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vendredi 24 juin 2016

Le jeu des feuillages et de la lumière





Ce jardin de l'autre côté de la fenêtre, je n'en vois que les murs. Et ces quelques feuillages où coule la lumière. Plus haut, c'est encore les feuillages. Plus haut, c'est le soleil. 

Et de toute cette jubilation de l'air que l'on sent au dehors, de toute cette joie épandue sur le monde, je ne perçois que des ombres de feuillages qui jouent sur les rideaux blancs. 

Cinq rayons de soleil aussi qui déversent patiemment dans la pièce un parfum blond d'herbes séchées. Une brise, et les ombres s'animent sur le rideau. Qu'un nuage couvre, puis découvre le soleil, et voici que de l'ombre surgit le jaune éclatant de ce vase de mimosas. 

Il suffit : cette seule lueur naissante et me voici inondé d'une joie confuse et étourdissante.

Prisonnier de la caverne, me voici seul en face de l'ombre du monde. Après-midi de janvier. Mais le froid reste au fond de l'air. Partout une pellicule de soleil qui craquerait sous l'ongle, mais qui revêt toutes choses d'un éternel sourire. 

Qui suis-je et que puis-je faire — sinon entrer dans le jeu des feuillages et de la lumière. Être ce rayon de soleil où ma cigarette se consume, cette douceur et cette passion discrète qui respire dans l'air. 

samedi 18 juin 2016

Libéral, libertaire, libertarien




Dans mon article Libéral, j'expliquais dans les grandes lignes qu'il y avait trois sens distincts au mot « libéral » :
  • un sens économique : être favorable au libre-marché et à la liberté d'entreprendre
  • un sens moral : être favorable aux libertés individuelles des citoyens
  • un sens politique : être favorable à la démocratie libérale et parlementaire.

    J'expliquais qu'il fallait bien distinguer ces sens différents du terme, car il y a souvent des confusions entre les différentes acceptions du terme. Dans un commentaire, Degun fait valoir à juste titre qu'il faut prendre en compte deux autres termes proches : « libertaire » et « libertarien ». Comme le précise Degun : « En fait, c'est l'anglais qui a d'abord emprunté au français le mot "libertaire" sous la forme libertarian avant d'opérer des glissements de sens et puis, cela nous est revenu plus récemment sous diverses formes créant la plus grande confusion par rapport à l'usage du mot libéral (même si les divers mouvements liber- ont à la base une même racine fondé sur la liberté individuelle, il n'empêche qu'ils se sont très sensiblement éloignés les uns des autres). Les glissements de sens des mots lorsqu'ils sont empruntés et transposés d'une langue à l'autre sont fréquents ».


   Effectivement, ces deux termes « libertaire » et « libertarien » tournent autour du mot libéral, mais en s'en détachant de manière significative. Libertaire est plus ou moins synonyme d'anarchiste et désigne en première approximation quelqu'un aux mœurs particulièrement libre. Libertaire est en ce sens une version radicale de libéral au sens moral du terme. On pourrait citer ce célèbre slogan de Mai '68 : « Il est interdit d'interdire », qui ferait un bon mot d'ordre pour les libertaires, si ce n'est que les libertaires n'aiment pas les mots d'ordre. De manière générale, les libertaires n'aiment pas toutes les organisations qui supposent des hiérarchies très structurées et très coercitives. Typiquement, ils détestent l'armée, l’Église et la police.

      Mais la pensée libertaire n'est pas qu'une liberté totale en matière morale. La pensée libertaire suppose une certaine collectivisation des moyens de production, ce qui en fait des ennemis redoutables du libéralisme économique. En cela, ils rejoignent l'extrême-gauche et les communistes. Ceci étant dit, au niveau politique, les libertaires refusent toute organisation qui viendrait chapeauter et diriger la collectivisation comme cela a été le cas. Ils préfèrent l'autogestion, et non un système pyramidal avec un parti unique comme l'expérience communiste. En cela, la pensée libertaire n'est pas seulement une vision radicale de la pensée libérale sur un plan moral ; elle est aussi une radicalisation de la démocratie libérale. Là où la démocratie libérale accorde des droits inaliénables aux individus contre l'emprise de l’État, les libertaires veulent que les citoyens s'auto-organisent à la base sans même qu'une représentation démocratiquement élue vienne chapeauter cette organisation sociale. En outre, les libertaires sont demandeurs de plus de démocratie dans certains organismes sociaux tels que les écoles, les hôpitaux, les prisons, les asiles psychiatriques qui sont vues comme des structures autoritaires qui aliènent le droit de certains citoyens.




Banksy







       Les libertariens, par contre, s'ils contestent aussi le pouvoir démesuré selon eux de l’État le font pour d'autres raisons. Les libertariens contestent un premier tout main-mise de l’État en matière économique : ces anarchistes de droite prônent un système ultra-libéral où tout est libéralisé, y compris les fonctions régaliennes de l’État (police, armée, justice). Pour eux, cela fonctionnerait beaucoup mieux comme cela (surtout si on est un nostalgique du Far West). Les libertariens sont partisans d'un individualisme exacerbé, où le chacun pour soi prime sur tout sentiment de fraternité ou de solidarité. En cela, ils sont complètement à l'opposé des libertaires sur le champ économique et social. Sur un plan moral, ils sont en général plutôt conservateurs, bien que cela ne soit pas une obligation. Le mouvement américain Tea Party est ainsi à la fois ultra-conservateur et libertarien sur un plan économique. L'individu devrait assumer la conséquence de ses actes sans attendre que l’État vienne l'aider du fait de la mauvaise situation dans laquelle lui-même s'est fourré. Typiquement, les accros au drogue dure ne devraient pas attendre une aide de l’État pour aller en cure de désintoxication, car c'est leur faute s'ils sont tombés dans un tel état de déchéance et d'addiction. À eux de s'en sortir tout seuls ou de payer de leurs propres deniers un cure de désintox dans une clinique privée ou encore de s'en remettre à un organisme religieux qui aurait la charité d'accueillir des junkies repentants à se délivrer de leurs péchés et de leur dépendance grâce à la prière et à la lecture de la Bible. Il m'est arrivé de regarder l'interview d'un libertarien qui expliquait qu'il fallait condamner le sexe hors-mariage parce que les mères célibataires avaient tendance à faire appel à des aides d’État pour s'en sortir. En supprimant ces aides d’État, ce libertarien expliquait que ces femmes reviendraient naturellement à une vie de couple, beaucoup plus chrétienne. (J'avoue que ce genre de mentalité me donne envie de vomir).

     Les libertariens expliquent qu'il faut tout privatiser. Il ne doit avoir aucun bien commun, cette idée que les gauchistes essayent d'imposer depuis le siècle des Lumières. Les libertariens jurent que si on privatisait les forêts, cela irait beaucoup mieux pour l'environnement, puisque le propriétaire de ce bout de forêt aurait intérêt à maintenir son bien en bonne qualité et ferait tout pour qu'il ne soit pas pollué. C'est une vision du monde asse idiote. S'il y a des gaz de schistes en-dessus de la forêt, le propriétaire a tout intérêt à raser sa forêt et à se lancer dans la fracturation hydraulique, ce qui est une catastrophe environnementale sans nom !




    Enfin, une dernière catégorie de « liber » mérite d'être mentionnée, c'est la catégorie du libéral-libertaire. C'est quelqu'un provenant généralement de la gauche avec une idée avancée des libertés individuelles ; mais qui a progressivement viré vers l'individualisme et le libéralisme économique. La figure emblématique du « libéral-libertaire » en France et en Allemagne est Daniel Cohn-Bendit, ancienne figure marquante de Mai '68 où on l'appelait « Dany le Rouge ». Un proverbe dit : « Les jeunes libertaires font les vieux libéraux » ; et cela s'applique très bien à Cohn-Bendit. Au niveau international, Steve Jobs, le fondateur d'Apple est certainement le symbole de cette pensée libérale-libertaire. Le nom même d'Apple vient du fait qu'il fréquentait une communauté hippie où on ne ne mangeait que des pommes. Toute la communication et la publicité d'Apple ont récupéré les codes de la contre-culture américaine, l'idée notamment qu'il faut penser librement, en étant fidèle à soi-même et en ne suivant pas les chemins tout tracés. On retrouve cela dans la campagne qui montre un monde totalitaire gris et sinistre, où tout le monde est habillé dans le même uniforme et où une jeune femme forcément libre vient jeter un marteau contre l'écran géant qui délivre le message officiel de Big Brother, ou encore dans la campagne « Think different ». D'un côté, on adopte une phraséologie et une image contestataire, de l'autre, on fonce tête baissée dans le consumérisme le plus libéral. Steve Jobs cherchait par tous les moyens à passer pour un mec « cool », mais c'était concrètement un tyran qui appliquait des méthodes particulièrement dures de gestion du personnel.








La vidéo réalisée par Ridley Scott en 1984 pour la sortie sur le marché du MacIntosh :




La campagne Think Different :











Voir aussi :


- Ni Dieu, ni maître

Solidarité et charité

Résignation et acceptation



  

Voir tous les articles et les essais autour de la philosophie bouddhique  du "Reflet de la Lune" ici.




Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.




Steve Jobs, symbole du libéralisme américain triomphant, en réfugié syrien à Calais (par Banksy)
Le père de Steve Jobs était un réfugié syrien.







mardi 14 juin 2016

Joie




   Une des quatre qualités incommensurables dans la philosophie bouddhique est la joie. Le Bouddha invite dans la méditation à répandre partout dans l'univers cette joie sacrée. Mais qu'est-ce que cette joie ? Quelle est sa nature ? C'est la question que je voudrais aborder ici. Au même titre que l'amour, la compassion et l'équanimité, le Bouddha appelle à ce qu'on répande ce sentiment dans tous les recoins du monde : « Le méditant demeure faisant rayonner la pensée de joie dans une direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans une troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au travers, partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il demeure faisant rayonner la pensée de joie, large, profonde, sans limite, sans haine et libérée d'inimitié ». Cette joie à répandre à travers le monde entier ne peut pas déconnectée de l'amour et de la compassion ainsi que de l'équanimité. En particulier, il ne peut s'agir d'une joie sadique, malveillante, le fait de se réjouir de la souffrance d'autrui, de voir cette douleur ou de la causer. C'est une joie bienveillante qui nous fait vivre en communion avec les autres. Ce n'est pas non plus une joie exubérante qui explose par moments, comme quand votre équipe favorite gagne la coupe ou le championnat, et puis repart aussi vite qu'elle n'est apparue pour laisser la place à la dépression ou à l'anxiété. C'est au contraire une joie pleine de sérénité qui apaise la conscience et le corps.

     La joie spirituelle prônée par le Bouddha consiste d'abord dans le fait de se réjouir dans les qualités d'autrui. Au lieu d'envier et de jalouser les autres pour leurs qualités, leurs succès ou leurs réussites que n'avons pas ou dont nous n'avons pas été capables, on se réjouit. Telle personne peut être très belle, au lieu d'envier sa beauté et de la dénigrer, on se réjouit de sa beauté. En cela, la joie est un remède à l'envie et à la jalousie qui assombrissent souvent nos relations, voire les pourrissent en nous mettant dans le jeu des comparaisons et de la compétition. On peut se réjouir de la réussite d'une personne, des capacités physiques, intellectuelles ou artistiques que cette personne a acquise par son effort personnel ou ses dons innés. Plus profondément, on peut se réjouir des actions morales que les gens accomplissent autour de nous. Si quelqu'un accomplit le bien autour de lui, on a toutes les raisons de se réjouir de cet acte qui accomplira le bien pour lui-même et les autres. Quel bonheur ce serait de vivre dans un monde où tout le monde accomplirait beaucoup de bonnes et belles actions. Et on a encore plus de raisons de se réjouir de la pratique du Dharma que l'on peut constater autour de soi. On devrait cultiver une grande joie devant la pratique du Dharma d'autrui, car cela libère les êtres de manière durable. Souvent, les gens sont jaloux de la bonne réputation dont jouissent les gens qui font le bien. Mais la joie spirituelle est là pour dissiper cette jalousie qui empoisonne l'existence.

     Évidemment, on peut également se réjouir de sa propre conduite éthique, de sa propre pratique de la méditation, de notre progression dans la vision intérieure et dans la sagesse. On peut se réjouir de sa propre pratique du Dharma. On compare souvent la joie au fait d'être perdu dans un désert, mourant de soif, hagard et désespéré, et puis de voir une oasis droit devant nous. Chaque pas qui nous rapprocherait de cette oasis nous emplirait d'une joie qui irait en crescendo. C'est avec ce genre de joie que l'on devrait pratiquer les actions justes, la méditation ainsi que l'étude et la réflexion autour du Dharma. Chaque geste positif, chaque attitude de renoncement et de bienveillance, chaque pensée de compassion et de sagesse sont autant de pas qui nous permettent d'avancer dans ce désert de l'existence jusqu'au Nirvâna. Cette prise de conscience devrait nous emplir de joie.

     Et tous les êtres sensibles ont accès à cette pratique du Dharma. Voilà quelque chose qui doit attiser notre joie et faire qu'elle se répande, qu'on la propage dans la méditation à tous les êtres. Dans tous les êtres sensibles, il y a cette possibilité de s'éveiller. Même si aujourd'hui, cela semble difficile pour certains êtres ; bientôt, les conditions seront réunies pour permettre une pratique du Dharma, un apaisement de leur esprit et une plus grande lucidité. Au fond, tous les êtres ont la nature-de-Bouddha, la capacité enfouie au plus profond d'eux-mêmes de s'éveiller et de devenir un Bouddha parfaitement accompli. Cette nature-de-bouddha est peut-être présentement inaccessible, de la même façon que le soleil peut être caché derrière les nuages noirs et gris. Mais que les conditions soient favorables, que le vent souffle et dissipe ces nuages, et le soleil peut à nouveau resplendir dans le vaste ciel. En sanskrit, nature-de-bouddha se dit tathāgatagarbha, ce qui signifie le « germe de l'Ainsi-Allé ». Ainsi-Allé est une expression qui désigne le Bouddha. Il y a donc cette idée d'une graine, d'une semence qui ne demande qu'à germer et à s'épanouir. Voilà une perspective qui doit éveiller une joie immense en chaque pratiquant du Dharma : tous les êtres sensibles qui habitent et vivent dans ce vaste univers peuvent développer ce germe de l'Ainsi-Allé et croître dans la puissance de l’Éveil. Voilà un champ colossal d'actions et de possibilités, qui s'ouvre à la conscience éveillée. Quelle joie est-ce de contempler cela !

     La joie spirituelle n'est donc pas le produit de notre humeur, mais le résultat d'une contemplation prolongée de l'existence et d'un effort dans la pratique méditative. Il s'agit bien de se sentir joyeux pour tout ce qui est et pour le fait qu'il y a une possibilité de pratique du Dharma dans chaque événement de l'existence. Certaines personnes sont naturellement joyeuses et enjouées, d'autres sont plus tristes, voire désespérée. Il y va de la complexion physique et psychologique de chaque personne. Dans la philosophie antique, Démocrite était joyeux et de bonne humeur tandis qu'Héraclite se lamentait constamment et vivait chaque jour dans le désespoir le plus grand. Certains disent que c'était le fruit de leur philosophie respective ; mais peut-être était-ce seulement leur personnalité qui faisait que l'un croquait la vie à pleines dents tandis que l'autre était prostré sur les malheurs et les inconséquences du monde. Comme le disait le poète anglais William Blake :

« Every Night and every Morn
Some to Misery are Born.
Every Morn and every Night
Some are Born to sweet delight.
Some are Born to sweet delight,
Some are Born to Endless Night ».

     Certains sont nés pour de doux délices, certains sont nés pour des nuits sans fin. Nous ne sommes pas égaux dans le bonheur et dans le malheur. Certains sont plus sensibles que d'autres et connaissent avec plus d'acuité les affres de l'existence. Mais la joie spirituelle dont on parle ici n'est pas du tout la joie légère et superficielle des spectacles et des divertissements. Ce n'est pas une joie qui oublient les peines et les tourments pour ne regarder que le côté lumineux et plaisant de l'existence. La joie spirituelle regarde les ténèbres ; et elle sait que la souffrance est là dans chaque recoin du monde, ; mais c'est justement une joie qui pense qu'il vaut mieux allumer des torches dans la nuit plutôt que de maudire l'obscurité. C'est une joie qui n'est jamais très éloignée du désespoir et qui sait que s'il n'y a rien à attendre, il y a tout à faire pour bâtir un monde meilleur.

    C'est pourquoi il est important dans la méditation de répandre cette joie spirituelle encore et encore dans toutes les directions. Dès qu'on pense à quelqu'un, on peut se réjouir de ses qualités, de ses actions ou de ses potentialités. Dès qu'on pense à un endroit, on peut le voir comme baignant dans la joie infinie qui ranime les consciences et les volontés. La joie n'est pas l'opposé de la tristesse ; mais la joie fait fructifier quelque chose à partir de la tristesse. C'est pourquoi si on traversé par la tristesse ou le désespoir dans la méditation, il ne faut pas disparaître cela par la joie ; mais plutôt ensemencer cette tristesse et ce désespoir à l'aide de la joie pour planter les graines de l’Éveil.

      Dans la méditation, si ça aide, on peut aussi visualiser la joie sous forme de lumières colorées qui se diffusent à travers le monde, comme une onde qui se propage doucement à l'ensemble des êtres, comme une pluie de fleurs, comme un vent ou comme un flux de chaleur qui réchauffe les cœurs, comme la danse cosmique de la Sagesse qui traverse les éléments et l'espace en spirales infinies. Il m'arrive de visualiser un feu d'artifice qui touche les cœurs des êtres, et de chaque cœur touché émane un autre feu d'artifice qui vient toucher les cœurs d'autres personnes et ainsi de suite... On peut également visualiser la figure bienveillante du Bouddha ou d'un yidam pour symboliser et incarner cette présence joyeuse de l’Éveil. Je pense notamment à des figures paisibles et sereines telles que Tchenrézi à quatre bras ou la figure plus courroucée de Kurukulle. Bien sûr, il ne faut pas oublier que ces visualisations ne sont que des représentations de la joie, et pas la joie elle-même qui n'a ni forme, ni couleur. Dans le bouddhisme tantrique, on parle de phase de création et de phase de dissolution. Quand on visualise un Bouddha ou une déité, c'est la phase de création ; mais après qu'on ait maintenu en esprit ces représentations mentales de l’Éveil, on les laisse se dissoudre dans la vacuité originelle et on en revient à la réalité telle qu'elle est. C'est la phase de dissolution. Je pense que les visualisations peuvent aider à se représenter la joie spirituelle incommensurable et la faire croître dans son esprit, mais rien ne sert non plus de trop s'attacher à ces visualisations. Seul compte in fine le sentiment réel de la joie incommensurable.

       L'essentiel est d'insuffler encore et encore de la joie dans toutes les directions du monde. Comme le dit le Bouddha : « Le méditant demeure faisant rayonner la pensée de joie dans une direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans une troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au travers, partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il demeure faisant rayonner la pensée de joie, large, profonde, sans limite, sans haine et libérée d'inimitié ». En fait, tant qu'il y a du malheur et des tourments dans ce monde, alors il y a une utilité à répandre cette joie bienveillante à travers le monde. Encore et encore. Cette joie bienveillante est comme un moteur dans notre persévérance dans le Dharma.

  Comme le dit Shāntideva dans le chapitre 7 du Bodhicaryāvatāra sur la persévérance (VII, 28-30) :

« Le corps est heureux par les mérites
Et l'esprit par la sagesse ;
Même vivant dans le samsāra pour le bien d'autrui,
Pourquoi les compatissants se décourageraient-ils ?

Par la force de l'esprit d’Éveil,
Il épuise ses fautes passées
Et réunit un océan de bienfaits.
(...)

Par conséquent, montée sur le coursier de l'esprit d’Éveil
Qui dissipe toute fatigue et abattement,
Allant de bonheur en bonheur,
Quelle personne, connaissant cet esprit serait accablée ? »

     Le bodhisattva est celui qui trouve son bonheur dans des actions inspirée par la bodhicitta, l'esprit d’Éveil, le souhait ardent de sortir tous les êtres du cycle des souffrances qu'est le samsāra. Sa joie réside donc dans l'idée de pratiquer le Dharma pour le bien de tous les êtres de manières diverses et variées selon les moments et les lieux : tantôt il s'agira de se montrer généreux et d'aider son prochain, à d'autres moments de méditer et de se détacher de ce monde d'illusions, parfois en étudiant, parfois en enseignant. A tout moment, la joie le stimule : elle est comme ce cheval de l'esprit d’Éveil lancé à toute allure, heureux de faire le bien, heureux d'éviter le mal et heureux de transformer l'esprit.















Voir aussi :

Méditation des Quatre Incommensurables


Le bonheur et les autres

    Le bonheur est-il en nous ? Ou se trouve dans notre relation avec les autres ?


Qu'est-ce que la compassion?

        On pense parfois que la compassion consiste à s'affliger soi-même de la détresse des autres, mais, dans la philosophie du Bouddha, rien de tout cela : la compassion est définie comme le souhait ardent que les autres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance.


Esprit d’Éveil

     Comment produire l'esprit d’Éveil ou bodhicitta? L'esprit d’Éveil est le souhait que tous les êtres soient libérés de la souffrance et deviennent des êtres pleinement éveillés. Les enseignements du lama tibétain Dza Patrül Rimpotché (XIXème siècle). 












Voir également : 


Soulager l'infinité des êtres

- Bodhicitta : le désir d'apaiser les souffrances de tous les êtres vivants

En quoi la bodhicitta est salutaire


compassion et vacuité


Nés pour collaborer


Rien n'est plus utile à l'homme que l'homme


- La masse illimitées des êtres atteindra la suprême félicité (I,7)

- Égoïsme & altruisme selon Shântideva (IV, 125)








Kurukulla







Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.








Tchenrézi (Avalokisteshvara)







dimanche 12 juin 2016

Ni Dieu, ni maître




    Voilà un slogan anarchiste bien connu : « Ni Dieu, ni maître ». À l'origine, c'était le titre d'un journal fondé et dirigé par Auguste Blanqui en 1880. C'est l'emblème du refus de l'autorité et de l'insoumission. C'est aussi le titre d'une chanson de Léo Ferré qu'il a enregistré sous deux versions, la première de 1965, la seconde, plus grave et solennelle, de 1973. La chanson raconte les derniers moments d'un condamné à mort, condamné, on le suppose, on le devine, pour des faits d'anarchisme. La chanson de Ferré se termine par cette profession de foi :

« Cette parole d’Évangile
Qui fait plier les imbéciles
Et qui met dans l'horreur civile
De la noblesse et puis du style
Ce cri qui n'a pas la rosette
Cette parole de prophète
Je la revendique et vous souhaite
Ni Dieu ni maître »

mardi 7 juin 2016

Sade et les animaux - 2ème partie



     Nous allons sans doute humilier ici l'orgueil de l'homme, en le rabaissant au rang de toutes les autres productions de la nature, mais le philosophe ne caresse point les petites vanités humaines ; toujours ardent à poursuivre la vérité, il la démêle sous les sots préjugés de l'amour-propre, l'atteint, la développe et la montre hardiment à la terre étonnée.

     Qu'est-ce que l'homme, et quelle différence y a-t-il entre lui et les autres plantes, entre lui et tous les animaux de la nature ? Aucune assurément (...) Si les rapprochements sont tellement exacts qu'il devienne absolument impossible à l’œil examinateur du philosophe d'apercevoir aucune dissemblance, il y aura donc alors tout autant de mal à tuer un animal qu'un homme, ou tout aussi peu à l'un qu'à l'autre, et dans les préjugés de notre orgueil se trouvera seulement la distance, mais rien n'est malheureusement absurde comme les préjugés de l'orgueil ; pressons néanmoins la question. Vous ne pouvez disconvenir qu'il ne soit égal de détruire un homme ou une bête ; mais la destruction de tout animal qui a vie, n'est-elle pas décidément un mal, comme le croyaient les pythagoriciens, et comme le croient encore quelques habitants du Gange ?

Donation Alphonse François, marquis de Sade, La philosophie dans le boudoir, V, 1795, cité dans : Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Anthologie d'éthique animale (Apologie des bêtes), PUF, Paris, 2011, p. 116.





dimanche 5 juin 2016

Sade et les animaux - 1ère partie



    Le plus mauvais petit prince de l'Allemagne fait meilleure chère que moi, n'est-ce pas, mon ami ? me dit Zamé. Voulez-vous savoir pourquoi ? C'est qu'il nourrit son orgueil beaucoup plus que son estomac, et qu'il imagine qu'il y a de la grandeur et de la magnificence à faire assommer vingt bêtes pour en sustenter une (...). Ce n'est point par aucun principe religieux que nous nous abstenons de viande ; c'est par régime, c'est par humanité : pourquoi sacrifier nos frères, quand la nature nous donne autre chose ? (...)

     Vous voulez me prendre pour un disciple de Crotone1 ; vous serez bien surpris quand vous apprendrez que je ne suis rien de tout cela, et que j'ai adopté dans ma vie qu'un principe : travailler à réunir autour de moi la plus grande somme de bonheur possible, en commençant par celui des autres.


Donation Alphonse François, marquis de Sade, Aline et Valcour, lettre 35, 1793, cité dans : Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Anthologie d'éthique animale (Apologie des bêtes), PUF, Paris, 2011, pp. 115-116.








     On ne s'attend point à un éloge du végétarisme et de l'altruisme chez le divin marquis de Sade, lui qu'on associe beaucoup plus aisément à la cruauté et à la jouissance de faire souffrir et de voir souffrir. Dans le roman épistolaire Aline et Valcour, Sade imagine un royaume sur l'île de Tamoé gouverné dans l'harmonie par le roi Zamé dont il est question dans ce passage. Ce qui est étonnant pour l'époque, ce que Sade imagine un gouvernement idéal chercherait à trouver leur bonheur en assurant le bonheur de plus grand nombre, mais en outre, ce bonheur inclut le bonheur des animaux pour lesquels il faudrait avoir un minimum de considération. Pourquoi sacrifier vingt animaux pour nourrir un seul homme ? Et en plus tirer grand orgueil de ce sacrifice ! Non, si la Nature a permis que l'on puisse vivre en mangeant des végétaux, et par là même qu'on épargne la vie de toute une série d'animaux, pourquoi ne pas préférer ce régime à l'habitude de se nourrir du cadavre des animaux ? Pour le roi Zamé, nous sommes là sur Terre pour récolter le plus de bonheur pour soi-même et autrui, et l'acte de devenir végétarien est le premier acte altruiste que l'on poser.



1 Disciple de Crotone : pythagoricien, Pythagore venait de la colonie grecque de Crotone (dans l'actuelle Calabre).





Tadas Jucys - A meal of dandelions




Voir également : 

Plutarque:  -Pour quel motif ?
                     être sensible à la vie animale

Ovide : Vous avez le blé




Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.

Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici




Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.



samedi 4 juin 2016

Je rentre à la maison

Je rentre à la maison, je ferme la fenêtre.
On m'apporte la lampe, on me souhaite bonne nuit,
et d'une voix contente, je réponds bonne nuit.
Plût au ciel que ma vie fut toujours cette chose :
le jour ensoleillé, ou suave de pluie,
ou bien tempétueux comme si le Monde allait finir,
la soirée douce et les groupes qui passent,
observés avec intérêt de la fenêtre,
le dernier coup d’œil amical jeté sur les arbres en paix,
et puis, fermées la fenêtre et la lampe allumée,
sans rien lire, sans penser à rien, sans dormir,
sentir la vie couler en moi comme un fleuve en son lit,
et au-dehors un grand silence ainsi qu'un dieu qui dort.


Fernando Pessoa (Alberto Caeiro), Le gardeur de troupeaux, XLIX, NRF, Gallimard/Poésie, Paris, 1960 (pour la traduction d'Armand Guibert), p.103.



mercredi 1 juin 2016

La stratégie de L214





      Hier matin, le philosophe français Raphaël Enthoven s'est encore fendu d'une chronique sur les ondes d'Europe 1 à l'encontre de l'association de défense animale L214. J'avais déjà critiqué dans un précédent article une chronique d'Enthoven contre L214 au moment où cette association avait diffusé des images de l'abattoir « bio » du Vigan. Cette fois-ci, c'est suite à la diffusion par L214 d'images d'un élevage en batterie où les poules vivent un enfer que Raphaël Enthoven s'insurge à nouveau contre l'association. Que reproche le philosophe à L214 ? L214 demande la transparence pour les abattoirs et les élevages, mais ne serait pas elle-même pas très transparente. Il y aurait selon Enthoven un double discours chez L214 : d'un côté, on dénonce les méfaits tragiques des abattoirs et des élevages industriel, de l'autre, on fait l'apologie du véganisme, c'est-à-dire la suppression de tout élevage. L214 inciterait « sournoisement » (sic) à ne manger aucun produit issu des animaux.

     Qu'en est-il réellement ? Il y a effectivement deux dimensions dans l'action de L214 : une action immédiate qui est de dénoncer les conditions monstrueuses de l'élevage industriel et une action à plus long terme, voire à beaucoup plus long terme qui est effectivement d’œuvrer pour un monde végane, un monde libéré de l'exploitation animale. En cela, Raphaël Enthoven a raison de souligner que ces deux buts sont présents dans le discours de L214. Mais là où il se trompe lourdement, c'est quand il dit que L214 avance masqué comme un bande de vulgaires comploteurs. Il suffit d'aller sur le site de L214 à la rubrique « Qui sommes-nous ? » pour se rendre compte que la projet végane de L214 n'est pas du tout caché. Au tout début de sa présentation, L214 explique :

    « L'association L214 articule son travail sur 3 axes complémentaires :
  • Rendre compte de la réalité des pratiques les plus répandues, les faire évoluer ou disparaître par des campagnes d’information et de sensibilisation. Repérer et tenter de faire sanctionner les pratiques illégales par des actions en justice.
  • Démontrer l’impact négatif de la consommation de produits animaux (terrestres ou aquatiques) et proposer des alternatives.
  • Nourrir le débat public sur la condition animale, soulever la question du spécisme, revendiquer l’arrêt de la consommation des animaux et des autres pratiques qui leur nuisent. » 

    On parle bien de « soulever la question du spécisme, revendiquer l'arrêt de la consommation ». Plus loin figure une profession de foi antispéciste :
        « Vers une civilisation sensibiliste.
     L214 s'inscrit dans un mouvement qui souhaite une société attentive aux besoins de tous les êtres sensibles à l'opposé des courants prônant discrimination, haine ou xénophobie. L214 souhaite que notre société en arrive à reconnaître que les animaux ne sont pas des biens à notre disposition, et ne permette plus qu’ils soient utilisés comme tels. Ils sont eux aussi des habitants de cette planète et leurs intérêts méritent considération ».

     Il me semble donc qu'il est malveillant de dire que L214 avance masqué, comme le fait Raphaël Enthoven. Néanmoins, on pourrait objecter que L214 ne se revendique pas non plus comme une mouvance végane. Il n'y a pas de bandeau au-dessus de l'écran avec « VEGAN » écrit en grand. Cela annoncerait tout de suite la couleur, mais L214 ne fait pas ça. Pourquoi ?

     En fait, les mouvances de libération animale sont divisés en deux camps, assez critiques les uns envers les autres. Il y a d'une part la tendance abolitionniste incarnée par le philosophe américain Gary Francione et ses zélés disciples. Pour Francione, il faut prôner le véganisme, point à la ligne. Comme il le répète constamment : « il n'y a pas de troisième choix », soit on est 100% végane, soit on est un salaud qui exploite les animaux. Le végétarien qui veille à acheter ses œufs dans une ferme où les poules peuvent courir en plein air est aux yeux de Francione autant un salopard que le mangeur invétéré de viande qui n’achèterait délibérément que des produits animaux en provenance des élevages industriels. Pour Francione, il faut faire l'apologie du véganisme strict et exiger l'abolition pure et simple de toute exploitation animale du jour au lendemain. Voilà des véganes qui risquent de plaire à Raphaël Enthoven. Un discours simple. Pas d'ambiguïtés, des véganes qu'on voit débarquer à cent kilomètres à la ronde, avec leur gros sabots.

      Et puis il y a les « welfaristes » dont font partie L214. Je n'aime pas trop ce terme parce qu'employé par les abolitionnistes francioniens pour discréditer tous ceux qui ne pensent pas comme eux. « Welfariste » vient de l'anglais welfare, bien-être. Ce terme désigne tous ceux qui militent pour améliorer le bien-être des animaux, pour améliorer parfois de façon minime leur condition de vie. Typiquement, L214 a une action welfariste quand l'association demande d'améliorer la situation désastreuse des poules dans l'élevage en batterie du GAEC du Perrat. Pour autant, le but final de L214 est bien l'abolition définitive de l'exploitation animale. L214 comme beaucoup d'autres organisations adhère à l'abolitionnisme en tant que but ultime, mais a des méthodes welfaristes.

     Pourquoi ? Pour une raison toute simple, la grande majorité des gens ne sont pas encore prêts à entendre le discours végane. Faut-il pour autant ne rien faire ? L214 opte pour essayer de trouver un terrain d'entente avec le grand public. Si on ne peut pas supprimer toute violence à l'encontre des animaux, supprimons au moins les manifestations les plus atroces de cette violence. Les élevages industriels par exemple. Il y a là un long et laborieux travail de renseignement auprès des abattoirs et des élevages, monde opaque s'il en est. Il faudrait d'ailleurs que Raphaël Enthoven prenne bien conscience que ceux qui avancent masqués, c'est le lobby de la viande et de l'élevage industriel. Dans les publicités, on nous montre des animaux souriants, s'égaillant joyeusement dans des prés et de vertes collines verdoyantes tout autour d'une ferme en bois. Il faut déconstruire toute cette propagande. Et puis, il faut accomplir un long et laborieux travail de lobbying pour faire bouger lentement les choses.

     Évoluer jusqu'à quel point ? Jusqu'au point où on ne causera plus toute cette souffrance inutile aux animaux. Jusqu'au moment où on aura plus besoin de consommer des produits animaux. Mais peut-être que Raphaël Enthoven se dira : « oui, mais si je vais acheter mes œufs à la ferme, je ne fais de mal à aucune poule ». En fait, si malheureusement. Pour qu'une exploitation soit rentable, il faut tuer les poussins mâles qui viennent à naître. Il y a donc bien du sang derrière les œufs, même dans une ferme bio idéale. Pour autant, il y a indéniablement moins de souffrances pour les poules à vivre dans ce genre de fermes où elles peuvent courir en plein air que dans des élevages en batterie sordides comme le GAEC du Perrat. En cela, je ne vois pas de contradiction entre les deux dimensions du discours de L214 : œuvrer à un monde végane et faire en sorte que l'exploitation animale soit moins violente et moins cruelle. En combattant les élevages industriels, on fait diminuer la souffrance animale causée par les hommes, on ne la supprime pas certes, mais on la diminue.

        Et pour gagner cette cause, il faut s'allier avec des gens qui ne sont pas véganes, mais qui se rendent bien compte qu'il n'y a rien d'éthique à traiter les animaux d'une façon aussi atroce. Avec ces non-véganes, il serait inopportun de se proclamer « VEGAN » de manière tonitruante en culpabilisant d'emblée tout le monde. C'est le meilleur moyen de faire fuir des non-véganes qui seraient sensibilisés à la conditions des animaux dans les élevages industriels. Il y a donc chez L214 une stratégie de communication qui consiste à ne pas marteler son identité son identité végane (mais à ne pas la cacher non plus comme prétend Raphaël Enthoven), et à faire passer des idées moins radicales que le véganisme, mais qui ont plus de chances de faire évoluer positivement la situation. Tobias Leenaert, ex-président de l'association végétarienne belge EVA, défend en long et en large cette idée sur son site « Vegan Strategist » (en anglais). EVA a notamment promu l'idée du Jeudi Veggie pour encourager les gens à découvrir une alimentation végétale un jour par semaine. Le but de l'organisation n'était pas de faire plein « véganes du jeudi après-midi », d'inviter les gens à seulement réduire leur consommation de viandes ou de produits animaux un ou deux jours par semaine, mais bien d'encourager les gens à se diriger vers le véganisme doucement, à leur rythme, en passant par leur étapes intermédiaires que sont le flexitarisme et le végétarisme. Les gens ne sont pas prêts à devenir végane du jour au lendemain, mais bien à découvrir petit à petit un mode d'alimentation plus végétal pour leur bien-être, pour l'environnement ou pour cause moins de souffrance aux animaux.

      Cette volonté de mettre en avant une stratégie de communication ne me semble pas être quelque chose de contestable, un moyen détourné ou une forme de « manipulation » comme l'affirme Raphaël Enthoven. D'abord, parce que de l'autre côté, dans le lobby de la viande, de l'élevage, on fait tourner la propagande à plein régime avec des publicités complètement mensongères mettant en scène des animaux heureux et souriants, une volonté systématique de cacher ce qu'il se passe dans les élevages industriels et un lobbying féroce de toutes les instances politiques. Face à cela, une stratégie de communication qui cherche à entrer en communication avec les gens, à ne pas les agresser, mais en même temps qui essaye de les faire avancer dans une cause juste vers une situation meilleure m'apparaît vraiment être une bonne chose.



     Enfin, dernière réflexion à propos de la chronique de Raphaël Enthoven. Ce dernier ne voit pas le lien entre véganisme et critique des conditions de vie dans les élevages industriels. Ce lien est en fait très étroit. Si on veut que les élevages industriels s'arrêtent et qu'on consomme uniquement des œufs de la ferme avec des poules qui ont gambadé et picoré au grand air, il faut que la consommation d’œufs diminue drastiquement. (Les fermes bucoliques ne peuvent pas produire autant d’œufs que les élevages en batterie). Et pour cela, la meilleure méthode est qu'une grande partie de la population devienne végane ou, tout du moins, adopte une alimentation végétale une grande partie du temps. Faire la promotion du végétalisme après une vidéo sur un élevage en batterie n'est pas une digression inutile, ni une « confusion des genres » comme le prétend Enthoven, mais au contraire, c'est indiquer la seule direction possible pour une amélioration sensible de la cause animale. Par ailleurs, il faut bien se rendre compte que des œufs bio élevés en plein air coûtent beaucoup plus chers et ne sont pas accessibles pour les franges les moins favorisés de la population. Aujourd'hui, quelqu'un qui va acheter ses œufs à la ferme est plus comme un « bobo » que comme un défenseur de la cause animale. Inciter au véganisme ou à se rapprocher du véganisme est donc indispensable pour faire progresser la cause animale.



Frédéric Leblanc, 31 mai 2016.










Voir la vidéo de L214 à propos de l'élevage du GAEC du Perrat :

Lire ici l'article "Le mangeur de viande et le tortionnaire" à propos d'une précédente chronique de Raphaël Enthoven.



Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.

Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici



Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.




Oui, Raphaël Enthoven, L214 avance masqué dans sa promotion du véganisme : avec Captain Vegan !