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lundi 29 juin 2015

Traduction du Dīgha Nikāya et du Majjhima Nikāya


    Je voudrais saluer ici la traduction intégrale du Dīgha Nikāya et du Majjhima Nikāya par Môhan Wijayaratna parue aux éditions LIS. C'est un travail conséquent (près de 3000 pages) qui demandait d'être accompli dans l'intérêt des études bouddhiques en langue française. En effet, la traduction complète et pertinente des enseignements du Bouddha n'a pas encore été réalisée ; et c'est un point important dans la propagation du Dharma.

vendredi 26 juin 2015

Des montagnes et des plaines

Si je pouvais croquer la terre entière
et lui trouver un goût,
j'en serais plus heureux un instant...
Mais ce n'est pas toujours que je veux être heureux.
Il faut être malheureux de temps à autre
afin de pouvoir être naturel....

D'ailleurs il ne fait pas tous les jours soleil,
et la pluie, si elle vient à manquer très fort, on l'appelle.
C'est pourquoi je prends le malheur comme le bonheur,
naturellement, en homme qui ne s'étonne pas
qu'il y ait des montagnes et des plaines
avec de l'herbe et des rochers.

Ce qu'il faut, c'est qu'on soit naturel et calme
dans le bonheur comme dans le malheur,
c'est sentir comme on regarde,
penser comme l'on marche,
et, à l'article de la mort, se souvenir que le jour meurt,
que le couchant est beau, et belle la nuit qui demeure...
Puisqu'il en est ainsi, ainsi soit-il...

Alberto Caeiro (alias Fernando Pessoa), Le gardeur de troupeaux, XXI, Gallimard/Poésie.


Stephanie Guilin, Livermore, USA


vendredi 19 juin 2015

Quand nous n'avons aucun lieu où demeurer

Quand nous n'avons aucun lieu où demeurer,
Alors apparaît le véritable esprit.


Où qu'il aille, d'où qu'il vienne
L'oiseau aquatique
Ne laisse aucune trace
Pourtant, jamais,
Il ne perd son chemin.

Dōgen Zenji (1200-1253), Sanshô Dôei, Les chants de la Voie du Pin Parasol.


Masao Yamamoto

lundi 15 juin 2015

À qui est depuis longtemps confiné dans la cité




À qui est depuis longtemps confiné dans la cité,
Il est fort doux de perdre son regard
Dans le beau visage ouvert du ciel — d’exhaler une prière
En plein sourire du bleu firmament.
Qui serait plus heureux, lorsque, le cœur comblé,
Il se laisse choir, très las, en quelque délicieuse couche
D’herbes onduleuses, et, lit une courtoise
Et douce histoire sur l’amour et ses peines ?
Rentrant au logis, le soir, l’oreille attentive
Aux plaintes de Philomèle, et l’œil
Épousant la course d’un petit nuage brillant qui passe,
Il se lamente qu’un tel jour ait pu si vite s’enfuir,
S’enfuir comme une larme répandue par un ange
Qui tombe dans la transparence de l’éther, silencieusement.


John Keats (1795-1825)





Tartiplume



samedi 13 juin 2015

Commentaire au Soûtra du Fardeau

Lire ici le Soûtra du Fardeau (Bhāra sutta).


       Combien d’hommes au cours de l’Histoire n’ont-ils pas éprouvé le sentiment très fort de devoir transporter un immense fardeau dans l’existence ? Albert Camus avait repris le mythe de Sisyphe où ce dernier est condamné par les dieux à remonter inlassablement un rocher au sommet de la plus haute montagne des enfers. Et ce dernier de retomber à chaque fois juste avant d’atteindre le sommet. Métaphore du poids que l’on doit porter encore et encore dans la vie et des devoirs à accomplir au sein de cette société, qui n’ont parfois aucun sens. Le Bouddha parle également de ce fardeau existentiel absurde dans ce très court soûtra.

mercredi 10 juin 2015

Soûtra du fardeau

Bhāra sutta

Soûtra du fardeau


Voir le commentaire de ce soûtra ici.

     Ainsi ai-je entendu. Le Bienheureux séjournait alors dans le parc d'Anāthapiṇḍika, au bois de Jeta près de Sāvatthi.

     En ce temps-là, un jour, il s'adressa aux moines (bhikkhus) et dit : « Je vais vous parler, ô moines, du fardeau, du portage du fardeau et aussi de l'abandon du fardeau. Écoutez avec attention. Je vais parler.

    « Quel est, ô moines, le fardeau ? Cela est expliqué dans les termes des cinq agrégats d'appropriation. Quels sont-ils ? L'agrégat d'appropriation dit « forme », l'agrégat d'appropriation dit « sensation », l'agrégat d'appropriation dit « perception », l'agrégat d'appropriation dit « formation mentale », l'agrégat d'appropriation dit « conscience ». Tel est le fardeau.

     « Quel est celui qui porte le fardeau ? Cela est expliqué en terme d'être individuel : telle ou telle personne qui a tel ou tel nom, vient de telle ou telle famille, etc... Tel est celui qui porte le fardeau.

    « Quel est le portage du fardeau ? C'est cette soif (taṇhā) qui produit la réexistence et le redevenir, qui est liée à une activité passionnée et qui trouve une nouvelle jouissance, tantôt ici, tantôt là, c'est-à-dire la soif des plaisirs des sens, la soif de l'existence et la soif de la non-existence. Cela est appelé le portage du fardeau.

   « Quel est l'abandon du fardeau ? C'est la cessation complète de la même soif, la délaisser, y renoncer, s'en libérer, s'en débarrasser. Cela est appelé l'abandon du fardeau. »



     Ainsi parla le Bienheureux et il s'exprima également ainsi :

« Vraiment, les cinq agrégats constituent le fardeau ;
l'être individuel est celui qui le porte ;
le portage du fardeau dans le monde est souffrance ;
l'abandon du fardeau constitue le bonheur.

Si quelqu'un abandonne ce grand fardeau,
s'il ne reprend pas un autre,
s'il déracine complètement la « soif »,
s'il l'enlève complètement,
alors, il n' a plus de faim
et il s'éteint complètement.




Samyutta Nikāya, II, 25-26. 



Voir le commentaire de ce soûtra ici.





Môhan Wijayaratna, "Les entretiens du Bouddha", éd. du Seuil, Points/sagesses, Paris, 2001, pp. 187-189.





Soûtras : - Soûtra de Jivâka sur la consommation de la viande (Jivâka Sutta)
              - Soûtra de Kaccânayagotta (Kaccânayagotta Sutta)
               - Soûtra des Bénédictions (Mangala Sutta)
               - Soûtra de Jîvaka sur les disciples laïcs (Jîvaka Sutta)
               - Soûtra de Samiddhi (soutra traduit du canon chinois)
               - Soûtra de Bâhiya (Bâhiya Sutta)
               - Soûtra de l’Écume (Phena Sutta)


Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la philosophie bouddhique ici.

Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.

mardi 9 juin 2015

La vie d’un homme est une allégorie continuelle

John Keats (peint par William Hilton)




   Dans une lettre écrite au printemps de 1819 adressée à son frère George et sa belle sœur Georgiana, John Keats, un poète romantique anglais, parle d’un de ses amis, un jeune pasteur du nom de Bailey dont la légèreté en matière sentimentale avait choqué, scandalisé ou déçu plus d’une personne dans son entourage. Commentant cette petite histoire de mœurs, John Keats écrit :





   « Cela leur apprendra que l’homme qui se moque du romanesque peut bien être le plus romanesque de tous ; que celui qui insulte les femmes et fait profession de les mépriser les aime plus qu’un autre ; que si quelqu’un parle de jeter un homme au feu, il n’en ferait rien au moment de pousser pour de bon ; et surtout que ceux-là sont bien superficiels qui prennent toutes choses à la lettre. La vie d’un homme de quelque valeur est une allégorie continuelle, et très peu de regards savent en percer le mystère ; c’est une vie qui, comme les Écritures, figure autre chose, et ces gens-là ne peuvent pas plus la déchiffrer que la Bible en hébreu. Lord Byron est une figure, mais il ne figure rien. La vie de Shakespeare fut une allégorie ; ses œuvres en sont le commentaire ».


John Keats, Poèmes choisis, éd. Aubier-Flammarion, traduction et préface d’Albert Laffay, Paris, 1968, p. 18.

lundi 8 juin 2015

Le Tage, de Fernando Pessoa



Le Tage est plus beau que la rivière qui traverse mon village,
Mais le Tage n’est pas plus beau que la rivière qui traverse mon village,
Parce que le Tage n’est pas la rivière qui traverse mon village.

Le Tage porte de grands navires
Et à ce jour il y navigue encore,
Pour ceux qui voient partout ce qui n’y est pas,
Le souvenir des nefs anciennes.

dimanche 7 juin 2015

Commentaire à l’équanimité de l’Arahant


Voir le texte "L'équanimité de l'Arahant" tiré des "Questions de Milinda à Nāgasena".

Voir aussi le texte issu du même dialogue « La douleur d'un Arahant» et son commentaire.



    L’Arahant1 est donc cet individu qui a pratiqué la Voie du Bouddha et a franchi toutes les étapes et tous les obstacles. Cet homme a donc atteint le plein Éveil et s’est complètement libéré du samsâra, le cycle des naissances et des morts dans lequel tous les êtres sensibles sont jetés de vie en vie, de renaissance et renaissance. Un Arahant continue sa vie jusqu’au moment de sa mort. C’est à ce moment qu’il sort concrètement du cycle des renaissances et ne connaîtra plus jamais aucune souffrance, aucune sensation déplaisante. C’est ainsi qu’il a actualisé la quatrième Noble vérité du Bouddha : le chemin qui mène à la cessation de la souffrance.

jeudi 4 juin 2015

L’équanimité d’un Arahant


Dialogue entre le roi indo-grec Milinda (Ménandre) et le moine bouddhiste Nāgasena.


« - Vénérable, celui qui ne renaîtra pas éprouve-t-il des sensations douloureuses ?

- Il en éprouve certaines, d’autres non.

- Quelles sont-elles ?

- Il éprouve des sensations physiques, mais pas de sensations mentales.

- Comment cela, Vénérable ?

- Il éprouve des sensations physiques de par la non-cessation de toute cause, de toute condition qui font que ces sensations se produisent. Le Bienheureux a dit ceci : «  Il n’éprouve qu’une sorte de sensation : physique, et non mentale ».


mercredi 3 juin 2015

Commentaire à la douleur de l’Arahant


Voir le texte tiré "Des Questions de Milinda à Nāgasena" : La douleur d'un Arahant


   On se représente toujours le Sage comme un être imperturbable, baignant dans la béatitude et une souveraine sérénité, toujours absolument maître de lui-même, contrôlant tout son être par la puissance de son esprit. Cette image, on la retrouve dans l’imaginaire spirituel indien, mais aussi dans la philosophie antique gréco-romaine. Le Sage y est vu comme un surhomme, surpassant les capacités de l’homme moyen en prise avec la douleur et les tourments : là où l’homme se laisse aller à ses affects et ses impulsions, le Sage se montre comme un roc, insensible aux sollicitations du monde extérieur, tant physiques que psychiques, le Sage se montre méprisant vis-à-vis de notre sensibilité à fleur de peau. J’avais lu un passage tiré d’un livre d’Arnaud Desjardins où ce dernier explique que si on avait envoyé un Sage, un vrai dans un camp de concentration et d’extermination comme Auschwitz, ce Sage ne serait pas affecté et ne quitterait pas sa béatitude profonde. Le Sage comme surhomme transcendant souverainement notre petite condition misérable d’être humain affecté et troublé par les moindres maux.

    Nāgasena jette pourtant un démenti formel à ce genre de conceptions fantasmées à propos du Sage. Avec le roi indo-grec Milinda, ils discutent de la figure de l’Arahant. L’Arahant est dans le bouddhisme ancien celui qui a suivi les enseignements du Bouddha et les mené à bout de telle sorte qu’il puisse dire (selon la formule classique contenue dans les soûtras) : « Ceci est la libération. La naissance est détruite. La conduite pure a été vécue. Ce qui devait être achevé a été achevé. Il ne reste plus rien à accomplir». L’Arahant a franchi toutes les étapes de la voie méditative et a progressé jusqu’à la « sphère de cessation des sensations et des perceptions », plus communément appelée « nirvâna », extinction définitive et totale de la souffrance.

lundi 1 juin 2015

La douleur d’un Arahant

La douleur d’un Arahant


Dialogue entre le roi indo-grec Milinda (Ménandre) et le moine bouddhiste Nāgasena.
Commentaire de ce texte ici.


« Vénérable Nāgasena, vous dites, toi et tes pareils, que l’Arahant éprouve uniquement des sensations physiques, non pas mentales. Est-ce à dire qu’il est sans autorité, ni maîtrise sur son corps, qui est le soutien grâce auquel procède sa pensée ?

- Oui, ô roi.

- Il est tout de même contradictoire, vénérable, qu’il n’ait pas d’autorité sur son corps grâce auquel procède sa pensée, alors qu’un simple oiseau exerce son autorité, sa maîtrise, son contrôle sur le nid qu’il habite !

- Ô roi, dix phénomènes inhérents au corps le pourchassent, et suivent continuellement ses mouvements tout au long du devenir. Quels sont-ils ? Ce sont le froid, la chaleur, la faim, la soif, l’excrétion, la miction, l’apathie ou torpeur, le vieillissement, la maladie et la mort. L’Arahant n’a ni autorité, ni maîtrise, ni contrôle sur eux.