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lundi 26 juillet 2021

Le soleil, ni la mort

 

Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement.


François de la Rochefoucauld, maxime XXV des « Réflexions ou Sentences et maximes morales de monsieur de la Rochefoucauld » (1678).










Voilà certainement une des plus célèbres maximes de la Rochefoucauld. Je ne sais pas exactement ce que voulait dire l'auteur par cette formule très brève. Je précise que je ne suis pas du tout un spécialiste de François de la Rochefoucauld, je suis juste un amateur de ses maximes. Quand je réfléchis à cette formule : « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement », je vois deux sens que l'on peut dégager :

  • 1°) La mort serait désagréable à regarder, on préférerait détourner son âme de sa réalité. C'est le thème du divertissement chez Blaise Pascal, et l'on dit la Rochefoucauld proche des thèses jansénistes : vous savez, le roi qui ne peut rester seul dans sa chambre, car alors la misère de sa condition mortelle viendrait le hanter et le déprimer. Contempler le soleil trop longtemps brûlerait nos yeux, contempler la mort trop longtemps sans s'en détourner par la grâce des divertissements brûlerait notre psychisme et notre moral.

  • 2°) Comme le soleil nous éblouit de son éclat, nous empêchant de l'observer minutieusement, la mort nous éblouirait notre existence, nous empêchant d'en avoir une conscience claire. Cela se rapprocherait de la réflexion d’Épicure dans la Lettre à Ménécée : quand vous êtes vivant, vous n'êtes pas mort, et quand vous êtes mort, vous n'êtes plus là pour penser la mort.



Tâchons d'envisager ces deux sens. Tout d'abord, c'est presque un lieu commun de dire que la philosophie commence par une méditation de la mort. On se rappelle la formule de Platon dans le Phédon : « Philosopher, c'est apprendre à mourir ». Je me souviens d'un philosophe analytique qui se moquait d'André Comte-Sponville parce que ce dernier, dans le contexte du covid-19, rappelait notre condition mortelle et notre répugnance à penser cette mort pourtant inéluctable. Ce philosophe analytique parlait de cette conscience de la mort comme d'une « banalité » de philosophe vulgarisateur. Et il est vrai qu'il est très courant pour un philosophe qui se préoccupe de notre condition existentielle d'évoquer la mort, puisque c'est ce qui nous attend tous. Pourtant, est-ce que cette conscience de la mort est en soi une banalité ? Je ne le pense pas, parce que notre propre mort n'est jamais une banalité, il me semble. C'est en tous cas l'événement le plus fondamental de notre existence après notre naissance. Et c'est probablement l'un des premiers rôles sociaux du philosophe que de rappeler cette mort au reste de la société et d'aider à penser comment on peut vivre la conscience de cette mort au jour le jour.



Dans la philosophie bouddhiste, la mort est une des manifestations radicales de l'impermanence. Tout est voué à disparaître : ce qui se crée sera détruit, ce qui est assemblé sera séparé, ce qui croît finira par décroître, et ainsi en va-t-il de la vie qui va toujours vers son terme. Tout être vivant est voué à mourir. Bien sûr, nous avons tendance à nous détourner de cette prise de conscience, mais la méditation de la mort et de l'impermanence est là justement pour nous faire revenir à cette réalité de notre condition mortelle. Le Bouddha disait que de la même façon que toutes les empreintes d'animaux, l'empreinte d'éléphant était la plus grande, de toutes les méditations, la méditation de l'impermanence et de la mort était la plus grande.



Cela suppose aussi de regarder en face la peur de la mort, l'angoisse de la mort. Le but est d'atteindre une forme de sérénité par rapport à cette échéance qu'est la mort. Cela passe par l'accoutumance à l'idée de la mort, mais aussi par l'apaisement de notre émotion à laquelle on cesse de s'accrocher. On laisse partir cette émotion de peur et de déni comme on laisse partir toutes choses dans le flux de l'impermanence.





*****



L'autre interprétation de cette maxime de la Rochefoucauld est de concevoir la mort comme une forme d'éblouissement pour le mental, quelque chose d'impossible à contempler longuement et profondément. Avec le soleil, on voit toutes les choses qu'il éclaire : notre chambre, la fenêtre, la rue, le ciel, le paysage, que sais-je... Mais on ne peut pas soutenir durablement le regard du soleil. Avec la mort, ce serait de même : on peut voir des personnes mortes, des animaux morts, des plantes mortes, on peut assister à un enterrement, on peut éprouver la tristesse et la désolation, mais on ne voit pas la mort elle-même. Quand la mort arrive, il est trop tard pour la penser, pour la percevoir ou pour simplement la vivre. Nous sommes morts, et nous ne pensons plus, nous ne concevons plus et nous ne ressentons plus rien. Plus d'expérience, plus de conscience.



Cela explique peut-être la fascination pour les expériences de mort approchée, le fait d'être cliniquement mort et de revenir à la vie quelques minutes plus tard. Ces expériences nous rapprochent du mystère de la mort, mais est-ce vraiment la mort ? Ou juste l'expérience de l'agonie, ce qui précède la mort ? Dans le Zen, on conseille de pratiquer la méditation assise – zazen – comme si on entrait dans son cercueil. Il s'agit de se tenir au plus près de la mort et d'expérimenter la vie à la lisière de la mort. Une expérience de mort approchée somme toute, mais sans l'équipe de réanimation et le défibrillateur !



Peut-on alors pleinement réaliser ce qu'est la mort ? La regarder fixement pour reprendre l'expression de la Rochefoucauld ? Avant de répondre, il faudrait peut-être s'interroger sur ce qu'est la mort et se demander à quoi elle s'oppose concrètement. Faisons ce petit exercice mental, donnez sans réfléchir, le plus spontanément possible, le contraire des mots suivants :



GRAND – BAS – NOIR – GAUCHE – BEAU – INTELLIGENT – MORT



Il est très probable que vous ayez répondu : PETIT - HAUT – BLANC – DROIT – LAID – STUPIDE et VIE. Cela semble évident, pourtant un Indien aurait répondu à la dernière occurrence : NAISSANCE plutôt que VIE. Dans la philosophie indienne qu'elle soit hindouiste ou bouddhiste, le contraire de la mort, ce n'est pas la vie, mais la naissance. Dans la mentalité indienne, l'existence n'est qu'un grand cycle de naissances et de mort. Et cette mort n'est que la fin de vie d'une personne, certainement pas la fin de la Vie elle-même. Il suffit de regarder le grand cycle de la nature où la mort d'un animal ou la mort d'un arbre sert à la vie de toutes sortes d'autres espèces. Quand vous mourrez, c'est la fin de vie pour votre personne, mais pas la fin de la vie. Ne dit-on pas : « la vie continue » à un enterrement ?



Dans le Soûtra des Quatre Établissements de l'Attention, le Bouddha recommandait entre autres de pratiquer la contemplation des neuf stades de décomposition d'un cadavre : il s'agit de s'imaginer mort, notre corps se dégradant naturellement se décomposant au fil des jours au point de n'être plus que poussière à la fin. Il s'agit là encore d'approcher la mort et de s'y accoutumer afin d'être plus en paix avec cette échéance. Mais il me semble qu'il y a là autre chose : ressentir par contraste toute la vie qui coule en nous, cette vie qui anime nos os et notre chair, cette vie qu'on ne regarde peut-être pas assez fixement.















Voir d'autres citations de François de la Rochefoucauld: 


Les maux présents

La sincérité

La constance des sages

Le mépris des richesses

S'établir dans le monde





Voir également : 

Méditer longuement l'impermanence

- Vivre sans pourquoi

Vie et mort

Telle la génération des feuilles 

- La vie selon François-Xavier Bichat

Une charogne (Baudelaire)

- Le Vallon (Lamartine)

N'entre pas docilement dans cette douce nuit (Dylan Thomas)

Panta Rhei.













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jeudi 15 juillet 2021

La constance des sages

 

La constance des sages n’est que l’art de renfermer leur agitation dans leur cœur.


François de la Rochefoucauld, maxime XIX des « Réflexions ou Sentences et maximes morales de monsieur de la Rochefoucauld » (1678).





Le vieux sage du Palais Jacques-Coeur à Bourges




Ce que suggère ici la Rochefoucauld, c'est que la constance du sage prônée par le stoïcien Sénèque dans son ouvrage du même nom, mais aussi par toute une tradition philosophique tant de l'Occident que de l'Orient, et le bouddhisme en tête dans cette promotion du calme et de l'impassibilité, cette constance du sage donc ne serait que dissimulation : une sorte d'enfermement de la fureur et de la rage dans son for intérieur. Le sage ne manifesterait pas sa colère, son irritation, son énervement dans la vie de tous les jours, comme le sot qui éclaterait de colère dès que l'on insulte ou que l'on le moque ; mais il continuerait à voir cette colère l'habiter, cachée au plus profond de son cœur. Ce qui serait manque de spontanéité, de sincérité et acte de dissimulation.


Plusieurs choses à dire sur ce sujet. Premièrement, il faut se demander la motivation réelle de cet enfermement de l'agitation. Est-ce que c'est simplement la volonté de maintenir une apparence de sagesse auprès de ses semblables ? Comme la constance est associée à la sagesse, on peut être tenté de maintenir une maîtrise de soi-même, un self-control pour apparaître aux yeux des autres comme une personne sage. Auquel cas, ce n'est pas de la sagesse, mais la volonté de maintenir une bonne image sociale et un statut en société. Maintenir son calme et sa maîtrise de soi-même est souvent perçu comme un enjeu de pouvoir et de virilité dans notre société. On ne recherche pas alors la sagesse elle-même, mais l'apparence de la sagesse.


Or il arrive que le sage véritable ne se comporte pas comme ce que l'on attend du sage, que ce sage ne soit pas « sage comme une image ». Cela me fait penser à ces vers du yogi tibétain Shabkar que je récite ici de mémoire :

« Celui qui a la compassion fait le bien, même quand il est en colère.

Celui qui n'a pas la compassion peut tuer, même le sourire aux lèvres ».



Un sage véritable n'aura pas peur de céder à la colère si sa motivation est bonne comme exprimer sa franche désapprobation face à une injustice. Un sage ne se tracasse pas de l'image qu'il produit en société et des critiques qui remettraient en question sa sagesse quand ils ne plient à l'image stéréotypée qu'on se fait d'un sage imperturbable et indifférent au monde.


Si notre motivation n'est pas dès lors de se conformer à ce cliché de la sagesse, alors notre motivation est peut-être de réprimer sa propre agitation afin de ne pas se laisser aller à une réaction impulsive qui conduirait à « monter dans les tours » et créer une situation conflictuelle où l'agression de l'un répond à l'agression de l'autre dans un crescendo destructeur. En quel cas, enfermer notre colère ou notre agitation dans le secret de notre cœur n'est pas une mauvaise chose quand on cherche à éviter des conséquences fâcheuses que provoquerait notre impulsivité. Mais ce n'est pas la sagesse pleine et entière si je suis encore habité intérieurement par la colère, la détresse ou le désespoir alors que je cache ces émotions dans mes faits et gestes. La sagesse appelle à se détacher de cette agitation intérieure.



Le premier piège est, il me semble, de vouloir à tout prix être comme un sage parfait qui serait en toutes circonstances imperturbable comme un roc au milieu des flots déchaînés. Le sage n'est pas un être insensible, mais quelqu'un qui prend conscience de ses conflits intérieurs pour les laisser s'apaiser d'eux-mêmes. C'est là que la méditation rentre en jeu. Dans un premier temps, laisser couler toute l'agitation du corps et de l'esprit, les laisser partir au loin comme le ciel qui laisse partir l'orage et revenir au calme. Dans un second temps, comprendre le mécanisme même de l'attachement et de l'agitation mentale pour ne plus laisser prise à cette conflictualité.



Je résume là en deux phrases ce qui nécessite des années de pratique et d'imprégnation. Je suis bien conscient que c'est plus facile à dire qu'à faire. Ce détachement vient lentement, lentement, lentement. Au fil du temps, on est toujours frappée par cette tempête de l'âme, mais on laisse plus facilement partir ces émotions négatives et on leur donne moins de consistance, donc moins d'emprise. Tout cela prend du temps tant dans les années nécessaires à notre progression que dans le fait de laisser décanter une situation conflictuelle pour qu'elle s'apaise d'elle-même et se transforme dans notre conscience en quelque chose de positif.


Je me souviens d'un texte d'Arnaud Desjardins où celui-ci expliquait qu'un sage qu'on emmènerait à Auschwitz ne perdrait rien de son calme et de sérénité. Tout lui serait égal dans une parfaite équanimité. Autant la Rochefoucauld manquait de confiance dans les sages en les considérant incapables de transcender leurs affects, autant Arnaud Desjardins idéalisait ces sages exagérément en leur donnant une aura surhumaine. Rien ne pourrait impacter un sage tout habité qu'il est par l'absolu. Je ne pense pas cela. Le sage est d'abord quelqu'un qui est intimement conscient de son humanité, il a une sensibilité, des émotions et des sentiments, et même sa sagesse exacerbe sa sensibilité, ses émotions et ses sentiments. Un sage à Auschwitz serait conscient de sa détresse, mais serait habité aussi par la conscience abyssale de la détresse des autres. Ce ne serait pas un surhomme, mais un homme parmi les hommes, qui subirait le même accablement, le même désespoir, mais qui tenterait constamment et avec persévérance d'insuffler de la lumière dans ces moments d'accablement et de désespoir.








Voir d'autres citations de François de la Rochefoucauld: 


Les maux présents


- La sincérité


Le mépris des richesses



S'établir dans le monde








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samedi 25 avril 2020

La sincérité




La sincérité est une ouverture de cœur. On la trouve en fort peu de gens ; et celle que l'on voit d'ordinaire n'est qu'une fine dissimulation pour attirer la confiance des autres.


François de la Rochefoucauld, maxime 61 des « Réflexions ou Sentences et maximes morales de monsieur de la Rochefoucauld » (1678).










"Cyrano de Bergerac" d'Edmond Rostand, réalisé par Jean-Paul Rappeneau (1990)
avec Gérard Depardieu (Cyrano) et Vincent Pérez (Christian)











Peut-on être entièrement authentique ? Dire tout ce que l'on pense ? Être intégralement sincère ? C'est un vieux débat de la morale. Et au temps de la Rochefoucauld, ce débat avait été aussi mis en scène de manière savoureuse par Molière dans le Misanthrope (1666), acte 1, scène 1 : la pièce s'ouvre sur Alceste et Philinthe qui se disputent, ou plutôt Alceste qui reproche amèrement à Philinthe d'avoir sympathisé avec quelqu'un qu'il connaît à peine et qu'il n'apprécie pas plus que cela. C'est insupportable aux oreilles d'Alceste. On ne peut pas appeler quelqu'un « mon ami » si on n'est véritablement ami avec cette personne de longue date :

samedi 18 avril 2020

Les étoiles, les louanges et les blâmes




Il semble que nos actions aient des étoiles heureuses ou malheureuses à qui elles doivent une grande partie de la louange et du blâme qu'on leur donne.


François de la Rochefoucauld, maxime 58 des « Réflexions ou Sentences et maximes morales de monsieur de la Rochefoucauld » (1678).











Carlos Fairbairn, Constellation d'Orion, Brésil 2019.







Toute la Bhagavad Gitâ est arc-boutée sur ce principe moral : agis, mais renonce aux fruits de tes actions. Si Arjuna est sur le champ de bataille, il doit livrer le combat, peu importe les résultats de la bataille. Si vous travaillez dans les affaires, faites ce que vous avez à faire, que votre commerce gagne en prospérité ou que vous finissiez au bord de la faillite. Si vous êtes écrivain, écrivez ce que vous avez à écrire, que votre manuscrit soit édité dans une maison prestigieuse et soit un best-seller ou que votre livre tombe dans l'oubli le plus total. Faites ce qu'il vous semble juste de faire indépendamment de la réussite. Et soyez égal dans la réussite comme dans l'échec, dans l'approbation générale ou l'opprobre la plus totale.


Ce n'est pourtant pas ce que font les gens ! Toute leur action converge vers les fruits de cette action : gagner de l'argent, connaître la gloire, gravir les échelons hiérarchiques de la boîte, que sais-je... Et s'ils connaissent dans la réussite, tout le mérite leur en revient, s'ils échouent, c'est la faute des autres. Sans penser que le hasard, la fortune, les conditions de départ déterminent plus sûrement les hauts et les bas de nos entreprises. Cet oubli de la chance et du hasard brouille notre vision du monde : qu'on réussisse et on veut des leçons au monde entier sur comment réussir et bien entreprendre, que quelqu'un échoue et soit trop pauvre, on condamne automatiquement sa paresse et son manque d'esprit d'entreprise. On gagnerait à adopter une perspective plus large et voir ce que l'on doit au hasard et à la chance.





vendredi 17 avril 2020

Le mépris des richesses





Le mépris des richesses était dans les philosophes un désir caché de venger leur mérite de l'injustice de la fortune par le mépris des mêmes biens dont elle les privait ; c'était un secret pour se garantir de l'avilissement de la pauvreté ; c'était un chemin détourné pour aller à la considération qu'ils ne pouvaient avoir par les richesses.


François de la Rochefoucauld, maxime 54 des « Réflexions ou Sentences et maximes morales de monsieur de la Rochefoucauld » (1678).









Vincent Van Gogh, Les souliers, 1886.











La pauvreté, la frugalité, la simplicité, le dénuement parfois que se sont imposés les philosophes serait en fait une façon de contourner le manque de richesse en en faisant une voie de salut. On pense à Socrate qui hantait les rues d'Athènes toujours avec la même tunique, on pense à Diogène qui vivait carrément à la rue. On pense aussi aux ascètes, aux ordres mendiants, capucins, franciscains. On pense aussi à Milarépa, l'ascète tibétain (que la Rochefoucauld ne connaissait certainement pas) et aux sadhus en Inde. On pense à Ryôkan, ce moine zen japonais, poète et calligraphe, qui vivait une vie frugale dans les montagnes japonaises (un siècle après La Rochefoucauld, donc là on est sûr qu'il n'en a pas entendu parler!).


Pour toutes ces figures, je ne sais pas. En fait, je peux même être plus affirmatif que cela : je ne crois pas que le vœu de pauvreté soit une façon de contourner le manque de fortune. Néanmoins, la Rochefoucauld pointe du doigt quelque chose de vrai : le mépris des richesses est souvent une réaction d'orgueil face à la pauvreté ou une condition modeste qui nous est imposée. Une manière de garder la noblesse dans la déchéance, et même une noblesse morale qui permet d'insulter l'indécence de ceux qui réussissent par mille coups bas et acquièrent leur fortune avec avarice aux dépens des plus faibles. Il faut être vigilant à cela : ne pas s'imposer une vie austère avec plein de ressentiment et de jalousie cachée envers les personnes plus riches et cette médisance à l'encontre des signes extérieurs de richesse qu'au fond, on aurait voulu pour soi-même et qu'on regarde avec envie.


Personne ne se grandit par le ressentiment et les pensées noires. Cela ne fera que rendre notre vie plus triste, avec plein d'aigreur. Il vaut mieux se détacher des richesses avec juste un idéal de renoncement et de simplicité et trouver son bonheur dans le partage. Et si on n'est pas capable de renoncer à tout et vivre comme un ascète, qu'on en soit conscient et qu'on essaye de vivre le plus simplement possible sans sacrifice, mais sans dépense excessive non plus. C'est le principe de la simplicité volontaire. Privilégier les liens humains sur les biens matériels, les voyages lointains, les activités coûteuses et les signes ostentatoires de richesse.







jeudi 16 avril 2020

S'établir dans le monde




Pour s'établir dans le monde, on fait tout ce que l'on peut pour y paraître établi.

François de la Rochefoucauld, maxime 56 des « Réflexions ou Sentences et maximes morales de monsieur de la Rochefoucauld » (1678).








Ferdinand d’Autriche (1609-1641)
 Le tableau est attribué à Pierre-Paul Rubens, mais certains l'attribuent à Diego Vélasquez.





Avant Balzac, la Rochefoucauld avait vu que la société n'est qu'une vaste comédie humaine. On cherche par tous les moyens à y « trouver sa place » et, pour trouver cette place, il faut donner toutes les apparences d'avoir trouvé cette place. C'est comme si un comédien devait endosser le déguisement d'Arlequin pour être engagé dans la troupe de théâtre qui va produire un spectacle avec Arlequin. Cela n'a pas beaucoup de sens : en réalité, votre place est d'être là où êtes, ici et maintenant. Et votre place dans la société n'est qu'une fonction qui vous occupe, mais qui n'est fondamentalement pas vous.


Cela me fait penser au film « American Beauty » de Sam Mendès (1999). Il y a cet agent immobiler prétentieux et ambitieux qui se fait appeler le « roi de l'immobilier ». Plus rien n'allait plus dans son couple, mais il ne voulait rien en montrer. Il dit alors à Caroline Burnham (la femme de Lester) : « Pour réussir, il faut donner l'image de la réussite ». Tout cela me paraît très vite, comme le gars qui fait tourner très vite une torche enflammée en rond la nuit pour faire croire qu'il y a là un cercle. L'accoutrement, les postures et le langage font de vous quelqu'un qui réussit. L'apparence crée la réalité. Ou pas. Combien de gens ne s'acharnent pas à donner tous les signes de la réussite et s'enfoncent dans l'échec ? Et tout le discours de la société sera de dire que c'est votre faute, que vous n'avez pas fourni assez d'effort, pas assez travaillé ou que vous n'avez pas suivi le bon coach, la bonne formation. Tristesse et solitude d'une société fondée sur les apparences et l'égoïsme...



mercredi 15 avril 2020

Les maux présents





La philosophie triomphe aisément des maux passés et des maux à venir. Mais les maux présents triomphent d'elle.

François de la Rochefoucauld, maxime 22 des « Réflexions ou Sentences et maximes morales de monsieur de la Rochefoucauld » (1678).