Cette
semaine, sur le réseau social d'une amie qui est une élue d'un
parti écologiste, je suis tombé sur un article de « l'école
de méditation occidentale » qui prétend faire le lien entre
méditation et politique. L'article en question s'intitule « Et si la méditation pouvait renverser un gouvernement ? »,
il est rédigé par Elizabeth Larivière en date 7 octobre 2019.
L'article en lui-même est assez confus, mais sa thèse, elle, est
très claire, bien que très discutable, et ce que je voudrais
discuter dans ce présent article.
L'auteure
commence par évoquer le travail de journalistes allemands qui ont
fait tomber l'actuel gouvernement d'extrême-droite en Autriche en
révélant une vidéo où le chef du FPÖ se dit prêt à offrir
d’importants marchés publics à la nièce d’un oligarque russe
en échange d’un soutien financier. Cela a fait tomber le
gouvernement autrichien, et de nouvelles élections doivent être
tenues dans ce pays. L'auteure voit alors une similitude (très
nébuleuse à mon sens) entre l'activité d'investigation des
journalistes et la méditation. Elle proclame ensuite l'importance
grandissante chez elle de la « dimension politique de la
méditation ». Elle conclut enfin : « Je suis
profondément convaincue que méditer peut contribuer à renverser un
gouvernement ».
Et
là, je ne suis pas du tout d'accord. La méditation n'a certainement
pas vocation à renverser le gouvernement, pas plus que la méditation
n'a vocation à conserver en place le gouvernement. En fait, méditer
n'a rien à voir avec le gouvernement. La politique est une chose, la
méditation en est une autre. Quand vous méditez, soyez simplement
présent à l'instant présent. Soyez attentifs à votre corps, à
votre respiration en particulier. Soyez attentif à vos sensations.
Soyez attentif à votre esprit. Soyez attentif à tout ce qui se
manifeste ici et maintenant dans le champ de la conscience. Et
abandonnez vos préoccupations, toutes vos préoccupations, y compris
vos préoccupations politiques. Lâchez prise et soyez en paix.
Je
ne dis pas pourtant qu'il faut se désintéresser de la politique, je
dis seulement de ne pas être obsédé par elle pendant la
méditation. Je suis un méditant et je suis aussi un citoyen. Quand
je pratique la méditation, je laisse tomber ma « citoyenneté »
pour n'être qu'un homme, rien qu'un être sensible assis quelque
part dans l'univers. Quand j'étais jeune, j'étais tombé sur une
revue d'Amnesty International où il y avait une interview d'un
ex-prisonnier politique marocain. Il y avait dit : « Je
n'aime pas la politique, parce que la politique divise les hommes ».
C'est quelque chose qui m'avait frappé à l'époque, d'une part
parce qu'il avait incarcéré pour des raisons politiques, et non
pour des faits de droits commun, d'autre part, parce que j'étais
très impliqué dans la politique à cette époque. La politique est
le lieu du conflit, l'affrontement incessant entre les fractions
politiques d'un pays. Il serait vain et bisounours de croire qu'on
pourrait s'affranchir complètement de ce conflit, mais il serait
aussi très malsain de s'enfermer intégralement dans ce conflit, de
ne voir que lui.
En
2003, je me souviens avoir participé aux grandes manifestations
contre la guerre en Irak. À
l'époque, il y avait une très grande colère contre George Bush et
le gouvernement des États-Unis. Quand je revenais de ces
manifestations, il m'était très difficile de méditer tant mon
esprit était agité, colère contre George Bush et les
va-t'en-guerre, colère contre les jihadistes et Oussama Ben Laden,
craintes pour le futur, craintes pour un clash des civilisations que
certains conservateurs prophétisaient autant qu'ils l'attisaient...
J'étais traversé par toutes ces pensées politiques et j'avais en
permanence envie de relever pour crier ma colère. J'avais
constamment en tête l'image de George Bush, Saddam Hussein et Ben
Laden ainsi que l'un ou l'autre sbire de ces tristes sires. C'était
impossible de méditer dans ces conditions. Jusqu'à ce que je me
rappelle que l'amour bienveillant et la compassion valent pour tous
les êtres sensibles sans exception. Bien sûr, cela semblait
inacceptable : éprouver de la bienveillance envers l'un de ces
salopards pouvait sembler soutenir leur entreprise. Mais en fait
non : éprouver de la bienveillance veut simplement dire que
l'on souhaite que cette personne soit véritablement heureuse et
connaisse les causes du bonheur. Or la guerre est une cause évidente
de malheur. La bienveillance et la compassion dans ce cas précis est
le souhait que Bush et compagnie arrêtent leur entreprise de guerre
parce que celle-ci provoque la souffrance, l'affliction et le
désarroi. Et abandonnant toute haine envers Bush et consorts,
l'obsession politique s'est apaisée d'elle-même et j'ai pu
m'absorber à nouveau dans la méditation.
Dans
la politique, on peut manifester contre tel ou tel camp qui veut la
guerre, qui veut la mort et l'injustice. Dans la politique, on peut
aussi vouloir la guerre. En 1940, j'aurai voulu la guerre contre
Adolf Hitler et les nazis. Mais quand vous pratiquez la méditation,
il faut abandonner toute notion de conflit et être en paix avec le
monde. Si vous ne scindez pas clairement la politique de la
méditation, votre comportement risque de devenir complètement
incohérent. Par ailleurs, vous risquez aussi d'entrer dans ce que
les philosophes appellent le « théologico-politique »,
la compromission entre le spirituel et le politique. Vous allez
vouloir passer votre temps à imposer une société bouddhiste, mais
là encore chercher le pouvoir politique ne vous aidera pas à
pratiquer la méditation, que du contraire. Là encore, cela
troublera beaucoup plus votre esprit que cela ne l'apaisera.
Il
faut se rappeler le geste initial du prince Siddhartha Gautama
d'abandonner son palais et son statut de prince pour devenir un
ascète errant et, après quelques années, devenir l’Éveillé, le
Bouddha. Quand vous travaillez ou que vous vaquez à vos occupations
quotidiennes, vous pouvez vous intéresser à la politique, voire
vous impliquer en politique si vous en avez la vocation. Mais dans la
méditation, abandonnez toutes ces considérations politiques pour
être ici et maintenant.
Frédéric Leblanc,
28 octobre 2019.
Voir également :
(à propos de la citation d'Honoré de Balzac : "La résignation est un suicide quotidien")
Troll en méditation Oeuvre de Thomas Dambo (forêt de Boom, Flandres, Belgique) |
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