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vendredi 31 août 2018

Les huit préoccupations mondaines




Les huit préoccupations mondaines



  Dans la philosophie bouddhique, on compte 8 préoccupations mondaines ou dharmas mondains. Ces préoccupations occupent notre esprit comme une armée occupe un pays, et tout ce que nous faisons est une forme d'asservissement à ces objectifs du monde. Ces préoccupations détournent l'individu de la pratique du Dharma, la Voie du Bouddha. Ces huit préoccupations sont classées par pairs d'opposés, de la manière suivante :

jeudi 30 août 2018

Du plomb dans l'aile et dans la nature






     Nous sommes à l'heure où les chasseurs de France font une campagne publicitaire où ils affirment être des « écologistes de terrain », et même : « les premiers écologistes de France » (sic). On peut cependant se poser la question de savoir si la chasse est vraiment bénéfique à la Nature, à défaut d'être d'être bénéfique aux animaux. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce sujet, mais je voudrais aborder un sujet dont on parle peu : la toxicité des munitions d'armes de chasse. Une cartouche de fusil de chasse pèse grosso modo 35g et contient 200 à 300 petites billes de métal (le plus souvent de la grenaille de plomb). On estime que plus de 250 millions de cartouches sont tirées chaque année sur le territoire français. Cela équivaut à 6000 tonnes de métaux répandus dans la nature chaque année en France.






mercredi 29 août 2018

Si tous les enfants de 8 ans - 2ème partie



Si tous les enfants de 8 ans

(2ème partie) 






4°) Est-ce que la méditation agit de la même manière sur tout le monde ? Est-ce que la méditation agit de la même façon qu'un remède à prendre comme l'aspirine ?


     Non, évidemment. C'est un point extrêmement important. La méditation n'est pas quelque chose de passif. La méditation n'est pas comme un médicament qu'on prendrait et qui agirait indépendamment de nous : on ne peut pas pratiquer autant d'heures de méditation pour avoir tel résultat, telle diminution de la nervosité. Cela ne marche pas comme ça. J'ai coutume de dire que la méditation est une façon extrêmement active de ne rien faire.


     Dans la méditation, on peut stagner, on peut somnoler à longueur de séances, on peut se monter incapable ou sans volonté d'échapper à la dispersion produites par les pensés. On peut ne pas oser regarder ses côtés sombres. On peut s'illusionner. Bref, on peut pratiquer la méditation sans que cela transforme notre être de manière décisive. C'est un travail toujours renouvelé que d'aller au-delà de la confusion et des illusions, de revenir encore et encore à l'attention soutenue. Il n'y a aucune garantie que vous atteigniez l’Éveil d'un Bouddha : cela se gagne.


      Je donnerai un seul contre-exemple d'un méditant qui n'est pas un homme de paix. Le moine Wirathu est ce moine birman qui, au nom du nationalisme birman, appelle à massacrer les membres de la communauté musulmane Rohingya en Birmanie. Il y a eu un documentaire sur ce personnage douteux : « Le Vénérable W » de Barbet Scroeder (2017). Dans une interview, Wirathu explique qu'il a aimé la prison, car cela avait été pour lui l'occasion de pratiquer la méditation. Donc Wirathu médite. Certainement mal, mais il médite. Et il fait l'apologie de la haine, de la dissension et d'une guerre civile complètement atroce.


      Donc méditer ne suffit pas pour extirper la haine et les germes de la guerre hors de son esprit. Il faut bien pratiquer la méditation, et y faire, naître encore et encore l'amour bienveillant, la compassion, la joie et l'équanimité, contre ceux qui font du bouddhisme une identité guerrière. Il faut affronter sa propre part d'ombre. Dans l'Antiquité, Térence disait : « Je suis humain, et rien de ce qui est humain ne m'est étranger ». Cela doit servir d'avertissement : la méditation seule ne fait pas de nous un homme de paix. La paix se gagne à travers un long cheminement spirituel.













5°) Quel type de méditation enseigner aux enfants ?


      Rien que dans le bouddhisme, le panel des différentes techniques de méditation est vaste. La question est : que va-t-on apprendre aux enfants en respectant leur nature d'enfant ? Et comment enseigner une technique particulière pour que les enfants puissent s'y retrouver ? Je vais me contenter ici de poser ces questions, car je ne suis pas du tout un spécialiste de la méditation pour les enfants.


        Néanmoins, je vais poser une seule prescription, mais qui semble très importante : il faut conserver un caractère ludique et léger à la méditation, adapté à l'âge des enfants. Ce ne doit être en aucun une pénitence pour les enfants. Pour les adultes, la méditation est souvent difficile et pénible ; mais si on propose une activité de méditation pour les enfants, celle-ci doit être plaisante et agréable. Sinon autant laisser les enfants jouer tranquillement, comme je l'ai déjà dit plus haut.







6°) Est-ce qu'il est pertinent de penser que cet enseignement de la méditation à toute l'enfance de l'humanité soit un véritable remède à la violence qui se déchaîne dans le monde ?


      On aura compris que je suis très sceptique sur la question. La méditation n'enlève pas systématiquement toute trace de violence en nous, même pour les adultes. Appliquée uniquement aux enfants, je pense que cela est voué à l'échec, puisque les enfants vont se retrouver déchirés entre le modèle qu'on leur présente dans la méditation et le modèle parental.


       Néanmoins, je pense comme le Dalaï-Lama que : « plus de paix dans votre esprit contribue à plus de paix dans le monde ». À un niveau individuel, nous avons la possibilité d'apporter notre petite contribution à l'ordre du monde ou plutôt à son désordre. Apaiser notre colère, notre ressentiment, notre malveillance est vraiment essentiel pour apporter du bien-être tout autour de soi. Promouvoir la méditation me semble être une mesure pour contribuer à un monde meilleur. Apaiser notre esprit fera que nos réactions vis-à-vis d'autrui seront moins porteuses de problèmes et de tensions et, au contraire, apporteront du bonheur. Cette contribution individuelle est certes très petite par rapport à l'ensemble de l'humanité ; mais si beaucoup de gens se joignent dans l'effort commun, l'ensemble de ces petites contributions individuelles peut avoir un impact énorme, surtout qu'un acte de bienveillance peut inspirer un autre acte de bienveillance, qui va lui-même inspirer un autre acte de bienveillance, etc...


        Enseigner la méditation et encourager à la pratique, que ce soit pour les enfants, mais avant tout pour les adultes, peut avoir un effet positif sur la diminution de la violence et des conflits dans le monde. Il faut néanmoins ne pas être naïf et se mette à croire à des miracles, comme si la méditation allait changer le monde en un coup de baguette magique. Il serait aussi naïf et inconséquent de négliger l'action politique globale et le travail de compréhension des mécanismes sociologiques, historiques, géopolitiques qui conduisent à des conflits et des guerres. On cite souvent l'histoire du colibri qui prend de l'eau dans son tout petit bec pour aller éteindre l'incendie de la forêt comme paradigme des initiatives individuelles infinitésimales à l'échelle de la planète, mais qui peuvent faire évoluer les choses dans le sens du bien. Ce petit conte interpelle, mais il vaut quand même mieux faire appel à un canadair qu'à un colibri pour venir à bout d'un incendie qui fait rage dans la toute la forêt. Je veux dire par là que les initiatives individuelles pour être efficace doivent s'agréger pour un projet politique (au sens noble du mot « politique »)







*****






       En guise de conclusion, je voudrais citer un extrait du « Plaidoyer pour l'altruisme » de Matthieu Ricard (éd. NiL, Paris, 2013, chap. 37, pp. 608-609) :


     « C’est le matin, dans la salle de classe d’une école maternelle de Madison, dans l’État du Wisconsin, aux États-Unis. Allongés sur le dos, des enfants de quatre à cinq ans, issus en majorité de milieux défavorisés, apprennent à se concentrer sur le va-et-vient de leur souffle et sur les mouvements d’un petit ours en peluche posé sur leur poitrine. Après quelques minutes, au son d’un triangle musical, ils se lèvent et vont ensemble observer les progrès des « graines de paix » qu’ils ont chacun plantées dans des pots rangés le long des fenêtres de la classe. L’enseignant leur demande de prendre conscience du soin dont les plantes ont besoin et, par association d’idées, du soin dont l’amitié, elle aussi, a besoin. Puis il les aide à comprendre que ce qui les rend sereins est aussi ce qui permet aux autres enfants d’être sereins. Au début de chaque séance, les enfants expriment à voix haute la motivation qui doit inspirer leur journée : « Puisse tout ce que je pense, tout ce que je dis et tout ce que je fais ne causer aucun tort aux autres, mais au contraire les aider. »



      Ce sont là quelques éléments d’un programme de dix semaines conçu par le Centre d’investigation de la bonne santé mentale (Center for Investigating Healthy Minds), fondé par le psychologue et neuroscientifique Richard Davidson. Bien que sa collaboratrice Laura Pinger et leurs autres collègues n’enseignent ce programme que trois fois par semaine, à raison de trente minutes par séance, il a un effet notable sur les enfants. Ceux-ci demandent d’ailleurs aux instructeurs pourquoi ils ne viennent pas tous les jours.


   Au fil des semaines, les enfants sont amenés très naturellement à pratiquer des actes de bonté, à se rendre compte que ce qui les met mal à l’aise met aussi mal à l’aise les autres, à mieux identifier leurs émotions et celles de leurs camarades, à pratiquer la gratitude et à former des souhaits bienveillants pour eux-mêmes et pour autrui. Lorsqu’ils sont perturbés, on leur montre qu’ils peuvent certes résoudre leurs problèmes en agissant sur les circonstances extérieures mais aussi en agissant sur leurs propres émotions.


      Au bout de cinq semaines vient le moment de donner à d’autres une ou plusieurs plantes que chacun a fait pousser. Les enfants sont ensuite amenés à prendre conscience qu’ils sont reliés à tous les enfants de la planète, à toutes les écoles et à tous les peuples, lesquels aspirent à la paix et dépendent tous les uns des autres. Cela les conduit à éprouver de la gratitude à l’égard de la nature, des animaux, des arbres, des lacs, des océans, de l’air que nous respirons, et à prendre conscience qu’il est important de prendre soin de notre monde. »


     Je trouve cette expérience très intéressante, pour plusieurs raisons :
  • les exercices demandés aux enfants sont ludiques et créatifs,
  • on n'exige pas des enfants qu'ils pratiquent une méditation aride,
  • on vise des objectifs réalistes à la portée des enfants : développer la bonne entente, l'empathie, la compréhension du ressenti des camarades de classe, le réflexe de chercher des solutions en soi-même en agissant sur ses propres émotions, le sentiment d'être rattaché au monde.


      Matthieu Ricard se montre extrêmement enthousiaste : il parle de « réussite spectaculaire ». Il constate « une nette amélioration des comportements prosociaux et une diminution des troubles émotionnels et des conflits chez les participants à l'expérience ». Le Dalaï-Lama, lui même, a appelé à la reproduction de cette expérience : « Une école, dix écoles, cent écoles, puis, par l'intermédiaire des Nations-Unies, les écoles du monde entier... »


      Je serai pour ma part beaucoup plus prudent. Regardons comment l'expérience est dupliquée à travers le monde, regardons comment elle perdure dans le temps. Par mon expérience de prof, je sais que pratiquer une nouvelle manière d'enseigner suscite toujours l'enthousiasme les premiers temps, justement parce que c'est nouveau, puis l'intérêt s'émousse et retombe insensiblement. Soyons donc ouvert d'esprit, voyons comment cela évolue, ce qu'on peut en retirer, mais ne nous emballons pas trop. Et rappelons-nous surtout que c'est les adultes qui ont la responsabilité morale et spirituelle de s'améliorer eux-mêmes et de contribuer à un monde meilleur. C'est l'engagement sacré qu'ils ont envers les enfants d'aujourd'hui et les enfants des générations futures.



Frédéric Leblanc, 
le 29 août 2018.






















Concernant le Dalaï-Lama :












Voir également : 




À la manière des rois, à la manière des sages


- Cagnes-sur-Mer (Jacques Prévert)


- Pacifiste ou pacifique


Équanimité


Empathie et altruisme




















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Si tous les enfants de 8 ans - 1ère partie



Si tous les enfants de 8 ans

(1ère partie)



   Si tous les enfants de 8 ans sur la planète Terre apprenait comment méditer, nous éliminerions toute la violence du monde en une seule génération.

Le Dalaï-Lama













      Vous avez peut-être déjà vu sur les réseaux sociaux ce message accolé à une photo d'un enfant assis en posture de méditation : « Si tous les enfants de 8 ans sur la planète Terre apprenait comment méditer, nous éliminerions toute la violence du monde en une seule génération ». En fait, cette affirmation suscite en moi plusieurs interrogations, que je voudrais formuler ici, avant d'essayer d'y répondre.


    • 1°) Est-ce vraiment le Dalaï-Lama qui est l'auteur de cette citation ?
    • 2°) Pourquoi 8 ans, et pas 7 ans ou 9 ans ?
    • 3°) Pourquoi uniquement les enfants ?
    • 4°) Est-ce que la méditation agit de la même manière sur tout le monde ? Est-ce que la méditation agit de la même façon qu'un remède à prendre comme l'aspirine ?
    • 5°) Quel type de méditation enseigner aux enfants ?
    • 6°) Est-ce qu'il est pertinent de penser que cet enseignement de la méditation à toute l'enfance de l'humanité soit un véritable remède à la violence qui se déchaîne dans le monde ?

samedi 25 août 2018

L'idéal du bonheur - 2ème partie




L'idéal du bonheur

2ème partie



Voir la 1ère partie




      On pourrait se demander dès lors ce qu'il faut penser de ces arguments d'Emmanuel Kant du point de vue de l'eudémonisme. Est-ce que le bonheur n'est qu'une création fantaisiste de notre esprit ? Est-ce que la Raison ne peut pas quand même approfondir cette notion du bonheur ? Ce qui me frappe surtout en tant que philosophe bouddhiste, c'est que Kant n'aborde le bonheur qu'en tant que causé par un objet extérieur au sujet conscient : la richesse, la connaissance, la longue vie, la santé. Je ne suis heureux que dans la mesure où je rencontre de suffisamment près ces objets extérieurs ardemment désirés dans ma quête de bonheur. Mon état psychique est toujours lié à ces objets extérieurs : heureux quand je les ai, malheureux quand j'en suis privé. Mais ne faudrait-il pas considéré plutôt le bonheur comme une disposition de l'esprit qui, idéalement, se produirait même en l'absence de ces objets extérieurs ? N'est-il pas souhaitable de trouver un bonheur qui puisse se libérer de l'emprise des conditions extérieures ? Un bonheur qui soit une libération par rapport aux entraves émotionnelles de ce monde ?

L'idéal du bonheur - 1ère partie




L'idéal du bonheur

1ère partie





     Le concept de bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu’a tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous les éléments qui font partie du concept du bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c’est-à-dire qu’ils doivent être empruntés à l’expérience, et que cependant pour l’idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire. Or il est impossible qu’un être fini, si perspicace et en même temps si puissant qu’on le suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu’il veut ici véritablement.

jeudi 23 août 2018

La boîte de Pandore




La boîte de Pandore




     Voilà un des mythes les plus célèbres de la mythologie grecque. Tout commence avec Prométhée qui, décidément, agissait un peu trop en faveur des humains aux yeux de Zeus, le roi de l'Olympe. Quand Prométhée et son frère Épiméthée avaient été chargés de créer et d'ordonner le monde des mortels, alors qu'Épiméthée avaient oublié de donner des dons et des qualités aux êtres humains tel qu'il l'avait fait pour le reste des animaux, Prométhée avait rattrapé le coup en allant voler le feu dans la forge d'Héphaïstos, le dieu forgeron, et les savoirs techniques dans la bibliothèque d'Athéna. Pour éviter que l'utilisation du feu et des armes ne se retournent contre les humains, il avait intercédé auprès de Zeus et Hermès pour inscrire dans le cœur des hommes le sens de la justice et le sens de la honte afin que les mauvaises actions ne prolifèrent pas et rendent impossible toute fondation d'une Cité, un État politiquement organisé qui permet aux hommes de dépasser leurs faiblesses individuelles.

mercredi 22 août 2018

Discours et pratique





Discours et pratique





      Il y a deux ans, j'avais retrouvé une amie que je n'avais pas vue depuis des années. Entre autres discussions sur nos vies respectives, je lui avais expliqué que je rédigeais un blog : « Le Reflet de la Lune ». Elle s'était donné la peine de lire quelques uns de mes articles sur la méditation et la philosophie bouddhique. Et lors de notre rencontre suivante, elle m'avait demandé si ce que j'écrivais, je le mettais en pratique ou si c'était de la pure théorie. En fait, j'étais assez désarçonné par cette question tant la réponse me paraissait évidente : oui, bien sûr, je mets en pratique tout ce que j'écris. Je n'écris jamais des discours purement théoriques sur la méditation. Je n'ai pas un intérêt purement intellectuel concernant les différents stades et pratiques de la méditation, c'est quelque chose que je pratique tous les jours, que ce soit sur un coussin de méditation, dans les bois, en haut d'une colline, sous un arbre, et même dans de nombreux moments de ma vie quotidienne. Cela me paraissait à moi absolument évident, mais cela m'a fait prendre conscience que cela ne l'était pas nécessairement pour tout le monde, pour les gens qui découvriraient le Reflet de la Lune notamment.

lundi 20 août 2018

Lodjong, l'entraînement de l'esprit





L'entraînement de l'esprit




      Le Lodjong, en français « L'entraînement de l'esprit » est un recueil tibétain de 59 maximes tournant autour de la pratique spirituelle et l'éthique du bouddhisme du Grand Véhicule. Ces maximes sont autant d'encouragements à transformer son esprit dans toutes les circonstances de la vie. On doit ce recueil à Chekawa Yeshe Dorje (1102–1176), un lama de la tradition Kadampa, largement inspiré par l'enseignement du maître Atisha (982-1054) qui était venu enseigné au Tibet le Dharma, et plus particulièrement la pratique de l'esprit d'Eveil (bodhicitta en sanskrit). Les Kadampa était une école bouddhiste largement axée sur l'éthique et la pratique de l'altruisme. Une maxime tout à fait typique de Kadampa était : « La seule vertu des fautes morales, c'est qu'on peut les purifier ». L'entraînement de l'esprit se place tout à fait dans cet héritage et invite à nous transformer soi-même et notre façon d'appréhender la relation aux autres. Je me contenterai ici d'exposer ces 59 maximes sans plus de commentaires, mais je reviendrai plus en détail sur certaines de ces maximes afin d'en donner un éclairage.

vendredi 17 août 2018

Tous les phénomènes sont vides d'un Soi




Tous les phénomènes sont vides d'un Soi




    Réagissant à mon article « Les quatre sceaux du Dharma », un internaute sur Twitter m'a fait remarquer que, si on se reporte au texte en langue pâlie qui parlent de ces sceaux du Dharma (des trois premiers en tous cas, notamment dans les strophes 277, 278 & 279 du Dhammapada), on a :

Sabbē sankhāra aniccā : tous les phénomènes composés sont impermanents,
Sabbē sankhāra dukkhā : tous les phénomènes composés sont souffrance,
Sabbē dhammā anattā : tous les phénomènes sont vides d'un soi / non-soi.

mercredi 15 août 2018

Bonheur et non-être




Bonheur et non-être


     Suite à mon article « Hédonisme et eudémonisme (2ème partie) », l'internaute Degun m'a objecté ceci : « Je me pose une question : la cessation de la souffrance implique-t-elle un état de bonheur comme tu le postules ? Peut-être, d'une certaine manière, mais je ne vois pas vraiment les choses comme ça, je vois plutôt la cessation de la souffrance comme une dissolution du moi et/ou de l'être personnel (je sais pas trop comment appeler ça à vrai dire), après la mort du moins (je ne sais pas si le plein éveil peut se produire durant la vie et j'ai en fait du mal à entrevoir comment un être pleinement éveillé serait vraiment en ce monde, certes il existe des êtres "relativement" éveillés qui vivent en ce monde mais je ne sais pas à quoi ressemble leur "monde intérieur"). En somme, la cessation de la souffrance va de pair dans ma pensée avec un "non-être", bonheur et malheur n'ayant plus de sens dans ce cas, et qui exclut bien entendu de facto toute incarnation. En gros, c'est plutôt la libération totale que le bonheur qui me motive ». Ce présent article est donc une réponse à cette objection.


    Mais avant même de développer, je veux réaffirmer catégoriquement : oui, la cessation de la souffrance implique un état de bonheur. Oui, il ne s'agit pas seulement d'être débarrassé de telle ou telle sensation désagréable, mais résider durablement dans le bonheur. Quand le Bouddha parle de cessation de la souffrance, c'est pour éviter une confusion concernant toutes les représentations possibles concernant le bonheur : une personne considérera que le bonheur, c'est être riche ; pour une autre, le bonheur, c'est connaître la gloire ; certains estimeront que c'est la bonne santé, d'autres encore la famille qui fait le bonheur, et ainsi de suite... Le bonheur dont on parle ici une disposition intérieure qui s'affranchit des événements et des situations et qui nous permet de mieux apprécier l'existence.


     Par rapport à l'argument de Degun : « Je vois plutôt la cessation de la souffrance comme une dissolution du moi et/ou de l'être personnel (...) En somme, la cessation de la souffrance va de pair dans ma pensée avec un "non-être", bonheur et malheur n'ayant plus de sens dans ce cas, et qui exclut bien entendu de facto toute incarnation », il faut bien constater que certains éléments de langage de la philosophie bouddhique peuvent faire penser cette thèse qui veut que le problème de la souffrance se réglerait purement et simplement par le « non-être », le fait de régler le problème en supprimant celui qui éprouve le problème : plus personne pour éprouver le problème, donc plus de problème ! Dans les soûtras anciens, l'accès au Nirvāna par la méditation est appelé « sphère de cessation des sensations et des perceptions ». Cette cessation des sensations et des perceptions laisse envisager la suppression de tout ressenti comme si on devenait une pierre.


       Mais je suis convaincu que cette cessation des sensations et des perceptions n'est pas une coupure du bonheur, mais un bonheur au-delà du bonheur, un bonheur, une béatitude qui n'est pas enchaînée dans la dualité du bonheur et du malheur. Quand on observe la progression de la méditation dans le bouddhisme ancien, on voit que les états de méditation commencent par s'élever vers des états divins de félicité toujours plus élevés. La cosmogonie bouddhique compte trois types de dieux par ordre d'élévation : les dieux du monde du désir, les dieux du monde de la forme et les dieux du monde de la sans-forme.


    Les dieux du monde du désir vivent comme nous des expériences de plaisir, mais c'est un plaisir beaucoup plus intense, beaucoup plus durable, beaucoup plus subtil et raffiné, mais sans la contrepartie des déplaisirs : un vin divin vous envoie dans une griserie envoûtante des jours entiers, sans lendemains vaseux.


     Dans le monde divin de la forme, on se détache de cette obsession pour les objets extérieurs, on s'installe dans son être qu'on raffine jusqu'à obtenir un corps de lumière. C'est à ce niveau que correspondent dans la méditation les 4 jhānas, les absorptions méditatives qui sont un stade important à franchir : dans un premier stade, on continue à éprouver des pensées et des raisonnements, de la joie et du bonheur. Dans le second stade, les pensées et les raisonnements s'évanouissent pour laisser place à une expérience pure. Dans le troisième, la joie s'évanouit, ne reste que le bonheur et l'équanimité. Et dans le quatrième jhāna, le bonheur s'évanouit à son tour, ne laissant qu'une attention et une équanimité parfaite. On voit qu'on a déjà là les prémisses d'une libération du bonheur. On n'est plus assujetti à la recherche du bonheur, mais en soi, ce n'est pas « rien » : cet état d'équanimité et de sérénité est une plus grande béatitude, qu'on en peut pas reporter dans nos termes d'être humain.


      Dans les états du monde divin de la sans-forme, on fait l'expérience de l'infini : espace infini, puis conscience infinie. Puis on s'abolit soi-même dans la sphère du Néant avant de faire l'expérience de l'état paradoxal de la sphère de ni perception, ni non-perception. Quand on a franchi toutes ces expériences de l'infini et qu'on voit la véritable nature des phénomènes, c'est alors qu'on fait l'expérience de la « sphère de cessation des sensations et des perceptions », soit l'entrée dans le Nirvāna.


    Au fond, ce que dit ce parcours dans les états de concentrations méditatives, ce qu'on va toujours vers un bonheur plus profond, plus rayonnant, des états de béatitudes toujours plus élevés. Par ailleurs, la « cessation des sensations et des perceptions » n'est pas seulement une disparition totale du sujet conscient ; c'est une immersion dans l'interdépendance de tous les phénomènes. Il en résulte que le bonheur n'est pas un bonheur strictement individuel, qu'on garde égoïstement pour soi-même, mais un bonheur partagé.


     C'est pourquoi la compassion et le vœu altruiste d'aider tous les êtres est si important dans la philosophie bouddhique. Cette compassion infinie s'accompagne des 3 autres des quatre qualités incommensurables : l'amour bienveillant, l'équanimité, mais ici surtout, de la joie qui consiste à s'émerveiller encore et encore de la possibilité de ce que les êtres ont en eux-mêmes la capacité de résoudre tous ces problèmes, toutes ces souffrances.


     Bien sûr, le tableau de ce monde peut sembler sombre, empli de cruauté et de misères incessantes. Mais nous avons la possibilité de trouver des solutions diverses et variées et d'apporter du réconfort au monde. C'est pourquoi la joie est ici une énergie fondamentale à mettre en œuvre dans la pratique du Dharma. Non pas une joie naïve qui évoluerait la fleur au chapeau dans un monde d'illusions et d'arc-en-ciel, mais la joie qui se sait dans les ténèbres et donne la force d'en sortir. C'est pourquoi le Bouddha insiste souvent sur la notion de pratiquer le Dharma comme si nos cheveux avaient pris feu. Le monde entier est dans le feu de la douleur ; et c'est ici et maintenant qu'il faut aider soi-même et les autres pour sortir de cette douleur.



*****




        Donc, même si nous n'avons pas atteint le stade ultime de la « sphère de cessation des sensations et des perceptions », le fait de pratiquer le Dharma - d'adopter une conduite éthique bienveillante envers autrui et soi-même, de pratiquer régulièrement la méditation et de développer la sagesse – contribue à nous rendre plus heureux. Attention ! Je ne veux pas faire de fausse promesse : je ne dis pas que notre conception particulière du bonheur sera satisfaite. Si, par exemple, vous voulez réussir à tout prix dans votre carrière, je ne dis pas que la pratique du Dharma soit une garantie de cette réussite. On entend trop souvent des « coachs en pleine conscience » qui vante l'augmentation des performances au boulot grâce à la méditation. Je n'ai personnellement aucune certitude à vous vendre sur le sujet. Peut-être que votre carrière sera un brillant succès, peut-être que ce sera un plantage intégral, peut-être plus probablement que ce sera un résultat grisâtre entre ces deux extrêmes. 


       Mais quel que soit l'état de votre carrière, la pratique du Dharma transformera votre disposition d'esprit, votre manière d'appréhender les phénomènes, et cela améliora votre existence, d'une manière parfois inattendue. Je ne peux pas non plus vous garantir que la pratique du Dharma vous conférera une humeur toujours rayonnante : la pratique du Dharma n'immunise pas contre les coup de blues, les moments de dépression et de désespoir, mais elle donne la capacité de traverser ces états négatifs et retrouver une joie profonde de vivre.













Masao Yamamoto







Voir également : 


- Hédonisme et eudémonisme : 1ère partie - 2ème partie


Joie (Qu'est-ce que la joie spirituelle prônée par le Bouddha ?)


La douleur d'un arahant (Nāgasena) et son commentaire



Esprit d’Éveil

     Comment produire l'esprit d’Éveil ou bodhicittaL'esprit d’Éveil est le souhait que tous les êtres soient libérés de la souffrance et deviennent des êtres pleinement éveillés. Les enseignements du lama tibétain Dza Patrül Rimpotché (XIXème siècle). 








Un bien véritable (Spinoza)




Si c'est le bonheur que tu cherches (Chengawa Lodrö Gyaltsen)


Sans savoir pourquoi (Sōseki Natsume)




En repos dans une chambre (Blaise Pascal)


Une fête en larmes (Jean d'Ormesson)














"Emma at Red Canyon"
(près de Las Végas, USA)
Photographie de Tamara Lichtenstein













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