Si nous rêvions toutes les nuits la même chose, elle
nous affecterait autant que les objets que nous voyons tous les jours. Et si un
artisan était sûr de rêver toutes les nuits, douze heures durant, qu'il est
roi, je crois qu'il serait presque aussi heureux qu'un roi qui rêverait toutes
les nuits, douze heures durant, qu'il serait artisan.
Si nous rêvions toutes les nuits que
nous sommes poursuivis par des ennemis, et agités par ces fantômes pénibles, et
qu'on passât tous les jours en diverses occupations, comme quand on fait un
voyage, on souffrirait presque autant que si cela était véritable, et on
appréhenderait de dormir, comme on appréhende le rêve quand on craint d'entrer
dans de tels malheurs en effet. Et en effet il ferait à peu près les mêmes maux
que la réalité.
Mais parce que les songes sont tous
différents, et qu'un même se diversifie, ce qu'on y voit affecte bien moins que
ce qu'on y voit affecte bien moins que ce qu'on voit en veillant, à cause de la
continuité qui n'est pourtant pas si continue et égale qu'elle ne change aussi,
mais moins brusquement, si ce n'est rarement, comme quand on voyage; et alors
on dit: « Il me semble que je rêve »; car la vie est un songe un peu moins
inconstant.
Blaise Pascal, « Pensées
», fragment 386 (de l'édition Brunschvig).