Pages

Affichage des articles dont le libellé est quatre demeures de Brahma. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est quatre demeures de Brahma. Afficher tous les articles

lundi 27 avril 2020

Distinguer les quatre qualités





La semaine passée, j'ai parlé des quatre qualités incommensurables dans le bouddhisme : l'amour bienveillant, la compassion, la joie et l'équanimité. Un internaute m'a fait cette objection : « Compassion, joie, équanimité sont toutes contenues dans l'Amour. L'Amour au sens d'Agapé inclut absolument tout ». On peut défendre cette idée, pourquoi pas. L'amour bienveillant, illimité, inconditionné engloberait les autres qualités dans quelque chose de transcendant qu'on appellerait Amour, Agapé pour reprendre le mot grec qui désigne l'amour de charité ou Maitri. On pourrait appeler cela la « Grande Compassion », Maha Karuna, comme on le fait dans le bouddhisme du Grand Véhicule, la volonté de ne pas quitter sans monde de souffrance tant que tous les êtres n'auront pas connu l'extinction totale et définitive de la souffrance.


Pour moi, l'amour et la compassion sont les deux faces d'une même pièce. L'amour est le souhait d'ardent que tous les êtres sensibles soient heureux et connaissent les causes du bonheur. La compassion est le souhait ardent que tous les êtres soient sensibles soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance. La joie est le fait que cette pièce soit fait d'or et qu'on puisse acheter beaucoup de belles choses pour le bonheur du monde. L'équanimité est le fait que cette pièce d'or n'appartient à personne et enrichit le monde sans distinction et sans condition, au contraire de l'argent de ce monde qui suscite tous les égoïsmes, toutes les avidités.



Il serait peu pertinent de traiter ces quatre qualités, amour, compassion, joie et équanimité comme des entités distinctes et complètement séparées. Ces quatre qualités ont bien sûr un lien profond. Néanmoins, il me semble nécessaire de les distinguer d'un point de vue psychologique. Si on ne parlait que de l'amour ou que de la compassion, on pourrait tomber dans certains travers, confondre l'amour avec une illusion d'amour et confondre la compassion avec une illusion de compassion.


Pour prendre l'exemple de l'amour :
  • L'amour sans l'équanimité peut conduire à la partialité et à l'attachement : on confondrait l'amour impartial et inconditionnel avec l'amour passionnel ou l'amour pour sa famille qui se concentrent sur une ou quelque personnes, là où l'amour inconditionnel s'étend à l'ensemble de l'humanité, voire même à l'ensemble des êtres doués de conscience et de sensibilité dans le bouddhisme.

  • L'amour sans la compassion peut conduire à une béatitude indifférente aux misères du monde : on ne voit plus que le bonheur des êtres sans voir la face sombre de l'existence et sans être solidaire de ceux qui sont dans le tourment.

  • l'amour sans la joie est trop statique et sans communion. La joie se réjouit des potentialités de chacun pour s'améliorer et améliorer le monde. La joie donne l'enthousiasme de changer les choses et de faire tous les efforts qui vont contribuer à cela.


Cela vaut aussi pour la compassion. On ne peut pas la penser indépendamment des autres qualités qui la complètent :


  • La compassion sans l'amour conduirait à ce que les psychologues appellent la détresse empathique : on ne verrait plus que le côté négatif de l'existence et on serait englouti dans le malheur des autres.

  • La compassion sans la joie serait une sorte de marasme et de complaisance dans la fatalité : l'impression ou la conviction que les êtres ne sortiront jamais du marécage de l'existence où l'on s'enfonce inexorablement, comme ces films noirs qui n'entrevoient aucune issue, aucun happy end à leurs (anti)héros.

  • La compassion sans l'équanimité nous ferait tomber dans la partialité : estimer qu'une catégorie de personnes mériteraient d'être aidées et pas les autres. La compassion sans l'équanimité conduirait aussi à ne pas relativiser les choses, à voir tout comme une catastrophe indépassable.



La joie a aussi besoin des autres qualités sur lesquelles elle peut s'appuyer et pour faire sens :


  • La joie sans l'amour viserait de mauvais buts : elle ne contribuerait pas au bonheur de tous. Comme des fêtards qui ne pensent qu'à la fête du soir sans soucier du lendemain et sans se soucier des voisins de l'étage en-dessous qui essaient de dormir.

  • La joie sans la compassion serait une sorte d'euphorie sans aucun réalisme. Ce serait une fuite des problèmes : comme le fêtard qui fait la fête pour oublier tous les problèmes qui s'accumulent et auxquels il n' a pas la force de faire face.

  • La joie sans l'équanimité serait comme un coureur qui démarrerait sa course avec un sprint alors qu'il a un marathon à courir. La joie a besoin de la paix de l'équanimité pour ne pas s'épuiser tout de suite.


Enfin, l'équanimité a également besoin de s'appuyer sur les autres qualités pour être cohérentes :


  • L'équanimité sans l'amour manquerait considérablement de chaleur humaine et de luminosité.

  • L'équanimité sans la compassion dériverait en une complète indifférence aux sorts des autres. Tout serait égal, bonheur et souffrance. Et on ne se soucierait pas des problèmes et des tragédies des autres.

  • L'équanimité sans la joie conduirait à une forme d'inertie où peu importerait la libération, l'effort vers le bonheur et le bien-être puisque tout serait égal, indifférent.




Frédéric Leblanc, 
le 27 avril 2020.






dimanche 19 avril 2020

Paradoxes de l'amour impartial





Dans son livre consacré à l'amour 1, le philosophe analytique français Ruwen Ogien (1947 – 2017), il y a un chapitre sur la question de savoir si l'amour est moral, s'il est est « par-delà le bien et le mal », évocation du livre de Nietzsche et de son aphorisme : « Tout ce qui se fait par amour se fait par-delà le bien et le mal ». Je ne m'étendrai pas sur la partie du chapitre où il traite de l'amour au sens sentimental et romantique du terme ou de l'amour filial. Pour faire bref, Ruwen Ogien constate les apories de l'amour sur un plan moral : soit l'amour est partial, soit l'amour est impartial. Si l'amour est partial, il n'est pas moral puisqu'il favorise les personnes aimées en-dehors de tout principe moral d'équité et de justice. Et si l'amour est impartial, on arrive à des choses manifestement très étrange : que penser de cet amoureux transi qui voit sa compagne, sa dulcinées se noyer dans un fleuve en compagnie d'une femme quelconque qui lui est totalement inconnue, et qui déciderait de tirer à pile ou face pour savoir qui il va sauver afin d'être impartial et de ne pas favoriser indûment son amoureuse adorée ?



Je reviendrai prochainement sur cette question plus tard ainsi que sur le livre « Philosopher ou faire l'amour » tout entier une prochaine fois. Ce qui m'intéresse ici, c'est ce qu'il dit de l'amour universel ou amour de bienveillance. Pour Ruwen Ogien, c'est le seul type d'amour qui puisse revendiquer de manière pertinente l'idéal d'impartialité. Mais cela ne va pas sans poser de problème non plus !


« C’est le sens de l’amour de charité, l’amour de bienveillance, celui qui est censé pouvoir être distribué équitablement à tous les humains. Mais cette conception impartialiste de l’amour (l’amour de charité ou de bienveillance) pose des problèmes conceptuels qui semblent insurmontables. Dans la mesure où l’amour est une valeur, il présente des degrés comme toute valeur. On peut être plus ou moins libre, plus ou moins heureux, etc. On peut aimer une personne un peu, beaucoup, passionnément, à la folie.


On peut donc aimer une personne plus qu’une autre puisqu’on peut aimer l’une juste un peu et l’autre énormément. C’est ce qu’on pourrait appeler le « gradualisme amoureux ». Il conduit à toutes sortes de paradoxes : « Ce gradualisme de l’amour, qui est déjà déconcertant en tant que tel, déconstruit aussi l’idée ou l’impératif d’aimer tout le monde équitablement : car ce serait aimer tout le monde à quel degré ? “À la folie” serait absurde et même inconvenant. “Un tout petit peu” léger et ridicule ! Et on imagine des problèmes moraux bizarres : mieux vaudrait-il aimer un tout petit peu tout le monde et personne à la folie, ou être indifférent à tout le monde et n’aimer qu’une personne à la folie ? 2 »

vendredi 16 février 2018

Les quatre incommensurables selon le bouddhisme tibétain




Les quatre incommensurables selon le bouddhisme tibétain




       Ce texte que vous êtes en train de lire est le premier d'une petite série sur la présentation des quatre qualités incommensurables – amour, compassion, joie et équanimité – dans l'école nyingmapa du bouddhisme tibétain. Il s'agira à chaque fois de commentaires d'un passage de « Notes de mémoire sur le Chemin de la Grande Perfection » de Ngawang Palzang (1879 - 1941), qui est lui-même un commentaire du « Chemin de la Grande Perfection » de Dza Patrül Rimpotché (1808 – 1887) qui est lui-même un commentaire de « L'essence du cœur de l'immensité » de Jigmé Lingpa (1730 – 1798). Le « Chemin de la Grande Perfection » ainsi que les « Notes de mémoire sur le Chemin de la Grande Perfection » ont été publiés aux éditions Padmakara, le premier en 1997 et le second en 2014 (pp. 157 – 174). Les parties en italique sont le texte de « Notes de mémoire sur le Chemin de la Grande Perfection » (pp. 158 – 161).

mercredi 6 décembre 2017

S'habituer






      En tibétain, méditer se dit par le mot « gompa » (sgom pa) qui signifie littéralement « habituer ». L'idée est que la méditation consiste à s'habituer à un autre mode de pensée, de comportement et de concentration de l'esprit. Mais s'habituer à quoi exactement, voilà l'objet de cet article. En fait, s'habituer dans le contexte de la méditation signifie plusieurs choses, des choses qui peuvent très différentes les unes des autres, voire qui peuvent sembler contradictoires. Et c'est ces différentes significations et implications, parfois contradictoires, mais toujours complémentaires de ce processus d'habituation qu'est la méditation que je voudrais aborder ici.

samedi 14 octobre 2017

Deuil et consolation




Deuil et consolation




      Un ami me demande comment mieux vivre son deuil. Dans son cas, il s'agit de ces animaux domestiques dont la mort l'affecte beaucoup. Mais en fait, que ce soit des personnes humaines et que des personnes animales, il s'agit d'être cher dont le décès peut nous accabler du jour, des semaines, voire des mois. Comment mieux vivre son deuil ? Un penseur de l'Antiquité, Boèce, voyait dans la philosophie une source de consolation. C'est d'ailleurs le titre de son ouvrage le plus célèbre : « Consolation de la philosophie ». Boèce l'a écrit alors qu'on l'avait jeté en prison et qu'il se lamentait au fond de sa geôle en attendant d'être exécuté . Tout le livre consiste en un dialogue avec la Philosophie incarnée sous la forme d'une déesse. Mon propos se veut moins grandiose, mais il s'agit quand même de se poser la question de la consolation que comporte la transformation philosophie de sa être et la transformation de sa vision du monde.


      Tout d'abord, un constat d'humilité : la philosophie peut aider à mieux vivre un deuil, mais elle ne nous enlève pas notre nature humaine, trop humaine. Elle ne fait pas de nous des robots complètement insensibles à la douleur du monde. Et c'est tant mieux. Je précise ce point parce que notre société fait miroiter aux gens le projet d'une maîtrise totale de soi-même et de ses affects ; et souvent malheureusement, la méditation bouddhique est pensée comme un moyen d'atteindre une impartialité totale doublé d'un contrôle entier sur soi-même. On va pratiquer la méditation pour devenir plus efficace et rentable sur la marché du travail. Pour ma part, je ne pense pas que ce soit là un but à atteindre, ni que ce soit possible, ni que ce soit souhaitable. Le but n'est pas de devenir insensible et imperturbable, mais d'apaiser doucement cette tristesse et ce désespoir au fil des heure sou au fil des jours. Permettre à la joie et à la vie de rejaillir sous les cendres.




*****



   Tout d'abord, il est important de méditer sur l'impermanence : tous les phénomènes composés sont voués à vieillir, à péricliter, à disparaître, à être détruit en fin de compte. Rien n'est éternel. Les êtres vivants sont aussi des phénomènes composés de cellules, de tissus, d'organes, le tout mêlé à de la conscience et à la capacité de ressentir les choses ; et eux aussi sont voués à vieillir, à être malade, à disparaître, à mourir en fin de compte. Il ne suffit pas seulement de le savoir intellectuellement et d'avoir une notion claire de ce qu'est la mort. Il faut s'imprégner de la conscience de cette impermanence dans tous les moments de notre vie. Il faut voir le grand cycle de la Nature où tout ce qui naît vit, évolue, périclite et meurt pour être transformé par un nombre considérable d'autres êtres vivants et réintégrer ce cycle de la vie. Ce n'est pas seulement la raison de votre cerveau qui doit acquiescer à cette vérité, mais tout votre être, votre corps et votre intuition. Voir sans cesse l'éternelle transformation des choses qui passent.


    De cette méditation de l'impermanence découlent deux choses : l'acceptation et le détachement. Cela demande tout un travail spirituel : accepter la mort de soi-même ou de ses proches, c'est souvent demander d'accepter l'inacceptable. Pour autant, il est possible de se transformer soi-même et de cultiver cette acceptation des choses et cette dynamique de vie et de mort. Le détachement ne coule pas de source non plus, tant nous sommes attachés émotionnellement aux êtres qui nous sont chers. Mais en s'imprégnant de l'omniprésence de l'impermanence encore et encore au fil de nos séances de méditation, l'attachement perdra progressivement de s'agripper à la présence des êtres qui nous sont chers.
 

     Pour autant, ce détachement n'est pas un signe de froideur envers le monde ou les êtres qui nous sont chers. En même temps que cette méditation de l'impermanence, il convient de pratiquer la méditation des Quatre Qualités Incommensurables. Ces quatre qualités sont l'amour, la compassion, la joie et l'équanimité. Souvent notre amour ou notre compassion se referme sur une seule personne ou un petit groupe de personnes. Ce faisant, la mort de ces personnes sont vécus comme une catastrophe comme si notre amour était englouti dans le grand froid intersidéral et perdu à jamais. Lamartine a écrit : « Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !1 ». Pratiquer les Quatre Qualités Incommensurables, c'est se rendre compte que l'on peut aimer beaucoup plus de personnes dans le monde. L'amour n'est pas absorbé dans une personne ou un petit être, mais se libère en rayonnant vers tous les êtres. Vous n'êtes pas dépeuplé à la mort d'un proche, mais vous vous rendez compte que vous êtes vous-mêmes peuplé d'une infinité d'êtres à aimer, envers qui éprouver de la compassion, avec qui célébrer la grande joie sacrée et à insuffler la paix dans l'existence. La tristesse est encore là, mais ce n'est plus une calamité. Avec les Quatre Qualités Incommensurables, vous pouvez vivre cette tristesse avec beaucoup plus de sérénité. Et cette tristesse est comme une résonance subtile avec le chagrin de tous les êtres sensibles.




mercredi 15 mars 2017

Commentaire au Soûtra des Kālāmas




Commentaire au Soûtra des Kalamas








      Le Soûtra des Kālāmas est un texte important, car c'est là que se manifeste de la façon la plus éclatante l'absence de dogmatisme du Bouddha et sa confiance dans le libre-arbitre raisonné des hommes. L'occasion dans laquelle le Bienheureux va pouvoir donner cet enseignement est importante, car cela se passe dans un bourg de l'Inde antique qui se trouve sur une route très fréquentée où de nombreuses ascètes errants et d'érudits font une halte. Le peuple des Kālāmas se voit donc souvent visité par toutes sortes de prêcheurs et d'érudits qui exposent leurs thèses métaphysiques. Or très souvent ces thèses s'opposent entre elles.

mercredi 15 février 2017

En attendant le bus



En attendant le bus




     Qui n'a pas connu la frustration très agaçante d'attendre un bus ou un train qui ne venait pas ? L'attente pénible nous plonge souvent dans l'irritation et l'énervement, elle nous remplit de pensées noires. A fortiori, quand les conditions climatiques sont dures, par temps de grand froid ou de pluie battante. Cela m'est arrivé souvent, mais une fois en particulier que j'attendais à Liège un bus dont l'attente s'éternisait, j'ai eu la chance d'avoir un livre avec moi, et pas n'importe quel livre, le Bodhisattvacharyāvatāra (L'entrée dans la conduite des bodhisattvas) de Shāntideva1. Et dans ce livre, dans le chapitre VI sur la patience, Shāntideva donne ce conseil précieux :


« Il n'est rien qui, par l'accoutumance,
Ne devienne aisé.
Ainsi, en vous familiarisant avec de moindres maux ,
Apprenez à en supporter de grands.

samedi 31 décembre 2016

Faire rayonner les quatre qualités



Faire rayonner les quatre qualités



     Une dimension importante de la méditation bouddhique est la pratique des quatre qualités incommensurables. Ces quatre qualités incommensurables sont l'amour bienveillant incommensurable, la compassion incommensurable, la joie incommensurable et l'équanimité incommensurable. On appelle également cette pratique « les quatre demeures de Brahmā » parce que le monde divin de Brahmā est dépourvu d'éléments grossiers comme la terre, l'eau, le feu ou l'air comme dans notre monde physique, mais est entièrement composé d'amour, de compassion, de joie et d'équanimité qui s'étendent à l'infini.

      Je pense vraiment que c'est là une pratique essentielle que d'accoutumer sans cesse notre esprit à ces quatre qualités incommensurables, et je voudrais ici inviter tout le monde à découvrir à cette dimension de la méditation. Dans les soûtras, le Bouddha revient souvent avec la même formulation de la méditation des quatre qualités incommensurables :

jeudi 29 décembre 2016

Sérénité et colère













     « Je médite, j'allume des bougies, je bois du thé vert, et pourtant j'ai toujours envie de taper les gens ». Voilà une boutade bien intéressante pour tous ceux qui ont le désir de purifier leur vie : purifier leur esprit avec la méditation, purifier leur foi par la prière et purifier le corps avec une alimentation. L'image d’Épinal qu'on associe avec ce genre de vie est celle d'un ascète plein de sagesse et de sérénité, que rien ne viendrait troubler et qui resterait impassible devant les pires insultes, voire les agressions physiques. Le mot « Zen » en japonais désigne la méditation ; mais il est passé dans la langue française comme un synonyme de calme et de contrôle de soi. Ne dit-on pas « rester zen » ? Ce qui, a priori, ne veut rien dire... Rester zen, c'est littéralement « rester méditation ». Cela n'a pas beaucoup de sens, sauf si on se réfère à l'image d'un maître spirituel qui se doit de baigner dans la sérénité et la paix de l'esprit. En ce sens, rester zen, c'est rester conforme à l'image qu'on attend d'un maître zen, c'est-à-dire être calme et maîtrisé en toutes circonstances.

      Mais voilà, il est tout de suite temps de dissiper une illusion : ce n'est pas parce qu'on pratique la méditation qu'on va devenir d'une sérénité à toute épreuve. Quelqu'un qui pratique la méditation reste un être humain traversé d'émotions et d'un ressenti particulier de la vie. Il peut donc arriver que, même après une séance de méditation et un bon thé chaud, on éprouve quand même l'envie de taper les gens parce qu'ils nous énervent de trop. Nous sommes des humains, et pas des surhommes, toujours parfaits, toujours complètement maîtres d'eux.

vendredi 2 septembre 2016

Les quatre demeures de Brahmā





      Il y a dans le bouddhisme cette pratique méditative que l'on appelle les « quatre demeures de Brahmā » : il s'agit de l'amour illimité, de la compassion illimitée, de la joie illimitée et de l'équanimité illimitée. Ce nom fait référence au dieu de l'hindouisme Brahmā ; et on retrouve cette pratique des quatre qualités illimitées ou incommensurables dans les textes hindous, dans le Yoga Sûtra de Patañjali par exemple. On la retrouve aussi dans les textes jaïns. Le Bouddha voulait très probablement qu'on admette que les religions et les courants spirituels et philosophiques partagent une base commune, même si ils diffèrent, voire s'opposent sur certains points. Mais il y a une autre raison à ce que l'amour illimité, la compassion illimitée, la joie illimitée et l'équanimité illimitée soient appelées « quatre demeures de Brahmā » : selon la cosmologie bouddhique, le monde divin de Brahmā qui chapeaute tous les mondes ayant une existence physique est composé d'amour, de compassion, de joie et d'équanimité. Tout comme notre monde matériel sur la Terre est faite de terre, d'eau, de bois, de métal, d'air, de feu et de tous les éléments matériels ont fabriqué à partir des ressources de la nature comme le verre, la brique, le plastique, etc..., les éléments constituants de l'univers de Brahmā sont matériellement faits de cet amour, de cette compassion, de cette joie et de cette équanimité, et cela à perte de vue, au-delà de tout ce qu'on peut imaginer. On ne veut pas simplement dire que l'amour règne dans ce monde, un peu comme dans le monde des bisounours, mais que l'amour, la compassion, la joie et l'équanimité sont les briques et les atomes de ce monde. Non pas un univers clos, mais une vastitude infinie dans laquelle nous nous sentons immergés, en communion avec tous les êtres.

samedi 20 août 2016

Équanimité





    L'équanimité est cette égalité dans l'humeur et le jugement, l'équanimité est une disposition de la conscience faite de détachement et de sérénité à l'égard de toute sensation ou ressenti, agréable ou désagréable. L'équanimité joue un rôle considérable dans la Voie du Bouddha et dans la méditation. Équanimité traduit alors le terme en sanskrit « upekshā » ou en pâli « upekkhā ». L'équanimité est une des Quatre Demeures de Brahma ou Quatre Qualités Incommensurables avec l'amour, la compassion et la joie. L'équanimité n'est donc pas seulement la capacité à être calme et à rester « zen » face aux circonstances adverses, mais c'est aussi la paix qui procèdent de la bienveillance fondamentale que l'on peut nourrir envers les autres. Dans les Soûtras, le Bouddha encourage le méditant à répandre ce sentiment d'équanimité et de paix partout autour de lui, dans toutes les directions : « Le méditant demeure faisant rayonner la pensée d'équanimité dans une direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans une troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au travers, partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il demeure faisant rayonner la pensée d'équanimité, large, profonde, sans limite, sans haine et libérée d'inimitié ». Il s'agit que tous les êtres soient touchés en tous lieux de l'univers et en tout temps par cette grande paix.

    L'équanimité consiste donc à rester égal par rapport aux événements qu'ils soient positifs, négatifs ou neutre. Il s'agit de laisser passer tout ce qui peut lui arriver dans la vie et ne pas s'y attacher. Dans le Soûtra du Développement des Facultés Sensorielles (Indriya Bhāvanā Sutta, Majjhima Nikāya, III, 298-302), le Bouddha explique :

   « Lorsque qu'un pratiquant voit une forme matérielle grâce à ses yeux, il se produit chez lui une sensation agréable ou une sensation désagréable ou une sensation à la fois agréable et désagréable.

     Le pratiquant la reconnaît pour ce qu'elle est : « Voici une sensation agréable qui se produit en moi. Voici une sensation désagréable qui se produit en moi. Voici une sensation à la fois agréable et désagréable qui se produit en moi. Cette sensation se produit parce qu'elle est un fait conditionné ; elle est un fait grossier ; c'est un effet qui se produit par des causes. Cependant, c'est l'équanimité qui est pure, qui est excellente ».

   Lorsqu'il réfléchit ainsi, la sensation agréable ou la sensation désagréable ou la sensation à la fois agréable et désagréable s'estompe en lui. Enfin, c'est l'équanimité qui reste. Tout comme, ô Ānanda, un homme qui peut voir, ayant les yeux ouverts, les ferme ou, les ayant fermés, les ouvre, de même, ô Ānanda, c'est avec une telle vitesse, une telle rapidité, une telle aisance qu'une sensation agréable ou une sensation désagréable ou une sensation à la fois agréable et désagréable s'estompe. Enfin, c'est l'équanimité qui reste. Telle est, ô Ānanda, le développement de la faculté sensorielle concernant les formes matérielles connaissables par les yeux1 ».

     L'équanimité est donc intimement liée à la conscience de la fugacité de la sensation. La méditation de l'équanimité a donc ici pour préalable la méditation de l'impermanence. Bien sûr, on pourrait rétorquer qu'une sensation peut durer plus que quelques instants. Quand on est malade, la sensation douloureuse de notre corps peut durer des jours entiers. Mais quand on analyse finement cette sensation qui dure et qui dure encore, on se rend compte que cette sensation se décompose en une chaîne d'instants de sensation. La sensation désagréable que l'on éprouve durant la maladie n'est pas une seule sensation, mais une suite de sensations, comme un film est une suite d'images qui se succèdent sur la pellicule. Or l'équanimité agit dans l'instant présent de cette sensation : celle-ci ne dure qu'un instant comme un battement de paupières avant de laisser la place à une autre sensation.

    Le Bouddha applique, dans ce Soûtra du Développement des Facultés Sensorielles, le même raisonnement aux autres facultés sensorielles : l'équanimité dans l'instant de la sensation sonore est comparée au claquement de doigts, l'équanimité dans l'instant de la sensation olfactive est comparée à la goutte d'eau qui tombe et dévale d'une feuille de lotus. La fleur de lotus a la particularité de ne donner aucune adhérence à l'eau, ce qui fait que l'eau glisse particulièrement vite sur sa surface. L'équanimité dans l'instant de la sensation gustative est comparée à un crachat ; l'équanimité dans l'instant de la sensation tactile est comparée au fait de tendre un bras. Enfin, l'équanimité dans l'instant de la sensation mentale est comparée à une goutte d'eau qui tombe sur une plaque de four en fusion et qui s'évapore dans l'instant. L'équanimité qui se maintient dans la fugacité de l'instant permet de dissoudre cet attachement au sensation qui fait que l'on désire avidement les sensations plaisantes et que l'on rejette violemment toute sensation désagréable.

     Par ailleurs, l'équanimité provient aussi de la conscience de la causalité. Aucun phénomène n'existe de manière indépendante comme une fatalité tombée du ciel. Une fois que l'on comprend l'enchaînement des causes et des conditions qui ont fait advenir les événements auxquels nous sommes confrontés, on peut d'autant plus facilement les relativiser et s'apaiser par rapport à eux.

    Cette faculté d'apaisement n'est jamais pourtant vraiment totale. Peut-être chez un Bouddha est-elle totale, mais chez la plupart des pratiquants de la méditation, la vie n'est pas vécue de manière totalement égale et sereine. La colère et l'irritation pourront vous envahir. Certains maîtres zen étaient d'ailleurs connus pour leur coup de sang. On peut avoir des moments de déprime, être stressé, plonger dans le désespoir. L'équanimité n'agit pas nécessairement tout de suite, d'un seul coup, comme par un coup de baguette magique. L'équanimité agit le plus souvent lentement, doucement. Vous êtes envahis par une émotion, c'est naturel, et puis il faut avoir le réflexe de revenir à la méditation. Au lieu d'entretenir cette émotion perturbatrice et laisser courir les pensées incontrôlées comme un torrent impétueux, revenir à la conscience silencieuse du moment présent. Au début, c'est difficile parce que des orages de pensées noires nous traversent, notre corps est le témoin et la victime de ces crispations qui l'assiègent de toute part. Mais par la méditation de l'équanimité, cela redescend lentement. L'amour infini, la compassion infinie et la joie infinie finiront par chasser ces nuages noires qui planent sur notre esprit et feront revenir un ciel radieux dans notre flux de conscience.

      En fait, c'est vraiment une question d'avoir le réflexe de se tourner vers la pratique de shamatha / vipashyanā (quiétude & vision pénétrante) plutôt que de se laisser emporter par le flot émotionnel. Pour cela, il faut s'entraîner encore et encore à la méditation afin d'ancrer ce réflexe de la méditation au plus profond de nous-mêmes. Cela vient lentement, lentement, lentement.... L'équanimité n'est pas un ordre autoritaire que la raison pourrait décréter envers et contre tout dans notre psychisme. On dit souvent qu'un arbre qui pousse fait plus de bruit qu'une forêt qui tombe. Et la croissance de l'équanimité dans toutes les parties les plus fines de notre être est encore plus silencieuse, inodore, invisible... Il faut commencer par cultiver l'équanimité dans des petites choses, par exemple quand vous attendez votre bus et que vous vous impatientez de ne pas le voir venir. Progressivement, l'équanimité gagnera du terrain en nous.

      Mais cette équanimité ne sera jamais totale, sauf peut-être dans le cas hypothétique d'un Bouddha parfaitement accompli. En fait, il y a toute une mythologie tant dans la tradition gréco-romaine que dans les traditions indiennes ou chinoises dont il conviendrait de se défaire : c'est l'idée d'un Sage totalement impassible face à l'adversité de la vie, face même à la torture ou à des souffrances inimaginables. Rien ne pourrait le perturber. On trouve cela fortement inscrit dans l'éthique stoïcienne où le Sage reste de marbre face aux orages du Destin. En Inde, on imagine les bouddhas du bouddhisme et les rishis de l'hindouisme ainsi que les jinas du jaïnisme aussi imperturbables que les statues qui les représentent. Mais voilà, les Sages, les bouddhas, les jinas et les rishis ne sont pas des statues, mais des êtres humains faits de chair et de sang. Ce sont comme comme nous des êtres doués de sensibilité et de conscience, et ils ressentent au moins la douleur physique autant que nous. Bien sûr, on peut s'entraîner par un effort colossal de la volonté à maîtriser ses affects ; mais je me demande dans quelle mesure il n'y a pas un orgueil incommensurable à vouloir se faire plus imperturbable qu'un roc.

     En fait, la peur, le stress, l'angoisse sont des choses très désagréables, mais elles ne sont pas dénuées d'utilité pour notre survie et l'évolution de notre espèce. Supposons que nous soyons poursuivis par un lion. On a tout intérêt à avoir peur et à être stressé ! Cela nous donnera des ailes pour fuir au plus vite ce danger. Certes, quand la peur devient de la panique, on a souvent des réactions complètement irrationnelles et contre-productives : on reste figé et tremblant là où on devrait ses jambes à son coup, ou on fuit là où il serait beaucoup plus sensé de rester immobile et d'attendre que le danger passe. C'est pareil pour la colère. La colère est mauvaise si elle nous conduit à la violence, au ressentiment et à la malveillance. Mais rester de marbre face à une injustice peut donner à l'impression à celui qui commet l'injustice qu'il ne fait là rien de mal. Exprimer notre colère ou notre rébellion peut envoyer à l'autre le message qu'il fait quelque chose de mal.

      C'est pourquoi cette idée de rester imperturbable quoi qu'il arrive n'est pas nécessairement un bon idéal de sagesse à atteindre. J'y verrais pour ma part une vision figée et faussée de la sagesse. Le Bouddha n'hésitait pas à exprimer sa désapprobation devant le comportement de certains de ses disciples, voire à les réprimander vertement. Par ailleurs, certaines personnes sont plus sensibles que d'autres, certains personnes connaissent plus d'angoisse que la moyenne des gens, d'autres sont naturellement ou à cause des aléas de la vies plus frappées de dépression ou de désespoir. Je pense que la sagesse consiste à vivre de manière dynamique avec ce que nous sommes. J'ai souvent connu des crises d'angoisse ; et au début où je pratiquais la méditation, j'avais l'ardent désir de parvenir à apaiser totalement ces crises d'angoisse grâce à la pratique de shamatha / vipashyanā. Mais cette angoisse persistait au fil des ans où je pratiquais assidûment la méditation, plusieurs heures par jour. Je vivais cela comme un échec. Jusqu'au jour où j'ai compris que la méditation ne devait pas m'aider à éteindre l'angoisse, mais vivre tranquillement cette angoisse. Il m'arrive encore d'être traversé par des crises d'angoisse, mais je ne m'angoisse plus d'angoisser. Je vis ces moments désagréables d'angoisse avec une certaine équanimité comme quelqu'un qui serait malade d'une fièvre et qui doit bien prendre son mal en patience. Mais surtout je n'écoute plus le discours de cette angoisse, cette production infernale du mental qui se tracasse de tout et de rien. Je sais que c'est là : « il y a là de l'angoisse », mais je ne vois plus là une raison de perdre sa sérénité.




Ernst Baumann - Le lac de Zell en soirée - 1938






*****






       L'équanimité peut aussi être mise en relation avec les trois Portes de la Sagesse : vacuité, absence de caractéristique, absence de souhait. La vacuité désigne l'absence d'existence ultime des phénomènes. Les phénomènes n'ont pas la réalité qu'on leur porte. L'absence de caractéristique est la prise de conscience du fait que les concepts, les noms, les idées, les appréciations, les jugements ne sont que des étiquettes que l'on porte sur des phénomènes fluctuants et insaisissables : ces étiquettes conceptuelles ne renvoient à aucune réalité. Pourtant, nous avons la très forte tendance à conférer une réalité à nos concepts et aux caractéristiques dont nous affublons les phénomènes auxquels nous assistons. L'absence de souhait est la prise de conscience qu'il n'y a rien à attendre des phénomènes illusoires, rien à souhaiter, rien à désirer, simplement se contenter dans l'ici et maintenant, dans les choses telles qu'elles sont, et non telles que nous voudrions qu'elles soient.

      Si nous pratiquons l'équanimité en-dehors de ces trois portes de la sagesse, c'est déjà très bien somme toute, mais on ne dépassera pas le stade du monde de Brahma, monde divin fait d'une sublime paix, où tout est amour, compassion et joie, mais où on ne dépasse pas la dualité entre ce qui est bon et ce qui est mauvais. Le méditant équanime qui médite les quatre demeures de Brahma apaisera son esprit face à la douleur ou ce qui est pénible et ne s'emballera pas face à ce qui est plaisant et jouissif, mais il sera toujours confronté à la dualité de devoir endurer les choses pénibles et ne pas s'exciter excessivement devant les choses plaisantes. Jointe aux trois Portes de la Sagesse, la vacuité, l'absence de caractéristique et l'absence de souhait, l'équanimité prend une autre ampleur. Dans l'absence de caractéristique, on cesse de juger constamment les phénomènes et les diviser en bons et en mauvais. On prend conscience que ce ne sont que des divisions relatives qui n'ont pas cours dans l'absolu. Dans l'absence de souhait, on s'établit dans l'instant présent, ne souhaitant rien pour l'avenir. On se libère de cette propension fondamentale qu'ont tous les êtres à rechercher avidement le plaisir et le bonheur et à repousser frénétiquement la douleur et le mal-être. L'absence de souhait agit alors en amont de l'équanimité et la facilite grandement. Jointe aux Trois Portes de la Sagesse, l'équanimité devient un véritable facteur d’Éveil. D'ailleurs justement, dans la liste des sept facteurs d’Éveil, l'équanimité est le septième et le plus haut de ces facteurs d’Éveil2.


     Dans le Soûtra de la Distinction des Éléments (Dhātu Vibhanga Sutta, Majjhima Nikayā, III, 237-247), le Bouddha explique ce rôle de l'équanimité dans la méditation pour aller dans les plus hautes sphères de la concentration méditative3  (c'est moi qui met les intertitres):

« 1°) Prise de conscience de l'apparition et de la disparition des sensations agréables, désagréables ou neutres.

     Supposons, ô moine, que la chaleur soit obtenue, que la lumière soit produite par la frottement de deux pièces de bois. Lorsque ces deux pièces de bois se sont séparées, leur chaleur réciproque cesse, puis disparaît. Il en est de même, ô moine, d'une sensation agréable qui se produit du contact qui donne une sensation agréable. En éprouvant une sensation agréable, on sait : « je sens une sensation agréable ». Lorsqu'il y a cessation du contact qui a donné la sensation agréable, on sait : « La sensation agréable qui s'est produite à cause du contact qui a donné la sensation agréable a cessé, elle a disparu ».

     Supposons, ô moine, que la chaleur soit obtenue, que la lumière soit produite par la frottement de deux pièces de bois. Lorsque ces deux pièces de bois se sont séparées, leur chaleur réciproque cesse, puis disparaît. Il en est de même, ô moine, d'une sensation désagréable qui se produit du contact qui donne une sensation désagréable. En éprouvant une sensation désagréable, on sait : « je sens une sensation désagréable ». Lorsqu'il y a cessation du contact qui a donné la sensation désagréable, on sait : « La sensation désagréable qui s'est produite à cause du contact qui a donné la sensation désagréable a cessé, elle a disparu ».

     Supposons, ô moine, que la chaleur soit obtenue, que la lumière soit produite par la frottement de deux pièces de bois. Lorsque ces deux pièces de bois se sont séparées, leur chaleur réciproque cesse, puis disparaît. Il en est de même, ô moine, d'une sensation ni agréable, ni désagréable qui se produit du contact qui donne une sensation ni agréable, ni désagréable. En éprouvant une sensation agréable, on sait : « je sens une sensation agréable ». Lorsqu'il y a cessation du contact qui a donné la sensation ni agréable, ni désagréable, on sait : « La sensation ni agréable, ni désagréable qui s'est produite à cause du contact qui a donné la sensation ni agréable, ni désagréable a cessé, elle a disparu ».

2°) Développement et purification de l'équanimité

    Alors, ce qui reste, c'est l'équanimité, bien pure, bien propre, souple, docile et brillante. Supposons, ô moines, qu'un habile orfèvre ou apprenti-orfèvre prépare un four. Ayant préparé le four, il l'allume. L'ayant allumé, il prend l'or avec des pinces et le jette dans le four. Puis de temps en temps, il souffle sur le feu ; de temps en temps, il arrose légèrement le four et de temps en temps il le regarde attentivement. Voici que l'or devient clair, pur, net, propre, libre de scories, souple, malléable et brillant, à tel point que cet or rend possible la fabrication d'une bague, d'un bracelet, d'un collier ou d'une guirlande d'or comme on le veut. De même, ô moine, l'équanimité qui reste est pure, souple, docile et brillante.

3°) Entrée dans les absorptions méditatives des mondes divins Sans Forme.

     Le pratiquant comprend ainsi :

   « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère d'Espace Infinie, et si je développe ma pensée selon elle, alors cette équanimité reposant sur elle, nourrie par elle, restera auprès de moi pendant longtemps ».

   « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère de Conscience Infinie, et si je développe ma pensée selon elle, alors cette équanimité reposant sur elle, nourrie par elle, restera auprès de moi pendant longtemps ».

   « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère du Néant, et si je développe ma pensée selon elle, alors cette équanimité reposant sur elle, nourrie par elle, restera auprès de moi pendant longtemps ».

   « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère de Ni Perception, Ni Non-Perception, et si je développe ma pensée selon elle, alors cette équanimité reposant sur elle, nourrie par elle, restera auprès de moi pendant longtemps ».

4°) Détachement des Sphères des mondes divins Sans Forme.

    Ensuite, le pratique comprend :

  « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère d'Espace Infinie, et si je développe ma pensée selon elle, ce ne sera qu'une chose conditionnée. »

  « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère de Conscience Infinie, et si je développe ma pensée selon elle, ce ne sera qu'une chose conditionnée. »

  « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère du Néant, et si je développe ma pensée selon elle, ce ne sera qu'une chose conditionnée. »

  « Si je concentre cette équanimité ainsi purifiée, ainsi nettoyée, sur la Sphère de Ni Perception, Ni Non-Perception, et si je développe ma pensée selon elle, ce ne sera qu'une chose conditionnée. »


5°) Détachement et réalisation du Nirvāna

  Ainsi, sans produire les choses conditionnées, sans intention de devenir ou de rester sans devenir, désormais la pratiquant ne saisit plus rien. Puisqu'il ne saisit pas, il n'est pas troublé. N'étant pas troublé, il atteint le Nirvāna, et il sait : « Toute nouvelle naissance est anéantie ; la Conduite pure est vécue ; ce qui doit être achevé est achevé, il n'y a plus rien qui demeure à accomplir, il n'est plus de devenir ». »











1On trouvera une traduction du Soûtra du Développement des Facultés Sensorielles dans : Môhan Wijayaratna, « Sermons du Bouddha », Points / Sagesse, Paris, 2006, pp. 185-195.

2Les sept facteurs d’Éveil sont : 1°) l'attention, 2°) l'investigation des Dharmas, 3°) la persévérance, 4°) la joie, 5°) la souplesse, 6°) la concentration, 7°) l'équanimité.


3Môhan Wijayaratna, « Le Bouddha et ses disciples », éd. Cerf, Paris, 1990, pp. 236-237.























Qu'est-ce que la compassion?

        On pense parfois que la compassion consiste à s'affliger soi-même de la détresse des autres, mais, dans la philosophie du Bouddha, rien de tout cela : la compassion est définie comme le souhait ardent que les autres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance.


- Compassion (Dalaï-Lama)


Esprit d’Éveil

     Comment produire l'esprit d’Éveil ou bodhicitta? L'esprit d’Éveil est le souhait que tous les êtres soient libérés de la souffrance et deviennent des êtres pleinement éveillés. Les enseignements du lama tibétain Dza Patrül Rimpotché (XIXème siècle). 



Joie 

   Qu'est-ce que la joie spirituelle prônée par le Bouddha ?



- Éros, philia et agapé

   Réflexions sur les différentes formes de l'amour



- Empathie et altruisme

   Développer l'empathie et l'altruisme selon la philosophie bouddhiste






    Le bonheur est-il en nous ? Ou se trouve dans notre relation avec les autres ?



- En compagnie du souffle - 4ème partie



- Des montagnes et des plaines (Fernando Pessoa)

   Sur les inégalités de la vie...


- L'équanimité de l'Arahant (Nāgasena) et mon commentaire

    En quoi l'Arahant est encore touché par les sensations physiques, mais n'est pas affectée par elle. En quoi il a cessé d'éprouver des sensations mentales.





S.M.H. Amsterdam







Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.



Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.