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mardi 27 août 2019

Réponse dans les formes - 1ère partie






Certaines personnes ont commenté mon dernier article « Avec ou sans les formes » où j'interrogeais les formes et les rituels au sein du bouddhisme. J'expliquais que le respect des rituels et des formes traditionnelles n'étaient pas essentielles à la pratique du Dharma. Certaines personnes ont approuvé mon message ; mais les pratiquants du zen japonais étaient beaucoup plus réticents. Notamment Sb qui m'accuse de ne rien comprendre aux formes dans le bouddhisme Zen. Pour Sb : « l'éveil ou le divin naît de la pratique quotidienne et du soin ritualisé apporté aussi bien aux ustensiles, aux légumes qu'aux autres êtres humains et non-humains » (dans le cadre de la cuisine d'un monastère Zen). Il en conclut qu'il faut respecter les règles de vie du Zen avant même de comprendre les notions importantes du Dharma. Il ajoute : « Quand on commence à percevoir la puissance et la beauté des rituels zen, c'est un autre monde qui apparaît mais un monde étonnamment concret et sensoriel.  »



Sb compare ces règles de vie et ce respect des formes aux règles du jeu d'échecs. On peut bien sûr changer les règles des échecs à tout moment, dire que le cavalier se déplace comme la dame, ou vice-versa, mais le jeu en deviendrait nettement moins intéressant, nettement moins profond et nettement moins fascinant. Toutefois dans le même temps, Sb dit aussi qu'il se fiche totalement des quatre demeures de Brahmā et qu'il ne sait même pas ce que c'est. (Pour rappel, les quatre demeures de Brahmā sont l'amour illimité, la compassion illimitée, la joie illimitée et l'équanimité illimitée). En outre, pour lui : « Rien n'est pour moi plus artificiel que de méditer sur la compassion car c'est une technique au même titre que l'auto-hypnose ou la méthode Coué ».


Alors là, j'ai un problème : Sb m'accuse de changer les règles, de ne pas respecter les formes et les rituels. Certes, mais dans le même temps, il méprise et ignore les points absolument essentiels de la doctrine du Bouddha. Vous n'atteindrez pas l’Éveil si vous ne pratiquez pas encore et encore l'amour bienveillant, la compassion, la joie et l'équanimité. De plus, la compassion est un élément central du bouddhisme du Grand Véhicule, et je rappelle que le bouddhisme Zen est une branche de ce bouddhisme du Grand Véhicule, le Mahāyāna. Donc, la question est : qui change les règles à sa guise ?


J'imagine que la réponse de Sb sera de dire que ce n'est pas dans la tradition Zen, donc on n'est pas obligé de le pratiquer. Il le dit d'ailleurs : « Méditer sur la compassion ou la bienveillance n'est pas une pratique zen en revanche si vous parvenez à appliquer les règles et rituels zen par exemple à l'occasion des repas alors "vous deviendrez capable de donner et de recevoir avec bienveillance dans toutes les situations de la vie" ». Et il n'a pas entièrement tort. Je ne dirai pas que la compassion et la bienveillance sont totalement absentes des enseignements Zen japonais, mais ils y jouent certainement un rôle secondaire comparé à d'autres formes du bouddhisme, le bouddhisme tibétain notamment.


Cela montre assez clairement que le Zen japonais a changé les règles du jeu par rapport à la doctrine originelle du Bouddha. Au fil des siècles, les changements de règles de jeu ont été nombreux. Et entre le début du Zen au Japon et aujourd'hui, il y a des changements de règles tout à fait notables. Au temps de Dōgen, les moines étaient des moines, c'est-à-dire qu'ils étaient célibataires et n'étaient pas censés avoir des relations sexuelles (comme au temps du Bouddha). Aujourd'hui, les moines japonais peuvent se marier. Changement de règle du jeu ! En réalité, c'est une évolution qui n'a rien de spirituelle, mais qui remonte à l'ère Meiji (XIXème siècle) où l'Empereur a voulu moderniser le bouddhisme et exigé des moines qu'ils se marient.


Sb mentionne le kyōsaku, ces coups de bâtons que l'on s'administre joyeusement dans les dojos Zen et qui est censé donner l’Éveil de manière soudaine. Pour moi, ce n'est pas loin d'être une pratique sadomasochiste. Aux États-Unis, certains monastères refusent cette pratique du kyōsaku1. Pour Sb, ce ne sont plus dès lors des centres Zen. Mais si on n'interroge cette pratique, on se rend compte qu'elle n'a pas toujours existé. Dans le bouddhisme ancien, c'est une aberration absolue : rappelons quand même le bouddhisme condamne la violence et ne voit aucune vertu à la violence. En fait, c'est avec le maître chinois Mazu Daoyi (709-788) qu'apparaît l'usage du coup de bâton à des fins d’Éveil. Avec Mazu, c'était surtout faire quelque chose de complètement déconcertant pour casser tous les repères du disciples et créer un Éveil soudain. Après Mazu, le kyōsaku est devenu une institution ritualisée au sein des dojos zen japonais. Et il est probable que l'influence des samouraïs et leur idéologie militariste n'y soit pas pour rien. Je ne discuterai pas ici des avantages supposés du kyōsaku : renforcer la concentration, dissiper la somnolence. Je ne sais pas si c'est efficace ou non. Personnellement, cela ne m'attire pas du tout. Force est de constater néanmoins que c'est là un changement radical des règles du jeu au sein de la communauté des moines bouddhistes.


Les règles changent et évoluent. Face à cela, deux attitudes sont possibles. Soit on s'abandonne à une tradition, par exemple dans le cas présent, la tradition du Zen Sōtō, on l'accepte en bloc comme le fait Sb. Et on reproche toute innovation qui viendrait bouleverser cette tradition comme l'idée d'abandonner le kyōsaku dans certains dojos occidentaux. 


L'avantage de suivre à la lettre une tradition avec ses formes et ses rituels est qu'on bénéficie de l'expérience de toute une série de générations qui ont pratiqué avant nous. J'imagine que ce conservatisme doit être très rassurant aussi : dans un monde qui change, avoir quelque chose de sacré et de stable sur lequel se baser. Attention toutefois de ne pas croire à une tradition éternelle et immuable. Le Zen a évolué déjà en arrivant au Japon : il suffit de regarder des monastères Chan en Chine et des monastères Zen au Japon pour ressentir une différence culturelle importante même si le Zen japonais descend directement du Chan chinois. Qu'on regarde par exemple le Zen pratiqué par le moine vietnamien Thich Nhat Hanh et le Zen pratiqué au Japon, et l'on sent une différence notable, même s'il y a aussi beaucoup de points communs. (Heureusement d'ailleurs...)


La question dans cette perspective de préserver une tradition devient dès lors comme le dit très bien Sb : si on abandonne tel ou tel rituel, telle ou telle dimension de la pratique, est-ce qu'on ne perd pas l'ensemble de la tradition ? Si on abandonne les robes noires, l'encens, le fait d'entrer dans le dojo de tel ou tel pied, le kyōsaku, est-ce qu'à force de compromissions, on ne va perdre l'ensemble du Zen en l'occurrence ? Est-ce qu'il y a un plus petit dénominateur commun de la tradition Zen ? Zazen... Ou est-ce qu'il faut le tableau complet ?




L'autre possibilité est de prendre cette tradition non pas comme une contrainte, comme une règle obligatoire, mais comme un trésor dans lequel on peut puiser à sa guise. C'est la vision humaniste que je défends : je ne me définis pas comme un pratiquant du Zen, mais comme un pratiquant du Dharma qui pense que la tradition Zen a quelque chose a à nous apprendre. Pour autant, le bouddhisme Zen seul me paraît insatisfaisant et incomplet. C'est pourquoi je vais puiser dans les soûtras du canon pâli qui sont les enseignements originaux du Bouddha, les soûtras du Grand Véhicule, le bouddhisme tibétain, etc... J'en tire des principes que j'applique à ma vie quotidienne, et selon l'efficacité de tel ou tel principe, j'oriente ma pratique du Dharma.


Sur quelle base alors juger un Dharma qui se réinvente complètement en-dehors des traditions pré-existantes ? Sb demande à juste titre : « Comment savoir si les changements sont motivés par l'esprit d’Éveil ? » Ma réponse est de dire : en pratiquant encore et encore l'esprit d’Éveil, on pourra voir si les changements vont dans le sens de l'esprit d’Éveil ou non. Certes, il faut accepter d'être le compagnon de l'incertitude durant ces années de pratique. Mais il faut aussi chercher ce qui nous fait du bien et ce qui apporte du bien au reste de la société. C'est là un élément fondamental qu'on retrouve dans le Soûtra des Kālāmas (Kālāma Sutta). Si on voit que quelque chose est bon pour nous ou pour les autres, alors il faut le mettre en pratique. Si cette chose s'avère négative, il faut l'abandonner. La tradition peut s'avérer précieuse et être de bons conseils, mais elle n'a pas réponse à tout.




Frédéric Leblanc, le 27 août 2019.












1 En préparant cet article, je suis tombé sur une interview du moine zen Philippe Coupey, disciple de Deshimaru, qui parle de la mauvaise perception du kyōsaku : « Nous étions dans le dojo, le maître était présent et nous n’oubliions jamais cela. En tout cas, c’était un grand choc d’être frappé de cette façon, et les réactions n’étaient pas toujours favorables, surtout de la part de ceux qui pensaient que recevoir le bâton non sollicité était tout à fait injuste. Ils n’avaient rien fait de mal, et regardez ce qui se passait, on les frappait de toute façon. Et par surprise. De la part de quelqu’un avec un bâton, et par-derrière aussi. Donc, comme je le disais, le danger existe d’être amené devant le juge pour rendre compte de ce comportement socialement inacceptable, et c’est précisément pourquoi de nombreux dojos à l’heure actuelle en ont interdit l’usage ». Philippe Coupey regrette néanmoins cet abandon du bâton, notamment dans le monastère californien de Shunryu Suzuki : « Ce n’est pas simplement le moine ou la nonne qui a besoin de recevoir le kyōsaku de nos jours, mais le monde entier a besoin de le recevoir, et je ne suis pas seul à le penser » (Une perspective effrayante à mon humble avis!). Article du 27 mai 2013 sur Buddhachannel.




















Pour revenir à la base de cette discussion :

Avec ou sans les formes





Lire également :

Les Quatre Demeures de Brahmā : pour les pratiquants du Zen qui n'en ont jamais entendu parler.


Kālāma Sutta : que faire quand on est dans le doute et que la tradition ne semble pas apporter de réponse?




Simplement s'asseoir (sur la question des rites et rituels qui entourent la méditation)













  























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mercredi 5 juin 2019

Les deux extrémités de la connaissance





Le monde juge bien des choses, car il est dans l'ignorance naturelle, qui est le vrai siège de l'homme. Les sciences ont deux extrémités qui se touchent. La première est la pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant. L'autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils ne savent rien et se rencontrent en cette même ignorance d'où ils étaient partis. Mais c'est une ignorance savante, qui se connaît. Ceux d'entre-eux, qui sont sortis de l'ignorance naturelle et n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque teinture de cette science suffisante et font les entendus. Ceux-là troublent le monde et jugent mal de tout. Le peuple et les habiles composent le train du monde, ceux-là le méprise et sont méprisés. Ils jugent mal de toutes choses, et le monde en juge bien.

Blaise Pascal, Pensées, fragment 118 de l'édition Sellier
(fr. 79 dans l'éd. Brunschvicg, fr. 84 dans l'éd. Lafuma)


jeudi 27 décembre 2018

Des chansons en tête




Combien de chansons tristes ?
Combien de chansons gaies ?
Réalisant finalement qu'il n'y a rien hors de l'esprit,
Toutes les situations sont notre maître.

Zibo Zhengke ( 紫栢真可– Chine, 1543 - 1603)

samedi 14 juillet 2018

Attraper la lune dans l'eau





Le singe veut attraper la lune dans l'eau.
Tant que la mort n'aura pas eu raison de lui,
il s'obstinera.
Que ne lâche-t-il la branche
et ne disparaît-il dans l'étang profond:
Le monde entier resplendirait d'une clarté éblouissante!

Hakuin Ekaku, maître zen, XVIIIème siècle


vendredi 15 septembre 2017

Espérant le cri du coucou





Espérant le cri du coucou,
j'entends les cris
du marchand de légumes verts

Bashō (Japon, 1644 – 1694)







Fan Ho







      Voilà un haïku intéressant de Bashō, le grand maître japonais du genre. L'esprit poétique s'enivre de la beauté et du calme qui peuvent apparaître dans les moments de contemplation. De simples choses comme le chant du coucou ou le murmure du vent dans les branches peuvent ravir le poète. Néanmoins, on n'est pas toujours servi de la délicatesse du monde. Parfois, souvent même, on n'est rappelé à des choses beaucoup plus terre-à-terre : les harangues du marchand de légumes. « Vous reprendrez bien un peu de mes beaux poireaux ! » C'est le monde aussi qui nous appelle. Mais de façon beaucoup moins aérienne. Je me souviens m'être promené sur les hauteurs d'une vallée boisée. J'avais avec moi les textes poétiques et spirituels d'un maître Zen, Dōgen Zenji. Je voulais m'asseoir au-dessus d'une falaise pour méditer et m'imprégner du silence et de la beauté verdoyante des lieux. Au moment où je me suis assis, des gens ont activé leur tronçonneuse dont le vrombissement résonnait dans toute la vallée encaissée. Voilà un moment inspirant de méditation qui s'est transformé en séance de torture pour mes oreilles. Un rappel du fracas du monde et une invitation malgré tout à trouver la sérénité dans le brouhaha et l'inconfort.


dimanche 10 septembre 2017

La vie humaine comme nuage et eau



Le ruisseau de montagne coule sans intention,
Le nuage dans la grotte pénètre sans idée.
Que soit la vie humaine comme nuage et eau
Et des arbres de fer fleuriront au printemps.

Ci'an Shoujing (XIIème siècle).





Kilian Schönberger





       Nous vivons dans une société toute entière sur les notions de « projets », des « objectifs à atteindre », de « plans d'action », de « visions pour l'avenir ». Tout cela s'arc-boute sur la volonté : il faut avoir la volonté d'agir dans la direction voulue par la société. La vie humaine ne vaut que par la réussite de ces projets et de ces plans d'action. On ne se réalise qu'en se projetant dans le temps et la durée. Mais le problème est que le temps passe et réduit tous ces projets au néant. Ne reste plus alors qu'à s'enthousiasmer pour de nouveaux projets et de nouveaux plans d'action. Constante fuite en avant vers un futur qui sera toujours ravalé par le passé. De nous, il ne restera que quelques souvenirs qui finiront par s'effilocher dans l'oubli ; et de nos réalisations concrètes, quelques traces comme les ruines d'un château qui fut un jour le projet ambitieux d'un bâtisseur de l'époque.


      Le poète chinois et maître Chan, Ci'an Shoujing, ne partage pas cette vision des choses. Pourquoi vouloir agir et forcer tout le temps les choses ? Le ruisseau coule sans qu'on lui demande, l'arbre pousse sans avoir fait au préalable un projet d'avenir pour sa croissance verte. Le nuage rencontre la montagne sans avoir pris rendez-vous. Votre cœur bat et pompe la sang dans vos veines et vos artères sans avoir fait de plans. Il bat, c'est tout. À chaque instant, il bat. On peut et on devrait, selon Ci'an Shoujing, se laisser aller au non-agir, wuwei en chinois : 無爲. Vivre dans l'instant présent, renoncer à vivre dans le futur d'un projet à réaliser, sans intention d'influer sur le cours des choses. Se laisser aller à ce qui est et laisser la créativité de la vie apporter les plus beaux fruits de la vie. « Que soit la vie humaine comme nuage et eau / Et des arbres de fer fleuriront au printemps ». Même un arbre desséché ou a fortiori un arbre de fer peut engendrer la vie dès lors qu'on laisse la puissance créatrice qui est cachée en nous se manifester au grand jour.


       Il en découle un débat : faut-il privilégier une vie où la maturité consiste à se projeter dans le futur, à avoir des plans de carrière, des objectifs à plus ou moins long terme ? Ou faut-il vivre là où est la vie : dans l'instant présent, sans se soucier du lendemain ? Je n'ai pas l'ambition d'essayer d'apporter ici une réponse maintenant à cette grande question. J'avais juste envie de partager ce court poème de Ci'an Shoujing.



mercredi 9 août 2017

Présentation du maître Chan




Présentation du maître Chan



Ce que le maître enseigne est déjà en vous-même,
Pensée inépuisable que vous scrutez sans voir.
Si, le cœur concentré, vous voulez la saisir,
Feuille effrayée d'automne, elle tombe dans le vide.

Xutang Zhiyu (1185-1269)












        D'ordinaire, un maître ou un professeur enseigne quelque chose. Le prof de math, par exemple, enseigne des choses qu'il est peu probable que nous ayons trouvé par nous-mêmes comme le théorème de Pythagore, la trigonométrie ou le calcul des probabilités. Le prof d'anglais vous apprend une langue que vous n'auriez pas inventée par vous-mêmes. Un maître Chan est, lui, confronté à un délicat problème : il peut enseigner tous les points de la doctrine bouddhique comme le ferait n'importe quel maître bouddhiste, mais cet enseignement intellectuel des propos du Bouddha et des écrits des philosophes du passé n'est pas la véritable essence du Chan. Le Chan est ce courant du bouddhisme chinois que l'on connaît mieux en Occident sous son nom japonais de Zen. Cette véritable essence ne s'enseigne pas avec des mots. Et elle est au-dedans de nous, elle ne nous est pas extérieure. Elle agit en nous comme un insondable désir d’Éveil.


Mais on ne peut la voir, tout comme l’œil n'est pas capable de voir l’œil. Vous pouvez bien sûr pratiquer encore et encore la méditation pour développer la concentration et la vision pénétrante. Excellente idée. Cela vous permettra de voir beaucoup de choses en vous-mêmes : des pensées subtiles, des émotions cachées, des peurs ainsi que des ressources insoupçonnées, mais cela ne vous permettra pas de saisir cette véritable essence, l'enseignement fondamental du Chan. Plus vous voudrez la saisir, plus elle s'échappera et s'évanouira dans le vide. C'est pourquoi la poésie Chan essaye d'évoquer ce qui ne peut être dit, ce qui en peut être pensé, ce qui ne peut être saisi, ce qui ne peut être vu. Quelques paroles bien sages ou bien sottes avant de revenir au silence.

mardi 8 août 2017

Formes sur fond vide





Les arbres dans la cour ont de belles couleurs,
Et les oiseaux aimés beaucoup de jolis sons.
Parvenu aux limites de l'indifférencié,
Comment distinguerais-je les formes sur fond vide !
Quand j'en ai le loisir, seul souvent je médite ;
Mon poème achevé, je vais le récitant
Dans les chemins profonds, sous la voûte des pins,
Perdu dans la blancheur des nuages lointains.

Dai'an Puzhuang (1347-1403)




Michael Kenna, montagnes du Huangshan, Chine 










    Poème saisissant que ce poème de Dai'an Puzhuang. Ballade et contemplation des formes de la Nature, qui, spontanément, s'effacent et se fondent dans l'indifférencié de la vacuité. Méditation et, ensuite, envie d'exprimer cette méditation dans une forme poétique. Et retour aux formes de la Nature, contemplation du paysage. Dire à haute voix un poème. Forêt. Nuages. Montagnes et rivières. « La forme est vide. Le vide est forme. La forme n'est autre que le vide. Le vide n'est autre que la forme » nous dit le Soûtra du Cœur.

Souvent, le méditant va de l'un à l'autre dans sa ballade spirituelle. Par moment, on voit les formes. Par moment, on est conscient de la vacuité. Mais les formes sont vides d'une existence ultime. Et la vacuité se manifeste dans les formes ; la vacuité n'a elle-même aucune existence ultime. C'est pourquoi méditer la vacuité revient souvent à observer sous un angle nouveau les formes qui nous entourent, les sons, les odeurs, les saveurs, tout ce que l'on touche ou que le corps ressent, mais aussi les pensées, les émotions, les souvenirs, les imaginations, toutes ces formes mentales. (NB : le mental est une faculté sensorielle selon la philosophie bouddhique qui perçoit des idées, des pensées ou toute production mentale). On observe ces formes avec un regard plein de fraîcheur, débarrassé des distinctions et des concepts que le mental attache aux objets de la perception. Le mental essaye de rendre compréhensible le monde en le découpant, en faisant des catégories et des distinctions et en collant des étiquettes de concepts ou de mots aux choses du réel. Ce n'est pas mal parce que cela nous permet de comprendre et d'avoir une meilleure prise sur le monde. Mais cela devient un problème quand on s'attache de trop à cette conceptualisation et que cela nous enferme dans des mondes de représentations. Il faut pouvoir plonger à nouveau dans l'Indifférencié et voir les choses telles qu'elles sont, avant que le mental ne crée des distinctions et des différences entre les choses et nous fasse voir les objets comme des entités indépendantes les unes des autres. Plonger à nouveau dans l'Indifférencié, c'est donc voir aussi avec un regard neuf la réalité interdépendante du monde.

dimanche 6 août 2017

Spéculation




Spéculation




Étranges sont ces pics, ce cortège de nuages,
La source n'a pour cours que cette eau qui gargouille.
Marcher dans la montagne n'épuise pas ses monts,
D'autres massifs encore nous barrent le regard.

Baiyang Fashun (XIIème siècle)




Song Zhang, Vue sur la montagne, 2013. 






     Ce poème d'un moine Chan résonne comme une métaphore de la Voie. Quand on marche en montagne, on avance d'un pas décidé vers le sommet majestueux qui se dessine bien distinct dans le ciel bleu. On grimpe jusqu'au promontoire qui nous sépare de ce sommet. Et on est content d'atteindre ce promontoire, mais cette joie est de très courte durée. On se rend que derrière ce promontoire, il y a une vallée ou un col que l'on doit franchir pour atteindre un second promontoire. Et ce promontoire-là cache d'autres vallées, d'autres cols, d'autres routes sinueuses, précipices et falaises. La route peut être longue en montagne avant d'atteindre le sommet majestueux.

       Il en va de même avec l’Éveil. Quand on commence à pratiquer la Voie du Bouddha, l’Éveil semble être proche. Mais plus on chemine, plus on se rend compte que la route est longue avant de dissiper nos penchants négatifs, nos fautes, nos obscurcissements. Il y a un sommet majestueux incarné par le Bouddha, mais les obstacles sont nombreux et subtils. De plus en plus subtils au fur et à mesure que l'on progresse.

         Il y a une autre métaphore intéressante à ce sujet. C'est celle qui compare l’Éveil à une fleur de lotus qui doit s'ouvrir pour que l'on devienne soi-même un Bouddha. Cela semble être une opération aisée. Quelques expériences de méditation, une conduite juste, éprouver la béatitude et la concentration, et la fleur de lotus s'ouvre sur l’Éveil suprême. Mais le souci est derrière les premiers pétales de la fleur de lotus se cachent d'autre pétales. On dit que la fleur de lotus de l’Éveil compte mille pétales, probablement beaucoup plus ! Certains se sentiront très proches de l'état d'un bouddha dès lors qu'ils auront ouvert quelques pétales avec quelques expériences spirituelles rayonnantes. Mais en fait, il faut toujours aller plus loin dans l'attention, dans la bienveillance et l'équanimité pour espérer ouvrir le cœur vide de cette fleur de lotus.


jeudi 3 août 2017

Passage et renouvellement





Un printemps terminé, un printemps lui succède,
Plantes et fleurs combien de fois se renouvellent ?
Ce n'est pas à la cloche que l'aurore obéit,
Le passage de la nuit et de la lune l'indiffère.

Yungai Zhiben (XIème siècle)

















        Il y a ce temps immuable et indifférent qui fait que tout en ce monde se meut et se transforme. Ce temps aussi qui fait tourner le cycle de la Nature. L'aurore succède à la nuit. Elle lui succède sans état d'âme, spontanément, sans qu'aucune loi ne lui ait prescrite de prendre la place de la nuit. Contemplation de cet univers indifférent. Contemplation de ce temps qui ne se préoccupe aucunement des atermoiements de l'homme. Tout est dissous dans le temps, tout est créé dans le temps. Le moine Chan y voit l'occasion de s'insérer silencieusement dans la grande mécanique du monde.


mardi 1 août 2017

Vie et mort





Voulez-vous une métaphore de la vie et la mort ?
Mettez en parallèle l'eau avec la glace.
Que l'eau se fige et elle devient glace,
Que la glace fonde et elle redevient eau.
Ce qui est mort doit forcément renaître,
Ce qui quitte la vie s'en retourne à la mort.
L'eau et la glace ne se causent aucun mal ;
Vie et mort, l'une et l'autre, possèdent leur beauté.

Hanshan (寒山VIIème siècle)



lundi 31 juillet 2017

Les cent fleurs









Les cent fleurs au printemps, la lune en automne,
Le vent frais en été, la neige en hiver,
Si le cœur s'affranchit de tout souci futile,
Ce sont des moments plaisants dans le monde des hommes.

Wumen Huikai (無門慧開, 1163 – 1260)







Wu Guanzhong, bosquet de jujubiers.


samedi 29 juillet 2017

Montagne verte et nuages





La montagne verte est le père des nuages blancs
Et les nuages blancs sont fils de la montagne verte.
Les nuages blancs tout le jour s'appuient
À la montagne verte qui, toujours, les ignore.


Dongshan Liangjie (807-869)














      Dongshan Liangjie était un grand maître Chan (ce courant du bouddhisme qui est plus connu sous son nom de Zen en japonais). Il est un des deux fondateurs de l'école Caodong (plus connue en Occident sous le nom japonais de Sôtô, école dont maître Dôgen a repris l'héritage au Japon en lui donnant une couleur locale).

      Dongshan Liangjie nous parle d'une montagne verte et des nuages blancs qui l'entoure, comme c'est souvent le cas dans les montagnes chinoises que les maîtres Chan affectaient tant. C'est là une allégorie de la nature de l'esprit – la montagne – et des pensées qui traversent l'esprit – les nuages. Les pensées existent en raison de la nature de l'esprit : sans la nature de l'esprit, il ne saurait y avoir de pensées. Un rocher dépourvu d'esprit ne saurait se mettre à rêver et à faire des projets pour l'avenir. Pourtant, la nature de l'esprit est indifférente aux pensées qu'elle produit. C'est notre « moi » qui s'attache à ces pensées et leur prête de l'importance. La méditation Chan consiste à revenir à la montagne verte – demeurer dans la nature de l'esprit et laisser apparaître et disparaître au gré des caprices de la météo. Cette montagne est à la fois un roc inébranlable et une source de vie. De grands oiseaux planent silencieusement autour d'elle.