Le Tao que l'on tente d'énoncer n'est pas
le Tao lui-même ;
le
nom qu'on veut lui donner n'est pas son nom adéquat.
Sans
nom, il représente l'origine de l'univers ;
Avec
un nom, il constitue la mère de tous les êtres.
Par
le non-être, saisissons son secret ;
Par
l'être, abordons son accès.
Non-être
et être sortent d'un fond unique
Ne
se différencient que par leurs noms.
Ce
fond unique s'appelle Obscurité.
Obscurcir
cette obscurité,
Voilà
la porte de toute merveille.
Lao-Tseu,
Tao-Të King, I
(En
pinyin : Laozi, Dàodéjīng , I)
L'ouverture
du « Livre de la Voie et la Vertu » , le Tao-Tö King (ou
Dàodéjīng en pinyin, la
transcription officielle des caractères chinois, 道德經).
Ce livre est un des textes fondateurs de la philosophie taoïste.
Lao-Tseu entame sa réflexion en évoquant le « Tao », 道,
un terme qui signifie simplement la voie, le
chemin. En pinyin, le terme sera plutôt retranscrit Dào;
mais comme le mot «Tao » s'est imposé dans la langue française,
on préferera cette retranscription, même si le pinyin tend à
s'imposer de nos jours.
Lao-Tseu
commence donc par cette idée que le Tao ou Voie que l'on peut
exprimer n'est pas le véritable Tao. On retrouve là l'idée
mystique que l'on ne peut exprimer avec des mots et des phrases
l'absolu qui, chez les taoïstes, est conçu comme voie, chemin pour
nous aider à nous en faire une idée, mais qui échappe
fondamentalement à tout mot ou tout concept. « Le
Tao que l'on tente d'énoncer n'est pas le Tao lui-même ».
Si on essaye de caractériser le Tao, la Voie, tous les mots, tous
les noms se révéleront inefficaces à décrire cette réalité
absolue. La conscience doit se départir de tous ces noms, ces mots,
ces déterminations que le mental fait tout le temps pour comprendre
et rendre compréhensible le monde qui l'entoure.
Pourtant, les mots, les noms, les
déterminations sont inévitables au niveau relative, dans la réalité
quotidienne, notre expérience tangible. C'est pourquoi Lao-Tseu
ajoute : « Sans nom, (le Tao) représente l'origine de
l'univers ;
Avec un nom, il constitue la mère de
tous les êtres ».
C'est
là que la métaphysique taoïste se développe et prend son essor :
au-delà des mots, des noms, des dénominations, le Tao est l'origine
de toutes choses. Mais dès lors que l'on nomme, qu'on l'énonce,
qu'on le pense, le Tao est la mère de tous les êtres. Sans nom, le
Tao est un espace vide qui permet au monde d'apparaître ; avec
un nom, il est l'être qui engendre tous les êtres. La réflexion
ontologique sur l'Être
passe dans le taoïsme par la capacité de l'homme à nommer les
choses et les conceptualiser. C'est par notre tendance à nommer les
choses qui fait passer le non-être à l'Être.
Par les mots et le langage qu'il soit parlé, écrit ou même et
surtout pensé, le non-être s'incarne dans l'être.
On peut donc aborder l'existence par ses
deux facettes : par le non-être ou par l'être. On peut accéder
à l'être par la compréhension rationnelle dans laquelle les
philosophes et les scientifiques se sont engagés depuis des siècles
afin d'avancer progressivement dans l'explication du monde et des
phénomènes naturels. Mais l'autre versant de l'existence, le
versant continuellement ombragé comme l'ubac des montagnes, c'est le
non-être qui ne peut être compris rationnellement par des noms et
des définitions philosophiques ou scientifiques, mais dont le secret
doit humblement être approché par l'intuition mystique pour toucher
au mystère ultime de l'existence.
Chauve-souris en vol, Yashô 1782-1825, Ashmolean Museum, Oxford |
Ce mystère de l'existence consiste en
un « fonds unique » dont procèdent l'être et le
non-être et que Lao-Tseu appelle « Obscurité ». Tous
les philosophes ou les scientifiques tenteraient de percer à jour
cette Obscurité pour la comprendre et l'appréhender
rationnellement. Ils activeraient la puissance de réflexion de leur
mental pour concevoir le problème existentiel sous-jacent, pour
tenter de le circonscrire selon les « lumières de la Raison »
pour reprendre une expression bien connue de la philosophie
occidentale qui a même défini un temps particulièrement glorieux
dans le progrès de cette esprit rationnel : « le siècle
des Lumières ». Contemporains aux premiers penseurs taoïstes,
les penseurs confucéens avaient eux aussi une conception
particulièrement volontariste de l'esprit humain : l'homme peut
agir afin d'apprendre et d'étudier les savoirs et les sciences afin
de comprendre le monde et de contribuer activement à l'harmonie de
ce monde1.
Lao-Tseu prend à rebrousse-poil cette
attitude volontariste de comprendre le monde et d'apporter sa
« lumière » au monde :
« Obscurcir cette obscurité,
Voilà la porte de toute merveille ».
Obscurcir cette obscurité : au
lieu de vouloir comprendre le non-être avec les méthodes qui
prévalent pour comprendre l'être, Lao-Tseu inverse la tendance. Il
abandonne l'attitude qui nous semblerait relever du bon sens :
au lieu de combattre l'obscurité, ce que nous faisons en permanence,
quand on est tout seul dans le noir, que fait-on ? On cherche,
on tâtonne fébrilement pour trouver l'interrupteur, un briquet ou
une bougie. Non, Lao-Tseu s'abandonne plutôt au non-agir. Il ne
tente pas de fuir l'obscurité, les ténèbres de l'ignorance ;
non, il habite cette obscurité. Il s'imprègne de cette zone de
non-savoir dans notre mental. Qu'a-t-elle à nous dire ? Ou que
ne nous dit-elle pas ? Quels sont les éclairs d'intuition qui
zèbrent notre ignorance et notre idiotie ? Quelle fertilité
manifeste ce champ obscur de notre inconscient ? Tel est le
positionnement de Lao-Teu.
1A
propos de l'apprendre et de l'étude dans la pensée de Confucius et
de ses grands disciples Mencius et Xunzi, voir « Un débat pédagogique dans le confucianisme antique ».
Voir aussi de Laozi (Lao-Tseu) :
- Décroissance & non-agir
Et de Zhuangzi (Tchouang-Tseu), autre grand penseur du taoïsme:
- le bonheur des poissons
- le rêve du papillon
Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.
Voir aussi de Laozi (Lao-Tseu) :
- Décroissance & non-agir
Et de Zhuangzi (Tchouang-Tseu), autre grand penseur du taoïsme:
- le bonheur des poissons
- le rêve du papillon
Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.
Je sais pas qui vous êtes et c'est sans importance pourtant je suis heureuse de vous trouver sur mon chemin. Bon soir vous et encore merci pour tout.
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