Le
Mangala
Sutta
ou Soûtra
des Bénédictions
est un enseignement bien connu du Bouddha. Il frappe autant par sa
simplicité que par sa puissance. Le contexte dans lequel a eu lieu
cet enseignement touche au merveilleux : un dieu d'une radieuse
beauté vient trouver le Bouddha à minuit quand tout le monde dort
pour lui poser une question relative à ce qui cause le bonheur. À
l'époque, le fait que les dieux puissent demander conseil au Bouddha
ne devait étonner personne, qu'on soit bouddhiste ou non.
L'existence des dieux passait pour évidente dans l'Antiquité, et la
plupart des gens ressentaient leur présence. C'est vrai pour l'Inde
ancienne, mais la même mentalité prévalait dans la Grèce antique.
Épicure que l'on range dans la catégorie des philosophes
matérialistes disait dans la Lettre
à Ménécée :
« Les
dieux existent : la connaissance que nous en avons est
évidente ».
Aujourd'hui, cette sentence résonne de manière étrange : s'il y a bien quelque chose qui n'est pas évident, c'est bien
l'existence des dieux ou de Dieu. Mais à l'époque où la science
était beaucoup plus rudimentaire qu'aujourd'hui, les dieux
expliquaient les phénomènes physiques, la météorologie, les
victoires ou les défaites, la réussite ou les échecs dans les
affaires commerciales, etc...
mercredi 30 décembre 2015
vendredi 25 décembre 2015
Mushotoku – Sans but, ni profit
On
entend beaucoup parler ces temps-ci de méditation dans les
entreprises, des bienfaits de la pleine conscience ou mindfulness
dans le management. En soi, cela me paraît être une bonne chose :
si les entrepreneurs s'enthousiasment pour la méditation et veulent
organiser des séances de zazen au milieu de l'open space, pourquoi pas, en fait ? Néanmoins, quelque chose me laisse
sceptique : est-il judicieux de réduire la méditation à une
pratique prometteuse en terme d'augmentation de la productivité ?
Est-on plus aware des objectifs quantitatifs fixés par
l'entreprise quand on s'est livré à une séance de pleine
conscience ? Est-ce qu'on est un meilleur employé quand on
s'applique sagement à s'asseoir en lotus et à faire le vide dans
son entreprise ?
mardi 22 décembre 2015
Esprit du débutant
On
dit que pratiquer le Zen est difficile, mais il y a un malentendu sur
la raison. Ce n'est pas parce qu'il est dur de s'asseoir en tailleur
ou d'atteindre l'illumination que c'est difficile. C'est difficile
parce qu'il est dur de garder l'esprit pur et la pratique pure dans
le sens fondamental. L'école Zen s'est développée de plusieurs
manières après son établissement en Chine, mais en même temps
elle est devenue de plus en plus impure. Mais je ne veux pas parler
du Zen chinois ou de l'Histoire du Zen. Ce qui m'intéresse, c'est de
vous aider à ne pas laisser votre pratique devenir impure.
Au
Japon, nous avons l'expression shoshin
qui signifie « esprit de débutant ». Le but de la
pratique est de toujours garder notre esprit de débutant. Supposez
que vous ne récitiez la Prajñā
Pāramitā qu'une
seule fois. Ce pourrait être une très bonne récitation. Mais que
se passerait-il si vous la récitiez deux fois, trois fois, quatre
fois ou plus ? Vous pourriez facilement perdre votre attitude
originelle envers la Prajñā
Pāramitā. Ce sera
pareil dans vos autres pratiques zen. Pendant un certain, vous
garderez votre esprit de débutant ; or si vous continuez à
pratiquer un, deux, trois ans ou plus, vous pourrez peut-être faire
des progrès, mais vous risquez de perdre la signification illimitée
de l'esprit originel.
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zazen
lundi 21 décembre 2015
Il faut beaucoup aimer les hommes
Il
faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les
aimer pour les aimer. Sans cela, ce n'est pas possible, on ne peut
pas les supporter.
Marguerite
Duras
Henri Cartier-Bresson, Dans un train, Roumanie, 1975 |
Je
trouve cette formule de Marguerite Duras très vraie et très
profonde. Elle joue sur deux plans : la nécessité de l'amour
d'abord, « il faut beaucoup aimer les hommes ».
Mais l'autre plan est précisément qu'il n'est pas facile les êtres
humains sur cette Terre. Il ne s'agit pas d'aimer ceux qu'on aime.
Pour rendre la vie supportable sur cette planète, il faut répandre
l'amour, y compris pour les gens qu'on n'aime pas, qui nous énervent,
qui nous irritent, voire qu'on déteste. Il y a tellement de conflits
dans ce monde, tellement d'affrontements, tellement d'injustices que
l'on ne s'en sortira pas en n'ajoutant pas de l'amour dans les
interactions sociales de ce monde.
J'avoue,
honte à moi, n'avoir pas lu « La vie matérielle »
de Marguerite Duras publié en 1987 d'où est tirée cette
citation, et je ne sais donc pas si l'auteur visait les hommes en
tant qu'être humain ou les hommes opposés aux femmes dans cet
éternel conflit amoureux qui se joue et se déjoue à chaque instant
partout sur la surface du globe pour des milliards d'individus. Mais
au fond dans les deux cas, la logique est la même : on n'aime
pas une personne parce qu'elle est aimable, on l'aime parce qu'on la
désire, elle ou l'image que l'on se fait d'elle-même. Et nos
relations amoureuses ont besoin qu'on y injecte de l'amour pour que
l'amour puisse vivre et que l'on puisse continuer à supporter tout
ce qui nous horripile chez l'autre, tout ce qui nous blesse et tout
ce que l'on perçoit comme autant de trahisons.
Le
Bouddha nous encourageait à répandre l'amour en méditation dans
chaque recoin de l'univers pour tous les êtres et dans tous les
instants : « Le
méditant demeure faisant rayonner la pensée d'amour bienveillant
dans une direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans
une troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au
travers, partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il
demeure faisant rayonner la pensée d'amour bienveillant, large,
profonde, sans limite, sans haine et libérée d'inimitié ».
En fait, il ne faut pas attendre d'une seule personne qu'elle nous
procure de l'amour et être malheureux ou malheureuse si cette
personne ne le fait, voire nous heurte par son comportement ou son
mépris, son indifférence. Le Bouddha nous invite à avoir une
vision plus large de l'amour. Plus active aussi : bien sûr,
nous attendons tous l'amour, mais c'est à nous de faire émaner
l'amour pour les gens qui nous entourent, mais aussi pour tous les êtres
sensibles qui vivent dans la vaste univers. À
cela, il faut s'entraîner encore et encore.
Marc Chagall, Au-dessus de la ville, 1924 |
jeudi 17 décembre 2015
Éviter l’humiliation et le dogmatisme
Je
suis tombé hier sur un article de Melanie Joy intitulé « Humilier
les véganes nuit aux animaux »,
publié sur le site de Tobias Leenaert, The
Vegan Strategist,
en anglais le 5 octobre 2015, et traduit ensuite en français sur le site Peuvent-ils
souffrir ?.
Melanie Joy est une psychologue sociale américaine surtout connue
pour sa réflexion autour de la notion de « carnisme ».
On lui doit un livre « Why We Love Dogs, Eat Pigs, and
Wear Cows: An Introduction to Carnism » ( titre que l'on
pourrait traduire par : « Pourquoi
nous aimons les chiens, mangeons des cochons et portons de la vache :
une introduction au carnisme »)
. Melanie Joy y souligne les contradictions morales de la plupart des
gens qui disent sincèrement aimer les animaux, leur chien notamment,
mais qui n'ont aucun scrupule à manger de la viande ou porter des
vestes en cuir.
Melanie Joy |
Dans
l'article « Humilier
les véganes nuit aux animaux »,
Melanie Joy évoque une conférence donnée en faveur de la
libération animale où l'orateur, un végane, a été pris à partie
par d'autres véganes qui lui ont reproché de faire le jeu de
l'exploitation animale parce que les méthodes qu'ils prônaient
n'étaient pas suffisamment radicales à leur goût. Melanie Joy ne
le dit pas, mais on imagine assez bien que ce sont des adeptes de
Gary Francione qui ont ainsi cherché à humilier l'orateur pour
imposer leur vision dogmatique de la libération animale et du
véganisme. Melanie Joy concentre alors son analyse sur ce que
signifie le fait d'humilier les gens dans nos sociétés :
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Nāgasena,
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tolérance,
véganisme
mardi 15 décembre 2015
Forêts, prairies et rivières
Il
s'agit de décrire, et non pas d'expliquer ni d'analyser. Cette
première consigne que Husserl donnait à la phénoménologie
commençante d'être une « psychologie descriptive » ou
de revenir « aux choses mêmes », c'est d'abord le désaveu de
la science. Je ne suis pas le résultat ou l'entrecroisement des
multiples causalités qui déterminent mon corps ou mon « psychisme
», je ne puis pas me penser comme une partie du monde, comme le
simple objet de la biologie, de la psychologie et de la sociologie,
ni fermer sur moi l'univers de la science. Tout ce que je sais du
monde, même par science, je le sais à partir, d'une vue mienne ou
d'une expérience du monde sans laquelle les symboles de la science
ne voudraient rien dire. Tout l'univers de la science est construit
sur le monde vécu et si nous voulons penser la science elle-même
avec rigueur, en apprécier exactement le sens et la portée, il nous
faut réveiller d'abord cette expérience du monde dont elle est
l'expression seconde. La science n'a pas et n'aura jamais le même
sens d'être que le monde perçu pour la simple raison qu'elle en est
une détermination ou une explication.
Je
suis non pas un « être vivant » ou même un « homme »
ou même « une conscience », avec tous les caractères que la
zoologie, l'anatomie sociale ou la psychologie inductive
reconnaissent à ces produits de la nature ou de l'histoire, - je
suis la source absolue, mon existence ne vient pas de mes
antécédents, de mon entourage physique et social, elle va vers eux
et les soutient, car c'est moi qui fais être pour moi (et donc être
au seul sens que le mot puisse avoir pour moi) cette tradition que je
choisis de reprendre ou cet horizon dont la distance à moi
s'effondrerait, puisqu'elle ne lui appartient pas comme une
propriété, si je n'étais là pour la parcourir du regard.
Les
vues scientifiques selon lesquelles je suis un moment du monde sont
toujours naïves et hypocrites, parce qu'elles sous-entendent, sans
la mentionner, cette autre vue, celle de la conscience, par laquelle
d'abord un monde se dispose autour de moi et commence à exister pour
moi. Revenir aux choses mêmes, c'est revenir à ce monde avant la
connaissance dont la connaissance parle toujours, et à l'égard
duquel toute détermination scientifique est abstraite, signitive et
dépendante, comme la géographie à l'égard du paysage où nous
avons d'abord appris ce que c'est qu'une forêt, une prairie ou une
rivière.
Maurice
Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard,
Paris, 1945.
dimanche 13 décembre 2015
Savourer la vie avec sagesse
« Une
bière brassée avec savoir-faire se déguste avec sagesse ».
Voilà une mention légale qui doit figurer sur chaque bouteille de
bière belge et sur chaque publicité faisant l'éloge de ces bières
en Belgique. Mais qu'est-ce que la sagesse en l'occurrence ?
Dans le cas présent, la sagesse est synonyme de sens de la
modération, de la capacité de tempérance, savoir se limiter dans
sa consommation de bière et savoir s'arrêter complètement quand la
situation l'exige, quand on prend le volant par exemple. Mais est-ce
là le tout de la sagesse ?
On
dit aussi aux enfants : « Sois sage comme une image ».
La sagesse serait alors un calme complet, le respect scrupuleux d'un
silence ainsi que le respect à la lettre que ce nous impose ceux qui
possèdent l'autorité, les grands dans le cas présent. Évidemment,
c'est une vision très inerte et chosifiée de la sagesse. Je me suis
toujours demandé : mais comment une image pourrait-elle être
sage ? La sagesse serait dans ce sens la qualité de n'être
rien d'autre que l'apparence belle et vertueuse que la société nous
demande de présenter à la face du monde. La sagesse serait la force
de l'exemplarité de celui qui sait bien se tenir dans le rang et qui
n'en déviera pas d'un millimètre. Mais la sagesse est-elle cette
chose triste, morne et conformiste que les personnes vertueuses
acceptent d'endosser pour le plaisir des chefs et des sous-chefs ?
Après tout, ne préfère-t-on pas quand même que les enfants soient
vivants, courent partout et rient plutôt que de les avoir toujours à
portée, le doigt collé sur la bouche ?
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sagesse,
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jeudi 10 décembre 2015
Y a-t-il un troisième choix ?
Dans
un article très récent daté du 4 décembre intitulé « There
is no third choice », l'activiste et philosophe
abolitionniste Gary Francione nous explique qu'il n'y a que deux
choix possibles : soit on se participe au système qui exploite
les animaux, soit on n'y participe pas. En clair, soit on est végane
abolitionniste et on est un gentil, soit on n'est pas végane
abolitionniste et on est donc un méchant. Évidemment, « ne
pas être végane abolitionniste » ouvre un champ très vaste
de personnes dans la société : cela va du mangeur de viande
invétéré, de l'aficionado qui ne raterait pour rien au monde une
corrida au flexitarien qui essaye de manger moins de viande. Mais
dans la tête de Gary Francione, cela comprend également les
végétariens qui n'ont pas encore cessé de manger des œufs et des
produits laitiers, mais aussi les véganes welfaristes. Tous sont
logés à la même enseigne : ils participent honteusement à
l'exploitation animale. On navigue dans l'extrémisme pur et dur, et
je pense qu'il est important de dénoncer le discours de Francione
parce qu'il est très en vogue dans les milieux de la libération
animale et qu'il crée des dissensions inutiles et néfastes au sein
de ces mouvances.
Tout
l'article de Francione repose sur la dénonciation du « welfarisme »
et l'accusation que ce welfarisme contribue à l'exploitation
animale, même si le but est d'aider les animaux. Mais d'abord
répondons à une question qui viendra de celui qui n'est pas
accoutumé au langage de la libération animale : qu'est-ce que
le « welfarisme » ? Ce terme vient du mot anglais
« welfare », bien-être. Le welfarisme est donc l'idée
qu'il faut agir pour le bien-être des animaux par tous les moyens
possibles, y compris en composant avec le monde de l'élevage, des
abattoirs, des cirques, des zoos, les laboratoires scientifiques qui
font de l'expérimentation animale, etc... Pour prendre un exemple
tout à fait typique de l'action des welfaristes, ceux-ci feront
pression sur le grand public (qui n'est pas nécessairement acquis à
la cause végane, c'est le moins que l'on puisse dire) et sur le
monde de l'élevage industriel (qui est franchement opposé à la
cause végane) pour augmenter la taille des cages des poules. Parfois
cette augmentation n'est que de cinq centimètres, autant dire pas
grand chose... Mais l'idée est qu'après une progression lente
certes, mais certaine, les animaux verront une amélioration
substantielle de leur condition.
dimanche 6 décembre 2015
Ne me dites pas que ce problème est simple
Ne me dites pas que ce
problème est simple, car s'il l'était, cela ne serait plus un
problème depuis longtemps.
Georges Clemenceau
Je pense que c'est là
un principe qu'il conviendrait de ne pas perdre de vue. Quand on
réfléchit à toutes de problèmes qui affectent le monde, il y a
toujours des gens très sûrs d'eux-mêmes pour expliquer : « il
n'y a qu'à faire ci » ou « il n'y a qu'à faire ça ».
Tout est simple, tout est limpide. On va tout résoudre avec quelque
principe simpliste, une recette éculée qui ne résoudra rien. Je
pense qu'on ne peut pas faire fi de la complexité du monde. On
gagne, il me semble, à remettre en question tous ceux qui viennent
avec des solutions-miracles qu'il avance dogmatiquement dans le débat
des idées.
Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici
Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici
vendredi 4 décembre 2015
On ne naît pas avec le désir de couper des têtes
Il
y a trois semaines ont eu lieu les attaques terroristes dans les rues
de Paris. Les médias commencent à parler d'autres choses,
l'attention médiatique devant toujours se porter sur d'autres sujets
pour ne pas lasser les spectateurs en demande de nouveauté. Les
nations européennes sont maintenant dans l'après-attentat où la
question se porte sur la réaction adéquate face à ce terrorisme.
Deux points majeurs sont au cœur des débats : que faire des
migrants ? Que faire de Daesh ?
En
ce qui concerne les migrants, ceux-ci risquent de faire les frais des
nouvelles politiques sécuritaires mises en place au lendemain des
attentats. Manuel Valls a d'ailleurs signé la fermeture des
frontières après plusieurs mois de débats houleux sur la question
en déclarant : « L’Europe
doit dire qu’elle ne peut plus accueillir autant de migrants, ce
n’est pas possible . Le contrôle des frontières extérieures de
l’Union européenne est essentiel pour le futur de l’UE. Si nous
ne le faisons pas, alors les peuples vont dire : ça suffit
l’Europe ! ».
En effet, il y aurait un des kamikazes qui serait un migrant qui
serait passé par la Grèce (tout cela est à mettre au conditionnel) : une passeport a été retrouvé
« miraculeusement » intact près du corps d'un des
terroristes qui s'était fait explosé. On oublie qu'il est bien
établi aujourd'hui que tous les autres terroristes étaient soit
Français, soit Belges... Mais l'état d'urgence n'incite pas à
avoir une réflexion nuancée sur le sujet... C'est tout profit pour
l'extrême-droite européenne, et notamment le Front National
français qui a le vent en poupe après les attentats.
En
ce qui concerne la réaction face à l’État Islamique, j'ai bien
aimé une réflexion du moine bouddhiste Matthieu Ricard sur son
blog :
Sortir de l'enfer grâce à la compassion. Matthieu Ricard y explique
notamment : « Dans
le cas d’une organisation comme Daesh, il ne s’agit pas de
tolérer leurs actions innommables. Nous devons tout faire pour y
mettre fin. Dans le même temps, il faut se rendre compte que ces
gens ne sont pas nés avec le désir de couper des têtes et de
massacrer tous les habitants d’un village. Un ensemble de causes et
de conditions les a conduits à ce terrible comportement. La
compassion, dans ce cas, c’est le désir de remédier aux causes,
comme un médecin souhaite mettre fin à une épidémie. Cela
implique, parmi d’autres moyens, de remédier aux inégalités dans
le monde, de permettre aux jeunes d’accéder à une meilleure
éducation, d’améliorer le statut des femmes, etc., pour que
disparaisse le terreau social dans lequel ces mouvements extrêmes
prennent racine ».
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paix,
terrorisme
mercredi 2 décembre 2015
Plus de paix dans votre esprit
Plus
de paix dans votre esprit contribue à plus de paix dans le monde.
Tendzin
Gyatso, le XIVème dalaï-lama
Mahathat, Sukhothai, Thaïlande – Marc Schlossman, série "The Golden Lands" |
Dans
le billet
précédent, je me demandai s'il valait mieux être pacifique ou
pacifiste. J'expliquais que je cherchais à être pacifique tant dans
mon approche des relations individuelles que dans le domaine de la
politique et de la géopolitique. Pour moi, la paix est une quelque
chose que l'on doit cultiver dans la vie de tous les jours. Et en ce
sens cet aphorisme du dalaï-lama m'a toujours parlé : « Plus
de paix dans votre esprit contribue à plus de paix dans le monde ».
Je
suis vraiment convaincu de cela. On peut manifester pour la paix,
crier son dégoût des gouvernements qui mènent des guerres dans le
monde entier. Bien sûr, il faut poser ce genre d'actes citoyens,
dénoncer la guerre, mais en même temps, il y a souvent quelque
chose de très dogmatique et d'agressif dans cette attitude : on
est plein de haine et de colère à l'encontre de ces puissants, de
ces militaires qui font la guerre, on est soi-même dans une attitude
combative pour dire que les combats doivent cesser. Et parfois on
occulte la complexité de la situation.
Je
pense qu'il faut prendre un temps pour réévaluer la situation et
apaiser son esprit. S'il y a des guerres dans le monde, c'est à la
base parce que toutes sortes de citoyens ont des pensées de haine,
de colère, de ressentiment, de violence, de vengeance. Et ces
pensées négatives se traduisent en paroles vindicatives, en
discours qui prônent la discorde et la division. Et quand toutes ces
pensées, ces émotions, ces propos haineux prennent de l'ampleur,
ils finissent par submerger la paix civile et cela déclenche un
conflit, des affrontements, des violences, des guerres. Comprenant
que l'origine de la guerre se trouve toujours dans des pensées de
haine et de colère, on se dit qu'il est primordial d'agir sur son
propre esprit. Il faut désamorcer en nous toutes ces pensées de
haine et de colère. D'abord en prêtant attention à nos pensées et
nos émotions dans la conscience pendant la méditation.
Chaque
fois que se manifeste un mouvement du mental qui porte en lui de la
colère, de l'irritation, de l'énervement, de l'aversion, de la
malveillance, il faut y prêter attention, l'observer de manière
vigilante. L'idée est de laisser ces pensées apparaître dans le
champ de la conscience, mais aussi se dissiper. Comme le ciel qui
laisse les nuages noirs et orageux se dessiner à l'horizon et qui
les laisse s'évanouir d'eux-mêmes dans l'immensité.
Mais
l'attention est aussi utile en ce qu'elle permet de savoir que la
colère et la haine sont là en nous sous une forme ou une autre.
Combien de gens ne disent pas alors qu'ils piquent une crise de
nerf : « Mais non, je ne suis pas en colère ! Arrête
de dire que je suis en colère ! ». L'attention permet de
comprendre le mécanisme de la haine, du ressentiment et de la
malveillance et éventuellement bloquer cette colère avant que ne
rentre de plein pied dans la sphère de l'action. C'est un peu comme
comme un garde vigilant et alerte, posté à la porte de la ville,
qui repérerait des intrus voulant s'introduire par le portail et
qu'il bloquerait fermement avant qu'ils ne rentrent. Cela ne fait pas
disparaître ces intrus malveillants, mais au moins cela les empêche
dans un premier temps d'agir et de créer des dégâts dans
l'immédiat. Ensuite, une fois que la méditation rentre dans la
vision pénétrante, alors l'esprit voit l'illusion de ces
pensées comme le ciel ne croit pas que les nuages soient des choses
solides et l'esprit les laisse se dissiper d'elles-mêmes.
Le
Bouddha indique aussi cinq moyens de vaincre la colère et
l'irritation. Ils mentionnent par ordre de puissance, mais cet ordre
de puissance correspond aussi à un ordre de difficulté. La première
méthode est ainsi la plus puissante pour dissiper la haine et le
ressentiment dans le monde, mais c'est aussi celle qui requiert la
plus grande force d'âme. Le premier de ces moyens est maitri,
souhaiter que tous les êtres soient heureux et connaissent les
causes du bonheur, en ce compris celui ou ceux qui nous irritent ou
mettent en colère. Cela peut sembler contre-nature de se mettre à
aimer celui qui nous fait du mal ou qui nous blesse. On a tellement
envie de le détester ! Mais la bienveillance est la force la
plus puissante pour vaincre toute cette malveillance qui court à
travers le monde et se répand dans tous les cœurs.
L'amour
bienveillant implique de souhaiter le bonheur des autres mais aussi
« les causes du bonheur », parce que l'intérêt est que
ce soit un bonheur durable, et pour cela, il faut des causes et des
conditions qui entretiennent ce bonheur et le renouvelle de jours en
jours, d'années en années. Il ne faut pas que ce soit un bonheur
qui arrive un peu par hasard comme quand on décroche le gros lot à
la loterie et qui reparte aussitôt, nous laissant seuls, malheureux
et désemparé. Le bonheur procède donc de causes et de conditions
selon la loi du karma. Notre bonheur présent provient ainsi des
actions passées qui ont apporté dans cette vie-ci ou dans une vie
antérieure du bien-être à soi-même et aux autres. Le bonheur
futur dépendra de nos actes que nous accomplissons dans le présent.
Éprouver de l'amour bienveillant à l'égard de quelqu'un, c'est
donc souhaiter qu'il accomplisse des actes bons et généreux, qu'il
apaise son esprit et qu'il trouve la sagesse, car tout cela va lui
permettre de conforter un bonheur véritable et durable.
Mais
peut-être n'avons-nous pas la force spirituelle de souhaiter du
bonheur à nos ennemis ! Alors le Bouddha nous recommande
d'éprouver de la compassion à leur égard. La compassion se définit
dans le bouddhisme comme le souhait ardent que les êtres soient
entièrement soulagés de la souffrance et des causes de la
souffrance. Si on n'est pas capable de souhaiter le bonheur pour ceux
qui nous ont nui et fait du mal, qu'on souhaite au moins qu'ils ne
souffrent pas !
Il
arrive souvent que la souffrance nous rende mauvais et amer contre
l'existence. Celui qui a subi des torts, celui qui a été humilié
et vaincu veut se venger et causer des torts à celui qui a causé
cela. C'est le point de départ d'un cycle infernal de violence
comme, par exemple, entre Israël et la Palestine, une guerre qui
n'en finit et qui s'alimente de la rancœur mutuelle accumulée
depuis des décennies. Les uns évoqueront les attentats terroristes
et les menaces émanant des autres pays musulmans, les autres
évoqueront les territoires perdus, les destructions comme mesure de
rétorsion au terrorisme, les attentes interminables aux checkpoints.
Et à chaque nouvelle agression d'un camp ou d'une autre, la haine et
le ressentiment reprennent leur ronde infernale et s'intensifie.
Peut-être que les Israéliens ne peuvent souhaiter le bonheur des
Palestiniens et les Palestiniens le bonheur des Israéliens, c'est
peut-être trop leur demander, c'est peut-être une trop grande
sainteté à porter. Mais peut-être peuvent-ils souhaiter que les
uns et les autres cessent d'éprouver la souffrance, la peur et le
désespoir. Ce serait alors un point de départ pour comprendre les
souffrances de l'autre, de comprendre le point de vue de l'autre et
faire preuve d'empathie de manière réciproque. Enfin entamer
progressivement un réel processus de paix qui en passerait par les
gouvernements ou les institutions de l'ONU, mais qui naîtrait des
peuples.
Mais
peut-être est-ce encore trop demander.... Vouloir le bonheur et les
causes du bonheur ou vouloir que cesse la souffrance et les causes de
la souffrance, cela peut paraître deux volontés trop proches l'une
de l'autre. Et c'est effectivement les deux faces d'une même pièce,
une pièce trop chère à débourser pour celui qui est empli de
ressentiment à l'encontre de ses ennemis. Alors le Bouddha conseille
de pratiquer l'équanimité. Qu'est-ce que l'équanimité ?
C'est rester égal face au plaisir et à la souffrance, aux bonnes
choses et aux mauvaises choses ; c'est endurer patiemment les
épreuves tout en les laissant passer comme le fleuve laisse passer
l'eau. Tout est impermanent, tout s'écoule et finit par disparaître.
Cultivons le calme et l'égalité face aux réussites et aux échecs,
aux louanges et aux blâmes. Restons imperturbables face à
l'adversité.
L'équanimité
est ainsi plus facile d'accès car elle nous demande pas de souhaiter
du bonheur ou la libération de la souffrance et qu'elle nous permet
de rester en nous-mêmes, en nous contrôlant et nous apaisant pour
vivre avec plus de sérénité ce qui nous accable. L'équanimité
nous demande pas d'aller vers les autres, ce qui est très difficile
quand on est blessé par eux.
Néanmoins,
si l'équanimité est encore trop difficile et demande trop de
maîtrise de nous-mêmes et de vaincre un trop grand énervement, le
Bouddha enseigne une quatrième méthode qui est l'oubli. Faisons
comme si l'autre n'existait plus. Détournons notre regard de lui,
n'y pensons plus, chassons-le de nos pensées. Cela ne résoudra pas
le problème ; mais au moins, nous ne nous tracasserons pas en
vain, nous ne nous pourrirons plus la vie à force de ressasser notre
ressentiment à l'encontre de ceux qui nous font du mal. Que l'on
pense à tout le mal que l'on peut se faire à ressasser des idées
noires, des souhaits de vengeance et repasser en boucle dans notre
tête le film de nos humiliations, il y a sérieusement matière à
perdre beaucoup en termes de qualité de vie ! Parfois oublier
ceux qui gâchent notre vie est encore le moyen le plus simple pour
retrouver le sourire ! Ils ne valent d'ailleurs généralement
pas la peine que l'on pense à eux !
Enfin,
si l'amour bienveillant, la compassion, l'équanimité et l'oubli ne
sont pas en mesure d'apaiser notre colère et notre irritation, le
Bouddha prône une cinquième méthode qui est la méditation des
effets du karma. Celui qui blesse un être sensible ou lui crée du
tourment connaîtra des blessures et des tourments similaires dans le
futur. Tout le monde devra tôt ou tard régler ses comptes, dans
cette vie-ci ou dans une vie future. Cette cinquième méthode est
moins honorable que l'amour ou la compassion qui veulent le bien et
la fin des tourments causés par le cycle du karma, mais cela peut
apaiser efficacement le sentiment d'avoir éprouvé une injustice si
l'on sait que cette injustice ne restera pas impunie. Il vaudrait
mieux que les torts soient réparés, mais ce méditation du
processus du karma peut aussi soulager celui qui n'est pas encore
capable de bienveillance, de compassion ou d'équanimité.
Toutes
ces méthodes permettent d'apaiser la haine et les sentiments
négatifs qui peuvent envahir notre esprit. Même si nous n'avons
aucun pouvoir, le fait d'apaiser l'esprit, de cultiver une approche
non-violente et de transformer la malveillance en bienveillance peut
nous inspirer de grande chose, et surtout cela apporte une énergie
favorable dont le monde a grand besoin. Plus on cultive la paix en
nous-mêmes, plus on contribue à désamorcer les guerres partout
dans le monde. Évidemment il y a encore beaucoup de travail avant
que toutes les guerres soient éradiquées sur la surface de la
Terre, mais combien de gens ne répandent pas des messages de haines,
combien de médias n'inspirent la peur au lieu aux citoyens au lieu
de les faire réfléchir aux véritables causes des problèmes que
connaissent la société ? Il suffit de voir comment les
messages de haineet d'incitation à la violence se répandent comme
une traînée de poudre sur les réseaux sociaux après des
attentats. Il faut avoir la force morale et intellectuelle de se
détacher de cela et cultiver la bienveillance et la joie plutôt que
des idées noires et sombres de vengeance et d'affrontement.
Les
enseignements de l'école philosophique Yogācāra, une école
bouddhique du Grand Véhicule, explique que la conscience véritable
est une conscience non-duelle : la séparation entre le « moi »
et le monde est illusoire, la conscience fondamentale est une
conscience qui comprend ce moi et ce monde. Nous ne sommes donc pas
séparés dans ce monde. Même des violences éclatent au bout du
monde, on ne peut pas se dire : « je n'ai rien à voir
avec cela ». Ce faisant, dans la méditation, on peut éclairer
le monde entier de cette bienveillance, de cette compassion, de cette
joie et de cette équanimité. Comme le dit le Bouddha à maintes
reprises dans ses enseignements :
« Le
méditant demeure faisant rayonner la pensée d'amour bienveillant
dans une direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans
une troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au
travers, partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il
demeure faisant rayonner la pensée d'amour bienveillant, large,
profonde, sans limite, sans haine et libérée d'inimitié.
Le
méditant demeure faisant rayonner la pensée de compassion dans une
direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans une
troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au travers,
partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il demeure
faisant rayonner la pensée de compassion, large, profonde, sans
limite, sans haine et libérée d'inimitié.
Le
méditant demeure faisant rayonner la pensée de joie dans une
direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans une
troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au travers,
partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il demeure
faisant rayonner la pensée de joie, large, profonde, sans limite,
sans haine et libérée d'inimitié.
Le
méditant demeure faisant rayonner la pensée d'équanimité dans une
direction de l'espace et de même dans une deuxième, dans une
troisième, dans une quatrième, au-dessus, au-dessous, au travers,
partout dans sa totalité, en tout lieu de l'univers, il demeure
faisant rayonner la pensée d'équanimité, large, profonde, sans
limite, sans haine et libérée d'inimitié ».
Il
s'agit d'apporter la lumière au monde et ne pas laisser emporter la
haine et la violence. C'est un long travail évidemment. C'est
pourquoi le bouddhisme du grand Véhicule met en avant la figure du
bodhisattva, l'être d’Éveil qui se dédie au bien des autres et
qui renaît d'existence en existence pour apporter la paix et le
bien-être à l'ensemble des êtres vivants. Il faut bien de
nombreuses vies pour accomplir l’œuvre de la paix !
En
conclusion, la dimension de la transformation personnelle est
essentielle pour travailler sur le chemin de la paix. Il y a
évidemment tout un questionnement politique : comment régler
telle ou telle guerre, tel ou tel conflit ? Que faire et comment
réagir face au terrorisme ? Mais on ne peut pas tout attendre
de la politique. La politique n'est jamais rien d'autre que la
tentative souvent maladroite d'organiser des millions, voire des
milliards d'êtres humains sur la Terre. La politique ne pourra rien
pour les hommes si les hommes et les femmes qui vivent en ce monde ne
cessent pas de cultiver des pensées haineuses et malveillantes.
C'est pourquoi il faut commencer par vous-mêmes. Certes, vous êtes
un, tout seul face à la masse incalculable des gens qui ne pensent
peut-être pas comme vous. Mais si personne ne commence, il n'y aura
jamais aucun résultat ! Et puis c'est comme une bougie qui,
toute seule, il est vrai, n'éclaire pas beaucoup, mais cette bougie
peut éclairer une autre bougie qui va à son tour va éclairer une
autre et une autre... Au final, cela fera beaucoup de lumière !
Pareillement, le fait de cultiver dans son être et dans sa vie la
bienveillance, la compassion et la sérénité feront que ces
qualités se transmettront à l'un ou l'autre qui, lui-même les
transmettra à d'autres... Cela fera une grande lumière de paix pour
le monde.
En
2003, j'ai manifesté contre la guerre en Irak menée par le
gouvernement américain de Georges Bush. Soi-disant, Georges Bush
menait cette guerre au nom des droits de l'homme. Mais quelqu'un d'un
tant soit peu averti des intérêts géostratégiques en présence
savaient que les Américains y allaient pour le pétrole. Il y avait
donc une forte opposition à l'impérialisme américain en ce
moment-là, un refus évident de la guerre qui n'a jamais engendré
rien d'autre que du chaos. Je me souviens qu'un jour que je
pratiquais la méditation peu après une manifestation gigantesque
contre cette seconde guerre du Golfe et je n'arrivais pas à apaiser
le flux de mes pensées. J'avais beau méditer, rien à faire, toutes
sortes de pensée de colère contre George Bush et Oussama Ben Laden
m'habitait. Je n'arrivais à m'en défaire. Et là, j'ai compris
qu'en méditation, je ne devais pas penser en termes d'Américains ou
d'Irakiens, d'alliés ou d'ennemis, d'axe du Mal ou d'impérialisme
capitaliste, de « faucons » ou de « colombes »,
de pacifistes ou de militaristes.... Non, je devais me débarrasser
de tous ces concepts en méditation. En méditation, George Bush
était un homme qui méritait ma compassion et ma bienveillance,
Saddam Hussein était un homme qui méritait ma compassion et ma
bienveillance, Oussama Ben Laden était un homme qui méritait ma
compassion et ma bienveillance, et tous les soldats impliqués dans
ce conflit étaient des humains qui méritaient ma compassion et ma
bienveillance, toutes les victimes de ce conflit qui survivaient ou
qui mouraient sous les bombes des uns et des autres étaient des
humains qui méritait ma compassion et ma bienveillance. En fait, je
souhaitais à tous qu'ils connaissent le bonheur et les causes du
bonheur et qu'ils soient libres de la souffrance et des causes de la
souffrance, c'est-à-dire qu'ils arrêtent cette guerre car elle
n'apportaient que de la détresse et de la souffrance.
Cela
m'a permis de me détacher de l'implication dans ce conflit et de
pratiquer plus sereinement la méditation. La politique est un
domaine où l'on défend un camp ou l'autre, une thèse ou l'autre,
un idéal ou l'autre. Mais il est bon en méditation d'abandonner
tous les concepts qui divisent les hommes et l'humanité en
différents camps ennemis. Quitte à reprendre plus tard son action
politique, mais soulagé de la rancœur tenace et d'autant plus prêt
à envisager des solutions nouvelles pour apaiser les conflits.
photographie de Horst Faas - juin1965 à Phuc Vinh, Sud-Vietnam |
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samedi 28 novembre 2015
Pacifique ou pacifiste ?
Les journaux le disent,
les hommes politiques le disent, les gens dans les cafés, dans la
rue le disent, certains intellectuels le contestent : « Nous
sommes en guerre », résonne ce slogan un partout en France et
en Europe. Les stratèges militaires précisent sur les plateaux de
télévision : « Oui, c'est une guerre, mais pas n'importe
quel genre de guerre ; non, c'est une guerre asymétrique ! Retenez bien ce mot, les enfants, A-SY-MÉ-TRI-QUE ».
Tout ça pour dire que Daesh n'est pas à proprement parler un État,
même si Daesh est l'acronyme arabe pour « État Islamique
d'Irak et du Levant ». Mais ce n'est pas non un vulgaire groupe
terroriste qui se terre dans une cave en attendant le prochain
attentat. Ces gens ont un territoire, et a
fortiori un territoire
assez vaste, même si c'est principalement un désert. On compte
pourtant sur le territoire contrôlé par Daesh des villes
importantes comme Mossoul, la deuxième ville d'Irak, un million et
demi de personnes ; et l'armée de Daesh compte plus ou moins 50
000 hommes, plus notamment que l'armée belge (40 000 hommes plus ou
moins). Certaines estimations plus alarmistes élèvent le nombre de
combattants de Daesh à 200 000 hommes. L'armée française compte
dans ses rangs plus ou moins 350 000 hommes. Donc Daesh est en
guerre, mais comme ils ne sont pas en mesure présentement de nous
bombarder en bonne et due forme et qu'ils en sont réduits à des
actions de type terroriste pour nous meurtrir et nous inspirer la
crainte et la terreur, on dit que c'est une guerre asymétrique. Mais
cela reste une guerre, avec tout ce qu'une guerre peut avoir de sale
et de répugnant : des morts, des blessés, les larmes et du
sang, et là-bas au loin en Syrie et en Irak encore beaucoup plus de
morts, de gens terrorisés, d'enfances détruites, d'innocents
torturés, de maisons éventrées et de fosses communes.
La
France a réagi très vite aux attentats de Paris en redoublant ses
bombardements sur Raqqa et les positions de l’État Islamique. Mais
est-ce juste ? Certaines voix se font entendre pour dire que la
violence n'engendre que la violence, répondre à la guerre par la
guerre n'apportera que plus de guerre. D'autres montrent les échecs
de l'invasion de l'Irak par les forces américaines en 2003, d'autres
pointent du doigt l'exemple de la Libye où les bombardements
français et occidentaux ont fait tomber le dictateur Muammar
Kadhafi, mais durablement installé le pays dans un état
d'instabilité profonde, avec des terroristes proches de Daesh qui
font régner la terreur un peu partout. La question que je pose est
donc : est-ce que cette guerre « contre le terrorisme »
est-elle justifiée ou non ? Y a-t-il seulement des guerres
justes ou justifiées ? Ou la guerre est-elle un mal qu'il faut
absolument éradiquer ?
dimanche 22 novembre 2015
Une prétendue guerre de l'islam politique
Une
prétendue guerre de l'islam politique
Je
voudrais ici réagir à une interview de Michel Onfray parue dans le
quotidien belge « Le Soir » le lundi 16 novembre 2015.
Dans cette interview, le philosophe français défend ses opinions
sur les attentats de Paris et sa conception d'un très douteux
« islam politique ». Ces idées ne sont pas neuves chez
lui. On ne trouvera quantités d'autres interviews dans la presse
écrite et sur les plateaux de télévision. La nuit même du 13 au
14 novembre, il lançait un tweet sur le réseau social Twitter
particulièrement explicite : « Droite
et gauche qui ont internationalement semé la guerre contre l'islam
politique récoltent nationalement la guerre de l'islam politique ».
On ne peut être plus clair : on fait l'économie d'une
compassion à l'égard des victimes des attentats pour passer
directement l'attaque du gouvernement et de la démocratie française.
Les méchants, ce ne sont pas les terroristes, mais bien Hollande,
mais bien Sarkozy, mais bien Chirac, mais bien Mitterrand, mais bien
tous les hommes politiques qui ont contribué à la politique
internationale de la République française depuis au moins 25 ans.
Dans
le Soir, Onfray explique : « Ce qui a eu lieu le
vendredi 13 novembre est certes un acte de guerre, mais il répond à
d'autres actes de guerre dont le moment initial est la décision de
détruire l'Irak de Saddam Hussein par le clan Bush et ses alliés,
il y a un quart de siècle. La France fait partie depuis le début,
hormis l'heureux épisode chiraquien, de la coalition occidentale qui
a déclaré la guerre à des pays musulmans. Irak, Afghanistan, Mali,
Libye... Ces pays ne nous menaçaient aucunement avant que nous leur
refusions leur souveraineté et la possibilité pour eux d'instaurer
chez eux leur régime de leur choix. La France n'a pas vocation à
être le gendarme du monde et à intervenir selon son caprice dans
tel ou tel pays pour y interdire le choix qu'il fait ».
Première
réflexion : Saddam Hussein n'était pas une petite victime en
1991 quand a éclaté la 1ère guerre du Golfe. C'est lui
qui a décidé d'envahir le Koweit en prétendant que c'était la
dix-neuvième province de l'Irak, et donc c'est lui qui a menacé en
premier la souveraineté d'un État ! Auparavant, Saddam Hussein
s'est toujours comporté en dictateur féroce ; et c'est lui qui
avait dans les années '80 déclaré la guerre Iran-Irak qui a été
une boucherie sans nom. On ne peut donc pas établir un manichéisme
simpliste comme le fait Onfray entre les gentils musulmans agressés
et les méchants Occidentaux toujours avides de guerre et de
destruction. Cela ne peut pas fonctionner comme ça ! Certes,
les Occidentaux sont intervenus pour défendre des intérêts
géostratégiques évidents. Il y a des quantités énormes de
pétrole au Koweit comme en Irak. Les démocraties occidentales ne
sont pas non plus angéliques dans cette histoire. C'est une
évidence. Gardons-nous de tout manichéisme afin de garder un
semblant d'intelligence dans l'analyse des faits qui sont complexes
tant que par le nombre des forces en présence, mais aussi le nombre
colossal de grille d'interprétations que l'on peut avoir dans cet
événement.
samedi 21 novembre 2015
Suave mari magno
Il est doux, quand la
vaste mer est soulevée par les vents, d’assister du rivage à la
détresse d’autrui ; non qu’on trouve si grand plaisir à
regarder souffrir ; mais on se plaît à voir quels maux vous
épargnent. Il est doux aussi d'assister aux grandes luttes de la
guerre, de suivre les batailles rangées dans les plaines, sans
prendre sa part du danger. Mais la plus grande douceur est d'occuper
les hauts lieux fortifiés par la pensée des sages, ces régions
sereines d’où s’aperçoit au loin le reste des hommes, qui
errent ça et là en cherchant au hasard le chemin de la vie, qui
luttent de génie ou se disputent la gloire de la naissance, qui
s'épuisent en efforts de jour et de nuit pour s’élever au faîte
des richesses ou s'emparer du pouvoir.
Ô misérables esprits des hommes, ô cœurs aveugles! Dans quelles ténèbres, parmi quels dangers, se consume ce peu d'instants qu'est la vie! Comment ne pas entendre le cri de la nature, qui ne réclame rien d'autre qu'un corps exempt de douleur, un esprit heureux, libre d’inquiétude et de crainte ?
Lucrèce, De
Natura rerum, II, 1-19
Näutil, The Eye, Siouville-Hague, Basse-Normandie (France) Photographie de Cécé |
C'est
un passage très beau de « La Nature des Choses » du
philosophe antique, hédoniste et épicurien, Lucrèce, qui commence
par les vers latins « Suave mari magno... ». En
même temps, c'est un des textes les plus déconcertants de
l'histoire de la philosophie. Lucrèce y exprime la sérénité du
sage face aux tourments qui frappent les êtres ordinaires empêtrés
dans leurs passions et leur ignorance. De la même manière que l'on
peut regarder du haut d'une falaise une tempête qui déchaîne les
flots sur la mer et qui précipite les marins dans la détresse et
le désarroi, et se sentir rassuré sur la terre ferme parce qu'on
n'a pas à subir la terreur d'être en perdition sur son navire. Le
sage, lui, vit calmement ; il voit la souffrance de ceux qui
sombrent dans la folie et les relations conflictuelles, mais comme il
n'a pas part à cette folie, il peut d'autant plus savourer sa
tranquillité et sa sérénité.
Pour
autant, cette manière de voir et d'opposer le sage et la personne
immature a des résonances quelque peu tragiques. Est-il si doux de
réjouir de ne pas être dans la tourmente quand on voit d'autres y
être ? Est-il si doux de se savoir en sécurité quand, au loin
dans la vallée, la bataille fait rage avec son lot de désolation,
de blessés et de morts ? Peut-on être à ce point insensible
face aux tragédies qui frappent les hommes quand bien même ces
tragédies sont le fait de la folie aveugle des hommes et que ces
tragédies auraient pu être évitées avec une gestion de la
situation, plus efficace et plus équilibrée ? Peut-on vraiment
être aussi insensible ? Est-ce que la sage est un être si peu
concerné des affaires du monde ? Est-il si retranché de ce qui
affecte les hommes, leurs peines, leurs blessures, leurs sentiments,
leurs peurs, leurs colères, leurs égarement ? Je veux bien que
Lucrèce nous explique que : « la plus grande douceur
est d'occuper les hauts lieux fortifiés par la pensée des sages,
ces régions sereines d’où s’aperçoit au loin le reste des
hommes, qui errent ça et là en cherchant au hasard le chemin de la
vie ». Mais ces hautes tour fortifiées de l'âme
sont-elles si imperméables aux pleurs, aux cris, aux élans de
désespoir des gens tout autour de nous ? Est-on vraiment une
île ? Une forteresse inexpugnable que rien ne pourrait
affecter ? Réfugiés dans nos hautes tours bâties avec les
pierres de la sagesse, serions-nous si intouchables ?
Cette
figure du sage comme complète indépendance par rapport aux mondes
et aux fous qui composent ce monde me paraît être un fantasme. S'il
y a un sage en ce monde, et je ne prétends pas être un sage en ce
monde, je ne pense pas qu'il soit sourd aux émotions des hommes. Il
entend la colère quand les gens sont meurtris, il entend la joie
quand tout le monde est à la fête, il entend la détresse qui
frappent les hommes et il entend les rêves fous que ceux-ci peuvent
inventer les nuits sans lune. La différence réside à mon sens dans
ce que le sage ne va alimenter toutes ces émotions et il va les
apaiser, les transformer, les sublimer. Il pourra être affecté par
la colère, mais il ne laissera pas la colère le dominer ; il
verra l'offense, mais il ne suivra pas sans réfléchir sa pulsion de
vengeance. Il cherchera des réponses, des solutions que les autres
n'avaient pas ou ne voulaient pas envisager.
Bien
sûr, le sage ne suivra pas le sentier de ce monde qui vont vers la
recherche avide de richesse et de pouvoir, le sentier de ces hommes,
comme le dit Lucrèce, « qui s'épuisent en efforts de jour
et de nuit pour s’élever au faîte des richesses ou s'emparer du
pouvoir ». Le sage se montre indifférent à ces buts
mondains insensés et est en paix par rapport à cela ; mais il
est en paix en lui-même, et non point parce qu'il se compare aux
autres qui ont emprunté ce chemin cahoteux et tortueux. L'avidité
des hommes nous affectent tous, même si vous n'en prenez pas part.
Regardez l'avidité que les hommes ont pour le pétrole. Le pétrole
fait tourner le moteur de nos voitures, le pétrole fait tourner
l'économie des puissances industrielles, le pétrole fait tourner la
tête des traders dans les bourses du monde entier, le pétrole fait
tourner les guerres au Moyen-Orient et ailleurs. Et enfin de compte,
nous sommes tous affectés par cette folie ! La Terre tourne de
plus en plus mal, le climat se réchauffe, les mers sont polluées de
ces nappes d'hydrocarbures ; et même nous qui nous croyons dans
des pays riches en paix, le terrorisme vient frapper à nos portes et
apporter son lot de désolation.
Dans
ce monde, tout est interconnecté, ainsi de même le fou et le sage
sont interconnectés. Un lien profond d'interdépendance les relie.
Le sage ne peut pas s'isoler du monde. Quand bien même, il vivrait
sur une montagne, loin de tout, il saurait et il verrait les liens de
causalité qui, de toute part, l'unirait et le rapprocherait des
êtres. Le sage s'éloigne de la folie des hommes pour connaître la
douceur comme le dit Lucrèce, mais cette douceur, il la laisse se
diffuser partout, en lui et en-dehors de lui pour le bien des êtres
sensibles qui peuplent le monde. Il aura ainsi dans chaque minute de
sa vie le souhait profond de sortir les êtres des ténèbres dont
parle Lucrèce : « Dans quelles ténèbres, parmi quels
dangers, se consume ce peu d'instants qu'est la vie! »
Edouard Boubat, Portugal, 1954 |
Suave,
mari magno turbantibus aequora ventis
E
terra magnum alterius spectare laborem;
Non
quia vexari quemquamst jucunda voluptas,
Sed
quibus ipse malis careas quia cernere suavest.
Suave
etiam belli certamina magna tueri
Per
campos instructa tua sine parte pericli;
Sed
nihil dulcius est, bene quam munita tenere
Edita
doctrina sapientum templa serena,
Despicere
unde queas alios passimque videre
Errare
atque viam palantis quaerere vitae,
Certare
ingenio, contendere nobilitate,
Noctes
atque dies niti praestante labore
ad
summas emergere opes rerumque potiri.
O
miseras hominum mentes, o pectora caeca!
Qualibus
in tenebris vitae quantisque periclis
Degitur
hoc aevi quod cumquest.
Nonne
videre nil aliud sibi naturam latrare, nisi ut qui
Corpore
seiunctus dolor absit, mensque fruatur
Jucundo
sensu cura semota metuque?
William Turner - Tempête de Neige - 1842 (Tate Gallery de Londres) |
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