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mercredi 31 juillet 2019

Sur les murs du Bois de l'Ouest




Sur les murs du Bois de l'Ouest


Un regard d'horizon pour les cols,
un regard de ciel pour les cimes.
Haut et bas, proche et lointain
ne se ressemblent pas.
J'ignore le vrai visage du mont Lou.
Je sais seulement que j'y suis.

Su Dongpo (蘇東坡, 1037 - 1101)



dimanche 6 janvier 2019

Le cours des choses





Au moment du décès de la femme de Tchouang-Tseu, Hui-Tseu alla selon l’usage adresser ses condoléances. Là, il trouva Tchouang-Tseu accroupi, chantant, et battant la mesure sur une cruche, qu’il tenait entre ses jambes. Choqué, Hui-Tseu lui dit :


— Que vous ne pleuriez pas la mort de celle qui fut la compagne dans votre vie et qui vous a donné des fils, c’est déjà bien singulier ! Mais que, lors de cette veillée funèbre, vous chantiez et tambouriniez nonchalamment, ça c’est clairement dépasser la mesure !


— Pas du tout ! répondit Tchouang-Tseu. Au moment de sa mort, je fus certes affecté. Comment aurais-je pu ne pas être affecté ? Mais ensuite, j'ai examiné ce qu'elle fut au début, avant même sa naissance. Avant qu'elle n'ait un corps, avant qu'elle n'ait une âme. Un prodige engendra un changement, et elle eut des âmes. Ces âmes se transformèrent, et elle eut un corps. Ce corps se transforma, et elle eut une vie. Une autre transformation vient de se produire, et elle est morte. C'est comme la succession des saisons où vies et morts s'enchaînent. Elle repose maintenant dans une vaste demeure. Je montrerais que je ne sais rien du destin si je continuais à sangloter. C'est pourquoi mes larmes ont cessé de couler.


Tchouang-Tseu, XVIII, 2.



NB : Tchouang-Tseu s'écrit « Zhuangzi » en pinyin (la transcription officielle du chinois) et Hui-Tseu « Huizi ». Mais la graphie de Tchouang-Tseu s'est imposée en langue française, c'est pourquoi je la conserve. D'autant plus qu'elle est plus proche de la prononciation réelle en mandarin. En caractère chinois traditionnel Tchouang-Tseu (ou Zhuangzi) s'écrit 莊子, et en caractère simplifié : 庄子. Huizi s'écrit : 惠子. NB : « Tchouang-Tseu » est le nom de ce philosophe chinois taoïste qui a vécu au IVème – IIIème siècle avant notre ère, mais aussi le nom du livre dans lequel sont contenus les histoires et les enseignement de Tchouang-Tseu (Zhuangzi).








Matthew Harrison


vendredi 4 janvier 2019

Un arbre noueux





Hui-tseu, s'adressant à Tchouang-tseu, lui dit : "J'ai dans mon bien, une arbre de grande taille. Son tronc est si noueux et si tordu qu'on ne peut pas le scier correctement. Ses branches sont si voûtées et vont tellement de travers qu'on ne peut pas les travailler d'après le compas et l'équerre. Il est là au bord du chemin, mais aucun charpentier ne le regarde. Telles sont vos paroles, ô mon maître, grandes et inutilisables, et tout le monde se détourne unanimement de vous."


Tchouang-Tseu dit à son tour : "N'avez-vous jamais vu une martre qui, s'aplatissant, est aux aguets en attendant que quelque chose arrive ? Elle va sautant de place en place et n'a pas peur de sauter trop haut, jusqu'à ce qu'elle tombe dans un piège ou se laisse prendre au lacet pour son beau pelage. Mais il y a encore le yack. Il est aussi grand qu'une nuée d'orage. Il se dresse, considérable. Seulement il n'est même pas capable d'attraper des souris. Vous avez, dites-vous, un arbre de grande taille et déplorez qu'il ne serve à rien. Que ne le plantez-vous dans une lande déserte ou au beau milieu d'une terre vacante ? Alors vous pourriez rôder oisivement autour ou, n'ayant rien d'autre à faire, dormir sous ses branches. Aucune scie, aucune hache ne sont là pour le menacer d'une fin prématurée, et nul de saurait lui porter dommage. Que quelque chose ne serve à rien, en quoi faut-il vraiment s'en mettre en peine ?


Tchouang-Tseu, I, 3.


NB : Tchouang-Tseu s'écrit « Zhuangzi » en pinyin (la transcription officielle du chinois) et Hui-Tseu « Huizi ». Mais la graphie de Tchouang-Tseu s'est imposée en langue française, c'est pourquoi je la conserve. D'autant plus qu'elle est plus proche de la prononciation réelle en mandarin. En caractère chinois traditionnel Tchouang-Tseu (ou Zhuangzi) s'écrit 莊子, et en caractère simplifié : 庄子. Huizi s'écrit : 惠子.

samedi 29 décembre 2018

Mon ombre solitaire




Depuis toujours je suis resté à méditer
Sur la Montagne Froide
Et ainsi s'écoulèrent une trentaine d'années.
Hier des amis chers vinrent me visiter,
Plus de la moitié sont aux Sources Jaunes.
Peu à peu tout s'efface et la bougie s'éteint.
La rivière suit son cours et disparaît au loin.
Ce matin je regarde mon ombre solitaire
Et malgré moi deux larmes descendent
sur mes joues.

Hanshan (寒山, VIIème - VIIIème siècle)


jeudi 27 décembre 2018

Des chansons en tête




Combien de chansons tristes ?
Combien de chansons gaies ?
Réalisant finalement qu'il n'y a rien hors de l'esprit,
Toutes les situations sont notre maître.

Zibo Zhengke ( 紫栢真可– Chine, 1543 - 1603)

dimanche 19 novembre 2017

Battement d'ailes d'un papillon



Battement d'ailes d'un papillon dans le ciel, le vent et le rêve




     Quelques citations poétiques et spirituelles incluant ce petit animal gracieux qu'est le papillon.


        Tout d'abord, un petit texte très célèbre d'un des grands penseurs du Tao en Chine, Tchouang-Tseu (莊子)1 où ce dernier nous raconte un rêve, et le trouble existentiel qui s'en suit :

dimanche 10 septembre 2017

La vie humaine comme nuage et eau



Le ruisseau de montagne coule sans intention,
Le nuage dans la grotte pénètre sans idée.
Que soit la vie humaine comme nuage et eau
Et des arbres de fer fleuriront au printemps.

Ci'an Shoujing (XIIème siècle).





Kilian Schönberger





       Nous vivons dans une société toute entière sur les notions de « projets », des « objectifs à atteindre », de « plans d'action », de « visions pour l'avenir ». Tout cela s'arc-boute sur la volonté : il faut avoir la volonté d'agir dans la direction voulue par la société. La vie humaine ne vaut que par la réussite de ces projets et de ces plans d'action. On ne se réalise qu'en se projetant dans le temps et la durée. Mais le problème est que le temps passe et réduit tous ces projets au néant. Ne reste plus alors qu'à s'enthousiasmer pour de nouveaux projets et de nouveaux plans d'action. Constante fuite en avant vers un futur qui sera toujours ravalé par le passé. De nous, il ne restera que quelques souvenirs qui finiront par s'effilocher dans l'oubli ; et de nos réalisations concrètes, quelques traces comme les ruines d'un château qui fut un jour le projet ambitieux d'un bâtisseur de l'époque.


      Le poète chinois et maître Chan, Ci'an Shoujing, ne partage pas cette vision des choses. Pourquoi vouloir agir et forcer tout le temps les choses ? Le ruisseau coule sans qu'on lui demande, l'arbre pousse sans avoir fait au préalable un projet d'avenir pour sa croissance verte. Le nuage rencontre la montagne sans avoir pris rendez-vous. Votre cœur bat et pompe la sang dans vos veines et vos artères sans avoir fait de plans. Il bat, c'est tout. À chaque instant, il bat. On peut et on devrait, selon Ci'an Shoujing, se laisser aller au non-agir, wuwei en chinois : 無爲. Vivre dans l'instant présent, renoncer à vivre dans le futur d'un projet à réaliser, sans intention d'influer sur le cours des choses. Se laisser aller à ce qui est et laisser la créativité de la vie apporter les plus beaux fruits de la vie. « Que soit la vie humaine comme nuage et eau / Et des arbres de fer fleuriront au printemps ». Même un arbre desséché ou a fortiori un arbre de fer peut engendrer la vie dès lors qu'on laisse la puissance créatrice qui est cachée en nous se manifester au grand jour.


       Il en découle un débat : faut-il privilégier une vie où la maturité consiste à se projeter dans le futur, à avoir des plans de carrière, des objectifs à plus ou moins long terme ? Ou faut-il vivre là où est la vie : dans l'instant présent, sans se soucier du lendemain ? Je n'ai pas l'ambition d'essayer d'apporter ici une réponse maintenant à cette grande question. J'avais juste envie de partager ce court poème de Ci'an Shoujing.



mercredi 9 août 2017

Présentation du maître Chan




Présentation du maître Chan



Ce que le maître enseigne est déjà en vous-même,
Pensée inépuisable que vous scrutez sans voir.
Si, le cœur concentré, vous voulez la saisir,
Feuille effrayée d'automne, elle tombe dans le vide.

Xutang Zhiyu (1185-1269)












        D'ordinaire, un maître ou un professeur enseigne quelque chose. Le prof de math, par exemple, enseigne des choses qu'il est peu probable que nous ayons trouvé par nous-mêmes comme le théorème de Pythagore, la trigonométrie ou le calcul des probabilités. Le prof d'anglais vous apprend une langue que vous n'auriez pas inventée par vous-mêmes. Un maître Chan est, lui, confronté à un délicat problème : il peut enseigner tous les points de la doctrine bouddhique comme le ferait n'importe quel maître bouddhiste, mais cet enseignement intellectuel des propos du Bouddha et des écrits des philosophes du passé n'est pas la véritable essence du Chan. Le Chan est ce courant du bouddhisme chinois que l'on connaît mieux en Occident sous son nom japonais de Zen. Cette véritable essence ne s'enseigne pas avec des mots. Et elle est au-dedans de nous, elle ne nous est pas extérieure. Elle agit en nous comme un insondable désir d’Éveil.


Mais on ne peut la voir, tout comme l’œil n'est pas capable de voir l’œil. Vous pouvez bien sûr pratiquer encore et encore la méditation pour développer la concentration et la vision pénétrante. Excellente idée. Cela vous permettra de voir beaucoup de choses en vous-mêmes : des pensées subtiles, des émotions cachées, des peurs ainsi que des ressources insoupçonnées, mais cela ne vous permettra pas de saisir cette véritable essence, l'enseignement fondamental du Chan. Plus vous voudrez la saisir, plus elle s'échappera et s'évanouira dans le vide. C'est pourquoi la poésie Chan essaye d'évoquer ce qui ne peut être dit, ce qui en peut être pensé, ce qui ne peut être saisi, ce qui ne peut être vu. Quelques paroles bien sages ou bien sottes avant de revenir au silence.

dimanche 6 août 2017

Spéculation




Spéculation




Étranges sont ces pics, ce cortège de nuages,
La source n'a pour cours que cette eau qui gargouille.
Marcher dans la montagne n'épuise pas ses monts,
D'autres massifs encore nous barrent le regard.

Baiyang Fashun (XIIème siècle)




Song Zhang, Vue sur la montagne, 2013. 






     Ce poème d'un moine Chan résonne comme une métaphore de la Voie. Quand on marche en montagne, on avance d'un pas décidé vers le sommet majestueux qui se dessine bien distinct dans le ciel bleu. On grimpe jusqu'au promontoire qui nous sépare de ce sommet. Et on est content d'atteindre ce promontoire, mais cette joie est de très courte durée. On se rend que derrière ce promontoire, il y a une vallée ou un col que l'on doit franchir pour atteindre un second promontoire. Et ce promontoire-là cache d'autres vallées, d'autres cols, d'autres routes sinueuses, précipices et falaises. La route peut être longue en montagne avant d'atteindre le sommet majestueux.

       Il en va de même avec l’Éveil. Quand on commence à pratiquer la Voie du Bouddha, l’Éveil semble être proche. Mais plus on chemine, plus on se rend compte que la route est longue avant de dissiper nos penchants négatifs, nos fautes, nos obscurcissements. Il y a un sommet majestueux incarné par le Bouddha, mais les obstacles sont nombreux et subtils. De plus en plus subtils au fur et à mesure que l'on progresse.

         Il y a une autre métaphore intéressante à ce sujet. C'est celle qui compare l’Éveil à une fleur de lotus qui doit s'ouvrir pour que l'on devienne soi-même un Bouddha. Cela semble être une opération aisée. Quelques expériences de méditation, une conduite juste, éprouver la béatitude et la concentration, et la fleur de lotus s'ouvre sur l’Éveil suprême. Mais le souci est derrière les premiers pétales de la fleur de lotus se cachent d'autre pétales. On dit que la fleur de lotus de l’Éveil compte mille pétales, probablement beaucoup plus ! Certains se sentiront très proches de l'état d'un bouddha dès lors qu'ils auront ouvert quelques pétales avec quelques expériences spirituelles rayonnantes. Mais en fait, il faut toujours aller plus loin dans l'attention, dans la bienveillance et l'équanimité pour espérer ouvrir le cœur vide de cette fleur de lotus.


jeudi 3 août 2017

Passage et renouvellement





Un printemps terminé, un printemps lui succède,
Plantes et fleurs combien de fois se renouvellent ?
Ce n'est pas à la cloche que l'aurore obéit,
Le passage de la nuit et de la lune l'indiffère.

Yungai Zhiben (XIème siècle)

















        Il y a ce temps immuable et indifférent qui fait que tout en ce monde se meut et se transforme. Ce temps aussi qui fait tourner le cycle de la Nature. L'aurore succède à la nuit. Elle lui succède sans état d'âme, spontanément, sans qu'aucune loi ne lui ait prescrite de prendre la place de la nuit. Contemplation de cet univers indifférent. Contemplation de ce temps qui ne se préoccupe aucunement des atermoiements de l'homme. Tout est dissous dans le temps, tout est créé dans le temps. Le moine Chan y voit l'occasion de s'insérer silencieusement dans la grande mécanique du monde.


mardi 1 août 2017

Vie et mort





Voulez-vous une métaphore de la vie et la mort ?
Mettez en parallèle l'eau avec la glace.
Que l'eau se fige et elle devient glace,
Que la glace fonde et elle redevient eau.
Ce qui est mort doit forcément renaître,
Ce qui quitte la vie s'en retourne à la mort.
L'eau et la glace ne se causent aucun mal ;
Vie et mort, l'une et l'autre, possèdent leur beauté.

Hanshan (寒山VIIème siècle)



samedi 8 juillet 2017

John Rawls et l'utilitarisme



John Rawls et l'utilitarisme



La justice selon Rawls – 2ème partie






Pour une explication des grandes lignes de la pensée de John Rawls, je recommande vivement de d'abord lire la première partie de « La justice selon Rawls » : « John Rawls et la justice sociale ».








        « La Théorie de la Justice » se veut implicitement comme une critique de l'utilitarisme très influent dans la philosophie anglo-saxonne. Que reproche John Rawls à l'utilitarisme ? L'utilitarisme est cette philosophie qui met en avant l'utilité d'une action morale ou politique : quel bien-être ou quel plaisir produit une action ? Tel doit être le critère pour juger le bienfait ou non d'une action. Attention, certaines actions produisent de la peine ou de la douleur, mais c'est en vue d'un plus grand bien. Par exemple, étudier pour ses examens est la plupart du temps pénible et fastidieux, mais c'est pour s'assurer l'accès à une carrière plaisante ou qui rapporte de l'argent. Dans ce cas, le moindre mal qu'est l'étude est compensée par le plus grand bien, l'accès à la profession recherchée. Les utilitaristes généralise ce principe à la sphère politique : certaines décisions politiques peuvent créer de la peine du moment que cette peine soit compensée par un profit plus grand pour l'ensemble de la société. Par exemple, augmenter les impôts est pénible pour beaucoup de gens, mais cette augmentation d'impôt est compensée par l'utilité pour l'ensemble de la société que peut avoir la création d'un hôpital ou la construction d'une autoroute. Il faut mettre dans la balance les utilités par rapport aux peines que provoquent l'action politique, et choisir la meilleure balance en faveur des utilités en terme de bien-être ou de plaisir. « L'idée principale de l'utilitarisme est qu'une société bien ordonnée et, par là même, juste, quand ses institutions majeures sont organisées de manière à réaliser la plus grande somme totale de satisfactions pour l'ensemble des individus qui en font partie 1 ».

lundi 22 août 2016

Avec un ami

Avec un ami, passant la nuit

pour chasser la tristesse de mille années,
nous nous attardons à boire cent pichets
cette belle nuit est propice aux propos purs
la lune lumineuse ne nous laissera pas dormir
ivres nous nous allongeons sur la montagne vide,
le ciel pour couverture, la terre pour oreiller


Li Bo (ou Li Bai, 李白, Chine, 701-763)1





Michael Shainblum




     Beau poème de Li Bo déclinant la mélancolie et l'amitié sous les auspices de la terre et du ciel, de la lune et de la montagne. L'ivresse entre belles paroles et silence, joie et contemplation. On notera la confiance simple et évidente de Li Bo pour trouver la consolation de la tristesse de la vie dans l'amitié et la contemplation de la Nature. Je ne peux m'empêcher de penser que les gens aujourd'hui ont perdu le contact avec la Nature. Ils ne savent plus le bienfait que l'on peut retirer d'une promenade sous le ciel étoilé avec le calme et les bruits de la vallée. Et quand on sort avec des amis, la musique dans les bars et les boîtes de nuit est tellement assourdissante que l'on peine à échanger ne serait-ce que quelques mots en hurlant dans le creux de l'oreille des personnes avec qui on voudrait converser.










1 Li Po, « L'immortel banni sur terre buvant seul sous la lune », traduction de Cheng Wingfun et Hervé Collet, Albin Michel, Paris, 2010, p. 147. NB : Li Bo (transcrit en pinyin, transcription officielle de la langue chinoise) s'écrit « Li Po » en transcription Wades et EFEO.










Yuichi Takasaka - lac de Waterton, éclipse lunaire du 15 avril 2014









Li Bo  






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mardi 16 août 2016

Buvant seul sous la lune





un pichet de vin au milieu des fleurs,
je bois seul, sans compagnon
levant ma coupe, je convie la lune claire
avec mon ombre, nous voilà trois
la lune, hélas, ne sait pas boire,
et mon ombre ne fait que me suivre
compagnes d'un moment, lune et ombre,
réjouissons-nous, profitons du printemps
je chante, la lune musarde
je danse, mon ombre s'égare
encore sobres ensemble, nous nous égayons
ivres chacun s'en retourne
mais notre union est éternelle, notre amitié sans limite
sur le Fleuve céleste là-haut, nous nous retrouvons


Li Bo (ou Li Bai, 李白, 701-763)




jeudi 4 août 2016

Visite à un moine sans le rencontrer




Composé lors d'une visite à un moine de la montagne sans le rencontrer


le sentier pavé de pierres pénètre dans un val de cinabres
le portail en branchages de pin est bloqué par de la mousse verte
sur le perron désert, des traces d'oiseaux
dans la salle de méditation, personne pour ouvrir
je regarde par la fenêtre, une brosse blanche,
couverte de poussière, est accrochée au mur
vaine visite, je soupire
sur le point de repartir, je musarde un moment
des nuages parfumés s'élèvent de la montagne
une pluie de pétales de fleurs tombe du ciel
joyeuse est la musique céleste
plus encore, les cris plaintifs des gibbons
allègre, dégagé des affaires du monde,
ici, je me sens à l'aise


Li Bo (Chine, 701-762)1.








      Voilà un poème très intéressant d'un des plus grands poètes de la Chine ancienne, Li Bo2. Li Bo, à cette époque, voyageait par monts et par vaux pour rencontrer des maîtres Chán ainsi que des maîtres taoïstes. Il n'hésitait pas à faire la route jusque dans leur ermitage de montagne. Dans ce poème, c'est ce que fait Li Bo. Il va pour rencontrer un maître de sagesse et écouter leurs paroles spirituelles. Mais ce pèlerinage est vain puisque le maître en question est absent de son ermitage. « Vaine visite, je soupire ». Pourtant, cette absence n'est pas rien ; il reste une subtile présence en ce lieu, une ouverture à la méditation et à la contemplation, une invitation au lâcher-prise et à la joie de l'instant présent. Il arrive qu'un sage brille par son absence.








1 Li Po, « L'immortel banni sur terre buvant seul sous la lune », traduction de Cheng Wingfun et Hervé Collet, Albin Michel, Paris, 2010, pp. 40-41.

2 Li Po en transcription Wades et EFEO. 












Voir aussi  ces poèmes : 


Dôgen Zenji


Sanshô Doei : - la voix des gouttes de pluie

                          - Adoration

                          - Trésor de l'Œil du Véritable Dharma

                           Quand nous n'avons lieu où demeurer









Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du Chan et du Zen ici: 

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mercredi 3 août 2016

Le trésor caché dans ta demeure




   Baizhàng Huáihái, alors un humble moine Chán, rendit visite au grand maître Mazŭ Dàoyī.

- Qu'est-ce qui t'amène par ici ? demanda Ma.
- Je viens chercher le Dharma du Bouddha.
- Tu ne vois même pas le trésor caché dans ta propre demeure, alors à quoi bon errer ça et là ? Ici je n'ai rien à te donner, quelle Dharma du Bouddha pourrais-je te donner ?

    Baizhàng s'avança, se prosterna et demanda :

- Qu'est-ce que le trésor de ma propre demeure ?
- Cela même qui est train de m'interroger à cet instant précis constitue ton trésor. Il contient tout ce dont tu as besoin, rien ne manque. Tu es libre d'y puiser, pourquoi continuer à chercher à l'extérieur ?

   À ces mots, Baizhàng s'éveilla à son esprit originel. Débordant de joie, il présenta ses respects à Mazŭ et le remercia.