plantez-vous dans une lande déserte ou au beau milieu d'une terre vacante ? Alors vous pourriez rôder oisivement autour ou, n'ayant rien d'autre à faire, dormir sous ses branches. Aucune scie, aucune hache ne sont là pour le menacer d'une fin prématurée, et nul de saurait lui porter dommage. Que quelque chose ne serve à rien, en quoi faut-il vraiment s'en mettre en peine ?


Tchouang-Tseu, I, 3.


NB : Tchouang-Tseu s'écrit « Zhuangzi » en pinyin (la transcription officielle du chinois) et Hui-Tseu « Huizi ». Mais la graphie de Tchouang-Tseu s'est imposée en langue française, c'est pourquoi je la conserve. D'autant plus qu'elle est plus proche de la prononciation réelle en mandarin. En caractère chinois traditionnel Tchouang-Tseu (ou Zhuangzi) s'écrit 莊子, et en caractère simplifié : 庄子. Huizi s'écrit : 惠子.






Vittorio Piergiovanni - Paysage #21 - 1958









Hui-Tseu se disputait souvent avec Tchouang-Tseu. C'était un personnage d'envergure dans la philosophie antique chinoise. Il n'est pas seulement un penseur, mais a été aussi le ministre de l’État de Liang à l'époque des Royaumes Combattants. Le confucéen Xunzi et le légiste Han Feizi le citent, mais il est surtout connu par ses interventions et ses débats avec Tchouang-Tseu, la discussion sur le bonheur des poissons est notamment la plus célèbre répartie entre les deux hommes. On n'a malheureusement conservé aucun écrit de Huizi.


Hui-Tseu reproche à Tchouang-Tseu d'être inutile. Il le voyait certainement comme un personnage oisif et improductif. Huizi compare Tchouang-Tseu à un vieil arbre noueux dont personne ne veut parce que son bois est inutile à quelque travail de menuiserie que ce soit. Tchouang-Tseu n'est pas d'accord. Pour lui, la notion d'utilité est très relative. L'arbre noueux est peut-être inutile aux yeux du menuisier, mais pas pour celui qui veut se reposer et profiter de son ombre. Le yack est une créature puissante, mais parfaitement inutile pour attraper les souris. La martre sera suffisamment agile pour attraper les souris ; mais son pelage suscitera les convoitises. Et aussi habile soit-elle, elle risque de tomber dans un piège.




On vit dans une société où les jugements vont bon train sur qui est utile et qui ne l'est pas. Mais souvent ces jugement sont hâtifs. Peut-être qu'un chômeur vous semble inutile à la société, mais au moins en étant au chômage, il ne prend pas votre boulot. Et peut-être ce chômeur va-t-il se rendre utile autrement. En ne contribuant pas au produit intérieur brut, mais en aidant son voisin par exemple à réparer sa voiture ou en faisant les courses de la voisine trop âgée. Il ne faut pas juger trop vite. Quand on regarde d'une autre manière, ces critères d'utilité et d'inutilité peuvent varier considérablement.















Voir également concernant Tchouang-Tseu (Zhuangzi): 




- battement d'ailes d'un papillon (et notamment le rêve du papillon de Tchouang-Tseu)




- Commentaire au Genjôkôan (4ème partie) avec notamment la notion de l'assise dans l'oubli de Tchouang-Tseu





Voir concernant le taoïsme :








Voir aussi : 

- Un nomade de la raison (11ème partie) sur l'indifférence, mais aussi sur les petits cochons de Pyrrhon et de Tchouang-Tseu











Voutch









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Enfin, il me reste à vous souhaiter une bonne année tout pareillement !





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