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dimanche 26 mai 2019

Diversité





La théologie est une science, mais en même temps, combien est-ce de sciences ? Un homme est un suppôt, mais si l'on l'anatomise, sera-ce la tête, le cœur, l'estomac, les veines, le sang, chaque humeur du sang ?


Une ville, une campagne, de loin, c'est une ville et une campagne, mais à mesure qu'on s'approche, ce sont des maisons, des arbres, des tuiles, des feuilles, des herbes, des fourmis, des pattes de fourmis, des jambes de fourmis à l'infini. Tout cela s'enveloppe sous le nom de campagne.


Blaise Pascal, Pensées,
fragment 99 de l'édition Sellier (fr. 115 de l'éd. Brunschvicg, fr. 65 de l'éd. Lafuma)



mercredi 16 mai 2018

L'apparence de l'arbre






      J'ai récemment reçu une question par rapport à un de mes articles sur un passage d'un texte du maître tibétain Longchenpa où celui-ci parlait des apparences et de la vacuité. Pour Longchenpa, les apparences du monde sensible ne contredisent pas la vacuité, de la même façon que l'eau d'un lac n'est pas en contradiction avec le reflet de la lune à la surface de ce lac. La question était donc : « Quand vous dites que "La forme visuelle de l'arbre renvoie à l'apparence d'un contact physique de toucher", en quoi le contact du toucher est une apparence ? Ce contact est bien réel, je peux en faire l'expérience par mes agrégats, quand bien même ceux-ci évoluent en permanence ? »

samedi 3 février 2018

La trahison des images



La trahison des images




      Aujourd'hui, je suis allé voir la très intéressante exposition « Magritte & Broodthaers » à Bruxelles. Y est exposée entre autres œuvres de René Magritte le célébrissime « La trahison des images » de 1929, avec cette représentation d'une pipe accompagnée de la fameuse inscription surréaliste « Ceci n'est pas une pipe ». C'est la première fois que le tableau revenait en Belgique depuis qu'il a été racheté dans les années '50 par des collectionneurs américains enthousiastes de l’œuvre de Magritte.





Magritte, La trahison des images, 1929.






          Je voudrais profiter ici de cette occasion pour me lancer dans une petite réflexion sur le singulier message de cette peinture d'un objet anodin. La première réaction est de se dire que Magritte est fou ou qu'il s'amuse de nous : c'est bien une pipe qui figure sur le tableau, et pas un chat ou un chapeau melon. Dans un deuxième temps, vient la prise de conscience d'une distinction entre l'image et l'objet qu'on tend à oublier. Sur le tableau ne figure pas une pipe réelle avec laquelle on pourrait tirer quelques bouffées de fumée, mais bien la représentation d'une pipe. Nom d'une pipe, ceci n'est pas une pipe ! Ceci se désigne par le nom d'une pipe et se reconnaît sous l'apparence d'une pipe. Cette idée d'une rupture entre l'objet et l'image de l'objet qui s'assume comme étant l'objet dans un monde d'images, cette idée donc a commencé à être féconde dans les milieux intellectuels et artistiques avec des courants philosophiques comme la sémantique d'Alfred Korzybski et sa célèbre formule « La carte n'est pas le territoire qu'elle représente ».

mardi 23 janvier 2018

À travers l’épaisseur de l’eau





Quand je vois à travers l’épaisseur de l’eau le carrelage au fond de la piscine, je ne le vois pas malgré l’eau, les reflets, je les vois justement à travers eux, par eux. S’il n’y avait pas ces distorsions, ces zébrures de soleil, si je voyais sans cette chair la géométrie du carrelage, c’est alors que je cesserais de le voir comme il est, où il est, à savoir : plus loin que tout lieu identique. L’eau elle-même, la puissance aqueuse, l’élément sirupeux et miroitant, je ne peux pas dire qu’elle est dans l’espace ; elle n’est pas ailleurs, mais elle n’est pas dans la piscine. Elle l’habite, elle s’y matérialise, elle n’y est pas contenue, et si je lève les yeux vers l’écran des cyprès où joue le réseau des reflets, je ne puis contester que l’eau le visite aussi, ou du moins y envoie son essence active et vivante.

Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et l’Esprit, Paris, 1964, p. 70-71.









Mary Chen










      Voilà un passage célèbre et très beau d'un des grands noms de la phénoménologie française, Maurice Merleau-Ponty. J'avais déjà en fait commenté ce passage sur le Reflet de la Lune dans un article intitulé : « Le carrelage au fond de la piscine ». Mais un internaute m'ayant posé des questions sur ce passage et mon commentaire, je me suis dit qu'il ne serait pas inutile d'y revenir et d'éclaircir un peu les choses.

dimanche 26 mars 2017

Nano-bonhomme et baleine cosmique




Notes sur les dialogues du cerveau


3ème partie







Je voudrais m'arrêter sur « Cerveau & Méditation » l'ouvrage de dialogue entre le moine bouddhiste Matthieu Ricard et le neurobiologiste Wolf Singer. Je voudrais ici rédiger dans ces notes les quelques commentaires épars que m'inspire ce livre.





Wolf Singer


    La vie s'est développée dans une dimension du monde extrêmement étroite : l'échelle mésoscopique. Les plus petits organismes, qui ne mesurent que quelques microns et sont capables de maintenir de façon autonome leur intégrité structurelle et de se reproduire, sont constitués d'un assemblage de molécules interagissant entre elles et recouvertes par une membrane. La bactérie est l'un des exemples de ces micro-organismes. Les organismes multicellulaires, les plantes et les animaux, atteignent des tailles qui se mesurent en mètres. Tous ces organismes ont développé des récepteurs sensoriels qui captent les signaux essentiels à leur survie et à leur reproduction. Par conséquent, ces récepteurs ne sont sensibles qu'à une gamme de signaux extrêmement réduite.

dimanche 5 mars 2017

Les illusions de la perception



Notes sur les dialogues du cerveau


Première partie






    Je voudrais m'arrêter sur « Cerveau & Méditation » l'ouvrage de dialogue entre le moine bouddhiste Matthieu Ricard et le neurobiologiste Wolf Singer. Je voudrais ici rédiger dans ces notes les quelques commentaires épars que m'inspire ce livre.


dimanche 15 mai 2016

Écriture et pensée





D'une façon ou d'une autre,
selon que cela tombe bien ou mal,
ayant parfois le pouvoir de dire ce que je pense,
et d'autres fois le disant mal et d'impures façon,
j'écris mes vers involontairement,
comme si l'acte d'écrire n'était pas une chose faite de gestes,
comme si le fait d'écrire était une chose qui m'advînt
comme de prendre un bain de soleil.

Je cherche à dire ce que j'éprouve
sans penser à ce que j'éprouve.
Je cherche à appuyer les mots contre l'idée
et à n'avoir pas besoin du couloir
de la pensée pour conduire à la parole.

Je ne parviens pas toujours à éprouver ce que je sais que je dois éprouver.
Ce n'est que très lentement que ma pensée traverse le fleuve à la nage
parce que lui pèse le vêtement que les hommes lui ont imposé.

Je cherche à dépouiller ce que j'ai appris
je cherche à oublier le mode de pensée qu'on inculqua,
à gratter l'encre avec laquelle on a barbouillé mes sens,
à décaisser mes émotions véritables,
à me dépaqueter et à être moi - non Alberto Caeiro,
mais un animal humain produit par la Nature.

Et aussi me voilà en train d'écrire, désireux de sentir la Nature, même pas comme un homme,
mais comme qui sent la Nature, sans plus.
Ainsi j'écris, tantôt bien, tantôt mal,
tantôt touchant sans coup férir ce que je veux exprimer et tantôt me blousant,
ici tombant, et me relevant,
mais poursuivant toujours mon chemin comme un aveugle obstiné.

N'importe... Et malgré tout je suis quelqu'un.
Je suis le découvreur de la Nature.
Je suis l'argonaute des sensations vraies.
À l'Univers j'apporte un nouvel Univers,
Parce que j'apporte l'Univers à l'Univers lui-même.

Cela je le sens et je l'écris,
sachant parfaitement et sans même y voir,
qu'il est cinq heures du matin,
et que le soleil qui n'a a pas encore montré la tête
par-dessus le mur de l'horizon,
même ainsi on distingue le bout de ses doigts
agrippant le haut du mur
de l'horizon plein de montagnes basses.

Fernando Pessoa (Alberto Caiero), Le gardeur de troupeaux, Gallimard/Poésies, XLVI.