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mercredi 2 novembre 2022

Sensation

 

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.



Arthur Rimbaud – Cahier de Douai. Mars 1870















Ce qui frappe tout de suite dans ce poème d'Arthur Rimbaud, c'est la contemplation, la spontanéité et la légèreté. Aucune gravité, aucune austérité, et pourtant une incroyable spiritualité qui se dégage. La force du texte est en outre de ramasser en quelques mots les sensations d'une balade un soir d'été, de nous les faire sentir justement et faire sentir cet amour infini qui nous envahit et nous ouvre au monde.

Il y a aussi dans ce poème de flagrants rapprochements avec la méditation : prêter attention aux sensations les plus minimes et en apparence insignifiantes de la vie quotidienne, sentir le poids qui s'exerce sur la plante de nos pieds et sentir l'air qui caresse nos cheveux. Se laisser aller à la contemplation de toutes ces choses simples que nous touchons et nous effleurons, et puis baigner dans le silence des paroles, mais aussi des pensées. Laisser l'amour infini monter en nous et rayonner dans toutes les directions, au-delà des frontières et de toutes les limitations que le mental peut tracer. Laisser cet amour infini nous accompagner dans la joie.




















Lire également : 


- Le bateau ivre


- C'est beaucoup, et c'est l'ombre d'un rêve


Joie 


Sans savoir pourquoi (Sōseki Natsume)




- La craquelure du pain (Marc Aurèle)







- Forêt, prairie er rivière (Merleau-Ponty)







vendredi 5 novembre 2021

Bruit de fond


Dans mon article précédent, j'évoquais la difficulté d'atteindre en méditation un état d'apaisement complet des pensées et d'agitation de l'esprit qu'on appelle « jhāna ». Un internaute m'a alors suggéré une piste de solution : « Tu as essayé les boules Quies ? Parfois il suffit d'un détail ». C'est une remarque intéressante, mais qui exprime surtout un malentendu sur la méditation qui revient à dire que l'absence de perturbation produit un esprit sans perturbation. À première vue, cela peut sembler logique et cohérent, mais cela ne l'est pas.


Quand on enseigne la méditation à des débutants, on recommande effectivement de se retirer dans un endroit calme et tranquille comme un centre de retraite à la campagne ou à la montagne. L'esprit est agité et a tendance à suivre n'importe quel stimulus qui viendrait exciter les sens. Pour un débutant, méditer en ville est plus difficile parce qu'il y a à la fois plus d'activités mondaines en tout genre qui vont nous distraire, mais aussi parce qu'il y règne généralement un brouhaha disharmonieux, un environnement sonore moins propice à une quête de sérénité.


Pour autant, faut-il considérer le bruit en lui-même comme un facteur de perturbation et un obstacle à l’Éveil ? En Inde dans la ville spirituelle d'Auroville fondée sur les principes philosophiques de Shri Aurobindo, il y a ce temple en forme de boule de golf dorée géante, le Matrimandir, où tout est fait pour que tout soit le plus calme possible, pour que tout son soit le plus étouffé possible. Est-ce une solution pour la méditation ? Non, je ne le pense pas. Le problème n'est pas le bruit, mais l'esprit qui s'attache au bruit.


La pratique de l'attention, ce n'est pas oblitérer les objets de la perception qui pourraient accaparer notre attention, voire nous obnubiler, mais les laisser passer dans le champ de la conscience sans les juger et sans les retenir. N'importe quelle apparence, qu'elle soit visuelle, auditive, olfactive ou tactile, se manifeste, elle occupe ce champ de la conscience un certain temps, puis finit nécessairement par disparaître. L'attention voit cette apparition, cette évolution et cette disparition sans s'identifier à cette perception et sans la commenter mentalement d'une manière ou d'une autre.


Inutile donc de faire disparaître les choses perçues pour être moins soumis à la tentation de l'agitation. Rien ne sert de fermer les yeux, de se pincer le nez ou de se boucher les oreilles pour avoir moins de choses à voir, moins de choses à sentir ou moins de choses à entendre. Le problème n'est pas de voir, de sentir ou d'entendre ; le problème est le mental qui se disperse dans toutes les directions, qui commente tout ce qu'il perçoit et réagit émotionnellement.


En fait, imaginez même qu'on médite dans une chambre insonorisée et stérile, avec des murs capitonnés, dans le noir complet. On pourrait se dire que c'est le lieu idéal pour pratiquer la méditation à son aise. Eh bien non, pas nécessairement. Vous serez toujours confronté à une sphère de la perception qui produit toutes sortes d'apparence : le mental. Ce mental qui produit des idées, des pensées en tout genre, des souvenirs, des anticipations de ce qui va se passer ou non, des craintes et des espoirs, des émotions positives ou négatives... Et tous ces phénomènes mentaux sont autant de pièges qui peuvent capter notre attention et l'entraîner très loin du moment présent !


L'essentiel n'est donc pas de se retirer du champ des perceptions, mais de développer l'équanimité et le lâcher-prise par rapport à tous les phénomènes physiques ou mentaux qui se manifestent. C'est ce qu'explique le Bouddha dans le Soûtra du Développement des Facultés Sensorielles (Indriya bhāvayatanā Sutta1). Un jeune ascète était venu lui expliquer la technique de son maître pour méditer : « Il ne faut pas voir les formes matérielles par les yeux. Il ne faut pas écouter les sons par les oreilles. C'est ce que (mon maître) enseigne à ses élèves sur le développement des facultés sensorielles ». Le Bouddha ironise sur le fait que, dans cette logique, un aveugle devrait avoir la vue pleinement développée et un sourd l'ouïe pleinement développée. Pour le Bouddha, la méditation ne consiste à se couper du monde, devenir une espèce de bulle complètement indépendante du monde.


En méditation, il faut accueillir le monde et ce qu'on en perçoit avec équanimité. Si j'entends un son, ce son produit chez moi une sensation agréable, désagréable ou neutre. Ces sensations sont susceptibles de m'égarer parce que je vais tenter de me les accaparer, de les rejeter, d'y réagir de manière plus ou moins émotionnelle, et faire toutes sortes d'associations d'idées qui vont me plonger encore plus dans la distraction et la dispersion du mental. Mais avant que je ne tombe dans cette saisie/répulsion des phénomènes, je reconnais avec attention la sensation produite par ce son, et je reconnais que cette sensation est un phénomène conditionné par des causes, qui n'est pas un monolithe éternel plantée sur le chemin de mon existence. Au contraire, cette sensation ne dure qu'un instant avant de céder la place à d'autres sensations. Le Bouddha explique que la sensation causée par un son ou un bruit ne dure que le temps d'un claquement de doigt. Après, apparaissent d'autres sensations qui ne durent qu'un instant avant de céder la place d'autres sensations, comme la succession d'images qui font un film.


Quand je me rends compte de cela, je peux cultiver l'équanimité. La sensation s'estompe, mais l'équanimité reste, l'équanimité s'inscrit beaucoup plus profondément dans le cours du temps et change mon rapport à l'existence. Et c'est cette équanimité, si elle est développée harmonieusement, qui me permettra d'être libre par rapport à tous ces stimuli des sens comme les bruits, les sons, les voitures qui passent, les oiseaux qui chantent, les cris de la rue, les klaxons qui retentissent, le voisin qui me casse les oreilles en mettant Johnny Hallyday à fond. Tous ces sons n'auront plus le pouvoir de me détourner de la méditation, de la concentration, des jhānas et du samadhi.










1 Indriya bhāvayatanā Sutta, Majjhima Nikāya, III, 298-302. Môhan Wijayaratna, « Sermons du Bouddha », Points Sagesses, éd. du Seuil, Paris, 2006, pp. 187-195.








Petros Koublis







Lire également sur la méditation :


- Croire et savoir


Soûtra du Laïc Citta







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mercredi 31 octobre 2018

Un nomade de la raison - 10ème partie




Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila

10ème partie


Pour lire les précédentes parties d'un Nomade la Raison, voir le sommaire.





La nature des choses



samedi 8 septembre 2018

Un nomade de la raison - 6ème partie



Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila

6ème partie




Pour lire les précédentes parties d'un Nomade la Raison, voir le sommaire.




Le Bouddhisme



     Le Bouddha a eu deux très grands disciples : Shâriputra et Maudgalyâyana. Il serait intéressant de se pencher sur le parcours spirituel de ces deux-là parce que leur évolution est emblématique d’une relation au doute et au scepticisme et du dépassement de ceux-ci. Shâriputra et Maudgalyâyana1, tous deux issus d’une famille de brahmanes, avaient décidé de quitter la vie laïque pour devenir ascètes errants dans la quête résolue de trouver la vérité. Après avoir écouté toutes sortes de doctrines de différents maîtres, les deux se rallièrent à un maître qui s’appelait Sanjaya Belatthiputta. 

samedi 17 juin 2017

No pain, no gain ?





No pain, no gain ?




       Un slogan qui revient souvent dans le monde du sport et du fitness est ce « No pain, no gain » (Pas de douleur, pas de gain). Dans la salle de sport que je fréquente, je vois régulièrement de jeunes gars au physique athlétique arborer un t-shirt tout imprégné de sueur, sur lequel figure cette formule doloriste. J'avoue que ce principe me met mal à l'aise. Je ne suis pas certain que la douleur soit la meilleure voie dans le progrès sportif. Et je vais essayer d'expliquer pourquoi dans ce petit article. Bien sûr, tout dépend comment on comprend la formule « No pain, no gain ». Si on veut dire par là qu'il faut faire des efforts pour progresser, alors bien sûr, pas de problème : il faut effectivement fournir des efforts pour s'améliorer ! C'est une évidence. Comme dans l'expression française « se donner de la peine », le mot anglais « pain » et le mot français « peine » ayant la même étymologie. Mais la plupart du temps, c'est bien dans la dimension d'endurer toutes sortes de douleurs physiques que les sportifs et plus particulièrement parmi eux, les adeptes de la musculation comprennent en général cette formule. De la même façon que l'on peut dire aux femmes, « il faut souffrir pour être belle », beaucoup d'adeptes du fitness pensent qu'ils faut souffrir pour se tailler une carrure athlétique et des muscles bien proéminents.










     Je ne suis vraiment pas certain que s'infliger de la douleur soit la meilleure façon d'entretenir une bonne relation au corps. Personnellement, je pense qu'il est essentiel d'avoir un rapport de douceur et de rechercher le bien-être et l'harmonie pour ce corps. Cela ne veut pas dire qu'il faille rester étalé sur son divan de la journée de peur de brusquer le corps. Le corps a besoin d'exercice physique, de bouger pour être heureux et en forme. La mollesse est peut-être une autre forme de manque de douceur envers le corps.

jeudi 22 septembre 2016

L'attention au souffle








      Dans l'Ānāpānasati Sutta (le Soûtra de l'Attention au Va-et-vient du Souffle), le Bouddha recommande 16 exercices spirituels de méditation afin de mieux focaliser son attention. Chaque fois que nous inspirons et que nous expirons, nous pouvons adjoindre à ce mouvement du souffle dans et en-dehors de nos poumons une petite phrase qui va nous aider à focaliser notre attention.

    Les 4 premiers exercices sont reliés à l'attention au corps :


1. En inspirant longuement, il sait : ‘J’inspire longuement’. En expirant longuement, il sait : ‘J’expire longuement’.
2. En inspirant brièvement, il sait : ‘J’inspire brièvement’. En expirant brièvement, il sait ‘J’expire brièvement’.
3. ‘J’inspire et je suis conscient de tout mon corps. J’expire et je suis conscient de tout mon corps’. C’est ainsi qu’il pratique.
4. ‘J’inspire et j’apaise tout mon corps. J’expire et j’apaise tout mon corps’. Ainsi pratique-t-il.


Les 4 exercices suivant sont reliés à l'attention aux sensations :


5. ‘J’inspire et je me sens joyeux. J’expire et je me sens joyeux’. Ainsi pratique-t-il.
6. ‘J’inspire et je me sens heureux. J’expire et je me sens heureux’. Ainsi pratique-t-il.
7. ‘J’inspire et je suis conscient de mes formations mentales. J’expire et je suis conscient de mes formations mentales’. Ainsi pratique-t-il.
8. ‘J’inspire et j'apaise mes formations mentales. J’expire et j'apaise mes formations mentales’. Ainsi pratique-t-il.




Les 4 exercices suivants sont reliés à l'attention à l'esprit :


9. ‘J’inspire et je suis conscient de mon esprit. J’expire et je suis conscient de mon esprit’. Ainsi pratique-t-il.
10. ‘J’inspire et je rends mon esprit heureux. J’expire et je rends mon esprit heureux’. Ainsi pratique-t-il.
11. ‘J’inspire et je concentre mon esprit. J’expire et je concentre mon esprit’. Ainsi pratique-t-il.
12. ‘J’inspire et je libère mon esprit. J’expire et je libère mon esprit’. Ainsi pratique-t-il.




Les 4 derniers exercices sont eux reliés à l'attention aux objets de l'esprit.


13. ‘J’inspire et j’observe la nature impermanente de tous les phénomènes. J’expire et j’observe la nature impermanente de tous les phénomènes’. Ainsi pratique-t-il.
14. ‘J’inspire et j’observe l’extinction. J’expire et j’observe l’extinction’. Ainsi pratique-t-il.
15. ‘J’inspire et je contemple la cessation. J’expire et je contemple la cessation’. Ainsi pratique-t-il.
16. ‘J’inspire et je contemple le lâcher-prise. J’expire et je contemple le lâcher-prise’. Ainsi pratique-t-il.




*****




      Il serait intéressant de lire ces 16 exercices, de les relire fréquemment et même de les connaître par cœur pour les avoir à disposition quand on pratique la méditation. Ces 16 pratiques couvrent tous les aspects de l'existence sur lequel il est bon de se focaliser pour progresser sur le chemin de la méditation. Il est bon de les connaître et de pouvoir en disposer comme un ouvrier dispose de ses outils dans sa boîte à outils. On peut aussi réciter le Soûtra de l'Attention au Va-et-Vient de la Respiration. Certes, sa structure est assez répétitive, mais justement cette répétition a le mérite de faire comprendre qu'il faut sans cesse revenir à ces différents points de l'attention pour aller toujours plus loin dans le pouvoir de la vision pénétrante. Par ailleurs, le soûtra met en perspective ces 16 techniques de l'attention au souffle avec d'autres techniques de méditation bouddhiste. Le soûtra indique également la finalité de ces techniques, produire ainsi les sept facteurs de l’Éveil afin de connaître la sagesse et la libération du cycle des existences.


     Les 4 premières exercices se rapportent à l'attention au corps. Le corps est la base de notre expérience de la vie. Il est donc important de connaître ce corps et de l'observer dans ses moindres détails. Plus spécifiquement, le souffle est cet élément physiologique qui nous fait vivre et que, pourtant, nous négligeons la plupart du temps. C'est seulement quand on étouffe ou qu'on se retrouve sous l'eau que l'on prend conscience de la nécessité vitale de pouvoir inspirer et expirer l'air frais. Attention ! Le Bouddha ne demande pas de contrôler sa respiration, de respirer brièvement ou plus longuement. Il s'agit ici de prendre attention à ce phénomène qu'est la respiration, pas de vouloir le contrôler à tout prix. On entend parfois dans les cours de yoga qu'on va « apprendre à respirer ». C'est une ineptie : vous savez comment respirer. Si vous ne le saviez pas, vous seriez mort depuis longtemps. En fait, vous ne savez pas : la respiration se produit en vous, indépendamment de votre volonté. Elle se produit même quand vous n'y pensez pas. C'est ce phénomène étonnant de la respiration, si proche, et pourtant si méconnu, qu'il s'agit d'observer dans sa spontanéité première.


       Une fois que l'on a observé ce corps, on peut l'apaiser. C'est le sens du dernier des quatre exercices d'attention au corps : « J’inspire et j’apaise tout mon corps. J’expire et j’apaise tout mon corps ». Le corps est souvent le champ de bataille de nos émotions : gorges serrés, estomac noué, cœur qui bat la chamade, mais qui se crispent, etc... La méditation est le lieu où on peut laisser tout cela se dénouer. Ne plus alimenter cette tension du corps d'une part et les laisser se dissoudre dans la conscience silencieuse de l'instant présent d'autre part. Il s'agit d'entretenir une nouvelle relation à notre corps, plus apaisée.


      Les 4 exercices suivants se rapportent à l'attention aux sensations. On est constamment traversés de sensations physiques et mentales ; et celles-ci affectent grandement notre humeur. Il s'agit dans la méditation de comprendre qu'on peut être autre chose que le pantin de nos sensations. Ainsi les exercices 5 et 6 ont trait à la joie et au bonheur qui peut naître en méditation malgré les sensations douloureuses ou pénibles qui nous traversent : « J’inspire et je me sens joyeux. J’expire et je me sens joyeux. J’inspire et je me sens heureux. J’expire et je me sens heureux ». Là encore, ce n'est pas une joie et un bonheur qu'on impose au mental envers et contre tout. On a tous des moments où on est malheureux ; mais il y a des ressources positives au plus profond de nous-mêmes qui nous permettent d'affronter les difficultés, qui nous donnent des ailes pour aller au-delà des épreuves de l'existence. C'est cette joie-là et ce bonheur-là qu'il s'agit de découvrir et de sentir dans la méditation.


      Les sensations nous amènent de toutes sortes de réactions, parfois trop hystériques ou destructrices. Le premier temps est de prendre conscience comment nous réagissons à des stimulus sensoriels : « J’inspire et je suis conscient de mes formations mentales. J’expire et je suis conscient de mes formations mentales ». Puis, à partir, de cette prise de conscience, on peut graduellement apaiser notre manière de réagir aux événements : « J’inspire et j'apaise mes formations mentales. J’expire et j'apaise mes formations mentales ». Par exemple, au lieu de réagir à une insulte par une autre insulte, à un coup de poing par un autre coup de poing, à un coup de couteau par un autre coup de couteau, on apprend à dégager plus d'espace et à avoir une réaction plus constructive : entamer un dialogue, parer ou éviter un coup, calmer le jeu, apaiser les situations conflictuelles. Dans la méditation, il s'agira surtout d'apaiser toutes les pensées de vengeance, de ressentiment ou au contraire, se ressaisir face aux réactions dépressives ou désespérées face aux événements. On pourra aussi apaiser notre avidité par rapport à ce qui nous obsèdent et vivre dans le contentement de ce qu'on a, sans vouloir à tout prix toutes les richesses du monde.


     Les 4 exercices suivants se rapportent à l'attention à l'esprit. Là encore il s'agit de connaître et comprendre son propre esprit ainsi que le fonctionnement de son esprit, sa dynamique qui le conduit à produire telle ou telle pensée, telle ou telle émotion, à vivre dans le passé ou à fantasmer sur le futur. Cela correspond au vieil adage de l'oracle de Delphes : « Connais-toi toi-même ». À partir de cette connaissance intime de soi-même, peut rendre l'esprit heureux, plus à même de trouver des solutions aux défis de l'existence : « J’inspire et je rends mon esprit heureux. J’expire et je rends mon esprit heureux ». Étant plus satisfait de sa propre vie, ayant un mental plus radieux, on peut d'autant plus facilement concentrer cet esprit sur un point : « J’inspire et je concentre mon esprit. J’expire et je concentre mon esprit ». Cette concentration permet de franchir les étapes supérieures de la méditation, ce qu'on appelle les absorptions méditatives (dhyāna en sanskrit, jhāna en langue pâlie). « J’inspire et je concentre mon esprit. J’expire et je concentre mon esprit ». Cette capacité de se concentrer et d'entrer dans les hauts états d'absorption méditative permet aussi d'augmenter son pouvoir de se libérer des conditionnements de l'existence. « J’inspire et je libère mon esprit. J’expire et je libère mon esprit ».


      Les 4 derniers exercices se rapportent aux objets de l'esprit, à tout ce dont l'esprit peut prendre conscience. Le monde est bien trop vaste pour commencer à observer tous les phénomènes qui composent ; mais quand nous percevons quelque chose. On peut commencer par voir l'impermanence de ces phénomènes. Tout en ce monde est transitoire. Tout passe, rien n'est figé dans une existence durable. D'instant en instant, le monde et les choses changent. C'est pour quoi le Bouddha nous demande d'observer : « J’inspire et j’observe la nature impermanente de tous les phénomènes. J’expire et j’observe la nature impermanente de tous les phénomènes ». À partir de ce constat de l'impermanence, on peut commencer à se détacher par rapport à eux. Notre envie de se saisir d'eux s'estompe en nous : « J’inspire et j’observe l’extinction. J’expire et j’observe l’extinction ». On peut alors réaliser que tous les phénomènes arrivent tôt ou tard à leur cessation d'une part, et voir aussi que notre esprit est susceptible d'entrer dans le degré ultime de la méditation : la sphère méditative de cessation des sensations et des perceptions, qui correspond à la vision du Nirvāna. « J’inspire et je contemple la cessation. J’expire et je contemple la cessation ». Enfin, une fois que l'on a vu cet état de cessation des sensations et des perceptions, on regarde le monde beaucoup plus librement et on cultive le lâcher-prise par rapport aux phénomènes : « J’inspire et je contemple le lâcher-prise. J’expire et je contemple le lâcher-prise ».




*****


      Deux petites remarques pour conclure. Tout d'abord, en méditation, on n'est pas du tout obligé de pratiquer ces exercices dans l'ordre. Selon les besoins du moment, on utilisera tel ou tel exercice à la meilleure convenance. Parfois, il importera de se recentrer sur le corps. Parfois il faudra faire le point sur le mental. Parfois contempler l'impermanence des phénomènes nous apportera un bienfait ; à d'autres moments, ce sera le fait de cultiver la sensation de joie et de bonheur. C'est là tout un processus. Ces petits exercices sont là pour nous aider dans la méditation. Bien sûr, avec l'expérience et la sagesse, on apprendra à mieux utiliser ces exercices. Au début, c'est toujours un peu maladroit, mais il faut bien se lancer un moment où à un autre ! On ne devient pas un nageur hors-pair avec une seule séance à la piscine !


      Enfin, ces exercices mentaux impliquent de produire des pensées : « J'inspire et je.... J'expire et je... », alors que la méditation consiste à laisser passer les pensées qui nous obsèdent, un peu comme le ciel laisse passer les nuages sans s'accrocher à eux. C'est vrai, mais nous sommes tellement envahis par les pensées que nous avons besoin parfois d'une petite pensée qui va nous aider à nous recentrer sur nous-mêmes et la méditation. Si une pensée nous aide à éviter la dispersion des pensées, c'est une bonne chose. Pour autant, il ne faudrait pas non plus s'accrocher à ces techniques de méditation, croire qu'on est obligé de constater mentalement toutes ses inspirations et ses expirations avec ce genre de petites pensées. Si on est suffisamment détaché des pensées et concentré sur le moment présent, on peut observer silencieusement notre respiration et ce qui se passe en nous. Le Bouddha comparait la pratique du Dharma à un radeau. Le radeau sert à traverser la rivière, mais une fois la rivière traversée, rien ne sert de porter le radeau sur son dos ! Pareillement, ces seize techniques de méditation nous aident à nous concentrer ; mais une fois que cela est fait, on n'est pas obligé d'alimenter ces pensées et troubler le calme mental. Mais tôt ou tard, la dispersion et l'agitation reviendront ; à ce moment, on pourra reprendre l'un des 16 techniques de l'Ānāpānasati Sutta, la plus appropriée au moment présent.



     


     Voilà. Je souhaite à tous de progresser le plus loin dans la méditation. 



F.L., le 22 septembre 2016.









 Phra Ajan Jerapunyo, abbé de Watkungtaphao, en méditation










Pour un commentaire beaucoup plus détaillé des pratiques du Soûtra de l'Attention au Va-et-Vient de la Respiration, voir : 

En compagnie du souffle :  

     Commentaire au Soûtra de l'Attention au Va-et-vient de la Respiration 









Voir également : 


- Commentaires sur « L’Art de la Méditation » de Matthieu Ricard : voir le texte

     Pourquoi les enseignements du Bouddha sont-ils si rarement cités par les lamas du bouddhisme tibétains ? Est-ce que la méditation sur la nature de l'esprit n'occulte pas l'établissement de l'attention portée sur le corps (telle que le Bouddha l'enseigne dans le Soutra des Quatre Etablissements de l'Attention) ? Les soutras du Petit Véhicule ont-ils un intérêt dans la méditation sur la vacuité telle que l'expriment les soutras de la Perfection de Sagesse ? Comment intégrer les différents Véhicules du bouddhisme ?




Slowly, slowly, slowly.... : voir le texte
       Le progrès lent et graduel de la méditation. Comment arriver à la pleine conscience ?




Méditer à la piscine 

       Beaucoup de gens aiment faire quelques longueurs à la piscine pour se relaxer. C'est effectivement quelque chose de délassant de se baigner dans l'eau et d'activer l’entièreté de son corps. Mais je trouve que la piscine est aussi excellent endroit pour pratiquer la méditation et l'attention. 





Faut-il une bonne respiration pour méditer ?


On m'a récemment posé la question : je ne peux pas pratiquer la méditation de l'attention portée à la respiration, puisque je suis asthmatique. Que dois-je faire ? Il se trouve que je suis, moi aussi, asthmatique. En fait, le fait de respirer bien ou mal n'a rien à voir avec la pratique de l'attention telle qu'est enseignée par le Bouddha. Il s'agit de prêter attention à la respiration, pas de la réguler à tout prix. Même pendant une crise d'asthme, on continue à inspirer et expirer. Vous le faites difficilement du fait de la crise, mais vous le faites, sinon vous seriez mort. Il faut seulement prendre conscience de cette conscience de cette respiration et laisser l'esprit se calmer et se libérer de lui-même.







Qu'est-ce que la compassion?


        On pense parfois que la compassion consiste à s'affliger soi-même de la détresse des autres, mais, dans la philosophie du Bouddha, rien de tout cela : la compassion est définie comme le souhait ardent que les autres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance.




Joie 

   Qu'est-ce que la joie spirituelle prônée par le Bouddha ?




    L'équanimité dans la méditation, l'apaisement des remous de la vie. Comment la pratiquer ? Comment la mettre en œuvre dans la vie de tous les jours ?







Méditation dans le creux du séquoia "Heart Tree" dans le parc national de Californie









Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.


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