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lundi 27 avril 2020

Distinguer les quatre qualités





La semaine passée, j'ai parlé des quatre qualités incommensurables dans le bouddhisme : l'amour bienveillant, la compassion, la joie et l'équanimité. Un internaute m'a fait cette objection : « Compassion, joie, équanimité sont toutes contenues dans l'Amour. L'Amour au sens d'Agapé inclut absolument tout ». On peut défendre cette idée, pourquoi pas. L'amour bienveillant, illimité, inconditionné engloberait les autres qualités dans quelque chose de transcendant qu'on appellerait Amour, Agapé pour reprendre le mot grec qui désigne l'amour de charité ou Maitri. On pourrait appeler cela la « Grande Compassion », Maha Karuna, comme on le fait dans le bouddhisme du Grand Véhicule, la volonté de ne pas quitter sans monde de souffrance tant que tous les êtres n'auront pas connu l'extinction totale et définitive de la souffrance.


Pour moi, l'amour et la compassion sont les deux faces d'une même pièce. L'amour est le souhait d'ardent que tous les êtres sensibles soient heureux et connaissent les causes du bonheur. La compassion est le souhait ardent que tous les êtres soient sensibles soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance. La joie est le fait que cette pièce soit fait d'or et qu'on puisse acheter beaucoup de belles choses pour le bonheur du monde. L'équanimité est le fait que cette pièce d'or n'appartient à personne et enrichit le monde sans distinction et sans condition, au contraire de l'argent de ce monde qui suscite tous les égoïsmes, toutes les avidités.



Il serait peu pertinent de traiter ces quatre qualités, amour, compassion, joie et équanimité comme des entités distinctes et complètement séparées. Ces quatre qualités ont bien sûr un lien profond. Néanmoins, il me semble nécessaire de les distinguer d'un point de vue psychologique. Si on ne parlait que de l'amour ou que de la compassion, on pourrait tomber dans certains travers, confondre l'amour avec une illusion d'amour et confondre la compassion avec une illusion de compassion.


Pour prendre l'exemple de l'amour :
  • L'amour sans l'équanimité peut conduire à la partialité et à l'attachement : on confondrait l'amour impartial et inconditionnel avec l'amour passionnel ou l'amour pour sa famille qui se concentrent sur une ou quelque personnes, là où l'amour inconditionnel s'étend à l'ensemble de l'humanité, voire même à l'ensemble des êtres doués de conscience et de sensibilité dans le bouddhisme.

  • L'amour sans la compassion peut conduire à une béatitude indifférente aux misères du monde : on ne voit plus que le bonheur des êtres sans voir la face sombre de l'existence et sans être solidaire de ceux qui sont dans le tourment.

  • l'amour sans la joie est trop statique et sans communion. La joie se réjouit des potentialités de chacun pour s'améliorer et améliorer le monde. La joie donne l'enthousiasme de changer les choses et de faire tous les efforts qui vont contribuer à cela.


Cela vaut aussi pour la compassion. On ne peut pas la penser indépendamment des autres qualités qui la complètent :


  • La compassion sans l'amour conduirait à ce que les psychologues appellent la détresse empathique : on ne verrait plus que le côté négatif de l'existence et on serait englouti dans le malheur des autres.

  • La compassion sans la joie serait une sorte de marasme et de complaisance dans la fatalité : l'impression ou la conviction que les êtres ne sortiront jamais du marécage de l'existence où l'on s'enfonce inexorablement, comme ces films noirs qui n'entrevoient aucune issue, aucun happy end à leurs (anti)héros.

  • La compassion sans l'équanimité nous ferait tomber dans la partialité : estimer qu'une catégorie de personnes mériteraient d'être aidées et pas les autres. La compassion sans l'équanimité conduirait aussi à ne pas relativiser les choses, à voir tout comme une catastrophe indépassable.



La joie a aussi besoin des autres qualités sur lesquelles elle peut s'appuyer et pour faire sens :


  • La joie sans l'amour viserait de mauvais buts : elle ne contribuerait pas au bonheur de tous. Comme des fêtards qui ne pensent qu'à la fête du soir sans soucier du lendemain et sans se soucier des voisins de l'étage en-dessous qui essaient de dormir.

  • La joie sans la compassion serait une sorte d'euphorie sans aucun réalisme. Ce serait une fuite des problèmes : comme le fêtard qui fait la fête pour oublier tous les problèmes qui s'accumulent et auxquels il n' a pas la force de faire face.

  • La joie sans l'équanimité serait comme un coureur qui démarrerait sa course avec un sprint alors qu'il a un marathon à courir. La joie a besoin de la paix de l'équanimité pour ne pas s'épuiser tout de suite.


Enfin, l'équanimité a également besoin de s'appuyer sur les autres qualités pour être cohérentes :


  • L'équanimité sans l'amour manquerait considérablement de chaleur humaine et de luminosité.

  • L'équanimité sans la compassion dériverait en une complète indifférence aux sorts des autres. Tout serait égal, bonheur et souffrance. Et on ne se soucierait pas des problèmes et des tragédies des autres.

  • L'équanimité sans la joie conduirait à une forme d'inertie où peu importerait la libération, l'effort vers le bonheur et le bien-être puisque tout serait égal, indifférent.




Frédéric Leblanc, 
le 27 avril 2020.






dimanche 19 avril 2020

Paradoxes de l'amour impartial





Dans son livre consacré à l'amour 1, le philosophe analytique français Ruwen Ogien (1947 – 2017), il y a un chapitre sur la question de savoir si l'amour est moral, s'il est est « par-delà le bien et le mal », évocation du livre de Nietzsche et de son aphorisme : « Tout ce qui se fait par amour se fait par-delà le bien et le mal ». Je ne m'étendrai pas sur la partie du chapitre où il traite de l'amour au sens sentimental et romantique du terme ou de l'amour filial. Pour faire bref, Ruwen Ogien constate les apories de l'amour sur un plan moral : soit l'amour est partial, soit l'amour est impartial. Si l'amour est partial, il n'est pas moral puisqu'il favorise les personnes aimées en-dehors de tout principe moral d'équité et de justice. Et si l'amour est impartial, on arrive à des choses manifestement très étrange : que penser de cet amoureux transi qui voit sa compagne, sa dulcinées se noyer dans un fleuve en compagnie d'une femme quelconque qui lui est totalement inconnue, et qui déciderait de tirer à pile ou face pour savoir qui il va sauver afin d'être impartial et de ne pas favoriser indûment son amoureuse adorée ?



Je reviendrai prochainement sur cette question plus tard ainsi que sur le livre « Philosopher ou faire l'amour » tout entier une prochaine fois. Ce qui m'intéresse ici, c'est ce qu'il dit de l'amour universel ou amour de bienveillance. Pour Ruwen Ogien, c'est le seul type d'amour qui puisse revendiquer de manière pertinente l'idéal d'impartialité. Mais cela ne va pas sans poser de problème non plus !


« C’est le sens de l’amour de charité, l’amour de bienveillance, celui qui est censé pouvoir être distribué équitablement à tous les humains. Mais cette conception impartialiste de l’amour (l’amour de charité ou de bienveillance) pose des problèmes conceptuels qui semblent insurmontables. Dans la mesure où l’amour est une valeur, il présente des degrés comme toute valeur. On peut être plus ou moins libre, plus ou moins heureux, etc. On peut aimer une personne un peu, beaucoup, passionnément, à la folie.


On peut donc aimer une personne plus qu’une autre puisqu’on peut aimer l’une juste un peu et l’autre énormément. C’est ce qu’on pourrait appeler le « gradualisme amoureux ». Il conduit à toutes sortes de paradoxes : « Ce gradualisme de l’amour, qui est déjà déconcertant en tant que tel, déconstruit aussi l’idée ou l’impératif d’aimer tout le monde équitablement : car ce serait aimer tout le monde à quel degré ? “À la folie” serait absurde et même inconvenant. “Un tout petit peu” léger et ridicule ! Et on imagine des problèmes moraux bizarres : mieux vaudrait-il aimer un tout petit peu tout le monde et personne à la folie, ou être indifférent à tout le monde et n’aimer qu’une personne à la folie ? 2 »

mercredi 26 décembre 2018

Aimer et être aimé





Voici un principe simple : on n'aime jamais assez, et on n'est jamais assez aimé. Comme on ne peut pas faire grand-chose par rapport fait d'être aimé, qui ne dépend pas de nous (certes, on peut essayer de plaire à tout prix et de se rendre aimable quoiqu'il en coûte, mais cela reste toujours incertain, source de tensions et limité à un certain nombre de personnes), il faut porter ses efforts sur le fait d'aimer les gens autour de soi, apporter encore et encore de l'amour et de la bienveillance dans ce monde. Cela vaut pour l'amour spirituel qui s'étend à toute l'humanité ainsi qu'à tous les êtres sensibles dans toutes les directions du monde, mais cela vaut également pour les relations amoureuses, la famille, les amis et les gens avec qui on peut partager une cause.


Partant de ce principe, la question devient : « Comment est-ce que je peux aimer plus ? » Plutôt que de chercher à tout prix à se rendre aimable ou estimable auprès des autres pour qu'éventuellement il nous aime un peu, beaucoup, à la folie, voire pas du tout, il faut chercher à voir comment on peut grandir en amour. Cela suppose de transformer un grand nombre de choses dans notre vision du monde et de la vie : ne pas attendre que les autres nous aiment ou nous apprécient pour les aimer à notre tour. Et c'est un travail toujours à recommencer parce qu'on espère toujours, on attend toujours quelque chose en retour. Encore et encore, avoir le courage d'aimer et se détacher des rancœurs, des ressentiments et des conflits. Revenir à la bienveillance fondamentale.

































Voir aussi à propos de l'amour : 




Les différentes formes de l'amour (l'amour qui prend, l'amour qui donne et l'amour universel, inconditionnel qui s'étend à tous les êtres ). Et comment concilier ces différentes formes avec sagesse.















Sur la méditation  de l'amour bienveillant et des Quatre Qualités Incommensurables :


Les Quatre Demeures de Brahmā : amour illimité, compassion illimitée, joie illimité et équanimité illimitée



- Faire rayonner les quatre qualités


Méditation des Quatre Incommensurables




Esprit d’Éveil


     Comment produire l'esprit d’Éveil ou bodhicittaL'esprit d’Éveil est le souhait que tous les êtres soient libérés de la souffrance et deviennent des êtres pleinement éveillés. Les enseignements du lama tibétain Dza Patrül Rimpotché (XIXème siècle). 




Empathie et altruisme

   Développer l'empathie et l'altruisme selon la philosophie bouddhiste











Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.



Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.
















Keith Haring. — Sans titre, 1985






lundi 2 avril 2018

Aimer et souffrir




Aimer c’est souffrir.
Pour éviter de souffrir, il faut éviter d’aimer.
Mais alors on souffre de ne pas aimer.
Par conséquent,
aimer c’est souffrir,
ne pas aimer c’est souffrir,
et souffrir c’est souffrir.

Woody Allen



vendredi 16 février 2018

Les quatre incommensurables selon le bouddhisme tibétain




Les quatre incommensurables selon le bouddhisme tibétain




       Ce texte que vous êtes en train de lire est le premier d'une petite série sur la présentation des quatre qualités incommensurables – amour, compassion, joie et équanimité – dans l'école nyingmapa du bouddhisme tibétain. Il s'agira à chaque fois de commentaires d'un passage de « Notes de mémoire sur le Chemin de la Grande Perfection » de Ngawang Palzang (1879 - 1941), qui est lui-même un commentaire du « Chemin de la Grande Perfection » de Dza Patrül Rimpotché (1808 – 1887) qui est lui-même un commentaire de « L'essence du cœur de l'immensité » de Jigmé Lingpa (1730 – 1798). Le « Chemin de la Grande Perfection » ainsi que les « Notes de mémoire sur le Chemin de la Grande Perfection » ont été publiés aux éditions Padmakara, le premier en 1997 et le second en 2014 (pp. 157 – 174). Les parties en italique sont le texte de « Notes de mémoire sur le Chemin de la Grande Perfection » (pp. 158 – 161).

jeudi 4 janvier 2018

Un oiseau rebelle






Carmen :

« L'amour est un oiseau rebelle
Que nul ne peut apprivoiser
Et c'est bien en vain qu'on l'appelle
S'il lui convient de refuser
Rien n'y fait, menace ou prière
L'un parle bien, l'autre se tait
Et c'est l'autre que je préfère
Il n'a rien dit, mais il me plaît
L'amour (× 4)
L'amour est enfant de bohème
Il n'a jamais, jamais, connu de loi
Si tu ne m'aimes pas, je t'aime
Et si je t'aime, prends garde à toi
Prends garde à toi
Si tu ne m'aimes pas, si tu ne m'aimes pas, je t'aime
Prends garde à toi
Mais si je t'aime, si je t'aime, prends garde à toi
L'amour est enfant de bohème
Il n'a jamais jamais connu de loi
Si tu ne m'aimes pas, je t'aime
Et si je t'aime, prends garde à toi
Prends garde à toi
Si tu ne m'aimes pas, si tu ne m'aimes pas, je t'aime
Prends garde à toi
Mais si je t'aime, si je t'aime, prends garde à toi

mercredi 27 décembre 2017

Pour toi mon amour




Je suis allé au marché aux oiseaux
Et j'ai acheté des oiseaux
Pour toi
Mon amour

Je suis allé au marché aux fleurs
Et j'ai acheté des fleurs
Pour toi
Mon amour

Je suis allé au marché à la ferraille
Et j'ai acheté des chaînes, de lourdes chaînes
Pour toi
Mon amour

Et puis, je suis allé au marché aux esclaves
Et je t'ai cherchée
Mais je ne t'ai pas trouvée
Mon amour



Jacques Prévert, Paroles, 1946.



dimanche 24 décembre 2017

Joyeux Noël




Bonsoir,


     Je voudrais souhaiter à tout le monde un joyeux Noël et de très bonnes fêtes. Plein de joie et de bonheur, si possible sans foie gras et sans cruauté à l'égard des animaux. Amusez-vous, riez, partagez, soyez heureux.


     Il est vrai que les fêtes ne sont pas toujours un moment de bonheur pour beaucoup de gens qui sont seuls ou qui se sentent abandonnés. Armistead Maupin disait d'ailleurs à ce sujet : « Noël est une conspiration pour bien faire sentir aux célibataires qu'ils sont seuls ». À tous ceux-là, à tous ceux qui ont le cafard en cette veille de Noël, à tous ceux qui voient les choses en noir, à tous ceux qui sont malades ou blessés, à tous ceux qui passent les fêtes de Noël sur un lit d'hôpital, à tous ceux qui sont dans la rue, à tous qui ont froid, à tous ceux qui ont faim, à tous ceux qui ont un peur dans un camp de réfugié ou dans une ville en état de guerre, à tous ceux-là, j'ai une pensée de compassion. Puissiez-vous être libérés de toute souffrance, de toute peur, de tout inconfort ! Puissiez-vous voir la lumière dans la nuit obscure, puissiez-vous retrouver le réconfort ! Que ce monde ait un plus de chaleur humaine et de fraternité à offrir !


     Une pensée émue aussi pour tous ceux qui doivent endurer leur belle-mère insupportable lors de ce réveillon de Noël ou les discours du vieil oncle raciste. Une pensée pour tous ceux qui voudraient être ailleurs, ceux pour qui l'ambiance est un peu lourde, ceux qui en ont marre des fêtes, ceux qui s'ennuient, ceux qui font attention à leur ligne et qui voient les calories défiler à l'apéro, à l'entrée, aux plats de résistances, au dessert, à ceux qui sont saouls et qui auront demain une gueule de bois, à ceux qui sont saouls et qui feraient mieux de ne pas reprendre le volant ! Que ce moment de fête soit vraiment un moment de fête, et s'il ne l'est vraiment pas, rappelez-vous ce que le Bouddha a dit à propos de l'impermanence !


      Enfin, je me rappelle qu'on m'a souvent dit que le jour de Noël et le jour de l'an étaient les jours des hypocrites, parce que tout le monde souhaite « Joyeux Noël ! Bonne année ! » à des gens qu'ils n'apprécient pas nécessairement, avec qui ils sont en froid ou qu'ils détestent même cordialement. Je ne suis pas d'accord. Il y a quelque chose d'essentiel de souhaiter de bonnes choses, même aux gens que l'on n'aime pas nécessairement. Dans la philosophie bouddhique, on parle de l'esprit d’Éveil, bodhicitta en sanskrit. Cet esprit d’Éveil s'étend à tout le monde, y compris à nos pires ennemis ou aux gens qui nous semblent méprisables. Il y a un moment où il faut pouvoir dépasser ses haines et ses aversions. Souhaiter le bien même aux gens avec qui on est en conflit, ce n'est pas de l'hypocrisie, c'est planter des graines pour la paix future, pour l'entente et la concorde à venir. Et il faut s'exercer à cet esprit d’Éveil le plus souvent possible. Que tous les êtres soient heureux et qu'ils soient libérés de toute souffrance !


     Comme le Bouddha le dit dans le Soûtra de l'Amour (Metta Sutta) :

« Que tous les êtres soient heureux.
Qu’ils soient en joie et en sûreté.
Tout être vivant, faible ou forte, élevé
Moyen ou bas, petit ou grand, visible ou invisible,
Près ou loin, né ou à naître,
Que tous ces êtres soient heureux.


Que nul ne déçoive un autre ni ne méprise aucun être
Si peu que ce soit.
Que nul, par colère ou par haine, ne souhaite du mal à un autre.


Ainsi qu’une mère au péril de sa vie,
surveille et protège son unique enfant,
Ainsi, avec un esprit sans entrave
doit-on chérir toute chose vivante,
aimer le monde en son entier,
Au dessus, au dessous, et tout autour, sans limitation
Avec une bonté bienveillante et infinie. »




mercredi 8 novembre 2017

Les Espaces du sommeil

Les Espaces du sommeil




Dans la nuit il y a naturellement les sept merveilles
du monde et la grandeur et le tragique et le charme.
Les forêts s’y heurtent confusément avec des créatures de légende
cachées dans les fourrés.
Il y a toi.


Dans la nuit il y a le pas du promeneur et celui de l’assassin
et celui du sergent de ville et la lumière du réverbère
et celle de la lanterne du chiffonnier.
Il y a toi.


Dans la nuit passent les trains et les bateaux et le mirage des pays
où il fait jour. Les derniers souffles du crépuscule
et les premiers frissons de l’aube.
Il y a toi.


Un air de piano, un éclat de voix.
Une porte claque. Une horloge.
Et pas seulement les êtres et les choses et les bruits matériels.
Mais encore moi qui me poursuis ou sans cesse me dépasse.
Il y a toi l’immolée, toi que j’attends.


Parfois d’étranges figures naissent à l’instant du sommeil et disparaissent.
Quand je ferme les yeux, des floraisons phosphorescentes apparaissent
et se fanent et renaissent comme des feux d’artifice charnus.
Des pays inconnus que je parcours en compagnie de créatures.
Il y a toi sans doute, ô belle et discrète espionne.


Et l’âme palpable de l’étendue.
Et les parfums du ciel et des étoiles et le chant du coq d’il y a 2 000 ans
et le cri du paon dans des parcs en flamme et des baisers.
Des mains qui se serrent sinistrement dans une lumière blafarde
et des essieux qui grincent sur des routes médusantes.
Il y a toi sans doute que je ne connais pas, que je connais au contraire.


Mais qui, présente dans mes rêves, t’obstines à s’y laisser deviner sans y paraître.
Toi qui restes insaisissable dans la réalité et dans le rêve.
Toi qui m’appartiens de par ma volonté de te posséder en illusion
mais qui n’approches ton visage du mien que mes yeux clos
aussi bien au rêve qu’à la réalité.


Toi qu’en dépit d’un rhétorique facile où le flot meurt sur les plages,
où la corneille vole dans des usines en ruines,
où le bois pourrit en craquant sous un soleil de plomb,


Toi qui es à la base de mes rêves et qui secoues mon esprit plein de métamorphoses
et qui me laisses ton gant quand je baise ta main.
Dans la nuit, il y a les étoiles et le mouvement ténébreux de la mer,
des fleuves, des forêts, des villes, des herbes,
des poumons de millions et millions d’êtres.
Dans la nuit il y a les merveilles du mondes.
Dans la nuit il n’y a pas d’anges gardiens mais il y a le sommeil.
Dans la nuit il y a toi.
Dans le jour aussi.


Robert Desnos, dans le recueil : « À la mystérieuse », 1927.



mercredi 1 novembre 2017

Qui est un porc ?





      Nous attendions le train sur une terrasse de café devant la gare, moi et mon meilleur ami de l'adolescence. Le père de mon ami nous avait offert à boire et attendait avec nous sur cette terrasse. Il avait une idée fixe en tête. Nous devions rejoindre des amis et amies de notre âge pour un week-end à la campagne. Le père de mon ami tenait absolument à ce que son fils achète des préservatifs dans une pharmacie. Il nous a donné de l'argent et nous a obligé à aller acheter les préservatifs. Il ne nous a pas lâché d'une semelle tant que cela n'a pas été fait. Nous avions beau lui expliquer que le but n'était pas de faire de ce week-end une partouze, il n'en démordait pas. Il fallait absolument avoir à notre disposition les préservatifs, parce que, lui, savait pertinemment ce que nous allions faire. Il a ajouté : « On dit qu'en tout homme sommeille un porc. Eh bien, c'est FAUX ! Le porc, en tout homme, est bien réveillé ! »


        Je me suis rappelé cette petite anecdote la semaine passée avec les histoires peu ragoûtante d'Harvey Weinstein et surtout le hashtag #balancetonporc qui s'en est suivi. Ce hashtag a fait couler beaucoup d'encres. Les femmes y sont incitées à dénoncer tous les agressions ou harcèlements à caractère sexuel qu'elles ont subies. On a beaucoup reproché au milieu hollywoodien de n'avoir rien dit des agissements d'Harvey Weinstein par peur des mesures de représailles que ce dernier aurait pu prendre à l'encontre d'une jeune actrice qui aurait brisé l'omerta et qui aurait perdu toute chance de poursuivre sa carrière cinématographique. Le hashtag #balancetonporc ainsi que celui de #metoo (#moiaussi) appelle à briser le silence autour des méfaits des hommes à l'encontre de la gente féminine. Que ce silence ne profite plus à ceux qui ne respectent pas le consentement des femmes.

lundi 4 septembre 2017

Sans savoir pourquoi



Sans savoir pourquoi
j'aime ce monde
où nous venons pour mourir

Sōseki Natsume (漱石 夏目, 1867 – 1916)



lundi 28 août 2017

Il n'y a pas d'amour heureux



Il n'y a pas d'amour heureux




Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux


Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désœuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
Il n'y a pas d'amour heureux


Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
Il n'y a pas d'amour heureux


Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos cœurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n'y a pas d'amour heureux


Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
Il n'y a pas d'amour heureux
Mais c'est notre amour à tous les deux


Louis Aragon (1897-1982), La Diane Francaise, Seghers 1946.


dimanche 23 avril 2017

Le rythme de l'amour

Être heureux, rendre heureux, voilà le rythme de l'amour.

Sri Nisargadatta Maharaj

samedi 31 décembre 2016

Faire rayonner les quatre qualités



Faire rayonner les quatre qualités



     Une dimension importante de la méditation bouddhique est la pratique des quatre qualités incommensurables. Ces quatre qualités incommensurables sont l'amour bienveillant incommensurable, la compassion incommensurable, la joie incommensurable et l'équanimité incommensurable. On appelle également cette pratique « les quatre demeures de Brahmā » parce que le monde divin de Brahmā est dépourvu d'éléments grossiers comme la terre, l'eau, le feu ou l'air comme dans notre monde physique, mais est entièrement composé d'amour, de compassion, de joie et d'équanimité qui s'étendent à l'infini.

      Je pense vraiment que c'est là une pratique essentielle que d'accoutumer sans cesse notre esprit à ces quatre qualités incommensurables, et je voudrais ici inviter tout le monde à découvrir à cette dimension de la méditation. Dans les soûtras, le Bouddha revient souvent avec la même formulation de la méditation des quatre qualités incommensurables :

mercredi 21 septembre 2016

Love hides

Yeah
Love hides in the strangest places.
Love hides in familiar faces.
Love comes when you least expect it.
Love hides in narrow corners.
Love comes to those who seek it.
Love hides inside the rainbow.
Love hides in molecular structures.
Love is the answer.

Jim Morrison, The Doors, 1969.










vendredi 2 septembre 2016

Les quatre demeures de Brahmā





      Il y a dans le bouddhisme cette pratique méditative que l'on appelle les « quatre demeures de Brahmā » : il s'agit de l'amour illimité, de la compassion illimitée, de la joie illimitée et de l'équanimité illimitée. Ce nom fait référence au dieu de l'hindouisme Brahmā ; et on retrouve cette pratique des quatre qualités illimitées ou incommensurables dans les textes hindous, dans le Yoga Sûtra de Patañjali par exemple. On la retrouve aussi dans les textes jaïns. Le Bouddha voulait très probablement qu'on admette que les religions et les courants spirituels et philosophiques partagent une base commune, même si ils diffèrent, voire s'opposent sur certains points. Mais il y a une autre raison à ce que l'amour illimité, la compassion illimitée, la joie illimitée et l'équanimité illimitée soient appelées « quatre demeures de Brahmā » : selon la cosmologie bouddhique, le monde divin de Brahmā qui chapeaute tous les mondes ayant une existence physique est composé d'amour, de compassion, de joie et d'équanimité. Tout comme notre monde matériel sur la Terre est faite de terre, d'eau, de bois, de métal, d'air, de feu et de tous les éléments matériels ont fabriqué à partir des ressources de la nature comme le verre, la brique, le plastique, etc..., les éléments constituants de l'univers de Brahmā sont matériellement faits de cet amour, de cette compassion, de cette joie et de cette équanimité, et cela à perte de vue, au-delà de tout ce qu'on peut imaginer. On ne veut pas simplement dire que l'amour règne dans ce monde, un peu comme dans le monde des bisounours, mais que l'amour, la compassion, la joie et l'équanimité sont les briques et les atomes de ce monde. Non pas un univers clos, mais une vastitude infinie dans laquelle nous nous sentons immergés, en communion avec tous les êtres.

samedi 16 juillet 2016

Une chose merveilleuse et grande




      Oui la détresse est grande, et pourtant il m'arrive souvent, le soir, quand le jour écoulé a sombré derrière moi dans les profondeurs, de longer d'un pas souple les barbelés, et toujours je sens monter en mon cœur – je n'y puis rien, c'est ainsi, cela vient d'une force élémentaire – la même incantation: la vie est une chose merveilleuse et grande. Après la guerre, nous aurons à construire un monde entièrement nouveau, et, à chaque nouvelle exaction, à chaque nouvelle cruauté, nous devrons opposer un petit supplément d'amour et de bonté à conquérir sur nous-mêmes. Nous avons le droit de souffrir mais non de succomber à la souffrance. Et si nous survivons à cette époque indemnes de corps et d'âme, d'âme surtout, sans amertume, sans haine, nous aurons aussi notre mot à dire après la guerre


Etty Hillesum, extrait de son journal, 1941






Roman Vishniac, Garçon se tenant sur une montagne de gravats, Berlin, 1947.







      Etty Hillesum était une juive néerlandaise qui a écrit son journal intime, un témoignage spirituel très fort, entre 1941 et 1943, année où elle mourut à Auschwitz. Je trouve ce passage de son journal très fort. Au fond, il n'est déjà pas aisé de parvenir à trouver la vie belle et magnifique quand on traverse un moment de déprime ou une situation difficile comme une perte d'emploi. Mais il y a une incroyable force à s'émerveiller encore de la vie quand l'étau se resserre inexorablement sur les juifs d'Europe en 1941. Et à trouver l'envie de déjà vouloir tout reconstruire alors que la guerre ne fait que commencer, et de penser l'après de cette guerre, et de se dire qu'il faudra apporter encore plus d'amour et de beauté à ce monde et s'opposer encore et encore à toutes les injustices futures, à toutes les exactions que la cruauté des hommes rend possible. « Nous avons le droit de souffrir mais non de succomber à la souffrance ». Voilà une très belle phrase qui désigne toute notre humanité : notre condition humaine assujettie souvent à la souffrance, mais aussi notre humanité en tant qu'idéal moral de bienveillance et de justice, de considération pour autrui qui doit faire une société meilleure. Nous souffrons, mais nous devons vaincre ce ressentiment qui naît de la souffrance et des injustices. Nous devons dépasser les vieilles haines et rancunes. Dépasser cela et construire quelque chose de meilleur. Voilà une exigence morale essentielle.  






Etty Hillesum







Voir également :







Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.


dimanche 12 juin 2016

Ni Dieu, ni maître




    Voilà un slogan anarchiste bien connu : « Ni Dieu, ni maître ». À l'origine, c'était le titre d'un journal fondé et dirigé par Auguste Blanqui en 1880. C'est l'emblème du refus de l'autorité et de l'insoumission. C'est aussi le titre d'une chanson de Léo Ferré qu'il a enregistré sous deux versions, la première de 1965, la seconde, plus grave et solennelle, de 1973. La chanson raconte les derniers moments d'un condamné à mort, condamné, on le suppose, on le devine, pour des faits d'anarchisme. La chanson de Ferré se termine par cette profession de foi :

« Cette parole d’Évangile
Qui fait plier les imbéciles
Et qui met dans l'horreur civile
De la noblesse et puis du style
Ce cri qui n'a pas la rosette
Cette parole de prophète
Je la revendique et vous souhaite
Ni Dieu ni maître »

dimanche 8 mai 2016

Éros, philia et agapé




    Dans la spiritualité et dans la religion, on parle souvent d'amour. Jésus disait : « Aimez-vous les uns les autres » ou « Aime ton prochain comme toi-même ». Dans le Soûtra de l'Amour, le Bouddha appelle à aimer chaque être dans l'univers comme une mère aime et chérit son unique enfant : « Ainsi qu'une mère au péril de sa vie, surveille et protège son unique enfant, ainsi avec un esprit sans limite, doit-on chérir tout être vivant, aimer le monde en son entier, au-dessus, au-dessous et tout autour, sans limitation, avec une bonté bienveillante et infinie ». Mais que signifie l'amour dans ce cas précis ? Le mot semble évident, mais au nom de l'amour, on fait toutes sortes de choses déraisonnables, voire même condamnables. Telle personne bat sa femme qu'il croit infidèle, telle autre fait une crise de jalousie, telle autre se suicide de désespoir parce que la personne aimée le ou la rejette.... On sait tous que la passion amoureuse peut avoir des conséquences funestes. Toute la littérature est remplie de ces histoires d'amour qui finissent mal, très mal parfois... De Roméo & Juliette à Tristan & Iseult en passant par Autant en emporte le vent....

    Est-ce que c'est cet amour qu'ont prôné Jésus et le Bouddha ? Non, évidemment. Poser la question revient évidemment à y répondre ! Mais la volonté de se mettre à distance des conséquences délétères de la passion amoureuse a conduit les courants religieux et spirituels à fermement condamner l'amour charnel d'une façon souvent très dure. Les religions se sont attelées à refréner les pulsions sexuelles des hommes et des femmes, à les encadrer strictement dans le cadre du mariage et encore dans la seule optique de la reproduction et la perpétuation de la société. L'amour charnel qui déborderait d'une manière ou d'une autre de ce cadre strict a été lourdement frappé du sceau du péché, de l'impureté ou de l'infamie. Pourtant, dans l'amour charnel, il y a de l'amour, peut-être entaché d'imperfections et de manque de sagesse, mais de l'amour quand même, un amour qui jaillit et qui persiste dans la conscience des gens.

samedi 23 avril 2016

La visite au musée



La visite au musée


Jacques Prévert



Au musée de cire du Souvenir
vous prenez la galerie des projets avortés
le couloir des velléités
l'escalier des faux désirs
et vous tombez dans la trappe des regrets
vous pouvez graver sur les murs
avec le petit couteau-souvenir acheté à l'entrée
les graffiti du malentendu
Mais
au-dessus de la salle des Bienfaits Perdus
les yeux bandés
le funambule Amour
danse sur la corde raide du bonheur à peine entrevu
du bonheur jamais oublié
Et la musique de son cirque
tourne son disque rayé usé exténué mais ravi
et le disque tourne comme une lune sanglante et endeuillée
radieuse vivante souriante ensoleillée
merveilleuse et émerveillée
Musique du peuple des oiseaux
musique des oiseaux du peuple
Visiteurs
n'écoutez pas cette musique sans l'entendre
ne prêtez pas seulement l'oreille à cette musique
à ce bruit
donnez-la-lui
Elle vous la rendra au centuple
un beau jour
ou un autre jour
la musique du peuple des oiseaux de l'amour


Jacques Prévert, La pluie et le beau temps