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mardi 4 septembre 2018

Un nomade de la raison - 4ème partie




Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila

4ème partie



Voir :

- la première partie 

- la 2ème partie   

- la 3ème partie




L’Inde philosophique



   Voilà donc pour les influences grecques que Pyrrhon emmena avec lui jusqu’en Inde. Et toutes ces influences ont certainement été ensemencées par la rencontre avec ces personnages si étranges et si déroutants qu’étaient les gymnosophistes aux yeux des grecs. Les mœurs de ces gymnosophistes, leur style de vie sans concession ont certainement marqué Pyrrhon de manière indélébile. Comme le dit Victor Brochard : « Cette résignation et ce renoncement qui sont les caractères distinctifs du scepticisme primitif, Pyrrhon en avait trouvé les exemples sur les rives de l’Indus : c’est encore un point par où l’expédition d’Alexandre a exercé sur les destinées du scepticisme une influence que nous croyons capitale. Il nous est expressément attesté que Pyrrhon a connu les gymnosophistes, ces ascètes qui vivaient étrangers au monde, indifférents à la souffrance et à la mort. Nul doute qu’il n’ait été vivement frappé d’un spectacle si étrange ; et il s’en souvint une fois revenu dans sa patrie (…). La dialectique lui avait peut-être appris le néant de la science telle qu’elle existait de son temps ; il apprit des gymnosophistes le néant de la vie, et crut, avec un autre sage de l’Orient, que tout est vanité1 ».

mercredi 29 août 2018

Si tous les enfants de 8 ans - 2ème partie



Si tous les enfants de 8 ans

(2ème partie) 






4°) Est-ce que la méditation agit de la même manière sur tout le monde ? Est-ce que la méditation agit de la même façon qu'un remède à prendre comme l'aspirine ?


     Non, évidemment. C'est un point extrêmement important. La méditation n'est pas quelque chose de passif. La méditation n'est pas comme un médicament qu'on prendrait et qui agirait indépendamment de nous : on ne peut pas pratiquer autant d'heures de méditation pour avoir tel résultat, telle diminution de la nervosité. Cela ne marche pas comme ça. J'ai coutume de dire que la méditation est une façon extrêmement active de ne rien faire.


     Dans la méditation, on peut stagner, on peut somnoler à longueur de séances, on peut se monter incapable ou sans volonté d'échapper à la dispersion produites par les pensés. On peut ne pas oser regarder ses côtés sombres. On peut s'illusionner. Bref, on peut pratiquer la méditation sans que cela transforme notre être de manière décisive. C'est un travail toujours renouvelé que d'aller au-delà de la confusion et des illusions, de revenir encore et encore à l'attention soutenue. Il n'y a aucune garantie que vous atteigniez l’Éveil d'un Bouddha : cela se gagne.


      Je donnerai un seul contre-exemple d'un méditant qui n'est pas un homme de paix. Le moine Wirathu est ce moine birman qui, au nom du nationalisme birman, appelle à massacrer les membres de la communauté musulmane Rohingya en Birmanie. Il y a eu un documentaire sur ce personnage douteux : « Le Vénérable W » de Barbet Scroeder (2017). Dans une interview, Wirathu explique qu'il a aimé la prison, car cela avait été pour lui l'occasion de pratiquer la méditation. Donc Wirathu médite. Certainement mal, mais il médite. Et il fait l'apologie de la haine, de la dissension et d'une guerre civile complètement atroce.


      Donc méditer ne suffit pas pour extirper la haine et les germes de la guerre hors de son esprit. Il faut bien pratiquer la méditation, et y faire, naître encore et encore l'amour bienveillant, la compassion, la joie et l'équanimité, contre ceux qui font du bouddhisme une identité guerrière. Il faut affronter sa propre part d'ombre. Dans l'Antiquité, Térence disait : « Je suis humain, et rien de ce qui est humain ne m'est étranger ». Cela doit servir d'avertissement : la méditation seule ne fait pas de nous un homme de paix. La paix se gagne à travers un long cheminement spirituel.













5°) Quel type de méditation enseigner aux enfants ?


      Rien que dans le bouddhisme, le panel des différentes techniques de méditation est vaste. La question est : que va-t-on apprendre aux enfants en respectant leur nature d'enfant ? Et comment enseigner une technique particulière pour que les enfants puissent s'y retrouver ? Je vais me contenter ici de poser ces questions, car je ne suis pas du tout un spécialiste de la méditation pour les enfants.


        Néanmoins, je vais poser une seule prescription, mais qui semble très importante : il faut conserver un caractère ludique et léger à la méditation, adapté à l'âge des enfants. Ce ne doit être en aucun une pénitence pour les enfants. Pour les adultes, la méditation est souvent difficile et pénible ; mais si on propose une activité de méditation pour les enfants, celle-ci doit être plaisante et agréable. Sinon autant laisser les enfants jouer tranquillement, comme je l'ai déjà dit plus haut.







6°) Est-ce qu'il est pertinent de penser que cet enseignement de la méditation à toute l'enfance de l'humanité soit un véritable remède à la violence qui se déchaîne dans le monde ?


      On aura compris que je suis très sceptique sur la question. La méditation n'enlève pas systématiquement toute trace de violence en nous, même pour les adultes. Appliquée uniquement aux enfants, je pense que cela est voué à l'échec, puisque les enfants vont se retrouver déchirés entre le modèle qu'on leur présente dans la méditation et le modèle parental.


       Néanmoins, je pense comme le Dalaï-Lama que : « plus de paix dans votre esprit contribue à plus de paix dans le monde ». À un niveau individuel, nous avons la possibilité d'apporter notre petite contribution à l'ordre du monde ou plutôt à son désordre. Apaiser notre colère, notre ressentiment, notre malveillance est vraiment essentiel pour apporter du bien-être tout autour de soi. Promouvoir la méditation me semble être une mesure pour contribuer à un monde meilleur. Apaiser notre esprit fera que nos réactions vis-à-vis d'autrui seront moins porteuses de problèmes et de tensions et, au contraire, apporteront du bonheur. Cette contribution individuelle est certes très petite par rapport à l'ensemble de l'humanité ; mais si beaucoup de gens se joignent dans l'effort commun, l'ensemble de ces petites contributions individuelles peut avoir un impact énorme, surtout qu'un acte de bienveillance peut inspirer un autre acte de bienveillance, qui va lui-même inspirer un autre acte de bienveillance, etc...


        Enseigner la méditation et encourager à la pratique, que ce soit pour les enfants, mais avant tout pour les adultes, peut avoir un effet positif sur la diminution de la violence et des conflits dans le monde. Il faut néanmoins ne pas être naïf et se mette à croire à des miracles, comme si la méditation allait changer le monde en un coup de baguette magique. Il serait aussi naïf et inconséquent de négliger l'action politique globale et le travail de compréhension des mécanismes sociologiques, historiques, géopolitiques qui conduisent à des conflits et des guerres. On cite souvent l'histoire du colibri qui prend de l'eau dans son tout petit bec pour aller éteindre l'incendie de la forêt comme paradigme des initiatives individuelles infinitésimales à l'échelle de la planète, mais qui peuvent faire évoluer les choses dans le sens du bien. Ce petit conte interpelle, mais il vaut quand même mieux faire appel à un canadair qu'à un colibri pour venir à bout d'un incendie qui fait rage dans la toute la forêt. Je veux dire par là que les initiatives individuelles pour être efficace doivent s'agréger pour un projet politique (au sens noble du mot « politique »)







*****






       En guise de conclusion, je voudrais citer un extrait du « Plaidoyer pour l'altruisme » de Matthieu Ricard (éd. NiL, Paris, 2013, chap. 37, pp. 608-609) :


     « C’est le matin, dans la salle de classe d’une école maternelle de Madison, dans l’État du Wisconsin, aux États-Unis. Allongés sur le dos, des enfants de quatre à cinq ans, issus en majorité de milieux défavorisés, apprennent à se concentrer sur le va-et-vient de leur souffle et sur les mouvements d’un petit ours en peluche posé sur leur poitrine. Après quelques minutes, au son d’un triangle musical, ils se lèvent et vont ensemble observer les progrès des « graines de paix » qu’ils ont chacun plantées dans des pots rangés le long des fenêtres de la classe. L’enseignant leur demande de prendre conscience du soin dont les plantes ont besoin et, par association d’idées, du soin dont l’amitié, elle aussi, a besoin. Puis il les aide à comprendre que ce qui les rend sereins est aussi ce qui permet aux autres enfants d’être sereins. Au début de chaque séance, les enfants expriment à voix haute la motivation qui doit inspirer leur journée : « Puisse tout ce que je pense, tout ce que je dis et tout ce que je fais ne causer aucun tort aux autres, mais au contraire les aider. »



      Ce sont là quelques éléments d’un programme de dix semaines conçu par le Centre d’investigation de la bonne santé mentale (Center for Investigating Healthy Minds), fondé par le psychologue et neuroscientifique Richard Davidson. Bien que sa collaboratrice Laura Pinger et leurs autres collègues n’enseignent ce programme que trois fois par semaine, à raison de trente minutes par séance, il a un effet notable sur les enfants. Ceux-ci demandent d’ailleurs aux instructeurs pourquoi ils ne viennent pas tous les jours.


   Au fil des semaines, les enfants sont amenés très naturellement à pratiquer des actes de bonté, à se rendre compte que ce qui les met mal à l’aise met aussi mal à l’aise les autres, à mieux identifier leurs émotions et celles de leurs camarades, à pratiquer la gratitude et à former des souhaits bienveillants pour eux-mêmes et pour autrui. Lorsqu’ils sont perturbés, on leur montre qu’ils peuvent certes résoudre leurs problèmes en agissant sur les circonstances extérieures mais aussi en agissant sur leurs propres émotions.


      Au bout de cinq semaines vient le moment de donner à d’autres une ou plusieurs plantes que chacun a fait pousser. Les enfants sont ensuite amenés à prendre conscience qu’ils sont reliés à tous les enfants de la planète, à toutes les écoles et à tous les peuples, lesquels aspirent à la paix et dépendent tous les uns des autres. Cela les conduit à éprouver de la gratitude à l’égard de la nature, des animaux, des arbres, des lacs, des océans, de l’air que nous respirons, et à prendre conscience qu’il est important de prendre soin de notre monde. »


     Je trouve cette expérience très intéressante, pour plusieurs raisons :
  • les exercices demandés aux enfants sont ludiques et créatifs,
  • on n'exige pas des enfants qu'ils pratiquent une méditation aride,
  • on vise des objectifs réalistes à la portée des enfants : développer la bonne entente, l'empathie, la compréhension du ressenti des camarades de classe, le réflexe de chercher des solutions en soi-même en agissant sur ses propres émotions, le sentiment d'être rattaché au monde.


      Matthieu Ricard se montre extrêmement enthousiaste : il parle de « réussite spectaculaire ». Il constate « une nette amélioration des comportements prosociaux et une diminution des troubles émotionnels et des conflits chez les participants à l'expérience ». Le Dalaï-Lama, lui même, a appelé à la reproduction de cette expérience : « Une école, dix écoles, cent écoles, puis, par l'intermédiaire des Nations-Unies, les écoles du monde entier... »


      Je serai pour ma part beaucoup plus prudent. Regardons comment l'expérience est dupliquée à travers le monde, regardons comment elle perdure dans le temps. Par mon expérience de prof, je sais que pratiquer une nouvelle manière d'enseigner suscite toujours l'enthousiasme les premiers temps, justement parce que c'est nouveau, puis l'intérêt s'émousse et retombe insensiblement. Soyons donc ouvert d'esprit, voyons comment cela évolue, ce qu'on peut en retirer, mais ne nous emballons pas trop. Et rappelons-nous surtout que c'est les adultes qui ont la responsabilité morale et spirituelle de s'améliorer eux-mêmes et de contribuer à un monde meilleur. C'est l'engagement sacré qu'ils ont envers les enfants d'aujourd'hui et les enfants des générations futures.



Frédéric Leblanc, 
le 29 août 2018.






















Concernant le Dalaï-Lama :












Voir également : 




À la manière des rois, à la manière des sages


- Cagnes-sur-Mer (Jacques Prévert)


- Pacifiste ou pacifique


Équanimité


Empathie et altruisme




















Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.



Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.





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Si tous les enfants de 8 ans - 1ère partie



Si tous les enfants de 8 ans

(1ère partie)



   Si tous les enfants de 8 ans sur la planète Terre apprenait comment méditer, nous éliminerions toute la violence du monde en une seule génération.

Le Dalaï-Lama













      Vous avez peut-être déjà vu sur les réseaux sociaux ce message accolé à une photo d'un enfant assis en posture de méditation : « Si tous les enfants de 8 ans sur la planète Terre apprenait comment méditer, nous éliminerions toute la violence du monde en une seule génération ». En fait, cette affirmation suscite en moi plusieurs interrogations, que je voudrais formuler ici, avant d'essayer d'y répondre.


    • 1°) Est-ce vraiment le Dalaï-Lama qui est l'auteur de cette citation ?
    • 2°) Pourquoi 8 ans, et pas 7 ans ou 9 ans ?
    • 3°) Pourquoi uniquement les enfants ?
    • 4°) Est-ce que la méditation agit de la même manière sur tout le monde ? Est-ce que la méditation agit de la même façon qu'un remède à prendre comme l'aspirine ?
    • 5°) Quel type de méditation enseigner aux enfants ?
    • 6°) Est-ce qu'il est pertinent de penser que cet enseignement de la méditation à toute l'enfance de l'humanité soit un véritable remède à la violence qui se déchaîne dans le monde ?

jeudi 22 mars 2018

À la manière des rois, à la manière des sages





Le roi Milinda  : « - Vénérable Nāgasena, accepterais-tu de t’entretenir avec moi ?

Nāgasena : « - Je le ferai, ô roi, si tu entends t’entretenir avec moi à la manière des sages instruits ; mais si tu entends procéder à la manière des rois, je ne le ferai pas.

jeudi 28 juillet 2016

La question de la conscience




     Suite à mon article « Réflexions sur le monde végétal – 2ème partie », Sb m'a objecté ceci : « Se servir de la conscience comme critère pour introduire une discontinuité entre le monde animal (et humain) d'avec le végétal ne me semble pas plus pertinent comme si nous pourrions alors tuer et exploiter le monde végétal à défaut des animaux. Je maintiens néanmoins que ces choses volontairement colorés quand ils sont murs qu'on appelle fruits et légumes sont fait pour être mangés par les animaux et les humains. De même l'indien qui ne tue qu'un seul bison pour nourrir toute sa tribu est davantage en harmonie avec la nature que le cow-boy qui tue depuis le train un maximum de bisons pour jouer sans en manger aucun. Là où je veux en venir c'est que l'on peut faire passer les lignes de partage à différents endroits et faire varier les critères à l'infini ».

      Il me semble au contraire que le critère de la conscience est totalement pertinent dans ce débat. Un être pourvu d'une conscience peut expérimenter le plaisir et la douleur. Et cette capacité d'expérimenter le plaisir et la douleur offre de facto un statut de sujet moral à ces êtres si on prend au sérieux une éthique antispéciste. Cette conscience en tant que capacité d'éprouver bien-être et mal-être n'est pas un critère que l'on aurait décidé arbitrairement parmi d'autres pour décider qui on défend et qui on mange, pour tracer une ligne de démarcation. Si je casse un caillou à grand coups de marteau par pure méchanceté envers le caillou, parce que j'ai envie de me défouler et de passer ma colère, la caillou ne réagira pas, cela ne l'affectera pas parce qu'il n'est qu'un objet inerte perdu dans l'univers, sans la moindre conscience d'être un caillou, sans la moindre identité de caillou. Il ne souffrira pas d'être cassé en deux, il ne pâtira pas de ma colère et de mon zèle destructeur. Il n'est donc pas mal de casser un caillou, même pour le simple plaisir de briser des cailloux. Il est mal par contre de couper en deux un cochon ou une vache dans un abattoir parce qu'ils vont souffrir terriblement de cette mise à mort atroce.

samedi 16 avril 2016

Cagnes-sur-Mer

Cagnes-sur-Mer

Jacques Prévert


Cagnes-sur-Mer
Soleil de novembre et déjà de décembre et bientôt de janvier
Fête de la Jeunesse et fête de la Paix
Eaux claires de la lune
dansez sur les galets
Dans les filets du vent
des sardines d'argent
valsent sur l'olivier
et des filles de Renoir
dans les vignes du soir
chantent la vie l'amour
et le vin de l'espoir
Cagnes-sur-Mer
jolie tour de Babel aimée des étrangers
Pierre blanche sur la carte
des pays traversés et jamais oubliés
Danse danse jeunesse
danse danse pour la Paix
danse danse avec elle
sans jamais l'oublier

Elle est si belle si frêle
et toujours menacée
et toujours vivante et toujours condamnée

samedi 26 mars 2016

Faut-il arrêter de bombarder Daesh ?



    Je suis tombé ce matin par la grâce des réseaux sociaux sur cette page de la télévision suisse RTS qui donnait la parole à Jacques Baud, spécialiste suisse du renseignement et du terrorisme. Selon lui, « si l'on arrêtait les bombardements sur la Syrie, les attentats cesseraient probablement ». Jacques Baud prend l'exemple de l'attentat à la gare d'Atocha de Madrid en 2004 pour appuyer ses dire. Quelques jours après les attentats, les élections avaient balayé les partis de droite au pouvoir, et l'Espagne avait retiré ses troupes d'Irak. Plus aucun attentat islamiste n'a été perpétré dans ce pays depuis lors. Jacques Baud fait valoir aussi que quand Daesh revendique les attentats de Bruxelles, de Paris ainsi que les autres sur le sol européen, il le fait en donnant comme cause explicite les bombardements occidentaux. Jacques Baud rappelle que ceux-ci ont fait entre 2000 et 4000 victimes civiles, soit plus que les victimes civiles de tous les attentats perpétrés sur le sol européen (mais moins que la somme totale des victimes du terrorisme de Daesh si l'on considère les attentats commis au Moyen-Orient, en Afrique ou Asie, plus de dix mille morts au total). C'est un fait que les médias et les experts invités à longueur de journée sur les plateaux de télévision passent généralement sous silence.

    Je trouve que cela mérite réflexion. On ne peut pas sans cesse voir uniquement l'aspect des pays européens frappés par un terrorisme que l'on ne comprend pas et de l'autre ce qui passe en Syrie et en Irak et qui est complètement occulté par les médias européen avec cette idée que les bombardements européens frapperaient uniquement les méchants barbares terroristes, barbus et tout de noir vêtus, sans toucher le moindre cheveu d'un civil innocent. C'est la vieille idéologie des « frappes chirurgicales » qui est constamment remise sur le tapis. On ne peut pas vivre dans le déni de cette violence-là. Pour autant, est-il vraiment judicieux pour les pays occidentaux de cesser de combattre l'idéologie haineuse de Daesh ? Peut-on vraiment arrêter les jihadistes avec des fleurs ?

jeudi 24 mars 2016

Contre la haine



    Je voudrais réagir ici à la déferlante de haine qui se dessine suite aux attentats de Bruxelles, et notamment contre le hashtag #stopIslam qui a apparemment été plus employé que le hashtag #PrayForBrussels mardi le jour de l'attentat (102 000 tweets avec la hashtag #prayforBrussels, 250 000 pour #stopIslam). Je trouve déplorable cette utilisation bête et stupide de ce genre de slogan. Si les terroristes qui ont perpétré leurs crimes répugnants se revendiquaient bien de l'islam, tous les musulmans ne se reconnaissent pas dans cet islam-là. En fait, les combattants de Daesh combattent en priorité des musulmans : ils font la guerre aux musulmans chiites d'Irak, ils affrontent les forces de Bashar El-Assad qui sont composées de musulmans chiites, alaouites, druzes et aussi de sunnites. Ils massacrent aussi tous les musulmans sunnites qui s'opposent à leur vision totalitaire et barbare de leur pseudo-califat. Et en matière de terrorisme, les premiers pays touchés sont la Turquie à Ankara ou à Istanbul, l'Irak, la Tunisie, l’Égypte, la Libye, le Mali, tous des pays musulmans. Et je ne parle pas des pays ensanglantés depuis plus de vingt ans par les attentats à répétition et le climat de guerre civile féroce que l'on doit imputer aux jihadistes fidèles à Al-Qaida et sa nébuleuse : l'Afghanistan, le Pakistan, l'Inde, l'Indonésie, là aussi des pays musulmans ou des pays où la population musulmane est très représentée...

    Par ailleurs, ce qui est gênant avec cette stigmatisation incessante des musulmans, c'est que cela contribue à un climat de haine propice à la discrimination, aux tensions sociales et aux différentes petites injustices. Or c'est exactement ce que veut le prétendu État Islamique : plus les populations musulmanes se sentiront malheureuses et mal intégrées dans les pays occidentaux, plus il sera facile facile de faire passer un message de haine et de faire basculer plus de jeunes paumés dans la radicalisation et l'extrémisme religieux.

mercredi 10 février 2016

Gary Francione et la moralité selfie





     Je voudrais réagir ici à un article de philosophe américain antispéciste Gary Francione. L'une des spécialités de Gary Francione est de s'en prendre agressivement aux mouvances de libération animale qui ne font jamais assez bien selon lui leur travail de défense de la cause animale. Rien que le titre de l'article donne la teneur de l'article : « La moralité selfie, la pourriture morale de la cause animale »1. Francione revendique une position radicale au sein de la libération animale. Pour Francione, la seule position morale cohérente par rapport à l'exploitation animale est le véganisme éthique. Il rappelle inlassablement l'injonction : « Go vegan » (devenez végane). En soi, je ne peux que louer cette incitation à devenir le plus tôt possible végane dans l’intérêt des animaux. Mais Francione ne s'arrête pas là : tous les véganes qui encourageraient les non-véganes à végétaliser progressivement leur alimentation sont impitoyablement condamnés. Francione les accuse de participer à l'exploitation animale, d'être spécistes et de de ne pas être de véritables véganes. Il en découle une grande agressivité dans le chef de Francione et les adeptes de Francione, qui n'hésitent jamais à vous insulter de « spéciste » et toutes sortes nom d'oiseaux.

     Francione, dans son article, s'en prend justement à la réaction que certains peuvent avoir quand ils se font agressés par lui ou ses disciples, ses franciobots comme les appelle Tobias Leenaert, tant ceux-ci ont tendance à ânonner sur internet ses propos comme un incessant copier/coller de ses commentaires les plus aigris. « J'identifie comme « moralité selfie », nous dit Francione, le phénomène qui consiste à caractériser un désaccord substantiel ou une critique comme de « l'oppression », de « l'agression », du « dénigrement », du « harcèlement » sans apporter de réponse substantielle à la dite critique. La moralité selfie n'est rien d'autre que du narcissisme. Et elle est de manière inhérente spéciste ». Francione prend alors en considération le cas où des véganes abolitionnistes (entendez des véganes francioniens) arrivent par un raisonnement étayé par des arguments que le véganisme est un impératif moral. Francione dit que des welfaristes vont systématiquement prendre cette position comme dénigrant ou stigmatisant les non-véganes.

    Juste un mot d'explication avant d'aller plus loin dans les raisonnements de Gary Francione. Qu'est-ce qu'un abolitionniste ? Qu'est-ce welfariste ? Ces termes ne sont peut-être pas familiers à ceux qui ne côtoient pas au jour le jour les milieux véganes. « Abolitionniste » désigne celui qui veut abolir l'exploitation animale, que ce soit la mise à mort des animaux comme dans les abattoirs, dans la chasse ou dans la pêche, mais aussi l'exploitation au sens le plus large comme dans les élevages, les cirques, les zoos, les delphinariums, les courses d'animaux et ainsi de suite... Francione oppose les abolitionnistes aux welfaristes. Les welfaristes vient de l'anglais « welfare », bien-être. Les welfaristes prônent qu'on peut et qu'on doit améliorer la condition animale, leur bien-être de manière progressive. Typiquement, les « welfaristes » militent pour agrandir la taille des cages des animaux. Bien sûr, il vaudrait mieux les libérer, mais comme cela n'est pas possible maintenant, il faut se contenter de ce compromis qui consiste à de petites améliorations qu'on espère étendre de plus en plus jusqu'au moment où les animaux seront libres de toute exploitation. Sur le plan de l'alimentation, les welfaristes considèrent que l'idéal est bien entendu le véganisme, mais cela semble impossible pour la grande majorité de la population, les welfaristes font l'apologie de campagne comme le « Jeudi veggie » en Belgique et en France ou le « Meat Free Monday » où on encourage les gens à limiter progressivement leur consommation de viande et de produits animaux. L'idée est qu'ils s'accoutument à manger des plats végétaux et qu'ils arrivent à vaincre leur réticence de faire pas de passer à un régime végétarien, puis complètement végane.

    Il faut bien comprendre que le but est le même qu'on soit abolitionniste ou «welfariste ». L'idéal est un monde végane où on n'exploiterait plus les animaux et où on le les ferait plus souffrir inutilement. La différence se marque non pas sur le but à atteindre, mais sur le moyen d'y parvenir. Les abolitionnistes sont dans une logique du tout ou rien : il faut directement abandonner toute exploitation, les interdire définitivement. Du point de vue individuel, il faut directement devenir végane. Toute autre comportement alimentaire est considéré comme du spécisme, du carnisme et une participation à l'exploitation animale, que ce soit le flexitarisme, le végétarisme... Pour Francione, il n'y a pas de différence entre un mangeur de viande et de produits animaux et un végétarien. Tous les deux collaborent activement et au même titre à l'exploitation animale. Sur un plan politique, il faut abolir tout le système de l'exploitation animale d'un seul coup. Si on essaye de réformer progressivement, c'est aux yeux de Francione qu'on collabore le système spéciste et qu'on le défend.

mercredi 2 décembre 2015

Plus de paix dans votre esprit

Plus de paix dans votre esprit contribue à plus de paix dans le monde.

Tendzin Gyatso, le XIVème dalaï-lama


Mahathat, Sukhothai, Thaïlande –
Marc Schlossman, série "The Golden Lands"



    Dans le billet précédent, je me demandai s'il valait mieux être pacifique ou pacifiste. J'expliquais que je cherchais à être pacifique tant dans mon approche des relations individuelles que dans le domaine de la politique et de la géopolitique. Pour moi, la paix est une quelque chose que l'on doit cultiver dans la vie de tous les jours. Et en ce sens cet aphorisme du dalaï-lama m'a toujours parlé : « Plus de paix dans votre esprit contribue à plus de paix dans le monde ».

   Je suis vraiment convaincu de cela. On peut manifester pour la paix, crier son dégoût des gouvernements qui mènent des guerres dans le monde entier. Bien sûr, il faut poser ce genre d'actes citoyens, dénoncer la guerre, mais en même temps, il y a souvent quelque chose de très dogmatique et d'agressif dans cette attitude : on est plein de haine et de colère à l'encontre de ces puissants, de ces militaires qui font la guerre, on est soi-même dans une attitude combative pour dire que les combats doivent cesser. Et parfois on occulte la complexité de la situation.

   Je pense qu'il faut prendre un temps pour réévaluer la situation et apaiser son esprit. S'il y a des guerres dans le monde, c'est à la base parce que toutes sortes de citoyens ont des pensées de haine, de colère, de ressentiment, de violence, de vengeance. Et ces pensées négatives se traduisent en paroles vindicatives, en discours qui prônent la discorde et la division. Et quand toutes ces pensées, ces émotions, ces propos haineux prennent de l'ampleur, ils finissent par submerger la paix civile et cela déclenche un conflit, des affrontements, des violences, des guerres. Comprenant que l'origine de la guerre se trouve toujours dans des pensées de haine et de colère, on se dit qu'il est primordial d'agir sur son propre esprit. Il faut désamorcer en nous toutes ces pensées de haine et de colère. D'abord en prêtant attention à nos pensées et nos émotions dans la conscience pendant la méditation.

     Chaque fois que se manifeste un mouvement du mental qui porte en lui de la colère, de l'irritation, de l'énervement, de l'aversion, de la malveillance, il faut y prêter attention, l'observer de manière vigilante. L'idée est de laisser ces pensées apparaître dans le champ de la conscience, mais aussi se dissiper. Comme le ciel qui laisse les nuages noirs et orageux se dessiner à l'horizon et qui les laisse s'évanouir d'eux-mêmes dans l'immensité.

    Mais l'attention est aussi utile en ce qu'elle permet de savoir que la colère et la haine sont là en nous sous une forme ou une autre. Combien de gens ne disent pas alors qu'ils piquent une crise de nerf : « Mais non, je ne suis pas en colère ! Arrête de dire que je suis en colère ! ». L'attention permet de comprendre le mécanisme de la haine, du ressentiment et de la malveillance et éventuellement bloquer cette colère avant que ne rentre de plein pied dans la sphère de l'action. C'est un peu comme comme un garde vigilant et alerte, posté à la porte de la ville, qui repérerait des intrus voulant s'introduire par le portail et qu'il bloquerait fermement avant qu'ils ne rentrent. Cela ne fait pas disparaître ces intrus malveillants, mais au moins cela les empêche dans un premier temps d'agir et de créer des dégâts dans l'immédiat. Ensuite, une fois que la méditation rentre dans la vision pénétrante, alors l'esprit voit l'illusion de ces pensées comme le ciel ne croit pas que les nuages soient des choses solides et l'esprit les laisse se dissiper d'elles-mêmes.

     Le Bouddha indique aussi cinq moyens de vaincre la colère et l'irritation. Ils mentionnent par ordre de puissance, mais cet ordre de puissance correspond aussi à un ordre de difficulté. La première méthode est ainsi la plus puissante pour dissiper la haine et le ressentiment dans le monde, mais c'est aussi celle qui requiert la plus grande force d'âme. Le premier de ces moyens est maitri, souhaiter que tous les êtres soient heureux et connaissent les causes du bonheur, en ce compris celui ou ceux qui nous irritent ou mettent en colère. Cela peut sembler contre-nature de se mettre à aimer celui qui nous fait du mal ou qui nous blesse. On a tellement envie de le détester ! Mais la bienveillance est la force la plus puissante pour vaincre toute cette malveillance qui court à travers le monde et se répand dans tous les cœurs.

      L'amour bienveillant implique de souhaiter le bonheur des autres mais aussi « les causes du bonheur », parce que l'intérêt est que ce soit un bonheur durable, et pour cela, il faut des causes et des conditions qui entretiennent ce bonheur et le renouvelle de jours en jours, d'années en années. Il ne faut pas que ce soit un bonheur qui arrive un peu par hasard comme quand on décroche le gros lot à la loterie et qui reparte aussitôt, nous laissant seuls, malheureux et désemparé. Le bonheur procède donc de causes et de conditions selon la loi du karma. Notre bonheur présent provient ainsi des actions passées qui ont apporté dans cette vie-ci ou dans une vie antérieure du bien-être à soi-même et aux autres. Le bonheur futur dépendra de nos actes que nous accomplissons dans le présent. Éprouver de l'amour bienveillant à l'égard de quelqu'un, c'est donc souhaiter qu'il accomplisse des actes bons et généreux, qu'il apaise son esprit et qu'il trouve la sagesse, car tout cela va lui permettre de conforter un bonheur véritable et durable.

    Mais peut-être n'avons-nous pas la force spirituelle de souhaiter du bonheur à nos ennemis ! Alors le Bouddha nous recommande d'éprouver de la compassion à leur égard. La compassion se définit dans le bouddhisme comme le souhait ardent que les êtres soient entièrement soulagés de la souffrance et des causes de la souffrance. Si on n'est pas capable de souhaiter le bonheur pour ceux qui nous ont nui et fait du mal, qu'on souhaite au moins qu'ils ne souffrent pas !

       Il arrive souvent que la souffrance nous rende mauvais et amer contre l'existence. Celui qui a subi des torts, celui qui a été humilié et vaincu veut se venger et causer des torts à celui qui a causé cela. C'est le point de départ d'un cycle infernal de violence comme, par exemple, entre Israël et la Palestine, une guerre qui n'en finit et qui s'alimente de la rancœur mutuelle accumulée depuis des décennies. Les uns évoqueront les attentats terroristes et les menaces émanant des autres pays musulmans, les autres évoqueront les territoires perdus, les destructions comme mesure de rétorsion au terrorisme, les attentes interminables aux checkpoints. Et à chaque nouvelle agression d'un camp ou d'une autre, la haine et le ressentiment reprennent leur ronde infernale et s'intensifie. Peut-être que les Israéliens ne peuvent souhaiter le bonheur des Palestiniens et les Palestiniens le bonheur des Israéliens, c'est peut-être trop leur demander, c'est peut-être une trop grande sainteté à porter. Mais peut-être peuvent-ils souhaiter que les uns et les autres cessent d'éprouver la souffrance, la peur et le désespoir. Ce serait alors un point de départ pour comprendre les souffrances de l'autre, de comprendre le point de vue de l'autre et faire preuve d'empathie de manière réciproque. Enfin entamer progressivement un réel processus de paix qui en passerait par les gouvernements ou les institutions de l'ONU, mais qui naîtrait des peuples.

      Mais peut-être est-ce encore trop demander.... Vouloir le bonheur et les causes du bonheur ou vouloir que cesse la souffrance et les causes de la souffrance, cela peut paraître deux volontés trop proches l'une de l'autre. Et c'est effectivement les deux faces d'une même pièce, une pièce trop chère à débourser pour celui qui est empli de ressentiment à l'encontre de ses ennemis. Alors le Bouddha conseille de pratiquer l'équanimité. Qu'est-ce que l'équanimité ? C'est rester égal face au plaisir et à la souffrance, aux bonnes choses et aux mauvaises choses ; c'est endurer patiemment les épreuves tout en les laissant passer comme le fleuve laisse passer l'eau. Tout est impermanent, tout s'écoule et finit par disparaître. Cultivons le calme et l'égalité face aux réussites et aux échecs, aux louanges et aux blâmes. Restons imperturbables face à l'adversité.

     L'équanimité est ainsi plus facile d'accès car elle nous demande pas de souhaiter du bonheur ou la libération de la souffrance et qu'elle nous permet de rester en nous-mêmes, en nous contrôlant et nous apaisant pour vivre avec plus de sérénité ce qui nous accable. L'équanimité nous demande pas d'aller vers les autres, ce qui est très difficile quand on est blessé par eux.

      Néanmoins, si l'équanimité est encore trop difficile et demande trop de maîtrise de nous-mêmes et de vaincre un trop grand énervement, le Bouddha enseigne une quatrième méthode qui est l'oubli. Faisons comme si l'autre n'existait plus. Détournons notre regard de lui, n'y pensons plus, chassons-le de nos pensées. Cela ne résoudra pas le problème ; mais au moins, nous ne nous tracasserons pas en vain, nous ne nous pourrirons plus la vie à force de ressasser notre ressentiment à l'encontre de ceux qui nous font du mal. Que l'on pense à tout le mal que l'on peut se faire à ressasser des idées noires, des souhaits de vengeance et repasser en boucle dans notre tête le film de nos humiliations, il y a sérieusement matière à perdre beaucoup en termes de qualité de vie ! Parfois oublier ceux qui gâchent notre vie est encore le moyen le plus simple pour retrouver le sourire ! Ils ne valent d'ailleurs généralement pas la peine que l'on pense à eux !

      Enfin, si l'amour bienveillant, la compassion, l'équanimité et l'oubli ne sont pas en mesure d'apaiser notre colère et notre irritation, le Bouddha prône une cinquième méthode qui est la méditation des effets du karma. Celui qui blesse un être sensible ou lui crée du tourment connaîtra des blessures et des tourments similaires dans le futur. Tout le monde devra tôt ou tard régler ses comptes, dans cette vie-ci ou dans une vie future. Cette cinquième méthode est moins honorable que l'amour ou la compassion qui veulent le bien et la fin des tourments causés par le cycle du karma, mais cela peut apaiser efficacement le sentiment d'avoir éprouvé une injustice si l'on sait que cette injustice ne restera pas impunie. Il vaudrait mieux que les torts soient réparés, mais ce méditation du processus du karma peut aussi soulager celui qui n'est pas encore capable de bienveillance, de compassion ou d'équanimité.

     Toutes ces méthodes permettent d'apaiser la haine et les sentiments négatifs qui peuvent envahir notre esprit. Même si nous n'avons aucun pouvoir, le fait d'apaiser l'esprit, de cultiver une approche non-violente et de transformer la malveillance en bienveillance peut nous inspirer de grande chose, et surtout cela apporte une énergie favorable dont le monde a grand besoin. Plus on cultive la paix en nous-mêmes, plus on contribue à désamorcer les guerres partout dans le monde. Évidemment il y a encore beaucoup de travail avant que toutes les guerres soient éradiquées sur la surface de la Terre, mais combien de gens ne répandent pas des messages de haines, combien de médias n'inspirent la peur au lieu aux citoyens au lieu de les faire réfléchir aux véritables causes des problèmes que connaissent la société ? Il suffit de voir comment les messages de haineet d'incitation à la violence se répandent comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux après des attentats. Il faut avoir la force morale et intellectuelle de se détacher de cela et cultiver la bienveillance et la joie plutôt que des idées noires et sombres de vengeance et d'affrontement.

      Les enseignements de l'école philosophique Yogācāra, une école bouddhique du Grand Véhicule, explique que la conscience véritable est une conscience non-duelle : la séparation entre le « moi » et le monde est illusoire, la conscience fondamentale est une conscience qui comprend ce moi et ce monde. Nous ne sommes donc pas séparés dans ce monde. Même des violences éclatent au bout du monde, on ne peut pas se dire : « je n'ai rien à voir avec cela ». Ce faisant, dans la méditation, on peut éclairer le monde entier de cette bienveillance, de cette compassion, de cette joie et de cette équanimité. Comme le dit le Bouddha à maintes reprises dans ses enseignements :

   « Le méditant demeure faisant rayonner la pensée d'amour bienveillant dans une direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans une troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au travers, partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il demeure faisant rayonner la pensée d'amour bienveillant, large, profonde, sans limite, sans haine et libérée d'inimitié.

    Le méditant demeure faisant rayonner la pensée de compassion dans une direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans une troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au travers, partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il demeure faisant rayonner la pensée de compassion, large, profonde, sans limite, sans haine et libérée d'inimitié.

      Le méditant demeure faisant rayonner la pensée de joie dans une direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans une troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au travers, partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il demeure faisant rayonner la pensée de joie, large, profonde, sans limite, sans haine et libérée d'inimitié.

  Le méditant demeure faisant rayonner la pensée d'équanimité dans une direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans une troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au travers, partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il demeure faisant rayonner la pensée d'équanimité, large, profonde, sans limite, sans haine et libérée d'inimitié ».

    Il s'agit d'apporter la lumière au monde et ne pas laisser emporter la haine et la violence. C'est un long travail évidemment. C'est pourquoi le bouddhisme du grand Véhicule met en avant la figure du bodhisattva, l'être d’Éveil qui se dédie au bien des autres et qui renaît d'existence en existence pour apporter la paix et le bien-être à l'ensemble des êtres vivants. Il faut bien de nombreuses vies pour accomplir l’œuvre de la paix !

  En conclusion, la dimension de la transformation personnelle est essentielle pour travailler sur le chemin de la paix. Il y a évidemment tout un questionnement politique : comment régler telle ou telle guerre, tel ou tel conflit ? Que faire et comment réagir face au terrorisme ? Mais on ne peut pas tout attendre de la politique. La politique n'est jamais rien d'autre que la tentative souvent maladroite d'organiser des millions, voire des milliards d'êtres humains sur la Terre. La politique ne pourra rien pour les hommes si les hommes et les femmes qui vivent en ce monde ne cessent pas de cultiver des pensées haineuses et malveillantes. C'est pourquoi il faut commencer par vous-mêmes. Certes, vous êtes un, tout seul face à la masse incalculable des gens qui ne pensent peut-être pas comme vous. Mais si personne ne commence, il n'y aura jamais aucun résultat ! Et puis c'est comme une bougie qui, toute seule, il est vrai, n'éclaire pas beaucoup, mais cette bougie peut éclairer une autre bougie qui va à son tour va éclairer une autre et une autre... Au final, cela fera beaucoup de lumière ! Pareillement, le fait de cultiver dans son être et dans sa vie la bienveillance, la compassion et la sérénité feront que ces qualités se transmettront à l'un ou l'autre qui, lui-même les transmettra à d'autres... Cela fera une grande lumière de paix pour le monde.

       En 2003, j'ai manifesté contre la guerre en Irak menée par le gouvernement américain de Georges Bush. Soi-disant, Georges Bush menait cette guerre au nom des droits de l'homme. Mais quelqu'un d'un tant soit peu averti des intérêts géostratégiques en présence savaient que les Américains y allaient pour le pétrole. Il y avait donc une forte opposition à l'impérialisme américain en ce moment-là, un refus évident de la guerre qui n'a jamais engendré rien d'autre que du chaos. Je me souviens qu'un jour que je pratiquais la méditation peu après une manifestation gigantesque contre cette seconde guerre du Golfe et je n'arrivais pas à apaiser le flux de mes pensées. J'avais beau méditer, rien à faire, toutes sortes de pensée de colère contre George Bush et Oussama Ben Laden m'habitait. Je n'arrivais à m'en défaire. Et là, j'ai compris qu'en méditation, je ne devais pas penser en termes d'Américains ou d'Irakiens, d'alliés ou d'ennemis, d'axe du Mal ou d'impérialisme capitaliste, de « faucons » ou de « colombes », de pacifistes ou de militaristes.... Non, je devais me débarrasser de tous ces concepts en méditation. En méditation, George Bush était un homme qui méritait ma compassion et ma bienveillance, Saddam Hussein était un homme qui méritait ma compassion et ma bienveillance, Oussama Ben Laden était un homme qui méritait ma compassion et ma bienveillance, et tous les soldats impliqués dans ce conflit étaient des humains qui méritaient ma compassion et ma bienveillance, toutes les victimes de ce conflit qui survivaient ou qui mouraient sous les bombes des uns et des autres étaient des humains qui méritait ma compassion et ma bienveillance. En fait, je souhaitais à tous qu'ils connaissent le bonheur et les causes du bonheur et qu'ils soient libres de la souffrance et des causes de la souffrance, c'est-à-dire qu'ils arrêtent cette guerre car elle n'apportaient que de la détresse et de la souffrance.


      Cela m'a permis de me détacher de l'implication dans ce conflit et de pratiquer plus sereinement la méditation. La politique est un domaine où l'on défend un camp ou l'autre, une thèse ou l'autre, un idéal ou l'autre. Mais il est bon en méditation d'abandonner tous les concepts qui divisent les hommes et l'humanité en différents camps ennemis. Quitte à reprendre plus tard son action politique, mais soulagé de la rancœur tenace et d'autant plus prêt à envisager des solutions nouvelles pour apaiser les conflits. 






photographie de Horst Faas - juin1965 à Phuc Vinh, Sud-Vietnam






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