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dimanche 17 mai 2020

Peu doué pour la sagesse





- Mais ce qu'il y a de grand, ce qu'il y a d'exceptionnel convient peut-être à d'autres, à Socrate et aux individualités de sa trempe. Pourquoi donc si nous sommes aptes par nature à de telles prouesses, tous les hommes ou la plupart des hommes ne leur ressemblent-ils pas ?


- Est-ce que tous les chevaux sont rapides ? Ou tous les chiens habiles à suivre une piste ? Non ! Mais après ? Parce que je ne suis pas bien doué, devrai-je pour cela renoncer à faire de mon mieux ? À Dieu ne plaise ! Moi, Epictète, je ne serai pas meilleur que Socrate, mais même si je n'arrive pas à son niveau, je m'en contente. Je ne serai pas non plus Milon, mais je ne néglige pas pour autant de mon corps, ni Crésus, et pourtant je ne me désintéresse pas de ma fortune. En un mot, il n'est aucune autre chose dont nous ne renoncions à prendre soin sous prétexte que nous désespérions d'atteindre le plus haut niveau dans ce domaine.


Épictète, Entretiens, Livre I, chapitre II.





mercredi 15 avril 2020

Les maux présents





La philosophie triomphe aisément des maux passés et des maux à venir. Mais les maux présents triomphent d'elle.

François de la Rochefoucauld, maxime 22 des « Réflexions ou Sentences et maximes morales de monsieur de la Rochefoucauld » (1678).


vendredi 28 février 2020

Rien de trop






La formule grecque ΜΗΔΕΝ ΑΓΑΝ (Méden Agan) figurait sur le fronton de l'oracle de Delphes. Elle signifie littéralement « rien de trop ». C'était une formule très célèbre durant l'Antiquité, et c'était pour les Grecs de l'époque une parole de sagesse, comme l'autre formule figurant sur le fronton de l'oracle de Delphes : « Connais-toi toi-même ». « Rien de trop » est pour moi aussi un adage important qui compte dans ma vie et que j'essaye de mettre en pratique dans la vie de tous les jours. J'avais d'ailleurs consacré un article à cette antique sentence, mais pas plus tard que hier, on m'a reproché d'être trop compliqué dans mes explications : « Quelqu'un peut expliquer plus simplement, SVP ?... »

lundi 1 juillet 2019

Comme une olive mûre






Considérer sans cesse combien de médecins sont morts, qui ont si souvent froncé les sourcils sur leurs malades; combien d’astrologues, après avoir prédit, comme chose d’importance, la mort d’autrui; combien de philosophes, après mille discussions sur la mort ou l’immortalité; combien de chefs, qui ont fait mourir beaucoup d’hommes; combien de tyrans, qui, avec un terrible orgueil, ont usé, comme des dieux, de leur pouvoir sur la vie des hommes; combien de villes entières sont, pour ainsi dire, mortes: Hélice, Pompéi, Herculanum et d’autres sans nombres. Ajoutes-y tous ceux que tu as connus, l’un après l’autre; l’un rend les honneurs funèbres à un autre; puis, il est lui-même étendu par un autre, qui reçoit les honneurs d’un autre encore; et tout cela en peu de temps. Bien voir toujours au total combien sont éphémères et sans valeur les choses humaines; hier un peu de morve; demain une momie ou des cendres. Ce petit instant du temps de la vie, le traverser en se conformant à la nature, partir de bonne humeur, comme tombe une olive mûre, qui bénit celle qui l’a portée et rend grâce à l’arbre qui l’a fait pousser.

Marc-Aurèle, Pensées, IV, 48, trad. Emile Bréhier.



lundi 3 juin 2019

Un nomade de la raison - Conclusion




Un nomade de la raison sur les chemins d’Élis à Taxila

13ème partie


Pour lire les précédentes parties d'un Nomade la Raison, voir le sommaire.



jeudi 1 novembre 2018

Un nomade de la raison - 11ème partie






Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila

11ème partie


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L'indifférence de Pyrrhon


mercredi 31 octobre 2018

Un nomade de la raison - 10ème partie




Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila

10ème partie


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La nature des choses



mardi 30 octobre 2018

Un nomade de la raison - 9ème partie



Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila

9ème partie


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Le compte-rendu d'Aristoclès de Messène sur la philosophie de Pyrrhon

vendredi 19 octobre 2018

Un nomade de la raison - 8ème partie



Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila

8ème partie


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Pyrrhon d’Elis, sa vie



    On se souvient que Platon a dit de Diogène que c’était « Socrate devenu fou ». On pourrait pareillement voir en Pyrrhon un Socrate extravagant1. Victor Brochard explique : « On pourrait trouver d’assez frappantes analogies entre Pyrrhon et Socrate. (…) Et nous verrons que Pyrrhon, comme Socrate, s’est proposé avant tout de trouver le secret du bonheur. Comme lui, il renonce à la science théorique pour tourner toutes les préoccupations du côté de la vie pratique. Comme lui aussi, il prêche l’exemple, et fait plus impressions sur ses disciples par sa conduite que par ses discours2 ». Cependant, là où Socrate s’inscrit dans la logique de la Cité, vivant comme un citoyen à plein titre d’Athènes et jouant un rôle dans les murs de celle-ci, Pyrrhon vit en marge de cette Cité, préférant le silence de la nature et s’abstenant de jouer un rôle d’influence dans la Cité.


     Rentré en Grèce vers 322 avant notre ère, Pyrrhon eut une vie fort calme, très retiré de l’agitation de la Cité, ne se souciant aucunement d’argent et de biens matériels, s’occupant de sa ferme avec sa sœur Philista. Pyrrhon a fondé en cette cité d’Elis son école philosophique, même si tout porte à croire que ce n’était pas un centre d’enseignement très structuré comme pouvait être l’Académie de Platon ou le Lycée d’Aristote. Cela devait plutôt ressembler à un centre informel de discussion et d’échanges. La volonté de fonder une école pérenne préoccupait peu Pyrrhon. Ce qui a surtout frappé ses contemporains, c’est sa grande dignité morale. Il était tellement apprécié que ses concitoyens d’Elis le nommèrent grand-prêtre de leur Cité3 ! Destin étrange pour un philosophe sceptique !

mardi 4 septembre 2018

Un nomade de la raison - 4ème partie




Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila

4ème partie



Voir :

- la première partie 

- la 2ème partie   

- la 3ème partie




L’Inde philosophique



   Voilà donc pour les influences grecques que Pyrrhon emmena avec lui jusqu’en Inde. Et toutes ces influences ont certainement été ensemencées par la rencontre avec ces personnages si étranges et si déroutants qu’étaient les gymnosophistes aux yeux des grecs. Les mœurs de ces gymnosophistes, leur style de vie sans concession ont certainement marqué Pyrrhon de manière indélébile. Comme le dit Victor Brochard : « Cette résignation et ce renoncement qui sont les caractères distinctifs du scepticisme primitif, Pyrrhon en avait trouvé les exemples sur les rives de l’Indus : c’est encore un point par où l’expédition d’Alexandre a exercé sur les destinées du scepticisme une influence que nous croyons capitale. Il nous est expressément attesté que Pyrrhon a connu les gymnosophistes, ces ascètes qui vivaient étrangers au monde, indifférents à la souffrance et à la mort. Nul doute qu’il n’ait été vivement frappé d’un spectacle si étrange ; et il s’en souvint une fois revenu dans sa patrie (…). La dialectique lui avait peut-être appris le néant de la science telle qu’elle existait de son temps ; il apprit des gymnosophistes le néant de la vie, et crut, avec un autre sage de l’Orient, que tout est vanité1 ».

lundi 3 septembre 2018

Un nomade de la raison - 3ème partie




Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila

3ème partie



Voir la première partie et la 2ème partie



Les influences grecques de Pyrrhon

dimanche 2 septembre 2018

Un nomade de la raison - 2ème partie




Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila

2ème partie






Le voyage de Pyrrhon


    Au tout début de la préface de sa « Critique de la Raison pure », Emmanuel Kant oppose les dogmatiques qui s’affrontent entre eux pour la conquête du pouvoir de la raison sur ce champ de bataille qu’est la métaphysique, aux sceptiques, « une espèce de nomades, qui ont en horreur tout établissement stable sur le sol, rompant de temps en temps le lien social1 ». 

samedi 1 septembre 2018

Un nomade de la raison - 1ère partie




Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila


Le scepticisme antique en Grèce et en Inde



1ère partie




    Voici une étude sur le philosophe antique Pyrrhon d’Élis et les influences possibles des philosophies indiennes sur sa pensée, que j'avais rédigée en 2007. 



Introduction


     Pyrrhon, le fondateur de l’école sceptique, a connu une expérience qui a bouleversé sa vie. Il a voyagé en compagnie des armées d’Alexandre le Grand et ce voyage l’a conduit jusqu’en Inde. Là-bas, il a rencontré les ascètes indiens que les Grecs appelaient gymnosophistes, et dont l’étymologie signifie littéralement « sages nus ». Ceux-ci ont considérablement marqué Pyrrhon. Diogène Laërce, dans sa « Vies et doctrines des philosophes illustres », témoigne de cette influence que ces ascètes indiens ont exercé sur Pyrrhon : « Il faisait retraite, et vivait en solitaire, se montrant rarement à ses proches. Il agissait ainsi pour avoir entendu un Indien faire des reproches à Anaxarque, en lui disant qu’il ne saurait enseigner à un autre comment être homme de bien, puisqu’il fréquentait lui-même la cour des rois1 ». 

jeudi 23 août 2018

La boîte de Pandore




La boîte de Pandore




     Voilà un des mythes les plus célèbres de la mythologie grecque. Tout commence avec Prométhée qui, décidément, agissait un peu trop en faveur des humains aux yeux de Zeus, le roi de l'Olympe. Quand Prométhée et son frère Épiméthée avaient été chargés de créer et d'ordonner le monde des mortels, alors qu'Épiméthée avaient oublié de donner des dons et des qualités aux êtres humains tel qu'il l'avait fait pour le reste des animaux, Prométhée avait rattrapé le coup en allant voler le feu dans la forge d'Héphaïstos, le dieu forgeron, et les savoirs techniques dans la bibliothèque d'Athéna. Pour éviter que l'utilisation du feu et des armes ne se retournent contre les humains, il avait intercédé auprès de Zeus et Hermès pour inscrire dans le cœur des hommes le sens de la justice et le sens de la honte afin que les mauvaises actions ne prolifèrent pas et rendent impossible toute fondation d'une Cité, un État politiquement organisé qui permet aux hommes de dépasser leurs faiblesses individuelles.

jeudi 5 juillet 2018

Hédonisme et eudémonisme




Hédonisme et eudémonisme



       Je viens de lire un article de Matthieu Ricard daté du 3 juillet 2018 et intitulé : « Hédonisme et eudémonisme, bonheur et plaisir : la grande confusion » (c'est la première partie, j'imagine que la seconde sera publiée les jours qui viennent). Matthieu Ricard y oppose l'hédonisme et l'eudémonisme, en donnant clairement le mauvais rôle à l'hédonisme et en faisant l'apologie de l'eudémonisme. Rappelons que l'hédonisme est une doctrine philosophique pour qui le plaisir est le souverain bien (le bien le plus important de tous) - hédoné en grec ancien signifiant simplement plaisir – tandis que l'eudémonisme est la doctrine philosophique pour qui le souverain bien est le bonheur – eudaimôn en grec signifiant bonheur.

mercredi 18 octobre 2017

La question du libre-arbitre (1ère partie)



La question du libre-arbitre (1ère partie)




    Suite à mon article « Choix et liberté », il y a eu toutes sortes de commentaires, questions et objections auquel je voudrais répondre ici partie par partie. Pour commencer, Tara disait : « Nous sommes ici face à un véritable paradoxe dans le bouddhisme. Le bouddhisme affirme à la fois le déterminisme de l’esprit avec la loi du karma et en même temps le pouvoir de transformer ce karma dans le présent. Si nous sommes déterminés à chaque moment par les empreintes de nos actions (karma antérieur), comment est-il possible de s’en affranchir pour transformer nos actes présents ? Car si la totalité de l'existence est conditionnée, relative et interdépendante, comment seule, la volonté, elle même conditionnée pourrait-elle être libre ?

samedi 19 août 2017

Rien de certain




Rien de certain




La seule chose certaine, c'est que rien n'est certain ; et rien n'est à la fois plus pitoyable et plus prétentieux que l'homme.

(Solum certum, nihil esse certi, et homine nihil miserius aut superbius)

Pline l'Ancien, Histoire naturelle.





La formule de Pline "Solum certum, nihil esse certi"
sur les poutres de la librairie du château de Montaigne en Dordogne




    Je regardais récemment une émission de tourisme à la télévision à propos des châteaux de la région de Bordeaux. À un moment donné, les présentateurs allaient visiter le château de Montaigne où le philosophe Michel Eyquem de Montaigne a vécu et a écrit ses Essais. Ils ont montré le haut de la tour dans laquelle se trouvait la chambre où il dormait et sa bibliothèque où il rédigeait ses réflexions sur la vie et lui-même, sa Librairie comme il l'appelait. La particularité de cette pièce est que Montaigne avait fait graver des sentences de sagesses en grec et en latin de ses philosophes favoris sur les poutres du plafond. Et notamment cette formule de Pline : « La seule chose certaine, c'est que rien n'est certain ». Dans tous les domaines et dans toutes les choses, le doute est de mise. On ne peut jamais être certain d'avoir une connaissance véritable et complète de ces domaines et ces choses que nous essayons de connaître. La sagesse est de reconnaître l'ampleur de ce doute au lieu de toujours vouloir s'accrocher à des certitudes ou vouloir imposer sa conviction contre vents et marées.

dimanche 2 juillet 2017

Un coq pour Asclépios






Un coq pour Asclépios






      Il y a cet épisode singulier de la philosophie où Socrate boit la ciguë. Cela nous est raconté par Platon dans le Phédon :

mardi 23 février 2016

Carpe diem

Carpe diem quam minimum credula postero.

Cueille le jour en étant le moins crédule possible par rapport au lendemain.

Horace, Les odes, I, 11, 8 .


Marsel van Oosten - Baobabs à Madagascar



   Carpe Diem est une formule célébrissime qu'on traduit habituellement par : « Profite du moment présent, vis au jour le jour sans se préoccuper du lendemain ». Une philosophie de vie où il faut préférer la fête exubérante d'aujourd'hui à l'étude austère en vue de réussir son examen de demain. Il y a néanmoins une confusion sur cette formule épicurienne. S'il y a effectivement un appel à savourer les fruits qu'offre le moment présent, à accepter les plaisirs quand ils viennent, ce n'est certainement pas un appel à courir après tous les plaisirs sans réfléchir aux conséquences pour le lendemain. Si ce soir, je bois plus que de raison, je vais peut-être m'amuser (ou, complètement saoul, me battre avec le premier venu ou vomir toutes mes tripes...), mais le lendemain, j'aurai un mal de tête carabiné. Et il est difficile de « cueillir le jour » quand on est tout vaseux et enlisé dans sa gueule de bois. Les plaisirs consommés à l'excès ou au mauvais moment peuvent se retourner en souffrances. C'est pourquoi il est important de faire preuve de sagesse quand on cueille les fruits du moment présent. Certains de ces fruits peuvent s'avérer pourris ou gâteux. Il faut preuve de discernement, de modération et de sens de la mesure.

samedi 21 novembre 2015

Suave mari magno




      Il est doux, quand la vaste mer est soulevée par les vents, d’assister du rivage à la détresse d’autrui ; non qu’on trouve si grand plaisir à regarder souffrir ; mais on se plaît à voir quels maux vous épargnent. Il est doux aussi d'assister aux grandes luttes de la guerre, de suivre les batailles rangées dans les plaines, sans prendre sa part du danger. Mais la plus grande douceur est d'occuper les hauts lieux fortifiés par la pensée des sages, ces régions sereines d’où s’aperçoit au loin le reste des hommes, qui errent ça et là en cherchant au hasard le chemin de la vie, qui luttent de génie ou se disputent la gloire de la naissance, qui s'épuisent en efforts de jour et de nuit pour s’élever au faîte des richesses ou s'emparer du pouvoir.

         Ô misérables esprits des hommes, ô cœurs aveugles! Dans quelles ténèbres, parmi quels dangers, se consume ce peu d'instants qu'est la vie! Comment ne pas entendre le cri de la nature, qui ne réclame rien d'autre qu'un corps exempt de douleur, un esprit heureux, libre d’inquiétude et de crainte ?
Lucrèce, De Natura rerum, II, 1-19





Näutil, The Eye, Siouville-Hague, Basse-Normandie (France)
Photographie de Cécé






        C'est un passage très beau de « La Nature des Choses » du philosophe antique, hédoniste et épicurien, Lucrèce, qui commence par les vers latins « Suave mari magno... ». En même temps, c'est un des textes les plus déconcertants de l'histoire de la philosophie. Lucrèce y exprime la sérénité du sage face aux tourments qui frappent les êtres ordinaires empêtrés dans leurs passions et leur ignorance. De la même manière que l'on peut regarder du haut d'une falaise une tempête qui déchaîne les flots sur la mer et qui précipite les marins dans la détresse et le désarroi, et se sentir rassuré sur la terre ferme parce qu'on n'a pas à subir la terreur d'être en perdition sur son navire. Le sage, lui, vit calmement ; il voit la souffrance de ceux qui sombrent dans la folie et les relations conflictuelles, mais comme il n'a pas part à cette folie, il peut d'autant plus savourer sa tranquillité et sa sérénité.

       Pour autant, cette manière de voir et d'opposer le sage et la personne immature a des résonances quelque peu tragiques. Est-il si doux de réjouir de ne pas être dans la tourmente quand on voit d'autres y être ? Est-il si doux de se savoir en sécurité quand, au loin dans la vallée, la bataille fait rage avec son lot de désolation, de blessés et de morts ? Peut-on être à ce point insensible face aux tragédies qui frappent les hommes quand bien même ces tragédies sont le fait de la folie aveugle des hommes et que ces tragédies auraient pu être évitées avec une gestion de la situation, plus efficace et plus équilibrée ? Peut-on vraiment être aussi insensible ? Est-ce que la sage est un être si peu concerné des affaires du monde ? Est-il si retranché de ce qui affecte les hommes, leurs peines, leurs blessures, leurs sentiments, leurs peurs, leurs colères, leurs égarement ? Je veux bien que Lucrèce nous explique que  : « la plus grande douceur est d'occuper les hauts lieux fortifiés par la pensée des sages, ces régions sereines d’où s’aperçoit au loin le reste des hommes, qui errent ça et là en cherchant au hasard le chemin de la vie ». Mais ces hautes tour fortifiées de l'âme sont-elles si imperméables aux pleurs, aux cris, aux élans de désespoir des gens tout autour de nous ? Est-on vraiment une île ? Une forteresse inexpugnable que rien ne pourrait affecter ? Réfugiés dans nos hautes tours bâties avec les pierres de la sagesse, serions-nous si intouchables ?

         Cette figure du sage comme complète indépendance par rapport aux mondes et aux fous qui composent ce monde me paraît être un fantasme. S'il y a un sage en ce monde, et je ne prétends pas être un sage en ce monde, je ne pense pas qu'il soit sourd aux émotions des hommes. Il entend la colère quand les gens sont meurtris, il entend la joie quand tout le monde est à la fête, il entend la détresse qui frappent les hommes et il entend les rêves fous que ceux-ci peuvent inventer les nuits sans lune. La différence réside à mon sens dans ce que le sage ne va alimenter toutes ces émotions et il va les apaiser, les transformer, les sublimer. Il pourra être affecté par la colère, mais il ne laissera pas la colère le dominer ; il verra l'offense, mais il ne suivra pas sans réfléchir sa pulsion de vengeance. Il cherchera des réponses, des solutions que les autres n'avaient pas ou ne voulaient pas envisager.

            Bien sûr, le sage ne suivra pas le sentier de ce monde qui vont vers la recherche avide de richesse et de pouvoir, le sentier de ces hommes, comme le dit Lucrèce, « qui s'épuisent en efforts de jour et de nuit pour s’élever au faîte des richesses ou s'emparer du pouvoir ». Le sage se montre indifférent à ces buts mondains insensés et est en paix par rapport à cela ; mais il est en paix en lui-même, et non point parce qu'il se compare aux autres qui ont emprunté ce chemin cahoteux et tortueux. L'avidité des hommes nous affectent tous, même si vous n'en prenez pas part. Regardez l'avidité que les hommes ont pour le pétrole. Le pétrole fait tourner le moteur de nos voitures, le pétrole fait tourner l'économie des puissances industrielles, le pétrole fait tourner la tête des traders dans les bourses du monde entier, le pétrole fait tourner les guerres au Moyen-Orient et ailleurs. Et enfin de compte, nous sommes tous affectés par cette folie ! La Terre tourne de plus en plus mal, le climat se réchauffe, les mers sont polluées de ces nappes d'hydrocarbures ; et même nous qui nous croyons dans des pays riches en paix, le terrorisme vient frapper à nos portes et apporter son lot de désolation.

        Dans ce monde, tout est interconnecté, ainsi de même le fou et le sage sont interconnectés. Un lien profond d'interdépendance les relie. Le sage ne peut pas s'isoler du monde. Quand bien même, il vivrait sur une montagne, loin de tout, il saurait et il verrait les liens de causalité qui, de toute part, l'unirait et le rapprocherait des êtres. Le sage s'éloigne de la folie des hommes pour connaître la douceur comme le dit Lucrèce, mais cette douceur, il la laisse se diffuser partout, en lui et en-dehors de lui pour le bien des êtres sensibles qui peuplent le monde. Il aura ainsi dans chaque minute de sa vie le souhait profond de sortir les êtres des ténèbres dont parle Lucrèce : « Dans quelles ténèbres, parmi quels dangers, se consume ce peu d'instants qu'est la vie! »






Edouard Boubat, Portugal, 1954





Suave, mari magno turbantibus aequora ventis
E terra magnum alterius spectare laborem;
Non quia vexari quemquamst jucunda voluptas,
Sed quibus ipse malis careas quia cernere suavest.
Suave etiam belli certamina magna tueri
Per campos instructa tua sine parte pericli;
Sed nihil dulcius est, bene quam munita tenere
Edita doctrina sapientum templa serena,
Despicere unde queas alios passimque videre
Errare atque viam palantis quaerere vitae,
Certare ingenio, contendere nobilitate,
Noctes atque dies niti praestante labore
ad summas emergere opes rerumque potiri.
O miseras hominum mentes, o pectora caeca!
Qualibus in tenebris vitae quantisque periclis
Degitur hoc aevi quod cumquest.
Nonne videre nil aliud sibi naturam latrare, nisi ut qui
Corpore seiunctus dolor absit, mensque fruatur
Jucundo sensu cura semota metuque?




William Turner - Tempête de Neige - 1842 (Tate Gallery de Londres)


Autre texte de Lucrèce : 

le veau que la mère reconnait entre tous (De rerum natura, II, 372)



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Morgan Maassen