Les
arbres dans la cour ont de belles couleurs,
Et
les oiseaux aimés beaucoup de jolis sons.
Parvenu
aux limites de l'indifférencié,
Comment
distinguerais-je les formes sur fond vide !
Quand
j'en ai le loisir, seul souvent je médite ;
Mon
poème achevé, je vais le récitant
Dans
les chemins profonds, sous la voûte des pins,
Perdu
dans la blancheur des nuages lointains.
Dai'an
Puzhuang (1347-1403)
|
Michael Kenna, montagnes du Huangshan, Chine |
Poème
saisissant que ce poème de Dai'an Puzhuang. Ballade et contemplation
des formes de la Nature, qui, spontanément, s'effacent et se fondent
dans l'indifférencié de la vacuité. Méditation et, ensuite, envie
d'exprimer cette méditation dans une forme poétique. Et retour aux
formes de la Nature, contemplation du paysage. Dire à haute voix un
poème. Forêt. Nuages. Montagnes et rivières. « La forme
est vide. Le vide est forme. La forme n'est autre que le vide. Le
vide n'est autre que la forme » nous dit le Soûtra du
Cœur.
Souvent,
le méditant va de l'un à l'autre dans sa ballade spirituelle. Par
moment, on voit les formes. Par moment, on est conscient de la
vacuité. Mais les formes sont vides d'une existence ultime. Et la
vacuité se manifeste dans les formes ; la vacuité n'a
elle-même aucune existence ultime. C'est pourquoi méditer la
vacuité revient souvent à observer sous un angle nouveau les formes
qui nous entourent, les sons, les odeurs, les saveurs, tout ce que
l'on touche ou que le corps ressent, mais aussi les pensées, les
émotions, les souvenirs, les imaginations, toutes ces formes
mentales. (NB : le mental est une faculté sensorielle selon la
philosophie bouddhique qui perçoit des idées, des pensées ou toute
production mentale). On observe ces formes avec un regard plein de
fraîcheur, débarrassé des distinctions et des concepts que le
mental attache aux objets de la perception. Le mental essaye de
rendre compréhensible le monde en le découpant, en faisant des
catégories et des distinctions et en collant des étiquettes de
concepts ou de mots aux choses du réel. Ce n'est pas mal parce que
cela nous permet de comprendre et d'avoir une meilleure prise sur le
monde. Mais cela devient un problème quand on s'attache de trop à
cette conceptualisation et que cela nous enferme dans des mondes de
représentations. Il faut pouvoir plonger à nouveau dans
l'Indifférencié et voir les choses telles qu'elles sont, avant que
le mental ne crée des distinctions et des différences entre les
choses et nous fasse voir les objets comme des entités indépendantes
les unes des autres. Plonger à nouveau dans l'Indifférencié, c'est
donc voir aussi avec un regard neuf la réalité interdépendante du
monde.