Pages

Affichage des articles dont le libellé est joie. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est joie. Afficher tous les articles

lundi 27 avril 2020

Distinguer les quatre qualités





La semaine passée, j'ai parlé des quatre qualités incommensurables dans le bouddhisme : l'amour bienveillant, la compassion, la joie et l'équanimité. Un internaute m'a fait cette objection : « Compassion, joie, équanimité sont toutes contenues dans l'Amour. L'Amour au sens d'Agapé inclut absolument tout ». On peut défendre cette idée, pourquoi pas. L'amour bienveillant, illimité, inconditionné engloberait les autres qualités dans quelque chose de transcendant qu'on appellerait Amour, Agapé pour reprendre le mot grec qui désigne l'amour de charité ou Maitri. On pourrait appeler cela la « Grande Compassion », Maha Karuna, comme on le fait dans le bouddhisme du Grand Véhicule, la volonté de ne pas quitter sans monde de souffrance tant que tous les êtres n'auront pas connu l'extinction totale et définitive de la souffrance.


Pour moi, l'amour et la compassion sont les deux faces d'une même pièce. L'amour est le souhait d'ardent que tous les êtres sensibles soient heureux et connaissent les causes du bonheur. La compassion est le souhait ardent que tous les êtres soient sensibles soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance. La joie est le fait que cette pièce soit fait d'or et qu'on puisse acheter beaucoup de belles choses pour le bonheur du monde. L'équanimité est le fait que cette pièce d'or n'appartient à personne et enrichit le monde sans distinction et sans condition, au contraire de l'argent de ce monde qui suscite tous les égoïsmes, toutes les avidités.



Il serait peu pertinent de traiter ces quatre qualités, amour, compassion, joie et équanimité comme des entités distinctes et complètement séparées. Ces quatre qualités ont bien sûr un lien profond. Néanmoins, il me semble nécessaire de les distinguer d'un point de vue psychologique. Si on ne parlait que de l'amour ou que de la compassion, on pourrait tomber dans certains travers, confondre l'amour avec une illusion d'amour et confondre la compassion avec une illusion de compassion.


Pour prendre l'exemple de l'amour :
  • L'amour sans l'équanimité peut conduire à la partialité et à l'attachement : on confondrait l'amour impartial et inconditionnel avec l'amour passionnel ou l'amour pour sa famille qui se concentrent sur une ou quelque personnes, là où l'amour inconditionnel s'étend à l'ensemble de l'humanité, voire même à l'ensemble des êtres doués de conscience et de sensibilité dans le bouddhisme.

  • L'amour sans la compassion peut conduire à une béatitude indifférente aux misères du monde : on ne voit plus que le bonheur des êtres sans voir la face sombre de l'existence et sans être solidaire de ceux qui sont dans le tourment.

  • l'amour sans la joie est trop statique et sans communion. La joie se réjouit des potentialités de chacun pour s'améliorer et améliorer le monde. La joie donne l'enthousiasme de changer les choses et de faire tous les efforts qui vont contribuer à cela.


Cela vaut aussi pour la compassion. On ne peut pas la penser indépendamment des autres qualités qui la complètent :


  • La compassion sans l'amour conduirait à ce que les psychologues appellent la détresse empathique : on ne verrait plus que le côté négatif de l'existence et on serait englouti dans le malheur des autres.

  • La compassion sans la joie serait une sorte de marasme et de complaisance dans la fatalité : l'impression ou la conviction que les êtres ne sortiront jamais du marécage de l'existence où l'on s'enfonce inexorablement, comme ces films noirs qui n'entrevoient aucune issue, aucun happy end à leurs (anti)héros.

  • La compassion sans l'équanimité nous ferait tomber dans la partialité : estimer qu'une catégorie de personnes mériteraient d'être aidées et pas les autres. La compassion sans l'équanimité conduirait aussi à ne pas relativiser les choses, à voir tout comme une catastrophe indépassable.



La joie a aussi besoin des autres qualités sur lesquelles elle peut s'appuyer et pour faire sens :


  • La joie sans l'amour viserait de mauvais buts : elle ne contribuerait pas au bonheur de tous. Comme des fêtards qui ne pensent qu'à la fête du soir sans soucier du lendemain et sans se soucier des voisins de l'étage en-dessous qui essaient de dormir.

  • La joie sans la compassion serait une sorte d'euphorie sans aucun réalisme. Ce serait une fuite des problèmes : comme le fêtard qui fait la fête pour oublier tous les problèmes qui s'accumulent et auxquels il n' a pas la force de faire face.

  • La joie sans l'équanimité serait comme un coureur qui démarrerait sa course avec un sprint alors qu'il a un marathon à courir. La joie a besoin de la paix de l'équanimité pour ne pas s'épuiser tout de suite.


Enfin, l'équanimité a également besoin de s'appuyer sur les autres qualités pour être cohérentes :


  • L'équanimité sans l'amour manquerait considérablement de chaleur humaine et de luminosité.

  • L'équanimité sans la compassion dériverait en une complète indifférence aux sorts des autres. Tout serait égal, bonheur et souffrance. Et on ne se soucierait pas des problèmes et des tragédies des autres.

  • L'équanimité sans la joie conduirait à une forme d'inertie où peu importerait la libération, l'effort vers le bonheur et le bien-être puisque tout serait égal, indifférent.




Frédéric Leblanc, 
le 27 avril 2020.






lundi 1 juillet 2019

Comme une olive mûre






Considérer sans cesse combien de médecins sont morts, qui ont si souvent froncé les sourcils sur leurs malades; combien d’astrologues, après avoir prédit, comme chose d’importance, la mort d’autrui; combien de philosophes, après mille discussions sur la mort ou l’immortalité; combien de chefs, qui ont fait mourir beaucoup d’hommes; combien de tyrans, qui, avec un terrible orgueil, ont usé, comme des dieux, de leur pouvoir sur la vie des hommes; combien de villes entières sont, pour ainsi dire, mortes: Hélice, Pompéi, Herculanum et d’autres sans nombres. Ajoutes-y tous ceux que tu as connus, l’un après l’autre; l’un rend les honneurs funèbres à un autre; puis, il est lui-même étendu par un autre, qui reçoit les honneurs d’un autre encore; et tout cela en peu de temps. Bien voir toujours au total combien sont éphémères et sans valeur les choses humaines; hier un peu de morve; demain une momie ou des cendres. Ce petit instant du temps de la vie, le traverser en se conformant à la nature, partir de bonne humeur, comme tombe une olive mûre, qui bénit celle qui l’a portée et rend grâce à l’arbre qui l’a fait pousser.

Marc-Aurèle, Pensées, IV, 48, trad. Emile Bréhier.



jeudi 23 août 2018

La boîte de Pandore




La boîte de Pandore




     Voilà un des mythes les plus célèbres de la mythologie grecque. Tout commence avec Prométhée qui, décidément, agissait un peu trop en faveur des humains aux yeux de Zeus, le roi de l'Olympe. Quand Prométhée et son frère Épiméthée avaient été chargés de créer et d'ordonner le monde des mortels, alors qu'Épiméthée avaient oublié de donner des dons et des qualités aux êtres humains tel qu'il l'avait fait pour le reste des animaux, Prométhée avait rattrapé le coup en allant voler le feu dans la forge d'Héphaïstos, le dieu forgeron, et les savoirs techniques dans la bibliothèque d'Athéna. Pour éviter que l'utilisation du feu et des armes ne se retournent contre les humains, il avait intercédé auprès de Zeus et Hermès pour inscrire dans le cœur des hommes le sens de la justice et le sens de la honte afin que les mauvaises actions ne prolifèrent pas et rendent impossible toute fondation d'une Cité, un État politiquement organisé qui permet aux hommes de dépasser leurs faiblesses individuelles.

mercredi 15 août 2018

Bonheur et non-être




Bonheur et non-être


     Suite à mon article « Hédonisme et eudémonisme (2ème partie) », l'internaute Degun m'a objecté ceci : « Je me pose une question : la cessation de la souffrance implique-t-elle un état de bonheur comme tu le postules ? Peut-être, d'une certaine manière, mais je ne vois pas vraiment les choses comme ça, je vois plutôt la cessation de la souffrance comme une dissolution du moi et/ou de l'être personnel (je sais pas trop comment appeler ça à vrai dire), après la mort du moins (je ne sais pas si le plein éveil peut se produire durant la vie et j'ai en fait du mal à entrevoir comment un être pleinement éveillé serait vraiment en ce monde, certes il existe des êtres "relativement" éveillés qui vivent en ce monde mais je ne sais pas à quoi ressemble leur "monde intérieur"). En somme, la cessation de la souffrance va de pair dans ma pensée avec un "non-être", bonheur et malheur n'ayant plus de sens dans ce cas, et qui exclut bien entendu de facto toute incarnation. En gros, c'est plutôt la libération totale que le bonheur qui me motive ». Ce présent article est donc une réponse à cette objection.


    Mais avant même de développer, je veux réaffirmer catégoriquement : oui, la cessation de la souffrance implique un état de bonheur. Oui, il ne s'agit pas seulement d'être débarrassé de telle ou telle sensation désagréable, mais résider durablement dans le bonheur. Quand le Bouddha parle de cessation de la souffrance, c'est pour éviter une confusion concernant toutes les représentations possibles concernant le bonheur : une personne considérera que le bonheur, c'est être riche ; pour une autre, le bonheur, c'est connaître la gloire ; certains estimeront que c'est la bonne santé, d'autres encore la famille qui fait le bonheur, et ainsi de suite... Le bonheur dont on parle ici une disposition intérieure qui s'affranchit des événements et des situations et qui nous permet de mieux apprécier l'existence.


     Par rapport à l'argument de Degun : « Je vois plutôt la cessation de la souffrance comme une dissolution du moi et/ou de l'être personnel (...) En somme, la cessation de la souffrance va de pair dans ma pensée avec un "non-être", bonheur et malheur n'ayant plus de sens dans ce cas, et qui exclut bien entendu de facto toute incarnation », il faut bien constater que certains éléments de langage de la philosophie bouddhique peuvent faire penser cette thèse qui veut que le problème de la souffrance se réglerait purement et simplement par le « non-être », le fait de régler le problème en supprimant celui qui éprouve le problème : plus personne pour éprouver le problème, donc plus de problème ! Dans les soûtras anciens, l'accès au Nirvāna par la méditation est appelé « sphère de cessation des sensations et des perceptions ». Cette cessation des sensations et des perceptions laisse envisager la suppression de tout ressenti comme si on devenait une pierre.


       Mais je suis convaincu que cette cessation des sensations et des perceptions n'est pas une coupure du bonheur, mais un bonheur au-delà du bonheur, un bonheur, une béatitude qui n'est pas enchaînée dans la dualité du bonheur et du malheur. Quand on observe la progression de la méditation dans le bouddhisme ancien, on voit que les états de méditation commencent par s'élever vers des états divins de félicité toujours plus élevés. La cosmogonie bouddhique compte trois types de dieux par ordre d'élévation : les dieux du monde du désir, les dieux du monde de la forme et les dieux du monde de la sans-forme.


    Les dieux du monde du désir vivent comme nous des expériences de plaisir, mais c'est un plaisir beaucoup plus intense, beaucoup plus durable, beaucoup plus subtil et raffiné, mais sans la contrepartie des déplaisirs : un vin divin vous envoie dans une griserie envoûtante des jours entiers, sans lendemains vaseux.


     Dans le monde divin de la forme, on se détache de cette obsession pour les objets extérieurs, on s'installe dans son être qu'on raffine jusqu'à obtenir un corps de lumière. C'est à ce niveau que correspondent dans la méditation les 4 jhānas, les absorptions méditatives qui sont un stade important à franchir : dans un premier stade, on continue à éprouver des pensées et des raisonnements, de la joie et du bonheur. Dans le second stade, les pensées et les raisonnements s'évanouissent pour laisser place à une expérience pure. Dans le troisième, la joie s'évanouit, ne reste que le bonheur et l'équanimité. Et dans le quatrième jhāna, le bonheur s'évanouit à son tour, ne laissant qu'une attention et une équanimité parfaite. On voit qu'on a déjà là les prémisses d'une libération du bonheur. On n'est plus assujetti à la recherche du bonheur, mais en soi, ce n'est pas « rien » : cet état d'équanimité et de sérénité est une plus grande béatitude, qu'on en peut pas reporter dans nos termes d'être humain.


      Dans les états du monde divin de la sans-forme, on fait l'expérience de l'infini : espace infini, puis conscience infinie. Puis on s'abolit soi-même dans la sphère du Néant avant de faire l'expérience de l'état paradoxal de la sphère de ni perception, ni non-perception. Quand on a franchi toutes ces expériences de l'infini et qu'on voit la véritable nature des phénomènes, c'est alors qu'on fait l'expérience de la « sphère de cessation des sensations et des perceptions », soit l'entrée dans le Nirvāna.


    Au fond, ce que dit ce parcours dans les états de concentrations méditatives, ce qu'on va toujours vers un bonheur plus profond, plus rayonnant, des états de béatitudes toujours plus élevés. Par ailleurs, la « cessation des sensations et des perceptions » n'est pas seulement une disparition totale du sujet conscient ; c'est une immersion dans l'interdépendance de tous les phénomènes. Il en résulte que le bonheur n'est pas un bonheur strictement individuel, qu'on garde égoïstement pour soi-même, mais un bonheur partagé.


     C'est pourquoi la compassion et le vœu altruiste d'aider tous les êtres est si important dans la philosophie bouddhique. Cette compassion infinie s'accompagne des 3 autres des quatre qualités incommensurables : l'amour bienveillant, l'équanimité, mais ici surtout, de la joie qui consiste à s'émerveiller encore et encore de la possibilité de ce que les êtres ont en eux-mêmes la capacité de résoudre tous ces problèmes, toutes ces souffrances.


     Bien sûr, le tableau de ce monde peut sembler sombre, empli de cruauté et de misères incessantes. Mais nous avons la possibilité de trouver des solutions diverses et variées et d'apporter du réconfort au monde. C'est pourquoi la joie est ici une énergie fondamentale à mettre en œuvre dans la pratique du Dharma. Non pas une joie naïve qui évoluerait la fleur au chapeau dans un monde d'illusions et d'arc-en-ciel, mais la joie qui se sait dans les ténèbres et donne la force d'en sortir. C'est pourquoi le Bouddha insiste souvent sur la notion de pratiquer le Dharma comme si nos cheveux avaient pris feu. Le monde entier est dans le feu de la douleur ; et c'est ici et maintenant qu'il faut aider soi-même et les autres pour sortir de cette douleur.



*****




        Donc, même si nous n'avons pas atteint le stade ultime de la « sphère de cessation des sensations et des perceptions », le fait de pratiquer le Dharma - d'adopter une conduite éthique bienveillante envers autrui et soi-même, de pratiquer régulièrement la méditation et de développer la sagesse – contribue à nous rendre plus heureux. Attention ! Je ne veux pas faire de fausse promesse : je ne dis pas que notre conception particulière du bonheur sera satisfaite. Si, par exemple, vous voulez réussir à tout prix dans votre carrière, je ne dis pas que la pratique du Dharma soit une garantie de cette réussite. On entend trop souvent des « coachs en pleine conscience » qui vante l'augmentation des performances au boulot grâce à la méditation. Je n'ai personnellement aucune certitude à vous vendre sur le sujet. Peut-être que votre carrière sera un brillant succès, peut-être que ce sera un plantage intégral, peut-être plus probablement que ce sera un résultat grisâtre entre ces deux extrêmes. 


       Mais quel que soit l'état de votre carrière, la pratique du Dharma transformera votre disposition d'esprit, votre manière d'appréhender les phénomènes, et cela améliora votre existence, d'une manière parfois inattendue. Je ne peux pas non plus vous garantir que la pratique du Dharma vous conférera une humeur toujours rayonnante : la pratique du Dharma n'immunise pas contre les coup de blues, les moments de dépression et de désespoir, mais elle donne la capacité de traverser ces états négatifs et retrouver une joie profonde de vivre.













Masao Yamamoto







Voir également : 


- Hédonisme et eudémonisme : 1ère partie - 2ème partie


Joie (Qu'est-ce que la joie spirituelle prônée par le Bouddha ?)


La douleur d'un arahant (Nāgasena) et son commentaire



Esprit d’Éveil

     Comment produire l'esprit d’Éveil ou bodhicittaL'esprit d’Éveil est le souhait que tous les êtres soient libérés de la souffrance et deviennent des êtres pleinement éveillés. Les enseignements du lama tibétain Dza Patrül Rimpotché (XIXème siècle). 








Un bien véritable (Spinoza)




Si c'est le bonheur que tu cherches (Chengawa Lodrö Gyaltsen)


Sans savoir pourquoi (Sōseki Natsume)




En repos dans une chambre (Blaise Pascal)


Une fête en larmes (Jean d'Ormesson)














"Emma at Red Canyon"
(près de Las Végas, USA)
Photographie de Tamara Lichtenstein













Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.




vendredi 16 février 2018

Les quatre incommensurables selon le bouddhisme tibétain




Les quatre incommensurables selon le bouddhisme tibétain




       Ce texte que vous êtes en train de lire est le premier d'une petite série sur la présentation des quatre qualités incommensurables – amour, compassion, joie et équanimité – dans l'école nyingmapa du bouddhisme tibétain. Il s'agira à chaque fois de commentaires d'un passage de « Notes de mémoire sur le Chemin de la Grande Perfection » de Ngawang Palzang (1879 - 1941), qui est lui-même un commentaire du « Chemin de la Grande Perfection » de Dza Patrül Rimpotché (1808 – 1887) qui est lui-même un commentaire de « L'essence du cœur de l'immensité » de Jigmé Lingpa (1730 – 1798). Le « Chemin de la Grande Perfection » ainsi que les « Notes de mémoire sur le Chemin de la Grande Perfection » ont été publiés aux éditions Padmakara, le premier en 1997 et le second en 2014 (pp. 157 – 174). Les parties en italique sont le texte de « Notes de mémoire sur le Chemin de la Grande Perfection » (pp. 158 – 161).

dimanche 24 décembre 2017

Joyeux Noël




Bonsoir,


     Je voudrais souhaiter à tout le monde un joyeux Noël et de très bonnes fêtes. Plein de joie et de bonheur, si possible sans foie gras et sans cruauté à l'égard des animaux. Amusez-vous, riez, partagez, soyez heureux.


     Il est vrai que les fêtes ne sont pas toujours un moment de bonheur pour beaucoup de gens qui sont seuls ou qui se sentent abandonnés. Armistead Maupin disait d'ailleurs à ce sujet : « Noël est une conspiration pour bien faire sentir aux célibataires qu'ils sont seuls ». À tous ceux-là, à tous ceux qui ont le cafard en cette veille de Noël, à tous ceux qui voient les choses en noir, à tous ceux qui sont malades ou blessés, à tous ceux qui passent les fêtes de Noël sur un lit d'hôpital, à tous ceux qui sont dans la rue, à tous qui ont froid, à tous ceux qui ont faim, à tous ceux qui ont un peur dans un camp de réfugié ou dans une ville en état de guerre, à tous ceux-là, j'ai une pensée de compassion. Puissiez-vous être libérés de toute souffrance, de toute peur, de tout inconfort ! Puissiez-vous voir la lumière dans la nuit obscure, puissiez-vous retrouver le réconfort ! Que ce monde ait un plus de chaleur humaine et de fraternité à offrir !


     Une pensée émue aussi pour tous ceux qui doivent endurer leur belle-mère insupportable lors de ce réveillon de Noël ou les discours du vieil oncle raciste. Une pensée pour tous ceux qui voudraient être ailleurs, ceux pour qui l'ambiance est un peu lourde, ceux qui en ont marre des fêtes, ceux qui s'ennuient, ceux qui font attention à leur ligne et qui voient les calories défiler à l'apéro, à l'entrée, aux plats de résistances, au dessert, à ceux qui sont saouls et qui auront demain une gueule de bois, à ceux qui sont saouls et qui feraient mieux de ne pas reprendre le volant ! Que ce moment de fête soit vraiment un moment de fête, et s'il ne l'est vraiment pas, rappelez-vous ce que le Bouddha a dit à propos de l'impermanence !


      Enfin, je me rappelle qu'on m'a souvent dit que le jour de Noël et le jour de l'an étaient les jours des hypocrites, parce que tout le monde souhaite « Joyeux Noël ! Bonne année ! » à des gens qu'ils n'apprécient pas nécessairement, avec qui ils sont en froid ou qu'ils détestent même cordialement. Je ne suis pas d'accord. Il y a quelque chose d'essentiel de souhaiter de bonnes choses, même aux gens que l'on n'aime pas nécessairement. Dans la philosophie bouddhique, on parle de l'esprit d’Éveil, bodhicitta en sanskrit. Cet esprit d’Éveil s'étend à tout le monde, y compris à nos pires ennemis ou aux gens qui nous semblent méprisables. Il y a un moment où il faut pouvoir dépasser ses haines et ses aversions. Souhaiter le bien même aux gens avec qui on est en conflit, ce n'est pas de l'hypocrisie, c'est planter des graines pour la paix future, pour l'entente et la concorde à venir. Et il faut s'exercer à cet esprit d’Éveil le plus souvent possible. Que tous les êtres soient heureux et qu'ils soient libérés de toute souffrance !


     Comme le Bouddha le dit dans le Soûtra de l'Amour (Metta Sutta) :

« Que tous les êtres soient heureux.
Qu’ils soient en joie et en sûreté.
Tout être vivant, faible ou forte, élevé
Moyen ou bas, petit ou grand, visible ou invisible,
Près ou loin, né ou à naître,
Que tous ces êtres soient heureux.


Que nul ne déçoive un autre ni ne méprise aucun être
Si peu que ce soit.
Que nul, par colère ou par haine, ne souhaite du mal à un autre.


Ainsi qu’une mère au péril de sa vie,
surveille et protège son unique enfant,
Ainsi, avec un esprit sans entrave
doit-on chérir toute chose vivante,
aimer le monde en son entier,
Au dessus, au dessous, et tout autour, sans limitation
Avec une bonté bienveillante et infinie. »




lundi 4 septembre 2017

Sans savoir pourquoi



Sans savoir pourquoi
j'aime ce monde
où nous venons pour mourir

Sōseki Natsume (漱石 夏目, 1867 – 1916)



vendredi 11 août 2017

Une fête en larmes



L'essentiel est d'accepter que le monde soit cette fête en larmes.

Jean d'Ormesson







Guinguette dans la banlieue parisienne, le 14 juillet 1945
Robert Doisneau







     Jolie sens de la formule chez un auteur que j'avoue n'avoir jamais lu, peut-être à tort. Il m'a toujours semblé un peu trop convenable comme auteur. C'est certainement un préjugé pour cet écrivain très médiatique dans la vie littéraire française. Mais c'est surtout ici cette petite sentence qui m'intéresse, plus que son auteur. En une petite phrase ramassée, elle me parle de trois thèmes importants : l'acceptation, la joie et l'insondable tristesse de ce monde. Sarva dukkham : « Tout est souffrance », nous a dit le Bouddha. Au XIXème siècle, les érudits occidentaux voyaient dans le bouddhisme une forme de pessimisme radical. Une mélancolie qui ne trouverait son remède que dans l'anéantissement total. Ils n'avaient pas eu l'occasion de beaucoup parler à des maîtres bouddhistes... S'ils l'avaient fait, ils seraient rendu compte de la joie et du sourire que ceux-ci manifestent régulièrement dans la vie quotidienne. La joie dans la philosophie du Bouddha est une des quatre qualités incommensurables avec l'amour bienveillant, la compassion et l'équanimité. Cette joie célèbre ce qu'il y a de bon et de lumineux dans l'existence. Pourtant, elle n'est pas de la frivolité, un oubli, un divertissement ; cette joie reste très lucide face à la douleur qui envahit le monde. Une fête en larmes.



     Voilà ce qu'il nous faut accepter. Ce mélange indissoluble de joies et de peines, de rencontres et de pertes, de vies et de morts, d'enthousiasmes et d'ennuis, d'espoirs et de craintes. En même temps, cette acceptation donne une direction. Il s'agit aussi de célébrer la convivialité, le partage, la camaraderie, l'amitié, tout un art de vivre pour rendre notre présence en ce monde agréable et plaisante aux autres. Que ce passage sur Terre soit une fête, cela aussi, il faut y travailler. Ce sera une fête en larmes, mais au moins ce sera une fête. La convivialité, la chaleur humaine et la joie rendront nos instants plus beaux. 



dimanche 2 juillet 2017

Un coq pour Asclépios






Un coq pour Asclépios






      Il y a cet épisode singulier de la philosophie où Socrate boit la ciguë. Cela nous est raconté par Platon dans le Phédon :

mardi 16 mai 2017

L'appétit et la joie de vivre





L'appétit et la joie de vivre





   « Tu as le droit de tuer un animal pour t'en nourrir à condition que ta joie de le manger soit plus grande que la joie qu'il avait à vivre ».


samedi 31 décembre 2016

Faire rayonner les quatre qualités



Faire rayonner les quatre qualités



     Une dimension importante de la méditation bouddhique est la pratique des quatre qualités incommensurables. Ces quatre qualités incommensurables sont l'amour bienveillant incommensurable, la compassion incommensurable, la joie incommensurable et l'équanimité incommensurable. On appelle également cette pratique « les quatre demeures de Brahmā » parce que le monde divin de Brahmā est dépourvu d'éléments grossiers comme la terre, l'eau, le feu ou l'air comme dans notre monde physique, mais est entièrement composé d'amour, de compassion, de joie et d'équanimité qui s'étendent à l'infini.

      Je pense vraiment que c'est là une pratique essentielle que d'accoutumer sans cesse notre esprit à ces quatre qualités incommensurables, et je voudrais ici inviter tout le monde à découvrir à cette dimension de la méditation. Dans les soûtras, le Bouddha revient souvent avec la même formulation de la méditation des quatre qualités incommensurables :

dimanche 4 décembre 2016

Une cure d'extraordinaire



Une cure d'extraordinaire




Je me suis fait à l'idée que la vie n'avait pas à être extraordinaire.

Robert Smith





Robert Smith







     D'ordinaire, je mets en exergue sur mon blog « Le Reflet de la Lune » des sentences qui font sens, qui me touchent ou qui exprime une parole de sagesse. Ici, c'est l'exact contraire. Cette phrase, prononcée par Robert Smith, le chanteur et leader du groupe de rock « The Cure », exprime tout ce contre quoi j'essaye de résister au jour le jour: la dépression, le fait d'être blasé de la vie et se complaire dans la négativité pour le plaisir de se complaire dans la négativité, ou encore par paresse de ne pas se remettre en question et de ne pas fournir des efforts pour améliorer les choses. Quand j'ai entendu cette réflexion de Robert Smith à un moment de ma vie où j'étais particulièrement déprimé, cela fut très douloureux, parce que, précisément, l'idée qu'il faut se faire à l'idée qu'au fond la vie est moche, sans éclat, terne et qu'il n'y a rien à attendre d'elle m'était complètement insupportable. Je sentais qu'il fallait résister contre ce marasme ; mais ce n'est pas facile quand on est traversé par plein d'idées noires.

    La vie doit être extraordinaire. Pas seulement notre vie, mais la vie de tout un chacun. Je ne veux pas dire que l'on doive impérativement faire des choses extraordinaires pour que notre vie soit extraordinaire, comme faire l'ascension de l'Everest, gagner un milliard de dollars ou se baigner dans sa piscine privée avec les stars de Hollywood. L'extraordinaire peut se manifester dans une vie parfaitement ordinaire. L'extraordinaire demeure dans la conscience et la perception de celui qui s'étonne et s'émerveille de la vie. En même temps, l'extraordinaire se trame dans nos relations aux autres. L'extraordinaire surgit dans des moments de vie, et il faut être prêt à le saisir que l'on soit seul ou avec les autres.

vendredi 2 septembre 2016

Les quatre demeures de Brahmā





      Il y a dans le bouddhisme cette pratique méditative que l'on appelle les « quatre demeures de Brahmā » : il s'agit de l'amour illimité, de la compassion illimitée, de la joie illimitée et de l'équanimité illimitée. Ce nom fait référence au dieu de l'hindouisme Brahmā ; et on retrouve cette pratique des quatre qualités illimitées ou incommensurables dans les textes hindous, dans le Yoga Sûtra de Patañjali par exemple. On la retrouve aussi dans les textes jaïns. Le Bouddha voulait très probablement qu'on admette que les religions et les courants spirituels et philosophiques partagent une base commune, même si ils diffèrent, voire s'opposent sur certains points. Mais il y a une autre raison à ce que l'amour illimité, la compassion illimitée, la joie illimitée et l'équanimité illimitée soient appelées « quatre demeures de Brahmā » : selon la cosmologie bouddhique, le monde divin de Brahmā qui chapeaute tous les mondes ayant une existence physique est composé d'amour, de compassion, de joie et d'équanimité. Tout comme notre monde matériel sur la Terre est faite de terre, d'eau, de bois, de métal, d'air, de feu et de tous les éléments matériels ont fabriqué à partir des ressources de la nature comme le verre, la brique, le plastique, etc..., les éléments constituants de l'univers de Brahmā sont matériellement faits de cet amour, de cette compassion, de cette joie et de cette équanimité, et cela à perte de vue, au-delà de tout ce qu'on peut imaginer. On ne veut pas simplement dire que l'amour règne dans ce monde, un peu comme dans le monde des bisounours, mais que l'amour, la compassion, la joie et l'équanimité sont les briques et les atomes de ce monde. Non pas un univers clos, mais une vastitude infinie dans laquelle nous nous sentons immergés, en communion avec tous les êtres.

jeudi 4 août 2016

Visite à un moine sans le rencontrer




Composé lors d'une visite à un moine de la montagne sans le rencontrer


le sentier pavé de pierres pénètre dans un val de cinabres
le portail en branchages de pin est bloqué par de la mousse verte
sur le perron désert, des traces d'oiseaux
dans la salle de méditation, personne pour ouvrir
je regarde par la fenêtre, une brosse blanche,
couverte de poussière, est accrochée au mur
vaine visite, je soupire
sur le point de repartir, je musarde un moment
des nuages parfumés s'élèvent de la montagne
une pluie de pétales de fleurs tombe du ciel
joyeuse est la musique céleste
plus encore, les cris plaintifs des gibbons
allègre, dégagé des affaires du monde,
ici, je me sens à l'aise


Li Bo (Chine, 701-762)1.








      Voilà un poème très intéressant d'un des plus grands poètes de la Chine ancienne, Li Bo2. Li Bo, à cette époque, voyageait par monts et par vaux pour rencontrer des maîtres Chán ainsi que des maîtres taoïstes. Il n'hésitait pas à faire la route jusque dans leur ermitage de montagne. Dans ce poème, c'est ce que fait Li Bo. Il va pour rencontrer un maître de sagesse et écouter leurs paroles spirituelles. Mais ce pèlerinage est vain puisque le maître en question est absent de son ermitage. « Vaine visite, je soupire ». Pourtant, cette absence n'est pas rien ; il reste une subtile présence en ce lieu, une ouverture à la méditation et à la contemplation, une invitation au lâcher-prise et à la joie de l'instant présent. Il arrive qu'un sage brille par son absence.








1 Li Po, « L'immortel banni sur terre buvant seul sous la lune », traduction de Cheng Wingfun et Hervé Collet, Albin Michel, Paris, 2010, pp. 40-41.

2 Li Po en transcription Wades et EFEO. 












Voir aussi  ces poèmes : 


Dôgen Zenji


Sanshô Doei : - la voix des gouttes de pluie

                          - Adoration

                          - Trésor de l'Œil du Véritable Dharma

                           Quand nous n'avons lieu où demeurer









Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du Chan et du Zen ici: 

Voir tous les articles et les essais autour de la philosophie bouddhique  du "Reflet de la Lune" ici.


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.