Encore
et encore
Petits
conseils de méditation
(Troisième
partie)
Une
idée essentielle en méditation est qu'il faut y revenir encore et
encore. Ce n'est pas une chose qu'on fait une fois dans sa vie, et
puis on passe à autre chose. Il faut y revenir encore et encore. Il
vaut mieux pratiquer tous les jours cinq minutes de méditation
plutôt que faire chaque année une semaine intensive de méditation
à dix heures par jour une semaine durant, et puis plus rien. Je ne
minimise pas du tout l'intérêt d'une retraite de méditation
intensive, mais cet intérêt, ce bénéfice est plus important
encore que la méditation s'ancre dans le quotidien, même par petite
touche.
Bien
sûr, cela demande une certaine discipline de pratiquer la méditation
régulièrement. Mais cela fait partie de ce qu'on appelle « l'effort
juste » dans le Dharma : faire advenir ce qui est positif
et bénéfique et renforcer ces tendances positives. Il y a donc un
effort à fournir, une contrainte à s'imposer, une persévérance
dans l'acte de revenir le plus souvent possible à la méditation.
Cela
peut sembler pénible ou oppressant. Le découragement peut certes
guetter, surtout quand on connaît à la longue ce que j'appelle la
« traversée
du désert » en méditation : on médite, mais on ne
semble connaître aucun plaisir à rester assis là un temps qui
semble s'étirer à l'infini, on ne ressent pas vraiment de bien-être
ni pendant, ni après, et tout cela nous semble absurde, voire sans
intérêt !
C'est
là qu'il faut se souvenir du soûtra
du Bouddha où le Bienheureux revient sur ce qu'il convient de
faire encore et encore... Le contexte n'était pas celui de la
méditation, mais du don à accomplir envers les moines bouddhistes
qui vivaient de l'aumône de nourriture que les civils voulaient bien
leur donner. Comme les moines revenaient tous les jours, cela a fini
par agacer le brahmane Udaya qui se plaignait de voir ces moines
revenir encore et encore. Ce à quoi le Bouddha a répondu :
« Les
semences sont ensemencées encore et encore,
Le
gros nuages donnent des pluies encore et encore.
Les
cultivateurs labourent les champs encore et encore.
Les
nouvelles graines apparaissent dans le pays encore et encore.
Les
mendiants demandent encore et encore,
Les
donateurs donnent encore et encore.
Ayant
donné encore et encore,
Ils
naissent dans un lieu céleste encore et encore.
On
trait les vaches laitières encore et encore,
Le
veau s'approche de sa mère encore et encore.
Il
se fatigue et tremble encore et encore.
Le
sot va dans une matrice encore et encore,
Il
naît et il meurt encore et encore,
On
le porte au cimetière encore et encore !
Cependant,
le
sage qui a pris le chemin
par
lequel on ne revient plus à l'existence
Ne
naît plus encore et encore ».
Dans
le contexte du soûtra, le principe d'encore et encore s'appliquait
au fait de pratiquer un acte vertueux encore et encore malgré
l'agacement, l'ennui et le manque de motivation qui peut s'emparer de
nous. Mais le même principe vaut pour la méditation :
pratiquer encore et encore, semer encore et encore des graines
d'attention et de bienveillance dans le champ infini de notre
conscience. Voilà ce à quoi il faut s'appliquer et ne pas se
décourager en cours de route. Pratiquer encore et encore la
méditation pour se libérer progressivement des conditionnements au
malheur et aux tragédies.
Tout
cela est très lent, incroyablement lent. On donne souvent la tortue
comme symbole de la méditation : progresser très lentement,
mais toujours pouvoir demeurer dans sa maison de l'ici et
maintenant ! Je me souviens que, dans les années '90, j'étais
dans la gare des bus de Delhi attendant mon car pour Dharamsala.
J'avais eu une conversation avec lui dans un anglais approximatif. Il
m'a à plusieurs reprises répété cette formule qui m'a accompagné
comme un proverbe depuis tout ce temps : « Slowly,
slowly, slowly », lentement, lentement, lentement...
N'ayez
pas peur du temps long quand vous abordez la méditation, même si on
essaye souvent de régler quelques problèmes personnels au travers
de la méditation, en espérant que cette résolution vienne le plus
rapidement possible ! Il y a cette histoire Zen où un disciple
demande à son maître Zen : « Combien de temps avant que
je n'atteigne l’Éveil ? ». Le maître répond « Vingt
ans ». Et le disciple ajoute : « Et si je m'applique
vraiment à fond et que je donne tout pour atteindre l’Éveil le
plus rapidement possible ? ». Et le maître de répondre :
« Ah, si vous êtes pressé, c'est 50 ans ! »
Et
encore compter en dizaine d'années est en soi déjà très
optimiste ! Dans le bouddhisme, on envisage de nombreuses vies
à pratiquer le Dharma pour parvenir au plein Éveil d'un Bouddha !
Je me souviens d'une histoire hindouiste à ce sujet. Un disciple
demande à son maître réputé pour ses dons de voyance la même
question que le disciple zen : « Dans combien de temps
vais-je atteindre l’Éveil ? » « 4 vies »,
lui répond le sage. « 4 vies !!! Mais c'est énorme !!! »
Il escomptait un Éveil rapide en quelques années, voire quelques
mois probablement. Cela fut un tel choc pour lui qu'il sombra dans le
découragement, abandonna la pratique et se perdit dans le samsāra
pour un nombre incalculable de vies... Un autre disciple vint trouver
le sage et posa la même question. Ce dernier lui répondit :
« Tu vois ce chêne majestueux avec toutes ses feuilles ? »
Oui, lui répondit le disciple. « Et bien, tu renaîtras autant
de fois que ce chêne porte de feuilles. » Le visage du
disciple s'illumina. « Aussi peu de vies, mais c'est
extraordinaire ! » Et il fut emplit de joie et
d'enthousiasme, et il redoubla d'efforts dans sa pratique. Si bien
qu'il se libéra en une seule vie.
Le Soûtra du Lotus évoque
même des considérations de temps encore plus gigantesque : on
y parle d'une pratique du Dharma qui s'étend sur autant de kalpas
qu'il y a de grains de sable dans le lit du Gange. Un kalpa étant le
temps que dure un univers. Un autre soûtra explique que, pour
comprendre ce qu'est la durée d'un kalpa, il faut s'imaginer une
énorme montagne, et tous les cent ans, un homme vient effleurer
cette montagne avec un chiffon de la soie la plus fine de Bénarès.
Et bien, un kalpa, c'est le temps qu'il faudra à cet homme pour
éroder complètement la montagne. Maintenant, imaginez ce temps
multiplié par le nombre de grains de sable dans le lit du Gange !
Imaginez tout ce temps à
pratiquer la méditation sans se décourager et en se réjouissant
même de ce gigantesque effort, cette gigantesque implication dans la
méditation ! Voilà un exercice spirituel intéressant !
Mais il importe aussi un autre temps que ce temps long, voire très
très long quand on pense à la méditation. Et cet autre dimension
du temps, c'est l'instant présent. C'est ce que vous vivez quand
vous êtes attentif à l'ici et maintenant et que vous n'êtes pas
focus sur la durée ou le nombre des années.
Je me rappelle un sketch de
l'humoriste Haroun où il demandait de frapper les gens qui vous
conseillent de « profiter du moment présent ». Il disait
que ce n'est pas possible de profiter du moment présent, puisque dès
que vous le vivez, il est déjà passé. Et effectivement, la simple
pensée : « je suis dans le moment présent » fait
que vous n'y êtes plus. Le temps de penser cela, d'autres instants
sont apparus et ont disparu tout aussi vite. Dans le textes
bouddhistes, vous avez tout un questionnement : « Combien
de temps dure une inspiration ? » certains parlent de 60
instants, d'autres de centaines, d'autres de milliers. Quelle est le
plus petite unité du temps ? Je ne vais pas répondre à la
question ici, mais il est vrai que vous ne pouvez vivre l'instant
présent sans pouvoir le capter ou le saisir, parce qu'alors, il ne
s'agit plus que de la mémoire de l'instant présent passé. La
conscience d'un moment est déjà la conscience d'un moment qui est
déjà passé au moment où se forme l'instant de conscience en
question. N'est présent que la conscience, pas l'instant en
lui-même !
Pour
autant et n'en déplaise à l'humoriste Haroun, revenir à cet
instant présent en acceptant d'être emporté par son flot est une
exercice très utile. Et c'est là véritablement « profiter de
l'instant présent ». Il y a de grandes expériences à y
faire, et c'est là une grande joie pour autant qu'on se rappelle
qu'une expérience n'est pas la réalisation : vous pouvez vivre
des choses incroyables en méditation en terme de félicité, de
calme, d'états modifiés de conscience, de ressenti étrange du
temps et de l'espace, de pressentiment grisant d'une transcendance ou
d'une non-dualité, etc... Cela est vrai, mais rappelez-vous que ces
expériences ne sont pas nécessairement la réalisation. Vous vivez
ces grands moments d'exaltations profondes, mais cela ne fait pas de
vous quelqu'un de foncièrement plus sage, plus éveillé. Vous
pouvez vivre une grande expérience d'absorption méditative sur
votre coussin de méditation, puis vous reprenez votre voiture et
vous enragez parce que le gars devant vous ne va pas assez vite !
L'expérience
se passe dans l'instant présent pour autant qu'on se rappelle que
l'instant n'est quelque chose de figé, mais un flot d'instants
présents qui se succèdent continuellement comme les vaguelettes
d'un torrent de montagnes. La réalisation se produit dans le temps
long dont j'ai parlé où l'on gagne en sagesse, en maturité, en
paix intérieure à rythme de tortue, voire d'escargot. Mais pour peu
qu'on accepte la disparité des instants présents – des moments
d'exaltation peuvent être suivis de moments d'ennuis – des pensées
profondes peuvent être suivis de pensées vulgaires – des moments
de paix peuvent être suivis de moments de conflit ou d'agitation,
etc, etc... - la méditation est là qui s'ouvre à nous, sans effort
à fournir. Et elle crée un appel à cette expérience toujours
renouvelée. Ce n'est pas tant qu'on profite du moment présent, mais
plutôt que le moment présent profite de nous.
Il
y a donc un effort à fournir pour revenir encore et encore à la
méditation au fil des semaines, des mois, des années, mais au fil
du temps, on finit par s'ouvrir au non-effort et à la spontanéité
de l'attention qui revient d'elle-même à l'instant présent, au
corps, au sensation, à nos états d'esprit ainsi qu'aux objets de
l'esprit. Comme le fait de se laisser emporter par une rivière sur
un bateau ivre d’Éveil.
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Louise V Durham, Shoreham by Sea |
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