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dimanche 27 novembre 2016

Rohingya






    À l'heure où j'écris ces lignes, la communauté Rohingyas est en train de subir de nouvelles violences perpétrées par l'armée birmane dans l’État birman de l'Arakan. Meurtres, pillages et viols ensanglantent la région. Il est temps, me semble-t-il de demander l'arrêt des violences. Et de faire pression sur les bouddhistes de Birmanie pour leur demander d'arrêter cette haine, ces discours de haine et ces actions de haine qui ont libre cours dans leur pays.

     Le Bouddha a dit :
« En vérité,
La haine ne s'apaise jamais par la haine.
La haine s'apaise par l'amour.
Ceci est une loi éternelle ».

    Cela doit être rappelé. Le Dharma est un appel à la paix. Malheureusement aujourd'hui, de trop nombreux moines bouddhistes mettent de l'huile sur le feu et incite à la haine contre la communauté rohingya qui subit une véritable nettoyage ethnique sur le sol birman.

     Quelques mots pour expliquer la situation. Il ne me semble pas inutile de résumer la situation à un public occidental qui n'est pas nécessairement au fait de ce qui peut se passer dans un pays exotique et méconnu comme peut l'être la Birmanie (ou Myanmar1). Les Rohingyas sont donc une communauté qui provient du Bangladesh voisin et qui s'est installé en Birmanie durant la colonisation britannique. À ce titre, la population birmane a toujours été méfiante à leur égard. Et la situation a pourri après l'indépendance en 1948 jusqu'en 1982. Cette année, la junte birmane au pouvoir rend les Rohingyas apatride et cesse de les mentionner comme étant une des 135 minorités ethniques que compte le pays. Suite à cela, les Rohingyas se sont vus privés de très nombreux droits :
  • privation des droits politiques : exercer un quelconque mandat politique, et maintenant que la démocratie commence à s'imposer au Myanmar, il leur est interdit de voter ou de se présenter à une élection ;
  • privation de droits économiques (comme tenir un magasin et commercer avec des bouddhistes)
  • privation de droits sociaux (comme avoir accès aux soins, se marier et avoir plusieurs enfants).










     En conséquence, les Rohingyas dépendent principalement de l'aide internationale pour leur survie. En 2012, les Rohingyas ont subi de très graves violences ethniques dans l’État de l'Arakan. Au départ, le problème était surtout le fait d'un racisme qui s'exerçait à l'encontre d'une communauté qui n'est pas considérée comme véritablement birmane ; mais les Rohingyas ne sont pas seulement critiqués parce qu'originaire du Bangladesh voisin, on leur reproche de plus en plus d'être musulman. C'est qu'un moine bouddhiste multiplie les prêches haineux à l'égard de l'islam et des musulmans et fait entendre de plus en plus sa voix en Birmanie. C'est le moine Wirathu et son mouvement politique 969. Ce moine prône la haine à l'encontre des musulmans de façon extrêmement virulente. Pour lui, il faut préserver « la race et la religion birmane » de ces envahisseurs. Lui-même ne prend pas part aux émeutes, mais il instille la haine, la malveillance et des pensées racistes dans le cœur des Birmans. Il se prétend ne faire que se défendre face aux exactions des musulmans, mais ce ne sont là que des prétextes pour justifier des carnages. Par exemple, les émeutes de 2012 ont commencé parce qu'une jeune femme birmane avait été violée. C'est effectivement regrettable, et la police aurait du enquêter sur ce crime (ce que la police fait dans un État civilisé) ; mais le moine Wirathu a exploité ce fait divers pour exciter les populations birmanes à passer à l'acte et à provoquer des massacres une cinquantaine de personnes, à brûler des mosquées et des quartiers entiers, et enfin à déplacer des milliers de personnes.




Time, juillet 2013.






      La situation est complexe ; et il se produit dans un pays qui connaît lui-même une situation extrêmement complexe. Il y a 135 minorités ethniques en Birmanie ; et certaines sont en guerre contre le gouvernement central, notamment les Karens et les Kachins. Le pays sort lentement de la domination et de la dictature sanglante exercée par la junte militaire pendant des décennies. Les militaires ont encore un pouvoir énorme sur ce pays. Et on soupçonne certains militaires de favoriser en sous-main le mouvement 969 pour déstabiliser les velléités démocratiques de la Ligue Nationale pour la Démocratie d'Aug San Suu Kii.

       Par ailleurs, on résume souvent la tragédie des Rohingyas à un affrontement entre musulmans et bouddhistes. C'est une erreur. Il faut faire la part des choses : au départ, le problème est d'ordre ethnique et raciste. Il y a en Birmanie beaucoup de musulmans qui ne sont pas Rohingyas, mais Bamar (l'ethnie majoritaire) ou appartenant à d'autres ethnies. Ceux-là, personne ne demande à ce qu'ils quittent la Birmanie. De nombreux Birmans veulent exclure une communauté qui est taxée d'être étrangère, bien que vivant depuis au moins deux siècles sur le sol birman. C'est un problème de xénophobie et de racisme. La dimension islamique ne vient que dans un second temps, et uniquement parce qu'Ashin Wirathu et son mouvement 969 a attisé les braises de l'islamophobie depuis une quinzaine d'années. Il faut faire attention à ce point, parce que certaines organisations islamiques réduisent ce conflit à sa seule dimension religieuse. Ce qui permet à ces islamistes de se victimiser et d'appeler à la guerre sainte « pour défendre les frères Rohingyas maltraités et massacrés par les mécréants ». C'est comme en Palestine où les Palestiniens subissent d'évidentes injustices émanant du gouvernement israélien ; mais certains extrémistes islamistes en profitent pour instrumentaliser la cause pro-palestinienne pour en faire un appel au jihad et pour susciter la haine antisémite et accuser les Juifs de tous les maux de la Terre. Finalement, les extrémistes d'un côté excitent les extrémistes de l'autre côté et se renforcent mutuellement dans le culte de la violence et de la guerre. C'est le peuple qui fait les frais de cette haine dévorante qui ravage tout.

      Il faut donc appeler à un sursaut de conscience dans la population birmane. De nombreux bouddhistes au Myanmar ne soutiennent pas U Wirathu et ses diatribes haineuses et nationalistes. Des moines ont accueilli et protégé des Rohingyas durant les émeutes de 2013 à Meikhtila dans le centre du pays. Le Bouddha a dit qu'il fallait répandre l'amour bienveillant de manière universelle. Il n'y a pas à faire de distinction entre bouddhistes et non-bouddhistes quand on répand l'amour bienveillant illimité et incommensurable, comme il n'y a pas à faire de distinction entre son ethnie ou sa nationalité et ceux qui appartiendraient à une autre ethnie ou une autre nationalité. Il faudra tôt ou tard intégrer la population des 800 000 Rohingyas au grand ensemble des 50 millions de Birmans. Le moine Wirathu a dit et répété que ce n'était pas l'heure pour trouver le calme. Il me semble au contraire qu'il est plus que temps de retrouver le chemin de la paix au Myanmar.






Frédéric Leblanc, le 27 novembre 2016.













1L'étymologie de « Birmanie » renvoie à Bamar qui est l'ethnie majoritaire dans le pays, mais loin d'être la seule puisqu'on compte pas moins de 135 ethnies en Birmanie (136 si on compte les Rohingyas comme faisant partie intégrante de la mosaïque birmanie). « Myanmar » est l'appellation officielle du pays, voulue par la junte militaire en 1989. Cette appellation ayant été contestée tant par l'opposition que par des pays comme la Thaïlande, on continue à utiliser le vocable « Myanmar » parallèlement à celui de « Birmanie ». Personnellement, j'emploie indifféremment les deux. Aujourd'hui, l'appellation complète du pays est « République de l'Union du Myanmar ».








Mosquée en feu suite aux émeutes de Meikhtila, le 21 mars 2013 









Voir notamment sur le site d'Arte : « La malédiction des Rohingyas »



Voir le site Info-Birmanie et sa page Facebook










Note de mars 2017: la situation a évolué en ce qui concerne le moine Wirathu.
Voir l'article "Wirathu réduit au silence"







Birmanie ou Myanmar





Régions et Etats de la Birmanie/Myanmar






Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.




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Enfant rohingya dans le camp de réfugiés de Thet Kal Pyin à Sittwe, Arakan, 7-9 -2016.







samedi 20 août 2016

Équanimité





    L'équanimité est cette égalité dans l'humeur et le jugement, l'équanimité est une disposition de la conscience faite de détachement et de sérénité à l'égard de toute sensation ou ressenti, agréable ou désagréable. L'équanimité joue un rôle considérable dans la Voie du Bouddha et dans la méditation. Équanimité traduit alors le terme en sanskrit « upekshā » ou en pâli « upekkhā ». L'équanimité est une des Quatre Demeures de Brahma ou Quatre Qualités Incommensurables avec l'amour, la compassion et la joie. L'équanimité n'est donc pas seulement la capacité à être calme et à rester « zen » face aux circonstances adverses, mais c'est aussi la paix qui procèdent de la bienveillance fondamentale que l'on peut nourrir envers les autres. Dans les Soûtras, le Bouddha encourage le méditant à répandre ce sentiment d'équanimité et de paix partout autour de lui, dans toutes les directions : « Le méditant demeure faisant rayonner la pensée d'équanimité dans une direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans une troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au travers, partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il demeure faisant rayonner la pensée d'équanimité, large, profonde, sans limite, sans haine et libérée d'inimitié ». Il s'agit que tous les êtres soient touchés en tous lieux de l'univers et en tout temps par cette grande paix.

    L'équanimité consiste donc à rester égal par rapport aux événements qu'ils soient positifs, négatifs ou neutre. Il s'agit de laisser passer tout ce qui peut lui arriver dans la vie et ne pas s'y attacher. Dans le Soûtra du Développement des Facultés Sensorielles (Indriya Bhāvanā Sutta, Majjhima Nikāya, III, 298-302), le Bouddha explique :

   « Lorsque qu'un pratiquant voit une forme matérielle grâce à ses yeux, il se produit chez lui une sensation agréable ou une sensation désagréable ou une sensation à la fois agréable et désagréable.

     Le pratiquant la reconnaît pour ce qu'elle est : « Voici une sensation agréable qui se produit en moi. Voici une sensation désagréable qui se produit en moi. Voici une sensation à la fois agréable et désagréable qui se produit en moi. Cette sensation se produit parce qu'elle est un fait conditionné ; elle est un fait grossier ; c'est un effet qui se produit par des causes. Cependant, c'est l'équanimité qui est pure, qui est excellente ».

   Lorsqu'il réfléchit ainsi, la sensation agréable ou la sensation désagréable ou la sensation à la fois agréable et désagréable s'estompe en lui. Enfin, c'est l'équanimité qui reste. Tout comme, ô Ānanda, un homme qui peut voir, ayant les yeux ouverts, les ferme ou, les ayant fermés, les ouvre, de même, ô Ānanda, c'est avec une telle vitesse, une telle rapidité, une telle aisance qu'une sensation agréable ou une sensation désagréable ou une sensation à la fois agréable et désagréable s'estompe. Enfin, c'est l'équanimité qui reste. Telle est, ô Ānanda, le développement de la faculté sensorielle concernant les formes matérielles connaissables par les yeux1 ».

     L'équanimité est donc intimement liée à la conscience de la fugacité de la sensation. La méditation de l'équanimité a donc ici pour préalable la méditation de l'impermanence. Bien sûr, on pourrait rétorquer qu'une sensation peut durer plus que quelques instants. Quand on est malade, la sensation douloureuse de notre corps peut durer des jours entiers. Mais quand on analyse finement cette sensation qui dure et qui dure encore, on se rend compte que cette sensation se décompose en une chaîne d'instants de sensation. La sensation désagréable que l'on éprouve durant la maladie n'est pas une seule sensation, mais une suite de sensations, comme un film est une suite d'images qui se succèdent sur la pellicule. Or l'équanimité agit dans l'instant présent de cette sensation : celle-ci ne dure qu'un instant comme un battement de paupières avant de laisser la place à une autre sensation.

    Le Bouddha applique, dans ce Soûtra du Développement des Facultés Sensorielles, le même raisonnement aux autres facultés sensorielles : l'équanimité dans l'instant de la sensation sonore est comparée au claquement de doigts, l'équanimité dans l'instant de la sensation olfactive est comparée à la goutte d'eau qui tombe et dévale d'une feuille de lotus. La fleur de lotus a la particularité de ne donner aucune adhérence à l'eau, ce qui fait que l'eau glisse particulièrement vite sur sa surface. L'équanimité dans l'instant de la sensation gustative est comparée à un crachat ; l'équanimité dans l'instant de la sensation tactile est comparée au fait de tendre un bras. Enfin, l'équanimité dans l'instant de la sensation mentale est comparée à une goutte d'eau qui tombe sur une plaque de four en fusion et qui s'évapore dans l'instant. L'équanimité qui se maintient dans la fugacité de l'instant permet de dissoudre cet attachement au sensation qui fait que l'on désire avidement les sensations plaisantes et que l'on rejette violemment toute sensation désagréable.

     Par ailleurs, l'équanimité provient aussi de la conscience de la causalité. Aucun phénomène n'existe de manière indépendante comme une fatalité tombée du ciel. Une fois que l'on comprend l'enchaînement des causes et des conditions qui ont fait advenir les événements auxquels nous sommes confrontés, on peut d'autant plus facilement les relativiser et s'apaiser par rapport à eux.

    Cette faculté d'apaisement n'est jamais pourtant vraiment totale. Peut-être chez un Bouddha est-elle totale, mais chez la plupart des pratiquants de la méditation, la vie n'est pas vécue de manière totalement égale et sereine. La colère et l'irritation pourront vous envahir. Certains maîtres zen étaient d'ailleurs connus pour leur coup de sang. On peut avoir des moments de déprime, être stressé, plonger dans le désespoir. L'équanimité n'agit pas nécessairement tout de suite, d'un seul coup, comme par un coup de baguette magique. L'équanimité agit le plus souvent lentement, doucement. Vous êtes envahis par une émotion, c'est naturel, et puis il faut avoir le réflexe de revenir à la méditation. Au lieu d'entretenir cette émotion perturbatrice et laisser courir les pensées incontrôlées comme un torrent impétueux, revenir à la conscience silencieuse du moment présent. Au début, c'est difficile parce que des orages de pensées noires nous traversent, notre corps est le témoin et la victime de ces crispations qui l'assiègent de toute part. Mais par la méditation de l'équanimité, cela redescend lentement. L'amour infini, la compassion infinie et la joie infinie finiront par chasser ces nuages noires qui planent sur notre esprit et feront revenir un ciel radieux dans notre flux de conscience.

      En fait, c'est vraiment une question d'avoir le réflexe de se tourner vers la pratique de shamatha / vipashyanā (quiétude & vision pénétrante) plutôt que de se laisser emporter par le flot émotionnel. Pour cela, il faut s'entraîner encore et encore à la méditation afin d'ancrer ce réflexe de la méditation au plus profond de nous-mêmes. Cela vient lentement, lentement, lentement.... L'équanimité n'est pas un ordre autoritaire que la raison pourrait décréter envers et contre tout dans notre psychisme. On dit souvent qu'un arbre qui pousse fait plus de bruit qu'une forêt qui tombe. Et la croissance de l'équanimité dans toutes les parties les plus fines de notre être est encore plus silencieuse, inodore, invisible... Il faut commencer par cultiver l'équanimité dans des petites choses, par exemple quand vous attendez votre bus et que vous vous impatientez de ne pas le voir venir. Progressivement, l'équanimité gagnera du terrain en nous.

      Mais cette équanimité ne sera jamais totale, sauf peut-être dans le cas hypothétique d'un Bouddha parfaitement accompli. En fait, il y a toute une mythologie tant dans la tradition gréco-romaine que dans les traditions indiennes ou chinoises dont il conviendrait de se défaire : c'est l'idée d'un Sage totalement impassible face à l'adversité de la vie, face même à la torture ou à des souffrances inimaginables. Rien ne pourrait le perturber. On trouve cela fortement inscrit dans l'éthique stoïcienne où le Sage reste de marbre face aux orages du Destin. En Inde, on imagine les bouddhas du bouddhisme et les rishis de l'hindouisme ainsi que les jinas du jaïnisme aussi imperturbables que les statues qui les représentent. Mais voilà, les Sages, les bouddhas, les jinas et les rishis ne sont pas des statues, mais des êtres humains faits de chair et de sang. Ce sont comme comme nous des êtres doués de sensibilité et de conscience, et ils ressentent au moins la douleur physique autant que nous. Bien sûr, on peut s'entraîner par un effort colossal de la volonté à maîtriser ses affects ; mais je me demande dans quelle mesure il n'y a pas un orgueil incommensurable à vouloir se faire plus imperturbable qu'un roc.

     En fait, la peur, le stress, l'angoisse sont des choses très désagréables, mais elles ne sont pas dénuées d'utilité pour notre survie et l'évolution de notre espèce. Supposons que nous soyons poursuivis par un lion. On a tout intérêt à avoir peur et à être stressé ! Cela nous donnera des ailes pour fuir au plus vite ce danger. Certes, quand la peur devient de la panique, on a souvent des réactions complètement irrationnelles et contre-productives : on reste figé et tremblant là où on devrait ses jambes à son coup, ou on fuit là où il serait beaucoup plus sensé de rester immobile et d'attendre que le danger passe. C'est pareil pour la colère. La colère est mauvaise si elle nous conduit à la violence, au ressentiment et à la malveillance. Mais rester de marbre face à une injustice peut donner à l'impression à celui qui commet l'injustice qu'il ne fait là rien de mal. Exprimer notre colère ou notre rébellion peut envoyer à l'autre le message qu'il fait quelque chose de mal.

      C'est pourquoi cette idée de rester imperturbable quoi qu'il arrive n'est pas nécessairement un bon idéal de sagesse à atteindre. J'y verrais pour ma part une vision figée et faussée de la sagesse. Le Bouddha n'hésitait pas à exprimer sa désapprobation devant le comportement de certains de ses disciples, voire à les réprimander vertement. Par ailleurs, certaines personnes sont plus sensibles que d'autres, certains personnes connaissent plus d'angoisse que la moyenne des gens, d'autres sont naturellement ou à cause des aléas de la vies plus frappées de dépression ou de désespoir. Je pense que la sagesse consiste à vivre de manière dynamique avec ce que nous sommes. J'ai souvent connu des crises d'angoisse ; et au début où je pratiquais la méditation, j'avais l'ardent désir de parvenir à apaiser totalement ces crises d'angoisse grâce à la pratique de shamatha / vipashyanā. Mais cette angoisse persistait au fil des ans où je pratiquais assidûment la méditation, plusieurs heures par jour. Je vivais cela comme un échec. Jusqu'au jour où j'ai compris que la méditation ne devait pas m'aider à éteindre l'angoisse, mais vivre tranquillement cette angoisse. Il m'arrive encore d'être traversé par des crises d'angoisse, mais je ne m'angoisse plus d'angoisser. Je vis ces moments désagréables d'angoisse avec une certaine équanimité comme quelqu'un qui serait malade d'une fièvre et qui doit bien prendre son mal en patience. Mais surtout je n'écoute plus le discours de cette angoisse, cette production infernale du mental qui se tracasse de tout et de rien. Je sais que c'est là : « il y a là de l'angoisse », mais je ne vois plus là une raison de perdre sa sérénité.




Ernst Baumann - Le lac de Zell en soirée - 1938






*****






       L'équanimité peut aussi être mise en relation avec les trois Portes de la Sagesse : vacuité, absence de caractéristique, absence de souhait. La vacuité désigne l'absence d'existence ultime des phénomènes. Les phénomènes n'ont pas la réalité qu'on leur porte. L'absence de caractéristique est la prise de conscience du fait que les concepts, les noms, les idées, les appréciations, les jugements ne sont que des étiquettes que l'on porte sur des phénomènes fluctuants et insaisissables : ces étiquettes conceptuelles ne renvoient à aucune réalité. Pourtant, nous avons la très forte tendance à conférer une réalité à nos concepts et aux caractéristiques dont nous affublons les phénomènes auxquels nous assistons. L'absence de souhait est la prise de conscience qu'il n'y a rien à attendre des phénomènes illusoires, rien à souhaiter, rien à désirer, simplement se contenter dans l'ici et maintenant, dans les choses telles qu'elles sont, et non telles que nous voudrions qu'elles soient.

      Si nous pratiquons l'équanimité en-dehors de ces trois portes de la sagesse, c'est déjà très bien somme toute, mais on ne dépassera pas le stade du monde de Brahma, monde divin fait d'une sublime paix, où tout est amour, compassion et joie, mais où on ne dépasse pas la dualité entre ce qui est bon et ce qui est mauvais. Le méditant équanime qui médite les quatre demeures de Brahma apaisera son esprit face à la douleur ou ce qui est pénible et ne s'emballera pas face à ce qui est plaisant et jouissif, mais il sera toujours confronté à la dualité de devoir endurer les choses pénibles et ne pas s'exciter excessivement devant les choses plaisantes. Jointe aux trois Portes de la Sagesse, la vacuité, l'absence de caractéristique et l'absence de souhait, l'équanimité prend une autre ampleur. Dans l'absence de caractéristique, on cesse de juger constamment les phénomènes et les diviser en bons et en mauvais. On prend conscience que ce ne sont que des divisions relatives qui n'ont pas cours dans l'absolu. Dans l'absence de souhait, on s'établit dans l'instant présent, ne souhaitant rien pour l'avenir. On se libère de cette propension fondamentale qu'ont tous les êtres à rechercher avidement le plaisir et le bonheur et à repousser frénétiquement la douleur et le mal-être. L'absence de souhait agit alors en amont de l'équanimité et la facilite grandement. Jointe aux Trois Portes de la Sagesse, l'équanimité devient un véritable facteur d’Éveil. D'ailleurs justement, dans la liste des sept facteurs d’Éveil, l'équanimité est le septième et le plus haut de ces facteurs d’Éveil2.


     Dans le Soûtra de la Distinction des Éléments (Dhātu Vibhanga Sutta, Majjhima Nikayā, III, 237-247), le Bouddha explique ce rôle de l'équanimité dans la méditation pour aller dans les plus hautes sphères de la concentration méditative3  (c'est moi qui met les intertitres):

« 1°) Prise de conscience de l'apparition et de la disparition des sensations agréables, désagréables ou neutres.

     Supposons, ô moine, que la chaleur soit obtenue, que la lumière soit produite par la frottement de deux pièces de bois. Lorsque ces deux pièces de bois se sont séparées, leur chaleur réciproque cesse, puis disparaît. Il en est de même, ô moine, d'une sensation agréable qui se produit du contact qui donne une sensation agréable. En éprouvant une sensation agréable, on sait : « je sens une sensation agréable ». Lorsqu'il y a cessation du contact qui a donné la sensation agréable, on sait : « La sensation agréable qui s'est produite à cause du contact qui a donné la sensation agréable a cessé, elle a disparu ».

     Supposons, ô moine, que la chaleur soit obtenue, que la lumière soit produite par la frottement de deux pièces de bois. Lorsque ces deux pièces de bois se sont séparées, leur chaleur réciproque cesse, puis disparaît. Il en est de même, ô moine, d'une sensation désagréable qui se produit du contact qui donne une sensation désagréable. En éprouvant une sensation désagréable, on sait : « je sens une sensation désagréable ». Lorsqu'il y a cessation du contact qui a donné la sensation désagréable, on sait : « La sensation désagréable qui s'est produite à cause du contact qui a donné la sensation désagréable a cessé, elle a disparu ».

     Supposons, ô moine, que la chaleur soit obtenue, que la lumière soit produite par la frottement de deux pièces de bois. Lorsque ces deux pièces de bois se sont séparées, leur chaleur réciproque cesse, puis disparaît. Il en est de même, ô moine, d'une sensation ni agréable, ni désagréable qui se produit du contact qui donne une sensation ni agréable, ni désagréable. En éprouvant une sensation agréable, on sait : « je sens une sensation agréable ». Lorsqu'il y a cessation du contact qui a donné la sensation ni agréable, ni désagréable, on sait : « La sensation ni agréable, ni désagréable qui s'est produite à cause du contact qui a donné la sensation ni agréable, ni désagréable a cessé, elle a disparu ».

2°) Développement et purification de l'équanimité

    Alors, ce qui reste, c'est l'équanimité, bien pure, bien propre, souple, docile et brillante. Supposons, ô moines, qu'un habile orfèvre ou apprenti-orfèvre prépare un four. Ayant préparé le four, il l'allume. L'ayant allumé, il prend l'or avec des pinces et le jette dans le four. Puis de temps en temps, il souffle sur le feu ; de temps en temps, il arrose légèrement le four et de temps en temps il le regarde attentivement. Voici que l'or devient clair, pur, net, propre, libre de scories, souple, malléable et brillant, à tel point que cet or rend possible la fabrication d'une bague, d'un bracelet, d'un collier ou d'une guirlande d'or comme on le veut. De même, ô moine, l'équanimité qui reste est pure, souple, docile et brillante.

3°) Entrée dans les absorptions méditatives des mondes divins Sans Forme.

     Le pratiquant comprend ainsi :

   « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère d'Espace Infinie, et si je développe ma pensée selon elle, alors cette équanimité reposant sur elle, nourrie par elle, restera auprès de moi pendant longtemps ».

   « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère de Conscience Infinie, et si je développe ma pensée selon elle, alors cette équanimité reposant sur elle, nourrie par elle, restera auprès de moi pendant longtemps ».

   « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère du Néant, et si je développe ma pensée selon elle, alors cette équanimité reposant sur elle, nourrie par elle, restera auprès de moi pendant longtemps ».

   « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère de Ni Perception, Ni Non-Perception, et si je développe ma pensée selon elle, alors cette équanimité reposant sur elle, nourrie par elle, restera auprès de moi pendant longtemps ».

4°) Détachement des Sphères des mondes divins Sans Forme.

    Ensuite, le pratique comprend :

  « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère d'Espace Infinie, et si je développe ma pensée selon elle, ce ne sera qu'une chose conditionnée. »

  « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère de Conscience Infinie, et si je développe ma pensée selon elle, ce ne sera qu'une chose conditionnée. »

  « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère du Néant, et si je développe ma pensée selon elle, ce ne sera qu'une chose conditionnée. »

  « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère de Ni Perception, Ni Non-Perception, et si je développe ma pensée selon elle, ce ne sera qu'une chose conditionnée. »


5°) Détachement et réalisation du Nirvāna

  Ainsi, sans produire les choses conditionnées, sans intention de devenir ou de rester sans devenir, désormais la pratiquant ne saisit plus rien. Puisqu'il ne saisit pas, il n'est pas troublé. N'étant pas troublé, il atteint le Nirvāna, et il sait : « Toute nouvelle naissance est anéantie ; la Conduite pure est vécue ; ce qui doit être achevé est achevé, il n'y a plus rien qui demeure à accomplir, il n'est plus de devenir ». »











1On trouvera une traduction du Soûtra du Développement des Facultés Sensorielles dans : Môhan Wijayaratna, « Sermons du Bouddha », Points / Sagesse, Paris, 2006, pp. 185-195.

2Les sept facteurs d’Éveil sont : 1°) l'attention, 2°) l'investigation des Dharmas, 3°) la persévérance, 4°) la joie, 5°) la souplesse, 6°) la concentration, 7°) l'équanimité.


3Môhan Wijayaratna, « Le Bouddha et ses disciples », éd. Cerf, Paris, 1990, pp. 236-237.























Qu'est-ce que la compassion?

        On pense parfois que la compassion consiste à s'affliger soi-même de la détresse des autres, mais, dans la philosophie du Bouddha, rien de tout cela : la compassion est définie comme le souhait ardent que les autres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance.


- Compassion (Dalaï-Lama)


Esprit d’Éveil

     Comment produire l'esprit d’Éveil ou bodhicitta? L'esprit d’Éveil est le souhait que tous les êtres soient libérés de la souffrance et deviennent des êtres pleinement éveillés. Les enseignements du lama tibétain Dza Patrül Rimpotché (XIXème siècle). 



Joie 

   Qu'est-ce que la joie spirituelle prônée par le Bouddha ?



- Éros, philia et agapé

   Réflexions sur les différentes formes de l'amour



- Empathie et altruisme

   Développer l'empathie et l'altruisme selon la philosophie bouddhiste






    Le bonheur est-il en nous ? Ou se trouve dans notre relation avec les autres ?



- En compagnie du souffle - 4ème partie



- Des montagnes et des plaines (Fernando Pessoa)

   Sur les inégalités de la vie...


- L'équanimité de l'Arahant (Nāgasena) et mon commentaire

    En quoi l'Arahant est encore touché par les sensations physiques, mais n'est pas affectée par elle. En quoi il a cessé d'éprouver des sensations mentales.





S.M.H. Amsterdam







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samedi 16 avril 2016

Cagnes-sur-Mer

Cagnes-sur-Mer

Jacques Prévert


Cagnes-sur-Mer
Soleil de novembre et déjà de décembre et bientôt de janvier
Fête de la Jeunesse et fête de la Paix
Eaux claires de la lune
dansez sur les galets
Dans les filets du vent
des sardines d'argent
valsent sur l'olivier
et des filles de Renoir
dans les vignes du soir
chantent la vie l'amour
et le vin de l'espoir
Cagnes-sur-Mer
jolie tour de Babel aimée des étrangers
Pierre blanche sur la carte
des pays traversés et jamais oubliés
Danse danse jeunesse
danse danse pour la Paix
danse danse avec elle
sans jamais l'oublier

Elle est si belle si frêle
et toujours menacée
et toujours vivante et toujours condamnée

samedi 26 mars 2016

Faut-il arrêter de bombarder Daesh ?



    Je suis tombé ce matin par la grâce des réseaux sociaux sur cette page de la télévision suisse RTS qui donnait la parole à Jacques Baud, spécialiste suisse du renseignement et du terrorisme. Selon lui, « si l'on arrêtait les bombardements sur la Syrie, les attentats cesseraient probablement ». Jacques Baud prend l'exemple de l'attentat à la gare d'Atocha de Madrid en 2004 pour appuyer ses dire. Quelques jours après les attentats, les élections avaient balayé les partis de droite au pouvoir, et l'Espagne avait retiré ses troupes d'Irak. Plus aucun attentat islamiste n'a été perpétré dans ce pays depuis lors. Jacques Baud fait valoir aussi que quand Daesh revendique les attentats de Bruxelles, de Paris ainsi que les autres sur le sol européen, il le fait en donnant comme cause explicite les bombardements occidentaux. Jacques Baud rappelle que ceux-ci ont fait entre 2000 et 4000 victimes civiles, soit plus que les victimes civiles de tous les attentats perpétrés sur le sol européen (mais moins que la somme totale des victimes du terrorisme de Daesh si l'on considère les attentats commis au Moyen-Orient, en Afrique ou Asie, plus de dix mille morts au total). C'est un fait que les médias et les experts invités à longueur de journée sur les plateaux de télévision passent généralement sous silence.

    Je trouve que cela mérite réflexion. On ne peut pas sans cesse voir uniquement l'aspect des pays européens frappés par un terrorisme que l'on ne comprend pas et de l'autre ce qui passe en Syrie et en Irak et qui est complètement occulté par les médias européen avec cette idée que les bombardements européens frapperaient uniquement les méchants barbares terroristes, barbus et tout de noir vêtus, sans toucher le moindre cheveu d'un civil innocent. C'est la vieille idéologie des « frappes chirurgicales » qui est constamment remise sur le tapis. On ne peut pas vivre dans le déni de cette violence-là. Pour autant, est-il vraiment judicieux pour les pays occidentaux de cesser de combattre l'idéologie haineuse de Daesh ? Peut-on vraiment arrêter les jihadistes avec des fleurs ?