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samedi 29 décembre 2018

Mon ombre solitaire




Depuis toujours je suis resté à méditer
Sur la Montagne Froide
Et ainsi s'écoulèrent une trentaine d'années.
Hier des amis chers vinrent me visiter,
Plus de la moitié sont aux Sources Jaunes.
Peu à peu tout s'efface et la bougie s'éteint.
La rivière suit son cours et disparaît au loin.
Ce matin je regarde mon ombre solitaire
Et malgré moi deux larmes descendent
sur mes joues.

Hanshan (寒山, VIIème - VIIIème siècle)


jeudi 27 décembre 2018

Des chansons en tête




Combien de chansons tristes ?
Combien de chansons gaies ?
Réalisant finalement qu'il n'y a rien hors de l'esprit,
Toutes les situations sont notre maître.

Zibo Zhengke ( 紫栢真可– Chine, 1543 - 1603)

mercredi 26 décembre 2018

Aimer et être aimé





Voici un principe simple : on n'aime jamais assez, et on n'est jamais assez aimé. Comme on ne peut pas faire grand-chose par rapport fait d'être aimé, qui ne dépend pas de nous (certes, on peut essayer de plaire à tout prix et de se rendre aimable quoiqu'il en coûte, mais cela reste toujours incertain, source de tensions et limité à un certain nombre de personnes), il faut porter ses efforts sur le fait d'aimer les gens autour de soi, apporter encore et encore de l'amour et de la bienveillance dans ce monde. Cela vaut pour l'amour spirituel qui s'étend à toute l'humanité ainsi qu'à tous les êtres sensibles dans toutes les directions du monde, mais cela vaut également pour les relations amoureuses, la famille, les amis et les gens avec qui on peut partager une cause.


Partant de ce principe, la question devient : « Comment est-ce que je peux aimer plus ? » Plutôt que de chercher à tout prix à se rendre aimable ou estimable auprès des autres pour qu'éventuellement il nous aime un peu, beaucoup, à la folie, voire pas du tout, il faut chercher à voir comment on peut grandir en amour. Cela suppose de transformer un grand nombre de choses dans notre vision du monde et de la vie : ne pas attendre que les autres nous aiment ou nous apprécient pour les aimer à notre tour. Et c'est un travail toujours à recommencer parce qu'on espère toujours, on attend toujours quelque chose en retour. Encore et encore, avoir le courage d'aimer et se détacher des rancœurs, des ressentiments et des conflits. Revenir à la bienveillance fondamentale.

































Voir aussi à propos de l'amour : 




Les différentes formes de l'amour (l'amour qui prend, l'amour qui donne et l'amour universel, inconditionnel qui s'étend à tous les êtres ). Et comment concilier ces différentes formes avec sagesse.















Sur la méditation  de l'amour bienveillant et des Quatre Qualités Incommensurables :


Les Quatre Demeures de Brahmā : amour illimité, compassion illimitée, joie illimité et équanimité illimitée



- Faire rayonner les quatre qualités


Méditation des Quatre Incommensurables




Esprit d’Éveil


     Comment produire l'esprit d’Éveil ou bodhicittaL'esprit d’Éveil est le souhait que tous les êtres soient libérés de la souffrance et deviennent des êtres pleinement éveillés. Les enseignements du lama tibétain Dza Patrül Rimpotché (XIXème siècle). 




Empathie et altruisme

   Développer l'empathie et l'altruisme selon la philosophie bouddhiste











Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.



Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.
















Keith Haring. — Sans titre, 1985






mardi 25 décembre 2018

Qui était le Bouddha ?




Qui était le Bouddha ?




Je voudrais réagir à un ouvrage de Bernard Faure récemment paru : « Les milles et une vies du Bouddha » (éd. du Seuil, Paris, 2018). Bernard Faure y interroge notre connaissance de la personne du Bouddha d'après les textes anciens du bouddhisme. Il y distingue deux grandes tendances chez les érudits occidentaux depuis qu'ils étudient le phénomène du bouddhisme depuis le XIXème siècle : l'historicisme et le mythologisme. La lecture de Bernard Faure se place résolument du côté des mythologistes. Il s'ingénie donc dans son livre à saper toute preuve historique concernant la vie du Bouddha.

lundi 10 décembre 2018

À qui la faute de notre naissance ?



À qui la faute de notre naissance ?



Dans son article « Faire des enfants est-il immoral ? 1 », Ruwen Ogien envisage les réticences morales que l'on pourrait avoir vis-à-vis de la procréation. Bien sûr, c'est là une activité tout à fait naturelle ; mais le caractère naturel de la procréation n'est pas en soi une justification morale. Perpétuer l'espèce est-ce intrinsèquement une bonne chose ?

dimanche 25 novembre 2018

Les valeurs de la gauche






Dans un de ses articles intitulé « Les bavardages au sujet des valeurs m'exaspèrent1 », le philosophe Ruwen Ogien (1949 – 2017) conteste l'appel aux valeurs morales de certains leaders de la gauche. Selon lui, la gauche ne devrait pas invoquer ces valeurs morales, mais plutôt se battre pour étendre les droits en faveur de tous les défavorisés. Cela me paraît extrêmement contestable. Il me semble emblématique de cette matrice de la pensée '68 qui fait qu'il est devenu inconcevable d'associer les idéaux de gauche à des valeurs morales. Aujourd'hui, les valeurs morales sont plutôt dans le camp de la droite. On a par exemple ce magazines français de droite, « Valeurs actuelles », dont le titre évoque, j'imagine, des valeurs conservatrices (si ce n'est peut-être des valeurs boursières). On a aussi le slogan du mouvement d'extrême-droite d'Alain Soral, Égalité et Réconciliation dont le slogan est : « Gauche du travail, droite des valeurs ». Comme si la gauche n'avait pas elle-même de valeurs morales...


Je trouve cela triste.... Très triste.... En réalité, avant Mai '68, la gauche avait des valeurs : la solidarité, la fraternité, le partage, l'entraide, l'égalité, la liberté comprise non pas comme la liberté d'investir et de posséder, mais la liberté de l'individu contre l'oppression des puissants. La gauche défendait la dignité du travailleur contre les prérogatives du patron, la dignité du faible face au dédain des nantis. J'affirme que l'on ne peut pas penser la gauche indépendamment de ces valeurs. Il ne peut y avoir une sécurité sociale, un partage des richesses, un accès à l'art et à la culture, une entraide effective qu'à partir du moment où les gens dans leur majorité adhèrent à ces valeurs et sont prêts à renoncer à une partie de leur richesse au profit du bien commun, et non au profit de quelques uns.


Au fond, c'est la gauche qui est morale. C'est la droite capitaliste qui est sans valeur. Le capitalisme se fonde sur les intérêts égoïstes de chacun : pas de besoin de valeurs morales pour cela ! La compétition et la rivalité de tous contre chacun suffit comme principe fédérateur d'une économie de marché. Néanmoins, un élément central dans l'économie de marché fait que le capitalisme a encore besoin des valeurs morales : le crédit. Le mot « crédit » vient de latin « credere », croire, qui a donné aussi le mot français « crédible » et que l'on retrouve dans l'expression « donner du crédit à quelqu'un ». Le crédit, c'est la croyance, la conviction que la personne pour qui vous avez fourni un travail va vous payer ou que la personne que vous avez payée va vous fournir la chose que vous lui avez acheté. Sans cette confiance, tout le système du crédit s'effondre. Un banquier ne récupérerait jamais la somme qu'il avait donné en prêt. Et personne ne donnerait du crédit à la capacité de la poudre à lessiver à nettoyer son linge (même si la publicité nous prend pour des cons en affirmant que ce linge va être lavé plus blanc que blanc). Toute l'économie s'effondrerait.


Donc il faut des valeurs morales pour garantir cette confiance et ce crédit (ainsi qu'un cortège de lois), mais ces valeurs morales, le capitalisme va les chercher généralement en-dehors de lui-même, le plus souvent dans les valeurs conservatrices et religieuses. Je me souviens d'une interview d'un ultra-libéral qui condamnait la liberté sexuelle pour les femmes, non pas parce qu'il trouvait lui-même ce comportement choquant chez les femmes, mais parce que les femmes trop libres sexuellement risquaient d'enfanter seules, et que ces familles mono-parentales font beaucoup plus appel à des aides sociales que les familles avec un schéma traditionnel. Les libéraux étant contre les aides sociales, il faut donc être aussi contre la liberté sexuelle !


De plus en plus, la droite capitaliste reprend à son compte les valeurs nationalistes , l'attachement au clan, à la nation, à la patrie, à la communauté. Donald Trump est le meilleur exemple de cette tendance, même si cela tiraille cette droite capitaliste entre la globalisation sauvage des économies et le protectionnisme belliqueux de Trump et consorts.


Dans son article, Ruwen Ogien s'emporte contre l'utilisation de la valeur « dignité » pour interdire l'euthanasie, l'usage récréatif des drogues, le travail sexuel librement consenti, les pratiques sexuelles dites « déviantes », mais qui sont elles aussi librement consenties. L'emploi de la valeur « famille » permet de discréditer les droits des homosexuelles à se marier et à fonder une famille. L'emploi de la valeur « travail » permet de jeter l'opprobre sur les grévistes qui « prennent en otage » les honnêtes travailleurs qui ne remettent pas en question les injustices sociales. L'emploi de la valeur « respect » permet de rétablir la censure. Et enfin, l'emploi de la valeur « communauté » permet de contester le droit d'asile aux migrants qui veulent rentrer en Europe.


Je suis d'accord, mais on ne manquera pas de noter que ces valeurs morales émanent de la droite conservatrice ou de la droite nationaliste ou que ces valeurs morales sont réinterprétées dans une logique conservatrice ou nationaliste. Par exemple, les détracteurs du droit à l'euthanasie invoque souvent la valeur de la dignité de la vie humaine pour contester l'euthanasie. Mais les défenseurs de l'euthanasie invoquent aussi la valeur de la dignité pour accorder aux personnes gravement malades le « droit de mourir dans la dignité ». Il me semble que la gauche se prive d'un levier important en politique si elle laisse toutes les valeurs morales à la droite.


Par ailleurs, si on abandonne des valeurs comme la solidarité, on rend incompréhensibles l'acte de reverser une partie de sa fortune à l’État pour que celui-ci le distribue de manière équitable aux personnes qui en ont besoin dans la société. Dans les années soixante, ce n'était pas un problème. La gauche a tenu un discours libertaire où les valeurs avaient mauvaise presse : elles étaient ringardisées. Mais même discréditées sous Mai '68, elles continuaient d'agir comme un vélo continue de rouler en roue libre après qu'on ait cessé de rouler. Cinquante ans plus tard, cela fonctionne plus : sans des valeurs de générosité, d'entraide et de solidarité, on voit nécessairement ce prélèvement de revenu en vue de la redistribution comme un vol, et non plus comme un geste de solidarité qui devrait nous rendre fiers.


Pareillement, les frontières se referment contre ces migrants pour qui on a aucun élan de solidarité. Ruwen Ogien critique d'ailleurs dans son article l'usage des valeurs comme une arme pour refuser le droit d'asile à ces migrants : « Dans tous ces cas, l’appel aux valeurs ne vise pas à élargir, renforcer, protéger les droits et les libertés mais à les affaiblir, à les remettre en cause. Les protocoles mis en place dans plusieurs États européens pour l’acquisition de la nationalité pourraient aussi servir d’exemple à cet aspect rétrograde de l’appel aux valeurs ».


Pour Ruwen Ogien, il faudrait accorder des droits et des libertés et arrêter de bavarder sur les valeurs que les migrants désirant entrer en France ou dans un autre pays européen devraient avoir pour s'intégrer dans la communauté nationale : « Depuis quelque temps, la connaissance de la langue, l’engagement à respecter les lois ont cessé d’être les seules exigences qui doivent être satisfaites. Il faut aussi que le candidat manifeste son adhésion aux «valeurs» des pays concernés, une exigence vague, pour laquelle il n’existe pas de preuves décisives, ce qui permet de justifier tous les refus. La perversité de l’appel aux valeurs apparaît assez clairement dans ce cas. C’est tout simplement un obstacle supplémentaire dans le difficile parcours vers l’acquisition de la nationalité !  »


Cela me semble très problématique, parce que si on accepte n'importe qui sur nos territoires nationaux respectifs, on se condamne immanquablement à voir les idées d'extrême-droite proliférer sur le terreau des crispations des Européens de souche. On accepte notamment des populations musulmanes avec des valeurs morales réactionnaires, machistes et haineuses de l'Occident moderne, et puis on s'étonne que cela dégénère dans l'adhésion au salafisme et l'attachement à des signes religieux ostensiblement brandis comme le symbole du désaveu des « kouffars », les impies que nous sommes, et cela se manifeste en outre dans le harcèlement de rue et les intimidations répétées. On accepte aussi des populations africaines largement converties à des sectes du christianisme évangélique tout aussi rétrogrades que les courants islamiques que je viens de critiquer, même si on les voit moins et que les médias sont beaucoup moins bavards sur le sujet, probablement que c'est moins vendeur que de taper sur les musulmans...


Il y a deux ans, j'enseignais dans une école de Bruxelles peuplées à 95% de gamins issus de l'immigration. Ils m'avaient tous dit : « Monsieur, on est Belge seulement pour les papiers ». Sous-entendu : on vient profiter de la Belgique, de son niveau de vie, mais on reste au fond Marocains, Congolais, Tunisiens, Roumains, Turcs ou Algériens, avec les valeurs morales et la mentalité qui vont avec. Donc nous, les Européens de souche, on n'a pas le droit d'avoir des valeurs, on doit se contenter de donner des droits et des libertés à des étrangers qui, eux, ont le droit inaliénable de conserver leurs propres valeurs et de mépriser ces populations européennes d'origine.


Je ne pense pas que cela tiendra longtemps. D'autant plus que le nombre croissant de ces étrangers fait que leur intégration au sein de la population belge devient de plus en plus hypothétique. Quand des quartiers entiers sont peuplés quasi-exclusivement d'étrangers, que les seuls Belges qu'ils peuvent rencontrer sont des flics, des profs ou des membres de l'administration, il ne faut pas s'étonner que ces jeunes n'aient aucune envie de s'intégrer à une population qu'ils ne connaissent pas. Je me souviens d'un débat en classe dans cette même école autour de l'amitié qui avait dévié sur la question de savoir si un Noir pouvait être l'ami d'un Arabe (la moitié des étudiants étaient Arabes, l'autre moitié originaire d'Afrique noire). Ils ne se posaient même pas la question de savoir si un Black ou un Beur pouvait l'ami d'un « Blanc ». Non, la question ne se posait même pas tant la réponse était évidente à leurs yeux.


Donc cette demande d'adhérer aux valeurs des pays européens dans lesquels les migrants viennent s'installer ne me paraît pas du tout absurde. J'admets avec Ruwen Ogien qu'il n'existe pas de « preuves décisives » pour prouver l'intégration d'une personne. Il y a aura toujours une part de subjectivité et donc d'arbitraires dans les décisions des personnes responsables d'accorder ou non des titres de séjour ainsi que la nationalité. C'est une question complexe. Comment être sûr qu'une personne partage nos valeurs ? Et d'ailleurs comment définir les valeurs de la Belgique, de la France, de l'Espagne ou d'autres pays européens ? Ces valeurs ne font pas l'objet d'un consensus. Pourtant, on sent bien que certaines personnes ne font aucun effort pour adhérer à la communauté nationale. Ce qui attise le racisme et l'ostracisme dans la population.


Dans ce débat politique, on pourrait schématiser six positions qui vont de l'extrême-droite à l'extrême-gauche.

  • La mouvance identitaire : Vous êtes Belge ou Français si vous êtes le fils ou la fille de parents belges ou français. C'est l'idéologie du droit du sang. Chacun doit rester à sa place dans son pays. Comme si les gens étaient des arbres. Il se trouve que l'humain est un animal doué de mouvement et qu'il bouge. Avec une mentalité pareille, toute l'humanité serait restée dans en Éthiopie avec les descendants de Lucy et on continuerait à casser des cailloux.

  • L'assimilation : Il peut y avoir des étrangers, mais ils doivent faire une effort conséquent pour ressembler comme deux gouttes d'eau au ressortissant de son pays. Le défenseur le plus connu de cette thèse est Eric Zemmour pour qui un étranger doit donner des noms français à ses enfants. Hapsatou aurait du s'appeler « Corinne » pour se conformer à une certaine idée de l'identité nationale.
    Maintenant est-ce que des signes extérieurs d'appartenance sont le signe absolument certains d'une loyauté sincère à sa patrie d'adoption ? Je ne sais pas. Est-ce que si Salah Abdeslam s'était appelé Roger Abdeslam, son attentat terroriste à Paris aurait été moins problématique ? Est-ce que s'appelant Roger, il aurait été protégé de la tentation intégriste ? J'en doute.

  • L'intégration : Les étrangers doivent faire un effort pour rentrer dans la communauté nationale et ses valeurs. Cette personne étrangère n'est pas obligée de renier son passé et l'identité qu'il s'est forgé là-bas dans son pays d'origine, mais cette identité doit se transformer pour rentrer dans un nouveau cadre. Votre pays de destination devient votre pays ; votre pays d'origine n'est plus que votre origine.

  • Le multiculturalisme : Étrangers, conservez votre culture et votre identité nationale. C'est super si la société ressemble à un patchwork de cultures et de religions différentes. La différence est une richesse. Le problème est que ces cultures ne se mélangent pas vraiment comme à Bruxelles, mais coexistent de manière plus ou moins tendue avec une méfiance mutuelle et un parfum de crise permanent.

  • L'islamo-gauchisme : les musulmans sont les nouveaux prolétaires de ce monde. Même si les gauchistes ne partagent absolument pas leur valeur morale, voire même ont un dégoût profond pour celles-ci, il faut quand même s'allier avec les structures islamistes dans les quartiers sensibles. On obtient un double discours assez dérangeant où on critique les Occidentaux d'être des machistes, des porcs qu'il faudrait balancer et où, dans le même temps, on défend les barbus ainsi que les pauvres femmes musulmanes voilées qui subissent le racisme des Blancs et qui devraient être libres de porter ce voile.

  • L'idéologie « no border » : pas de frontière, pas d’État. Tout le monde va où il veut. Projet généreux, mais complètement irréaliste.



On aura compris que je me situe plutôt dans l'idée de l'intégration qui, certes, a mauvaise presse tant à droite (Zemmour dit que l'idéologie de l'intégration conduit à la désintégration) qu'à gauche (où l'on considère que c'est une démarche beaucoup exigeante et qui va à l'encontre de la multiculturalité bariolée et joyeuse). Je me souviens d'avoir été dans un restaurant indien de Liège avec un ami d'extrême-gauche et végane. Il s'était emporté parce que le serveur ne parlait pas suffisamment le français pour comprendre qu'on ne voulait pas de sauce comportant des produits animaux, à base de lait en clair, puisque nous sommes tous les deux véganes. Il m'a fait un discours comme quoi il faudrait exiger que les étrangers aient une meilleure connaissance du français pour pouvoir mieux servir leur clientèle. Je lui ai dit qu'il fallait effectivement plus d'efforts d'intégration de leur part. Mon ami d'extrême-gauche a tout de suite marqué sa désapprobation : sous-entendu, l'intégration, c'est pour les fascistes...


Néanmoins, malgré ces critiques qui viennent de côtés complètement opposés de l'échiquier politique, cette demande d'intégration aux populations allochtones me semble être la position la plus sage et la plus équilibrée.


Dans ce débat, on voit que la gauche est tiraillée entre deux valeurs qui s'affrontent : la solidarité et l'universalisme. D'un côté, la défense de nos travailleurs et de nos populations défavorisées et de l'autre l'envie d'étendre cette solidarité à tous les « damnés de la Terre » pour reprendre les mots de l'Internationale. Ce tiraillement fait écho au tiraillement dans la droite que j'ai cité plus haut : d'un côté, la droite mondialiste qui a intérêt à l'action des multinationales qui prend chaque plus de pouvoir aux souverainetés nationales et qui a intérêt à voir débarquer un main-d’œuvre très bon marché dans nos pays pour pouvoir mettre sous mettre sous pression les travailleurs locaux ; de l'autre, la droite nationaliste qui voit d'un très mauvais œil l'avènement de l'Autre, de l'étranger.


C'est l'argument qu'on avance souvent par rapport à la crise des migrants : « Occupons-nous d'abord de nos SDF avant de s'occuper des migrants ». C'est là bien entendu un argument très faible, puisque les gens qui avancent cet argument sont en général les premiers à cracher sur les clochards parce qu'ils sont paresseux, parce qu'ils sont sales ou parce qu'ils sont ivrognes... Tout d'un coup, ils se prennent un élan de générosité envers les SDF pour justifier leur manque de solidarité et leur exclusion des migrants. Mais malgré cette faiblesse, il faut pouvoir entendre la peur qui se cache derrière cette argument un peu bancal : est-ce que notre situation sociale qui n'est déjà pas radieuse ne va pas encore empirer ? Et cette préoccupation est loin d'être irrationnelle. Surtout que ce sont les populations qui vivent dans les quartiers défavorisés qui vont en priorité accueillir l'essentiel du flux des réfugiés.


Donc ce débat sur les valeurs ne me semble pas être un « bavardage », ni une forme de « naïveté philosophique et politique », mais un élément essentiel de la politique, et notamment de la question des migrants. Bien sûr, les valeurs peuvent être invoquées pour tirer le débat dans un sens ou dans un autre. Bien sûr, tout cela ne fera pas l'économie de devoir la complexité de la situation. Mais abandonner les « valeurs » comme le voulait Ruwen Ogien pour ne défendre que les droits et les libertés dans une logique libérale-libertaire, c'est se condamner à voir la droite conservatrice ou la droite nationaliste à s'en emparer pour le pire, alors même que toute la gauche est basée sur une conception morale de la société, dont les revendications tendent vers la justice sociale, la liberté, la solidarité, la fraternité et l'égalité.


Frédéric Leblanc, 
le 25 novembre 2018












1 Ruwen Ogien, « Mon dîner chez les cannibales (et autres chroniques sur le monde d'aujourd'hui) », éd. Grasset, Paris, 2016, chap. 7, pp. 51-54. La citation « Les bavardages au sujet des valeurs m'exaspèrent », qui sert de titre, est de Jürgen Habermas. L'article est paru une première fois dans le blog LibéRation de Philo le 14 octobre 2015 : http://liberationdephilo.blogs.liberation.fr/2015/10/14/lexasperant-bavardages-au-sujet-des-valeurs/















Yann Toma, Cercles d’ampoules, installation à la Galerie Anton Weller, Paris, 1994.















Voir aussi : 




(à propos de la citation d'Honoré de Balzac : "La résignation est un suicide quotidien")


La liberté est à l'extérieur ou à l'intérieur de soi ? La liberté est-elle relative ou absolue ?


Les différents sens possibles du mot "libéral" et le rapport particulier que chaque sens entretient avec la liberté. 








Changer les choses 


La perspective de changer les choses


- Ne me dites pas que ce problème est simple










Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.









Ruwen Ogien par Kristiina Hauhtonen









samedi 3 novembre 2018

L'espace d'un doute






Une question philosophique qui fait rarement consensus chez les philosophes est la question de la définition même de la philosophie. « Qu'est-ce que la philosophie ? » On pourrait s'attendre à ce que les avis s'accordent sur cette base, quitte à diverger plus tard sur des questions plus existentielles. Mais même sur ce qu'il faut entendre derrière le terme de « philosophie », les philosophes peinent à s'entendre. Or cette discipline fait l'objet d'un enseignement, notamment dans les écoles du secondaire. Et la nécessité des programmes fait qu'il faut bien imposer une définition au moins minimale de la démarche philosophique afin de préciser ce qui va être enseigné dans ce cours. La philosophie y est alors généralement présenté comme une « problématisation de notions » ou encore « non comme un savoir, mais un questionnement des savoirs ».

jeudi 1 novembre 2018

Un nomade de la raison - 11ème partie






Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila

11ème partie


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L'indifférence de Pyrrhon


mercredi 31 octobre 2018

Un nomade de la raison - 10ème partie




Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila

10ème partie


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La nature des choses



mardi 30 octobre 2018

Un nomade de la raison - 9ème partie



Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila

9ème partie


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Le compte-rendu d'Aristoclès de Messène sur la philosophie de Pyrrhon

dimanche 28 octobre 2018

Fleurs de la contemplation





        Dans un de ses ouvrages 1, Daisetz Teitaro Suzuki (1870 - 1966), le grand spécialiste du Zen, l'auteur renommé des Essais sur le bouddhisme Zen, cite deux courts poèmes, un haïku de Bashō (1644-1694) et quelques vers d'Alfred Tennyson (1809 – 1892).


« Je regarde avec attention :
Un nazuna en fleur
Au pied d'une haie ! »

Bashō 2


« Fleur d'un mur lézardé
Je t'arrache à tes lézardes.
Avec tes racines, je te tiens dans mes mains.
Toute et tout entière.

Petite fleur telle que tu es,
Avec tes racines, tout entière et tout dans Tout,
S'il m'était donné de te comprendre
Je comprendrai alors ce qu'est Dieu et l'homme. »

Alfred Tennyson.

vendredi 19 octobre 2018

Un nomade de la raison - 8ème partie



Un nomade de la raison 
sur les chemins d’Élis à Taxila

8ème partie


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Pyrrhon d’Elis, sa vie



    On se souvient que Platon a dit de Diogène que c’était « Socrate devenu fou ». On pourrait pareillement voir en Pyrrhon un Socrate extravagant1. Victor Brochard explique : « On pourrait trouver d’assez frappantes analogies entre Pyrrhon et Socrate. (…) Et nous verrons que Pyrrhon, comme Socrate, s’est proposé avant tout de trouver le secret du bonheur. Comme lui, il renonce à la science théorique pour tourner toutes les préoccupations du côté de la vie pratique. Comme lui aussi, il prêche l’exemple, et fait plus impressions sur ses disciples par sa conduite que par ses discours2 ». Cependant, là où Socrate s’inscrit dans la logique de la Cité, vivant comme un citoyen à plein titre d’Athènes et jouant un rôle dans les murs de celle-ci, Pyrrhon vit en marge de cette Cité, préférant le silence de la nature et s’abstenant de jouer un rôle d’influence dans la Cité.


     Rentré en Grèce vers 322 avant notre ère, Pyrrhon eut une vie fort calme, très retiré de l’agitation de la Cité, ne se souciant aucunement d’argent et de biens matériels, s’occupant de sa ferme avec sa sœur Philista. Pyrrhon a fondé en cette cité d’Elis son école philosophique, même si tout porte à croire que ce n’était pas un centre d’enseignement très structuré comme pouvait être l’Académie de Platon ou le Lycée d’Aristote. Cela devait plutôt ressembler à un centre informel de discussion et d’échanges. La volonté de fonder une école pérenne préoccupait peu Pyrrhon. Ce qui a surtout frappé ses contemporains, c’est sa grande dignité morale. Il était tellement apprécié que ses concitoyens d’Elis le nommèrent grand-prêtre de leur Cité3 ! Destin étrange pour un philosophe sceptique !

mercredi 10 octobre 2018

Maggie De Block




Maggie De Block




      L'actualité étant aux élections communales et provinciales en Belgique, j'ai parlé de politique avec mes étudiants. J'ai notamment évoqué les figures les plus importantes de chaque parti démocratique ; et en en venant à l'Open-VLD, le parti des libéraux flamands, on a cité Maggie De Block, la ministre fédérale de la santé. Et comme toujours quand on évoque Maggie de Block, cela suscite inévitablement un débat parmi mes élèves : comment une femme pareille peut être ministre de la santé ? Il faut savoir que Maggie de Block est très « enrobée » pour le dire gentiment, et même carrément obèse.


     Mes élèves pensent que quelqu'un de trop gros ne peut pas être ministre de la santé, parce que pour être ministre de la santé, il faut montrer l'exemple, incarner la forme et la santé. Pour moi, c'est clairement de la grossophobie, le rejet social des personnes trop grosses selon les standards de la société. Maggie de Block est médecin de formation : il est donc naturel qu'elle soit attirée en tant que femme politique par la fonction de ministre de la santé. Personne ne se poserait de question si un médecin ou un ministre de la santé fumait des cigarettes, ce qui n'est pas non plus un bon exemple à donner en matière. Cet argument de l'exemplarité revient dans toutes les classes : chaque fois qu'on évoque Maggie de Block, c'est toujours la même réaction, comme quoi elle ne devrait pas être ministre de la santé au regard de son physique.


     La question de l'exemplarité me semble donc très douteuse quand on évoque la figure de Maggie de Block : clairement, on lui reproche d'être grosse, de ne pas faire d'effort pour maigrir. Or il se trouve que Maggie de Block a fait de nombreux efforts pour maigrir quand elle était adolescente : « En 4ème humanité, j’avais pris une résolution : en septembre, je rentre à l’école avec un paquet de kilos en moins. Pendant les mois d’été, j’ai fait un tel régime et j’ai perdu tant de poids que ma mère s’est mise à lire des livres sur l’anorexie. En septembre, certaines copines ne m’ont même pas reconnue. J’avais aussi grandi pendant ces mois, ma transformation était remarquable (…) J’ai continué à perdre du poids, mais cela revenait rapidement. Effet de yo-yo typique. Mon poids avait clairement un rapport avec ma constitution, mon type ». Elle explique aussi à quel point ces régimes drastiques pouvaient être mauvais tant pour sa santé que pour son état psychique : « Je survivais grâce à une pomme, une tomate et quelques feuilles de salade par jour. Je pesais un peu moins de 60 kg. J’étais si affaiblie qu’il m’arrivait de m’évanouir. À 17 ans, j’étais si focalisée sur le fait de ne pas manger que j’en devins malade, apathique et presque dépressive 1 ».


     Beaucoup de personnes obèses font ou ont fait beaucoup d'effort pour maigrir. Il y a une injustice à toujours les culpabiliser de ne pas faire les efforts nécessaires comme le régime ou la pratique des sports pour diminuer son poids. Surtout que cette culpabilisation a généralement l'effet inverse sur ces personnes. Certes, Maggie de Block ne se cache pas d'aimer la bonne cuisine ; mais je ne vois pas pourquoi elle devrait se priver de ce genre de plaisirs sous prétexte que la société a un modèle très rigide de ce qui est bon et de ce qui est souhaitable. Derrière l'alibi de la santé (« ce n'est pas bon pour le cœur ou les artères d'être trop gros ») se dissimule souvent le rejet aigri de ce qui ne correspond pas avec les stéréotypes établis de la mode et du fitness.


      En tant que médecin, on demande à Maggie de Block de savoir soigner les gens, pas d'être un idéal de perfection. De même, en tant que ministre de santé, on lui demande de connaître ses dossiers, d'être élue démocratiquement et de servir l'intérêt du peuple belge. Si on demandait à Maggie de Block d'être coach en fitness, alors oui, je dirai qu'elle n'est pas compétente ; mais dans sa situation actuelle, elle a sa place à son poste de ministre. Si on doit critiquer Maggie de Block, ce n'est donc pas sur son poids ou son surpoids, mais bien sur ses positions politiques.


    Or il se trouve qu'en bonne libérale, elle a des positions très tranchées et agit constamment pour diminuer les aides sociales et réduire au maximum la sécurité sociale. Elle avait eu pour projet notamment de remettre le plus vite possible les malades de longue durée avec l'idée sous-jacente que tous les malades n'en sont pas vraiment et qu'ils profitent tous d'un système de santé trop généreux. Tout est bon pour cette libérale pour faire des coupes sombres dans le système des soins et défavoriser les plus pauvres et les plus fragiles au sein de le société. C'est en cela, il me semble, qu'il faut critiquer durement la ministre de la santé, et non sur ses kilos en trop qui ne regardent qu'elle. On retournerait alors avantageusement à l'essence de la politique.















Maggie de Block au parlement belge