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mardi 2 août 2022

Justice et acte de guerre



Je viens de voir une vidéo du président Biden où celui-ci annonce la mort d'un des chefs d'Al-Qaida, Ayman Al-Zawahiri, qui a été une des têtes pensantes des attentats du 11 septembre aux USA en 2001. Al-Zawahiri a été abattu par des frappes aériennes de l'armée américaine à Kaboul en Afghanistan sur ordre du président Biden. Ce dernier conclut son allocution par la formule : « Justice has been delivered, and this terrorist leader is no more » (Justice a été rendue, et ce leader terroriste n'est plus).


Je n'ai pas de problème à ce que les Américains éliminent un chef terroriste. Al-Zawahiri publiait des vidéos appelant à des actes terroristes contre les intérêts occidentaux. On pourrait bien sûr espérer des méthodes plus pacifistes, mais nous vivons dans un monde violent avec des idéologies violentes dans lequel recourir à la violence est souvent, malheureusement, une nécessité.


L'élimination d'Al-Zawahiri ne me pose donc pas problème. Par contre, le fait de dire que justice a été faite est beaucoup plus problématique. Il n'y a pas eu là de justice, juste un acte de guerre. La justice, ce n'est pas envoyer un drone pour bombarder une position à Kaboul, au risque d'ailleurs de frapper des victimes collatérales. La justice, c'est tenir un procès équitable dans lequel les actes d'une personne seront examinés et jugés selon des règles de droit. Abattre Al-Zawahiri n'était pas de la justice, ou alors la « justice » du Far West. Confondre la justice avec un règlement de compte brutal et violent est très problématique quand on occupe le poste de président des USA, pays qui s'est toujours voulu d'ailleurs être le « gendarme du monde ».


On peut comprendre l'acte de guerre qui est d'éliminer une menace directe pour l'intégrité physique des Américains, des Occidentaux et même de nombreux musulmans dans le monde. Par contre, le glissement sémantique qui consiste à appeler cet acte de guerre un « acte de justice » me semble inquiétant et révélateur aux USA et dans les pays occidentaux de manière plus générale d'un affaiblissement des valeurs de l'État de droit et de la démocratie libérale, où un acte brutal et unilatéral ne peut en aucune façon être assimilé à une procédure de justice. Si on s'indigne de ce que Vladimir Poutine requalifie la guerre en Ukraine en « opération spéciale », on ne devrait pas accepter dans le même esprit que Joe Biden raconte que justice a été rendue quand il envoie un missile sur un balcon de Kaboul.




Frédéric Leblanc, le 2 aout 2022









Lucas Cranach l'Ancien, Allégorie de la Justice, 1537






Voir également : 

- Force et justice