Pages

lundi 16 août 2021

L'art d'être végane



Récemment, Michel Onfray vient de publier un ouvrage « L'art d'être Français » composé de différentes lettres, dont une qui attaque assez agressivement les antispécistes. Je voulais répondre à cette lettre.


Tout d'abord, Onfray identifie la pensée antispéciste à un de ses ouvrages fondateurs : « La libération animale » du philosophe Peter Singer. Alors certes, c'est un ouvrage important tant pour la philosophie antispéciste que pour la cause animale. Mais « La libération animale » a été rédigé en 1975, et depuis lors, l'eau a coulé sous les ponts. D'autres penseurs ont développé une pensée antispéciste et végane qui ne va pas nécessairement dans le sens de Peter Singer, voire s'y oppose explicitement. En outre, « La libération animale » n'est pas un livre saint de la cause animale : on n'est pas tenu de prendre tout ce qu'a dit Singer comme dogme immaculé et immuable qu'il faudrait respecter à la lettre quand on est antispéciste et/ou végane.


Onfray commence par définir l'antispécisme comme le souci de considérer l'homme comme un animal et comme le refus d'une différence de nature entre cet homme et cet animal. Cela reviendrait à dire que l'antispécisme est en lui-même un rejet virulent du christianisme : « La civilisation judéo-chrétienne a généré l’idée que l’homme se trouve au-dessus de la nature et qu’il a le droit, le devoir même, de l’exploiter. (...) L’antispécisme est donc une arme de guerre contre le christianisme. Il est même, d’une certaine manière, un paganisme, sinon un mixte d’animisme et de totémisme ». On a là un bel exemple du délire onfrayen : en quoi l'antispécisme serait un paganisme ? Rappelons que l'antispécisme est une philosophie et ne propose aucun culte, aucune religion de quoi que ce soit. Peter Singer ne vénère pas à ce que je sache Anubis ou Horus, les dieux à tête de chacal ou de faucon... Un tel manque de rigueur est pénible émanant d'un philosophe aussi adulé par les médias... Et quand bien même ce serait le cas, pourquoi serait-ce problématique ? N'a-t-on pas le droit d'être païen, animiste ou de danser autour d'un totem une nuit d'été ?


Mais même si on s'en tient à l'affirmation : « antispécisme, arme de guerre contre le christianisme », cela reste très douteux. Rappelons que TOUTES les autres civilisations pratiquent l'élevage, exploitent les animaux et mangent leur chair. Pourquoi l'antispécisme serait-il spécifiquement anti-chrétien ? Je trouve même très étrange de lire ce genre d'arguments sous la plume de celui qui a écrit naguère un monument d'intolérance envers le christianisme qu'est « le traité d'athéologie »... Serait-on moins Français si l'on n'est pas chrétien ? Faut-il encore accorder du crédit à des affirmations du style « France, fille aînée de l’Église » ? Mais même cela est contestable : un des premiers penseurs antispécistes a été un théologien anglican, Andrew Linzey. Sa « théologie animale » date de 1976 (traduite en français en 2010 par One Voice). L'idée générale est que si l'espèce humaine est spéciale aux yeux de Dieu, ce n'est pas parce qu'elle serait la seule dont Dieu se préoccupe ou que l'humanité serait appelée à tyranniser toutes les autres, mais parce qu'elle est l'espèce servante : celle qu'il a invitée à prendre soin avec lui des autres créatures sur la Terre. L'enseignement et la vie du Christ doivent inciter les hommes à faire preuve de douceur et de bienveillance envers les animaux.


Michel Onfray cite Michel de Montaigne et son « Apologie de Raymond Sebond » comme un texte précurseur de l'antispécisme. Mais justement cette apologie est l'apologie d'un auteur chrétien. Il met en doute l'orgueil de l'homme à croire qu'il sait tout et montre que les animaux ont eux aussi une intelligence et une connaissance du monde, parfois étonnante, comme les araignées qui maîtrisent la géométrie en confectionnant leurs toiles. Le scepticisme de Montaigne y est un appel à plus d'humilité dans une éthique très chrétienne.



*****


Ensuite, Onfray explique la tendance (réelle) des antispécistes à identifier le massacre des animaux dans les abattoirs à ce qui s'est passé dans les camps de concentration et l'exploitation animale à l'esclavage des Africains aux Amériques : « Peter Singer estime sans nuance que "la tyrannie que les êtres humains exercent sur les autres animaux" équivaut à "celle que causa la tyrannie que les humains blancs exercèrent des siècles durant sur les humains noirs" ». Il cite notamment le livre « Éternel Treblinka » de Charles Patterson. Si Singer et Patterson font peut-être cette comparaison « sans nuance », depuis lors la pensée antispéciste a depuis lors réintroduit cette nuance. Je pense expressément à Matthieu Ricard et son concept de « zoocide » : le mot permet de faire des rapprochements entre cette gigantesque machine à broyer les vies animales que sont les élevages industriels et les abattoirs et les camps d'extermination, mais tout en marquant bien une distinction essentielle entre les deux. (Je ne vais pas rentrer dans les détails ; j'avais développé cela plus en détail dans mon article : « la notion de zoocide chez Matthieu Ricard »).


Michel Onfray en conclut que l'antispécisme prône un égalitarisme entre hommes et animaux. Je pense que c'est vrai pour un certain nombre d'antispécistes, mais pas pour tous. Pour moi, les animaux ne sont pas nos égaux ni en intelligence, ni en valeur, ni en possibilités. Il me semble que les animaux sont des sujets conscients et qui ressentent des choses (« sentients » pour reprendre le vocable antispéciste), et donc ce qu'on leur fait n'est pas neutre. Je peux casser la chaise de ma cuisine pour passer mes nerfs parce qu'elle n'est pas consciente, mais je ne peux pas martyriser mon chat juste pour me défouler. Néanmoins, je ne pense pas que les animaux soient nos égaux : il n'y pas de mal à privilégier l'espèce humaine (mais pas au point d'exploiter cruellement les animaux pour nos intérêts). Si j'ai de la nourriture pour une seule personne et que j'ai un enfant et un chien devant moi, je privilégierai toujours l'enfant humain, et tant pis si le chien a faim. Pour autant, je ne dois pas délibérément faire de mal à ce chien ou l'exploiter cruellement. Et si je peux éviter de manger des animaux, je dois le faire : si je mets dans la balance la souffrance d'un animal à être tué et le plaisir que j'ai à manger un plat de viande ou de poisson, il n'y a pas photo, je dois abandonner la consommation de viande ou de poisson.


Ajoutons que Peter Singer ne pense pas comme le croit Onfray que les animaux soient parfaitement nos égaux. Singer fait une distinction nette entre l'égalité de considération des intérêts et l'égalité dans la valeur d'une vie. « Égalité de considération des intérêts » signifie qu'on doit envisager le plaisir et la souffrance de tous les êtres sentients à égalité. Comme le dit Peter Singer dans son petit texte « L'égalité animale expliquée aux humains » : « Si un être souffre, il ne peut y avoir de justification morale pour refuser de tenir compte de cette souffrance. Quelle que soit la nature de l’être qui souffre, le principe d’égalité exige que sa souffrance soit prise en compte autant qu’une souffrance similaire – pour autant que des comparaisons grossières soient possibles – de tout autre être ». La valeur d'une vie est autre chose pour Peter Singer : « (...) La valeur négative de la douleur est en elle-même indépendante des autres caractéristiques de l’être qui ressent cette douleur ; la valeur de la vie, au contraire, est affectée par ces autres caractéristiques (comme la conscience de soi, l’intelligence, la capacité à entretenir des relations significatives avec les autres, et ainsi de suite). Cela signifiera en général que si nous devons choisir entre la vie d’un être humain et celle d’un autre animal, nous devons choisir de sauver celle de l’humain ».


À partir de cette égalité supposée, Michel Onfray pense prendre Peter Singer en défaut : l'argument de Singer pour refuser l'expérimentation animale est de dire que cette expérimentation n'est pas réplicable aux êtres humains. Ce serait, nous fait savoir Onfray, que l'être humain et l'animal sont différents, dissemblables... Mais est-ce que quelqu'un de sérieux nie cela ? Tout le monde comprend bien que les animaux peuvent être différents de nous : le chien sent un monde d'odeur qui nous est complètement étranger, la chauve-souris se repère dans le noir complet grâce à l'écholocation, le caméléon change de couleur... Personne ne le nie, mais le fait que nous soyons dissemblables ne doit pas nous faire oublier que, malgré ces différences, nous en avons en commun quelque chose : la capacité de ressentir et de prendre conscience. Et cela qui motive l'éthique végane et le refus de faire souffrir les animaux inutilement.



*****



Ensuite, Michel Onfray explique en quoi Peter Singer est utilitariste. C'est parfaitement vrai, mais il ne faut pas oublier que tous les philosophes antispécistes ne sont pas nécessairement utilitaristes. Ainsi, plus loin dans sa lettre, Michel Onfray va invoquer la condamnation de la domestication par certains antispécistes, sans mentionner que ce n'est pas un argument de Peter Singer, mais bien de Gary Francione, philosophe américain qui refuse et critique de manière véhémente l'utilitarisme d'un Peter Singer. (Je reviendrai plus tard sur cet argument).


Dans cette explication de l'utilitarisme, Onfray explique que ce courant est né dans la philosophie anglo-saxonne, ce qui est vrai, mais il trace une ligne entre philosophie anglo-saxonne et « philosophie européenne ». Or en philosophie, on parle plus volontiers de « philosophie continentale ». Ce n'est qu'un détail, mais rappelons que le Royaume-Uni se trouve toujours géographiquement en Europe, même en dépit du Brexit ! Et des philosophes anglo-saxons comme Bertrand Russel sont Européens. Je pointe du doigt ce détail afin de montrer les relents nationalistes dans la pensée de Michel Onfray. Les Anglo-Saxons ne pensent pas comme nous, les Européens. Ce n'est pas « très Français » que de lire ou adhérer aux idées de Peter Singer.



*****



Michel Onfray évoque ensuite toutes sortes de points qui font scandale dans la pensée de Singer : l'argument des cas marginaux, l'argument où il explique que la vie des animaux a plus de valeur que la vie d'handicapés mentaux profonds, sa défense de l'avortement et même l'euthanasie acceptable pour les bébés de moins d'un mois. Il cite aussi le fameux article de 2003 : « Amour bestial » où Singer refuse de condamner la zoophilie tant qu'on respecte les intérêts et les envies de l'animal. Bien sûr, tout cela est choquant, mais ce qui est malsain, c'est qu'Onfray laisse entendre de manière assez répugnante que tous les antispécistes ont les mêmes idées que Singer sur ces sujets-là.


Personnellement, je ne cautionne pas tous les avis de Singer, je trouve la zoophilie dégueulasse, l'euthanasie des bébés ne devraient en aucune façon être légalisée, etc... J'ai par ailleurs de sérieux doutes sur son concept d'altruisme efficace et sa complaisance envers le grand capital (mais je développerai cela dans un autre article). En fait, si Onfray s'en prenait juste à Singer, je n'aurais pas de souci et je n'aurais rien redire : oui, il y a une bonne dose de scandale et de propos choquant chez Singer1 ! Singer réussit d'ailleurs à mettre à mal le nietzschéisme de salon d'Onfray : « Il est des jours où l’on a beau être nietzschéen, on se sent tout de même très kantien » nous dit ce dernier dans sa lettre !


Le problème est qu'à partir des positions contestables, Onfray jette l'opprobre sur TOUS les antispécistes. Or Singer est critiqué, parfois amèrement par les autres antispécistes. Je prends pour exemple ce texte : « Pour un antispécisme débarrassé de Peter Singer » au titre sans ambiguïté, Peter Singer y est décrit comme un auteur « validiste » (contre les personnes handicapées), sexiste, capitaliste, soutenant les milliardaires comme Bill Gates, néo-colonialistes, etc... Je précise que je ne cautionne pas tout ce qui est dit dans ce texte non plus : trop d'extrême-gauche, trop « intersectionnaliste » à mon goût, mais c'est néanmoins un bon exemple, très explicite, pour démontrer que l'antispécisme ne peut être réduit sérieusement à la seule personne de Peter Singer comme le fait Onfray. Concernant la zoophilie, la plupart des organisations qui défendent la cause animale condamnent la zoophilie comme une exploitation ignoble de l'animal par l'homme.



*****


S'ensuit alors un déshonneur par association : si Singer a cautionné la zoophilie, il est forcément proche de ceux qui cautionnent la coprophagie et la pédophilie sans qu'aucun lien ou relation ne soit fait avec Singer... Voilà la méthodologie déplorable du philosophe français : salir les gens à partir de liens très flous et incertains... On aimerait voir autre chose que cette rhétorique de la haine et du ressentiment chez Onfray.


Ensuite, il s'en prend aux véganes. Il a encore des jugements très expéditifs : « Les véganes condamnent tout usage domestique des animaux sélectionnés, croisés et dressés depuis des siècles dans le projet d’en faire ce qu’ils sont devenus ». Le problème est que c'est seulement une petite partie des véganes qui pensent de la sorte. Pour ma part, je n'ai rien contre la domestication des animaux. J'ai même écrit un article sur le sujet : « Les animaux et la société des hommes ». Pour moi, les animaux domestiques ne sont pas vraiment malheureux de la cohabitation avec l'homme : si vous lâchez votre chien ou votre chat pour qu'ils aillent courir ou se promener, ils reviennent la grande majorité des cas, ce qui montre bien qu'ils ne sont pas si malheureux que ça.


Onfray essaye de prédire les conséquences désastreuses d'une fin de la domestication : incapacité à survivre dans la nature, etc... Mais même les opposants de la domestication ne sont pas aussi caricaturaux. Gary Francione qui est l'auteur qui s'oppose le plus à la domestication a recueilli des chiens abandonnés chez lui. Si on devait abandonner la domestication (ce que je ne souhaite pas), cet abandon se ferait progressivement. Ce qui ferait capoter le scénario simpliste de Michel Onfray.



*****



La conclusion est de Michel Onfray est à l'image de tout son texte : contradictoire, délirante, un condensé de haine et d'accusations gratuites : « Mais n’est-ce pas le fond de cette affaire antispéciste que d’inverser les valeurs afin de remplacer la domination des animaux par l’homme par la domination de l’homme par les animaux ? Ce grand fantasme bestial, au sens étymologique, est bien dans l’ère du temps. Il est la religion de substitution d’une époque sans religion, le sacré d’un temps sans sacré, le rituel d’un monde sans rites, le culte d’un monde sans culte. On comprend qu’elle séduise tellement une jeunesse perdue, sans points de repère éthiques, sans morale. Voici venu le temps généalogique d’une civilisation d’après notre civilisation. Ce sera celle du transhumanisme, elle fabriquera des steaks sans viande par clonage de cellules jadis animales. (...) Nous entrons dans cet enfer auquel certains aspirent comme à un paradis ».


Remplacer la domination des animaux par l’homme par la domination de l’homme par les animaux. Franchement ? Refuser de manger de la viande et des produits animaux, c'est soumettre aux animaux ? Non évidemment ! C'est juste un choix éthique. Rien à voir avec une « soumission ». Même s'ils le voulaient, les animaux ne pourraient pas nous soumettre. Ce n'est évidemment pas non plus une religion, je l'ai déjà dit. Il est quand même hallucinant de se dire que celui écrit la phrase : « (L'antispécisme) est la religion de substitution d’une époque sans religion, le sacré d’un temps sans sacré, le rituel d’un monde sans rites, le culte d’un monde sans culte » est le même que celui a écrit « Le traité d'athéologie », texte violemment anti-religieux. Voilà quelqu'un qui a milité des années pour un monde sans culte, un monde sans rite, et puis qui vient geindre sur l'antispécisme qui viendrait combler ce vide qu'il a lui appelé de ses vœux !


Je n'ai vraiment le temps de m'étendre sur le reste du livre qui est du même calibre. Mais dans son chapitre sur l'islamo-gauchisme, il s'en prend à Virginie Despentes pour sa complaisance envers l'islam et le terrorisme, alors que lui-même en 2015 expliquait que le terrorisme de l'Etat Islamique était justifié par ce que les méchants Occidentaux bombardaient le Proche et Moyen Orient... À tel point que Daech traduisait et publiait les interventions de Michel Onfray dans ses revues et qu'on le voit dans une vidéo revendiquant et justifiant les attentats contre le Bataclan2... Onfray reproche constamment à d'autres ce qui lui-même fait ou pense...


« Voici venu le temps généalogique d’une civilisation d’après notre civilisation ». Parce qu'on est végane et qu'on arrête de manger de la côte de veau, on change de civilisation ? C'est tellement n'importe quoi, toute cette grandiloquence dans le propos. Le véganisme est certes un bouleversement dans la culture gastronomique, et nombre de réactions épidermiques au véganisme vient de là. De là à mettre à bas toutes la civilisation... Ce qui est intéressant est qu'on se moque des véganes quand ils imitent les produits animaux : vous savez, le lait végétal que les directives européennes interdisent d'appeler « lait », les simili-viandes qu'il en faudrait surtout pas appeler « burger », les crèmes glacées véganes, les fromages véganes, etc... On est loin d'un changement de civilisation si on remplace une chose par son équivalent végane. Et le véganisme n'a pas pour vocation non plus de faire de la Terre un paradis. Quand bien même 100% de l'humanité serait végane, il y a aurait bien des choses à améliorer. Mais certes, le monde serait un peu plus doux et moins un enfer pour les animaux.


Directement après avoir évoqué « le grand fantasme bestial », Onfray prédit l’avènement du transhumanisme et de la viande synthétique. Il faudrait savoir : soit le véganisme est un retour à la nature et à notre bestialité, soit c'est l'adhésion à la transformation radicale du corps et du monde par la technologie toute puissante. Mais pas les deux en même temps ! Rappelons que le but du transhumanisme est la libération de ce corps biologique imparfait en hybridant ce corps biologique à la machine, plus résistante, plus facilement réparable, et qui permet des capacités augmentées. Après la bestialité, l'épouvantail des hautes technologies. Voilà tout ce que fait Onfray : planter des épouvantails dans les beaux paysages de France.


Frédéric Leblanc, 

le 16 août 2021.










1 Précisons néanmoins qu'il faut faire l'effort d'essayer de comprendre ce que nous dit Peter Singer quand il va au bout de son éthique utilitariste. On peut tout à fait être choqué par les positions de Singer en matière d'amour bestial ou pour son argument des cas marginaux, mais je trouve déplorable de dire que Singer fait l'apologie de la zoophilie (ce qui n'est absolument pas le cas) ou que Singer est un nazi qui veut gazer tous les personnes handicapées profondes (ce n'est absolument pas le cas non plus).

2 Marie-Claude Martin, Michel Onfray récupéré par Daech, Le Temps, 24 novembre 2015.














Lire également : 

- Antispécisme et humanisme

 L'animalisme est-il un humanisme ? 

Les animaux et la société des hommes 

La notion de zoocide chez Matthieu Ricard

Vers un monde végane - lentement mais sûrement (à propos de Tobias Leenaert et son approche pragmatique et progressive) 

- Paul Ariès raconte n'importe quoi

- Pourquoi les véganes sont dans le vrai (avec notamment la réponse à l'accusation de "transhumanisme")


Concernant Peter Singer: 

- Je ne suis pas un amoureux des animaux

Tante Béa (où Tom Regan s'oppose à l'utilitarisme de Peter Singer)




N'hésitez pas à apporter vos avis et vos commentaires ainsi qu'à partager cet article. Ils sont les bienvenus !


Vous pouvez suivre le Reflet de la Lune sur FacebookTwitter, Tumblr




mercredi 11 août 2021

Une dictature bienveillante ?



Je viens de tomber sur un article qui cite des propos du maître tibétain Dzongzar Jamyang Khyentsé Rimpotché (aussi appelé Dzongsar Khyentsé ou encore Khyentsé Norbu) tenus lors d'une interview pour un magazine bouddhiste allemand et qui concerne la relation de maître à disciple dans le cadre du Vajrayana, le tantrisme bouddhique :


« Question : Que doivent faire des disciples si leur maître ne se limite pas à boire de l’alcool ou à demander à ses disciples de “harceler une princesse” - vous racontez cette histoire [de Tilopa et Nāropa] dans votre livre - mais qu’il est physiquement violent envers ses disciples ou les viole ?


Réponse : Comme je l'ai dit, si vous n'avez pas examiné ce gourou et si vous n'avez pas décidé de l'accepter entièrement comme votre gourou, alors vous devriez appeler la police et rendre son comportement public. Mais si, après un examen approfondi, vous avez entièrement accepté cette personne comme votre gourou, alors à ce moment-là, lorsqu'elle boit de l'alcool ou harcèle une princesse ou autre, vous ne considérerez pas son comportement comme inapproprié. Parce qu'entre-temps, votre projection, votre perception a changé.



Question : Vous écrivez qu'une dictature bienveillante pourrait être plus bénéfique pour son pays qu'un gouvernement démocratique. Les pays démocratiques occidentaux doivent-ils transformer leurs systèmes de gouvernement en dictatures bienveillantes ?

Réponse : Mon point de vue s'applique non seulement à l'Ouest, mais aussi à l'Est, au Sud et au Nord. Si notre mérite [punya] amène au pouvoir un dictateur bienveillant quelque part, où que nous soyons, alors nous devrions convertir notre système de gouvernement en une dictature bienveillante dans les 24 heures. Absolument ! Il n'y a aucun doute là-dessus. 1  »



Je trouve ce genre de propos très contestable et critiquable, mais malheureusement emblématique de l'idéologie du bouddhisme tibétain. C'est pourquoi il me semble intéressant d'en discuter ici.


Il y a eu toutes sortes de scandales liés aux abus de pouvoir commis par des maîtres spirituels tibétains et, de manière plus générale, par des gurus en tous genre qui invoque les spiritualités orientales comme justification de leur emprise sur des disciples très naïfs et crédules. On peut ainsi penser à l'affaire Sogyal où ce dernier abusait de son pouvoir pour humilier en public ses disciples, pour violer et harceler toute une série de femmes et pour réclamer des sommes d'argent astronomiques à ses adeptes.



Pour faire bref, dans le bouddhisme tantrique, il y a des samayas, des liens sacrés à respecter, et le plus fondamental de ces liens est le fait de ne pas critiquer le guru ou lama en tibétain, quand bien même ce dernier se comporterait de manière apparemment néfaste, voire répréhensible. La journaliste prend l'exemple d'une consommation abusive d'alcool et le fait de harceler une jeune femme. On se souvient de la figure de Tilopa qui avait imposé à son disciple Nāropa toutes sortes d'épreuves déconcertantes et horribles : aider des énergumènes à découper un cadavre, aider un criminel à ébouillanter un pauvre homme, chasser un cerf, aider un homme à empaler son père et sa mère, à sauter d'un toit pour voir ce que cela fait, à voler des biens et se faire tabasser pour ce vol et notamment forcer une femme à avoir une relation sexuelle avec elle.


Comme le dit Fabrice Midal (sans le moindre recul critique) dans son livre « La pratique de l'éveil de Tilopa à Trungpa » : « Au terme de ces différentes épreuves, l'orgueil et les fixations égotistes de Nāropa furent totalement détruites et sa compréhension de l'état naturel de l'esprit fut établie 2 ».


On peut douter d'un tel accomplissement au vu de telles « épreuves ». Cette histoire de Tilopa et Nāropa est clairement légendaire : toute cette histoire est symbolique, et il ne faut évidemment pas la prendre au pied de la lettre. Malheureusement, le bouddhisme tibétain a institué cette histoire de maltraitance comme un modèle de la formation spirituelle d'un disciple. Quelle déchéance morale !


Il faut bien comprendre qu'il y a deux visions du maître spirituel dans le bouddhisme : la vision des soûtras et la vision des tantras. Dans la vision de soûtras, tout l'effort de la méditation et de la sagesse, c'est de voir les choses telles qu'elles sont. C'est arrêter de percevoir le monde à travers le filtre des émotions, de la confusion, des concepts erronés. C'est cesser de percevoir ce monde comme autant d'étiquettes et de jugements que le mental agité accole sur le réel : on parle de « prolifération mentale » pour désigner cette tendance de l'esprit agité à constamment produire un discours conscient et subconscient sur le réel, discours qu'on fini par confondre avec le réel lui-même.


Les sûtras du Bouddha nous incitent à voir le monde tel qu'il est. La conséquence éminemment pratique de cela est que si le maître spirituel se comporte n'importe comment, il faut regarder de manière lucide ce comportement déviant, même si cela ne nous fait pas plaisir et dire «Le maître se comporte n'importe comment ». Je pense qu'il y a deux extrêmes dans la relation au maître : une idéalisation excessive qui pourrait conduire d'une part à passer sous silence les actes condamnables du maître, et cette même idéalisation excessive qui nous pousserait à voir ce maître spirituel comme un diable ou un démon dès lors qu'on l'a vu boire une bière au café ou qu'on assiste à un moment de colère ou de faiblesse de ce maître.


Les maîtres spirituels, même encensés et vénérés, ne sont que des êtres humains qui peuvent avoir des défauts quand bien ils manifesteraient beaucoup de qualités spirituelles. Il faut voir ces défauts sans nécessairement les juger ou les surinterpréter, mais en restant vigilants au cas où ces défauts s'avéreraient extrêmement problématiques. Dans la vision des sûtras, il n'est pas question de tolérer un Tilopa qui pousse ses adeptes au crime !


Dans la vision des sûtras, il conviendrait d'ailleurs d'utiliser de préférence le terme « ami spirituel » (kalanyamitra en sanskrit) au terme de maître spirituel. Dans la vision de sûtras, le mot « maître » est acceptable, mais uniquement comme maître d'école : quelqu'un qui enseigne quelque chose à d'autres personnes, les enseignements du Bouddha, les préceptes moraux, la pratique de la méditation et la vision correcte des phénomènes et du moi. Maître d'école, mais pas maître d'esclave ! Un ami spirituel qui conseille, qui encourage, qui aide, qui comprend, qui éprouve de la bienveillance et de la compassion, qui indique le chemin du Dharma.



*****



Dans la vision des tantras par contre, il s'agit de développer une perception sacrée du monde. Dans la vision des soûtras, l'ami spirituel est un humain avec ses qualités et ses défauts qui a une certaine expérience de la sagesse et de la pratique méditative, dans la vision sacrée des tantras, on voit le maître comme un Bouddha à part entière. Il est même plus important que le Bouddha lui-même, car il est plus proche, à notre portée. On parle parfois des tantras comme de « véhicule du fruit » par opposition aux soûtras qui seraient des « véhicules de la cause ». « Véhicule de la cause », parce que notre pratique essaye de créer les causes de notre libération, de planter les graines de notre Éveil ; tandis que les tantras sont des « véhicules du fruit » en ce qu'ils inversent la perspective en nous amenant à visualiser les êtres autour de nous comme des êtres déjà éveillés, ce qui réveille la part déjà éveillée de nous-mêmes et lui permet de gagner en puissance dans notre être.


Mais considérer le maître, le lama comme un Bouddha, est-ce une raison pour obéir aveuglément à ce maître-Bouddha ? Je ne le pense pas parce que le Bouddha n'exigeait pas une confiance aveugle en lui ! Le Bouddha a souvent répété qu'il ne fallait pas croire sur parole son propre enseignement, qu'il fallait inspecter minutieusement ses qualités. Il me semble dès lors qu'une obéissance aveugle n'est pas une étape incontournable dans les tantras. Tout au plus, les tantras nous invitent à ne pas trop vite juger : des pratiques qui semblent contraire au Dharma comme boire de l'alcool ou avoir des relations sexuelles peuvent être vécues comme une expérience spirituelle dans le tantra. Mais il faut tout de suite ajouter : ne pas trop vite juger ne veut pas dire non plus être complètement dupe. Beaucoup trop de gens invoquent les tantras pour justifier leur ivrognerie ou leurs pulsions sexuelles agressives.


Le problème du bouddhisme tibétain est qu'il met une hiérarchie dans les « Véhicules » et que les soûtras pourtant enseignés par le Bouddha sont considérés comme inférieurs aux tantras. Cela implique l'idée que les soûtras sont trop vites mis de côté et que la seule voie véritable est la voie des tantras, qui implique dans l'esprit des Tibétains une soumission totale au maître. Pour ma part, je ne rejette pas entièrement le tantra, même si je m'en méfie pour la confusion que ceux-ci sont susceptibles d'apporter. En outre je considère les soûtras supérieurs aux tantras. On devrait étudier et pratiquer dans les soûtras longtemps avant d'aborder les tantras, et quand on le fait, il ne faut pas oublier la perspective des soûtras qui nous encourage à voir la réalité telle qu'elle est. On ne peut pas passer tout son temps à avoir une perception sacrée et faire des visualisations des bouddhas et des bodhisattvas. Quand on pratique la voie des tantras, il y a un aller-retour constant à opérer entre vision des soûtras et vision des tantras.




*****



Ensuite, il y a cette histoire de « dictature bienveillante ». Mais elle est assez logique si l'on accepte une vision conservatrice du tantrisme tibétain. Pour Dongzar Khyentsé, vous devez obéir complètement à votre maître vajra quoiqu'il arrive. On pourrait penser que c'est là un principe spirituel, mais c'est surtout l'héritage d'une système politique, à savoir la féodalité tibétaine où les lamas jouissaient d'un pouvoir immense. Le guru ou lama est comme un suzerain dans une situation centrale de pouvoir absolu envers ses vassaux. De là, la facilité à avaliser un concept profondément douteux comme la « dictature bienveillante ». Pourquoi pas un lama qui ne dirigerait pas seulement une communauté de disciples serviles, mais tout un pays. On reconnaît bien sûr le système politique des dalaï-lamas où ceux-ci ont (en théorie) un pouvoir absolu sur tous les habitants, mais comme le dalaï-lama est une incarnation de Tchenrézi, grand bodhisattva de la compassion, l'idée est qu'il va forcément régner avec sagesse et bienveillance sur son pays 3.


Quand on s'intéresse à l'Histoire réelle du Tibet, on voit bien que ce n'était pas aussi idyllique que cela. La violence était très présente dans l'Histoire du Tibet, les injustices sociales énormes, et il arrivait souvent que des conflits éclatent entre écoles du bouddhisme tibétain pour le contrôle politique du pays. Cela n'avait rien d'un monde idéal ! Ce concept de « dictature bienveillante » sonne un peu comme celui de « despotisme éclairé », un terme creux qui ne sert qu'à la propagande. J'encourage donc quiconque serait tenté par l'idée alléchante d'une « dictature bienveillante » de ne pas « convertir notre système de gouvernement en une dictature bienveillante dans les 24 heures » comme le conseille Dzongsar Khyentsé, mais de réfléchir beaucoup au préalable. On attribue à Churchill cette idée que la démocratie n'est certes pas le meilleur des régimes politiques, mais c'est le moins pire. J'invite Dzongsar à sérieusement méditer là-dessus !



Frédéric Leblanc, 

le 11 août 2021.









Stoupa devant le mont Kailash








Voir également :


- L'affaire Sogyal


- Maître et disciple selon Dza Patrül Rimpotché


Le maître spirituel - 1ère partie


- Entre philosophie et religion
















N'hésitez pas à apporter vos avis et vos commentaires ainsi qu'à partager cet article. Ils sont les bienvenus !


Vous pouvez suivre le Reflet de la Lune sur FacebookTwitter, Tumblr






1 Propos cité par le blog « Dans le sillage d'Advayavajra » : Libérons nos bardes gaulois, 5 juillet 2021.

2 Fabrice Midal, La pratique de l'éveil de Tilopa à Trungpa, éd. Du Seuil / Points Sagesses, Paris, 1997, p. 62.

3 Précisons toutefois que l'actuel dalaï-lama a à maintes reprises fait l'éloge de la démocratie : « J'ai toujours pensé qu'il fallait séparer les fonctions de chef politique et de chef religieux. Il eût été hypocrite de de ma part de ne pas appliquer à moi-même cette conviction. Il est archaïque qu'un pays soit dirigé par un roi ou un chef religieux », L'Express, « Le dalaï-lama prône une démocratie républicaine », 2 août 2011.




lundi 2 août 2021

La grande avalanche


La grande avalanche

(Commentaire au Soûtra de la Parabole de la Montagne)



La mort avance comme une grande avalanche qui ravage tout sur son passage. Rien n'y résistera. Une fois que l'on en a pris clairement conscience, comment réagir à cela ? Est-ce que cela a encore un sens de vouloir conquérir le monde quand on voit que ces conquêtes toujours incertaines seront balayées par la mort à venir ? À quoi bon tant d'efforts ? À quoi bon tant de peines et de souffrances pour soutenir tous ces affrontements ? À quoi bon tant de misères causées au regard des gains ? J'imagine que les personnes soutenant une idéologie guerrière parleront de gloire et d'honneurs. Mais cette gloire est toujours incertaine : VAE VICTIS, « malheur aux vaincus » selon la formule du chef gaulois Brennus. La gloire est toujours relative : Napoléon est un grand homme pour les Français, le dernier des salopards pour le reste du monde. Gengis Khan est un héros pour les Mongols, un tyran monstrueux pour tous les peuples qui ont subi le déferlement de violences et d'horreurs de la Horde d'Or. Mais surtout, cette gloire est elle-même appelée à s'effacer avec le temps. C'est l'empereur romain Marc-Aurèle qui savait quelque chose en matière de conquête et de guerre aux frontières de l'Empire, qui disait : « Bientôt, tu auras tout oublié. Bientôt, tous t'auront oublié... ».


Mais revenons au texte du Bouddha. Il se trouve à Savatthi (Shravasti en sanskrit) et s'adresse à un roi, un membre de la caste des khattiyas (kshatriya en sanskrit), la caste des aristocrates dont le rôle est justement de guerroyer et de défendre le royaume. Rappelons que Siddhartha Gautama est lui-même issu de cette caste de guerriers et comprend donc très bien les affects du roi Pasenadi du clan des Kosalas à qui il s'adresse. Pasenadi décrit le mélange d'orgueil, de vanité, de jouissance et de crainte que la puissance militaire apporte : le roi contrôle une large superficie de terres et il maintient la sécurité de son royaume, et il en retire les dividendes tant sur le plan social sous forme de gloire et d'honneurs que matériel sous la forme de palais et de luxe. Mais on sent aussi que ce pouvoir peut être à tout moment renversé par un rival, que la superficie contrôlée peut se morceler sous le coup des invasions ou sous le coup des divisions internes, et surtout que la sécurité peut très vite succéder au chaos.


C'est le moment où le Bouddha arrive avec sa métaphore de l'avalanche : imaginons une ville entourées de hautes montagnes enneigées comme dans une cuvette. Des messagers arrivent en panique pour annoncer que les pentes des montagnes du nord, du sud, de l'est et de l'ouest voient dévaler de gigantesques avalanches sur leur passage qui ravagent tout sur leur passage et qui vont rayer la cité de la carte. Face à ce désastre inévitable, qu'y aurait-il à faire ?


Pasenadi fait preuve de bon sens en répondant : « Dans une si grande terreur, ô Bienheureux, devant de si graves pertes humaines, alors que la naissance en tant qu'être humain est une occasion très difficile à obtenir, qu'y aurait-il à faire, sinon vivre selon la droiture, selon la justice et faire des actes bons et méritoires qui donnent de bons résultats ? ». Sachant que ce qu'on a accumulé tant en termes de richesses, de biens matériels ou d'honneurs va s'effondrer très prochainement, pourquoi ne pas privilégier un mode de vie basé sur plus de droiture morale, être bienveillant et chercher à faire le bien autour de soi ? Être en accord avec soi-même et les autres est ce qui nous rapproche le plus d'une forme d'éternité ou de transcendance du temps.


Pasenadi évoque alors différentes modalités de la guerre : avec des éléphants, avec des chevaux, avec de l'infanterie, avec des chars, etc... Tous ces armements et cette course à l'armement amènent peut-être de l'efficacité dans la guerre et permettent de remporter des batailles, de rompre les fortifications d'une ville, d'asservir un peuple. Mais ce ne sont en aucune façon des moyens efficaces et opportuns pour apporter du bien au plus grand nombre, c'est juste un gigantesque gâchis de ressources et de vies humaines qui ont des conséquences désastreuses pour des générations. Il suffit l'Histoire du XXème siècle pour s'en convaincre. La première guerre mondiale a provoqué un carnage dans les tranchées avec les pluies d'obus et de gaz toxique. Cela a affaibli la population mondiale face à la pandémie de grippe espagnole, et les Allemands ont été humilié avec l'occupation de la Ruhr et la famine qui a frappé le pays. Cela a permis Hitler de répandre son message de haine avec le nazisme, et cela a provoqué la seconde guerre mondiale, encore plus destructrice avec ses camps de concentration, ses bombardements stratégiques qui ruinait des villes entières et l'apparition de la bombe atomique. Suite à la seconde guerre mondiale, le monde a été divisé en deux blocs : capitalistes contre communistes. Ce qui fait que les Américains ont financé des jihadistes islamistes comme Oussama Ben Laden pour combattre en Afghanistan. Maintenant que le rideau de fer s'est effondré, les attentats et les conflits causés par les jihadistes sont incessants. La guerre n'amène qu'une mécanique infernale qui gâche un nombre incalculable de vies encore et encore.


Pasenadi évoque ensuite les rituels et les incantations pour mener à la guerre. On peut évoquer tous ceux qui prient pour que Dieu ou Allah les conduisent à la victoire et leur permettent d'écraser l'ennemi. C'est la vieille rengaine du « Gott mit uns ». On pourrait aussi étendre ces incantations à la propagande moderne qui cherche à justifier la guerre, à la rendre acceptable, voire désirable. Combien de ferveur et surtout combien d'intelligence n'a-t-on pas englouti dans cette endoctrinement funeste aux conséquences désastreuses ?


Pasenadi évoque ensuite l'argent et le financement de la guerre : « il y a chez moi une grande quantité d'or, entassée dans des souterrains et amassée dans les chambres fortes des hauts étages, utilisable comme une stratégie financière en vue d'arrêter des ennemis qui s'avancent ». Au temps du Bouddha, l'argent était le nerf de la guerre tout comme aujourd'hui, l'argent est le nerf de la guerre ! Rien de neuf sous le soleil ! Ce financement de la guerre engloutit aussi des ressources énormes : quand on voit les sommes consacrées à la guerre et à l'armement à cause du complexe militaro-industriel et ce qu'on pourrait faire en termes d'éducation, de soins de santé, de nourritures pour les populations les plus démunies, là encore on voit l'incroyable inefficacité de la guerre !


Il faut d'ailleurs étendre ce financement de la guerre à la guerre économique, à la concurrence féroce qui règne entre les entreprises et qui provoque une injustice sociale monstrueuse ainsi qu'un gouffre toujours plus grand entre les plus riches et les plus pauvres.Il faut voir et critiquer la concurrence que l'idéologie capitaliste met entre les individus, récompensant les uns et excluant les « losers », ceux qui ne sont rien comme disait le président français. Tout cela aussi est un gâchis énorme.


Le Bouddha acquiesce et résume en quelques mots les explications de Pasenadi. Quand on a une conscience claire de l'impermanence et de la vieillesse et la mort à venir, les guerres perdent leur sens et leur utilité. Ce qui est utile, ce qui favorise le bonheur et le bien-être autour de nous. Et plus on se rend compte que le temps est compté, plus on prend conscience qu'il faut éviter les disputes, les querelles et les affrontements pour privilégier des relations chaleureuses et douces et répandre la joie et la paix. Comme le dit le moine Thich Nhat Hanh : « L'impermanence nous apprend à respecter et à prendre conscience de l'importance de chaque instant et de toutes les merveilles qui sont en nous et autour de nous. En pratiquant la pleine conscience de l'impermanence, nous devenons plus attentifs et plus aimants ». Notre vie, notre santé, nos biens, notre argent, tout cela disparaît, mais les relations positives que nous tissons continuent à se propager bien au-delà de notre personne.














Voir également : 


Bientôt... (Marc-Aurèle)

Méditer longuement l'impermanence

Vivre sans pourquoi

Vie et mort

Telle la génération des feuilles 

La vie selon François-Xavier Bichat

Une charogne (Baudelaire)

Le Vallon (Lamartine)

N'entre pas docilement dans cette douce nuit (Dylan Thomas)

Panta Rhei.











N'hésitez pas à apporter vos avis et vos commentaires ainsi qu'à partager cet article. Ils sont les bienvenus !


Vous pouvez suivre le Reflet de la Lune sur FacebookTwitter, Tumblr