La
Mystique du Détachement et de l’Amour chez Maître Eckhart.
Maître
Eckhart accorde dans son œuvre une place prépondérante à la vertu
du détachement (abegescheidenheit).
Ce détachement s’articule comme une pièce maîtresse de sa
pensée, et qui ouvre à cette relation mystique avec un Dieu
dépouillé de tous les déguisements ou travestissements conceptuels
grâce à la méthode apophatique, un « Dieu
au-delà de Dieu ». Cette
approche audacieuse de Dieu a suscité quelques remous, c’est le
moins que l’on puisse dire, dans ce début de XIV siècle déjà en
pleine effervescence religieuse et mystique dans un contexte
historique et politique troublé par les guerres et l’affrontement
entre le pape et l’Empereur d’Allemagne. Les sermons de maître
Eckhart en allemand allaient ainsi connaître un engouement intense
au sein de mouvements comme celui des béguines et des bégards et
marquer ce qu’on appelé par la suite la « mystique
rhénane ». Cette liberté
d’esprit octroyée au bon peuple a fait frémir les autorités
ecclésiastiques qui ont finir par réagir en lançant une procédure
d’Inquisition contre le Maître de Théologie allemand, cas unique
dans l’Histoire du catholicisme médiéval où un professeur
d’université s’est vu traîné dans un procès en hérésie et
finalement condamné alors qu’il était déjà décédé depuis un
an, en 1329 dans la ville d’Avignon.
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Aux
yeux de maître Eckhart, la plus haute des vertus chrétiennes est
sans conteste le détachement. Dans un sermon en allemand qui a
justement pour nom « Du
détachement1 »,
notre théologien place explicitement le détachement au-dessus de
l’amour, de l’humilité et de la miséricorde : « Et
lorsque j’approfondis tous les écrits autant que mon intellect
peut en venir à bout et en connaître, je ne trouve rien d’autre
que le limpide détachement qui tout surpasse, car toutes les vertus
ont quelque regard sur les créatures alors que le détachement est
dépris de toutes les créatures2 ».
Se préoccuper charitablement des créatures est un bien évidemment,
mais à ce niveau, on reste dans la multiplicité, et donc dans un
certain dispersement de l’âme. Le problème de ce dispersement est
qu’il n’empêche de s’imprégner de la seule unicité, unicité
qui n’est autre bien sûr que Dieu. C’est pourquoi maître
Eckhart cite les paroles de Jésus à Marthe : « Unum est
necessarium », ce qui veut dire selon Eckhart : « Marthe,
celui qui veut être sans trouble et limpide, celui-là doit avoir
une chose – le détachement3 ».