En méditant, m'est revenue une scène du film « Je règle mon pas sur les pas de mon père ». Jean Yanne y incarne un petit escroc qui fait croire à ses victimes qu'ils viennent de toucher un prodigieux héritage, mais qu'il faut régler quelques frais de quelques milliers de francs avant de toucher le dit héritage. Il a un fils incarné par Guillaume Canet qui tente de l'imiter. Les deux ont une conversation dans un restaurant dans le nord de la France. Guillaume Canet se montre méprisant envers les pigeons qu'ils viennent de plumer : « Il faut être naïf quand même. Moi, on ne me ferait pas avaler un truc pareil ». Jean Yanne lui rétorque : « Tout le monde croit au père Noël, même toi, même moi ».
Derrière le scepticisme et l'incrédulité, il y a toujours la tendance à croire que quelque chose de merveilleux peut ou devrait se produire. C'est évidemment un levier mental que les manipulateurs ou les arnaqueurs peuvent activer pour mieux nous berner. Il faut être vigilant à cela, mais on ne peut pas se contenter d'être juste prudent ou rationaliste, ne croire que ce qu'on voit. Il faut savoir qu'il y a en nous cette espérance d'une vie meilleure en nous, cette naïveté d'enfant qui nous habite. D'une part pour protéger cette naïveté des gens malintentionnés, mais aussi parce que cette naïveté, cette espérance à deux sous peut nous faire avancer dans la vie.
Je me souviens d'un maître indien qui disait : « Ne soyez pas infantile, soyez enfantin ». Être infantile, c'est régresser dans la naïveté pour se camoufler du réel ou ne pas le voir. Être enfantin, c'est garder ce sens du merveilleux et de la fantaisie, mais sans se déconnecter de l'adulte en nous qui essaye de voir le réel tel qu'il est. C'est savoir ce qui est raisonnable, sans pour autant se borner à ce réalisme morne et désespéré qu'on veut parfois nous imposer comme une évidence qui ne tolérerait aucune alternative... Être enfantin, c'est avoir cette ressource de joie et de lumière pour repartir de plus belle dans l'existence.
Je disais que cette scène du film m'est revenue en méditation, parce que justement en méditation, je trouve qu'on a une forte tendance à attendre le père Noël. Même vous, même moi ! On attend une grande illumination colorée, un Big Bang existentiel, une grande félicité qui viendrait résoudre tous nos problèmes. On espère pouvoir léviter dans les airs comme dans Tintin au Tibet, avoir des visions paranormales, quitter son corps et balader dans l'espace intersidéral, pressentir l'avenir ou pouvoir manipuler les objets à distance comme un maître Jedi. Il n'en est rien la plupart du temps : la méditation nous confronte au réel tel qu'il est, dans son immense banalité, le souffle qui entre et sort de nos poumons, les genoux ou les chevilles qui nous font mal, le dos qui peine à se tenir droit, des pensées médiocres qui parasitent notre concentration...
Cela est décevant, mais c'est l'essence de la méditation de voir ce réel décevant. De voir aussi cette naïveté qui nous habite, notre attente de quelque chose de mieux. Comme dans la vie quotidienne, cette espérance naïve a deux aspects. Le premier est de nous rendre vulnérable à ces charlatans, des gourous de bas étages qui nous promettent monts et merveilles si on suit leur méthode transcendantale si onéreuse. Mais l'autre aspect, c'est que cette espérance naïve peut nous conduire à développer la joie et à répandre cette joie autour de nous. Il y a toujours un Éveil qui va par-delà ce qui est au-delà. Tadyatha gate gate paragate parasamgate bodhi svaha....
Je souhaite à tous que vous cultiviez cette sagesse qui voit les choses telles qu'elles sont, mais va aussi par-delà. Sarva mangalam. Toutes les bénédictions !
Rémy Waterhouse, Je règle mon pas sur les pas de mon père, 1998 |
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