Bon
végane, méchant végane
Un
reproche que les détracteurs de la cause végane adressent souvent
aux véganes, c'est d'être des extrémistes qui tiennent absolument
à imposer leur régime alimentaire alors que, eux, les mangeurs de
viande laissent libres les véganes de manger comme ils en ont envie
(ils ne manqueraient plus que ça, qu'ils nous imposent de manger
leur viande!). Puis, très souvent, ils font une différence entre
les véganes : ceux qui les laissent tranquilles et ceux qui
viennent les importuner avec leur prosélytisme, leurs manifestations
spectaculaires, leurs photos et leurs vidéos d'abattoirs et
d'élevages industriels.
Il
y a certes des véganes qui sont plus ou moins communicatifs dans
leur envie de convertir les gens au véganisme ; il y a des
véganes qui sont plus ou moins envahissants avec des slogans, des
vidéos et des photos en faveur de la libération animale qu'ils
postent sur leurs réseaux sociaux ; il y a des véganes qui
sont agressifs dans les débats, d'autres plus tolérants ; il y
a des véganes particulièrement intransigeants, d'autres plus
accommodants. Mais par contre, je suis contre le fait de classer les
véganes selon leur propension au prosélytisme et le fait de laisser
tranquille les mangeurs de viande.
Pour
moi, il y a dans le véganisme une aspiration à ce que tout le monde
devienne végane. C'est inhérent à l'idéologie qui sous-tend ce
style d'alimentation et de consommation. Cela n'a aucun sens que vous
restiez tout seul au monde à être végane. En soi, c'est très bien
d'être un végane. Mais si vous êtes tout seul au monde à avoir
une alimentation et une consommation libérées de toute de cruauté
envers les animaux, vous ne faites pas avancer d'un iota la cause
concrète des animaux. Le véganisme n'a de sens que si une large
partie de la population adopte le véganisme et, à défaut de cet
idéal, réduit drastiquement sa consommation de produits animaux.
C'est pourquoi le véganisme porte en lui le prosélytisme et l'envie
de convaincre du bien-fondé du véganisme.
Les
mangeurs de viande voudraient pourtant qu'on les laisse tranquilles :
« Vous mangez ce que vous voulez tant que vous ne m'obligez pas
à adopter votre régime alimentaire et que vous me laissez libre de
manger mon bout de viande ». C'est un peu le contrat que les
défenseurs de la viande voudraient faire signer aux véganes. Mais
ce n'est pas possible. Cela reviendrait à admettre que les régimes
carnés et comportant des produits animaux équivaudrait à un régime
végétal. Ce n'est pas une question de choix ou une question de
goût, mais c'est une question éthique qui se joue là. Ce n'est pas
comme si on faisait l'apologie d'un régime uniquement à base de
pizzas. Il n'y a pas plus de raison éthique de privilégier les
pizzas aux frites ou aux épinards. Donc en face d'un activiste qui
voudrait un régime à base de pizzas, les mangeurs de frites et
d'épinard pourraient légitimement se sentir importunés par ce
prosélytisme envahissant : « Mangez vos pizzas, mais
laissez-moi manger mes frites ou mes épinards! Que chacun fasse
comme il a envie ! »
Mais
face à un végane, il faut répondre à la question : « Est-il
légitime de manger de la viande et des produits animaux ?
Est-il moral pour les êtres humains d'exploiter les animaux ? »
Les véganes répondant non à ces deux questions, il est moral et
légitime de convaincre le reste de la société et d'essayer de
changer cette société, de lui apporter un progrès moral. On ne
peut pas dire : « Non, il n'est pas légitime de se
nourrir du cadavre des animaux, il n'est moral d'exploiter
honteusement les animaux » et ne rien faire pour changer cette
injustice. Si vous voyez quelqu'un se faire assassiner dans la rue et
que vous désapprouvez moralement ce meurtre du fond de votre cœur,
il semblerait étrange de ne rien faire pour essayer de sauver la
victime et ne pas avertir les forces de l'ordre. Ce serait un cas de
non-assistance à une personne en danger. Face à toutes ces victimes
innocentes que sont les animaux confrontés à la cruauté humaine,
un végane se doit de faire l'apologie du véganisme, même si cela
ne plaît pas à ceux qui sont culpabilisés et remis en question
dans leur habitude alimentaire.
Frédéric Leblanc
12 juillet 2018