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jeudi 31 août 2017

Méditation avec et sans objet





Méditation avec et sans objet






    Récemment, un internaute m'a interpellé à propos d'un de mes textes où je parlais de méditation. Je parlais de fixer l'attention sur un objet particulier, la respiration par exemple. « Mais pourquoi cette attention préconisée sur un objet ? Cela ne revient il pas à tromper et cadenasser l'esprit ? Ou alors cette focalisation a-t-elle un vrai but que je ne saisis pas ? Lorsque je médite, je pose mon esprit et mon corps, et puis j'observe ce qui se passe, sans contraindre l'un ou l'autre. Quand j'observe que je suis parti avec mes pensées, je tâche de mettre fin au flot ; mais sans revenir à quelque chose ».

lundi 28 août 2017

Il n'y a pas d'amour heureux



Il n'y a pas d'amour heureux




Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux


Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désœuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
Il n'y a pas d'amour heureux


Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
Il n'y a pas d'amour heureux


Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos cœurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n'y a pas d'amour heureux


Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
Il n'y a pas d'amour heureux
Mais c'est notre amour à tous les deux


Louis Aragon (1897-1982), La Diane Francaise, Seghers 1946.


mercredi 23 août 2017

Sur la pointe d'une herbe





Sur la pointe d'une herbe
devant l'infini du ciel
une fourmi


Hōsai Ozaki (尾崎 放哉)















       J'aime ce haiku de Hōsai Ozaki (1885 - 1926). Quand une fourmi fait l'effort de se hisser en haut d'un brin d'herbe, cette fourmi, aussi petite soit-elle, a accès à l'infini au-dessus de sa tête. Tout comme nous. Pour nous, une fourmi est insignifiante. Mais du point de vue de l'immensité de l'univers, que nous sommes-nous ? Rien que dans la galaxie de la Voie Lactée, il y a quelque chose comme 200 milliards d'étoiles comme notre Soleil. Certaines de ces étoiles sont bien plus grosses que notre petit Soleil dont le diamètre est pourtant de 1 million et 319 mille kilomètres. Et la Voie Lactée est elle-même n'est qu'une galaxie parmi 100 ou 200 milliards d'autres ? Comme sommes-nous dans l'immensité de l'univers. Giordano Bruno disait déjà à la fin du XVème siècle : « L'homme n'est qu'une fourmi en présence de l'infini ». Bruno avait émis l'idée d'un infini de l'univers. D'innombrables soleils autour desquelles tournaient encore plus de planètes et de comètes. Idée audacieuse. Ce grand bond dans l'immensité n'avait pourtant pas plu à l'époque ; et Giordano Bruno avait terminé sa vie sur un bûcher à Rome en l'an 1600. Aujourd'hui, ses idées ont triomphé : on sait que notre système solaire n'est pas une sphère close sur elle-même avec des petites étoiles en toile de fond. Mais chacune de ces étoiles est un autre Soleil dont la clarté nous parvient après un long périple dans les immensités vides de l'espace.


       Homme, fourmi, nous sommes logés à la même enseigne. Minuscules, nous sommes. Et insignifiants, nous sommes ! Pourtant, il s'agit d'ouvrir les yeux sur la voûte céleste pour contempler l'infini. Et c'est comme si l'infini se donnait à nous. Aussi petits que l'on puisse être, cet infini ne nous est pas étranger. Il est devant nous, au-dessus de nous, mais en même temps en nous. Nous ne sommes pas une entité séparée du reste de l'univers. Souvent, on l'oublie. Comme la fourmi qui a fort à faire et qui doit retourner dans sa fourmilière, on a d'autres préoccupations, d'autres sujets qui nous occupent notre esprit. Mais dans le silence de la méditation, on peut renouer avec ce sentiment d'infini. Légère ivresse de l'existence.





mardi 22 août 2017

Véganisme et nutrition




Véganisme et nutrition



         Je voudrais réagir à une interview dans la Libre Belgique du 19 et 20 août 2017 du nutritionniste Serge Pieters, intitulée : « Le véganisme porte un risque de carences alimentaires ». Les deux journalistes qui ont interviewé ce nutritionniste, Dorian de Meeüs et Jonas Legge posent d'emblée une question : « Refuser de manger de la viande et du boire du lait, est-ce dangereux pour la santé ? ». Et puis quelques questions complètement orientées : « Quels sont les risques liés au véganisme ? Les véganes ont-ils accès à une grande diversité de nourriture ? Un enfant peut-il en mourir ? » Vive l'objectivité dans le journalisme ! Inutile de ménager le suspense : tout l'article est une succession de demi-vérités associées à de franches contre-vérités pour renforcer la peur à l'égard du régime végane. Essayons de passer en revue tous ces propos douteux et de leur opposer un argumentaire sérieux. C'est important de le faire car la tendance lourde du moment est de tenter de disqualifier le véganisme sur cette base de la santé, puisqu'il apparaît clairement que les élevages industriels et les abattoirs font sur le plan éthique quelque chose de mal. Évidemment, c'est une farce sordide quand on connaît tous les problèmes de santé liés à la consommation de la viande.

samedi 19 août 2017

Rien de certain




Rien de certain




La seule chose certaine, c'est que rien n'est certain ; et rien n'est à la fois plus pitoyable et plus prétentieux que l'homme.

(Solum certum, nihil esse certi, et homine nihil miserius aut superbius)

Pline l'Ancien, Histoire naturelle.





La formule de Pline "Solum certum, nihil esse certi"
sur les poutres de la librairie du château de Montaigne en Dordogne




    Je regardais récemment une émission de tourisme à la télévision à propos des châteaux de la région de Bordeaux. À un moment donné, les présentateurs allaient visiter le château de Montaigne où le philosophe Michel Eyquem de Montaigne a vécu et a écrit ses Essais. Ils ont montré le haut de la tour dans laquelle se trouvait la chambre où il dormait et sa bibliothèque où il rédigeait ses réflexions sur la vie et lui-même, sa Librairie comme il l'appelait. La particularité de cette pièce est que Montaigne avait fait graver des sentences de sagesses en grec et en latin de ses philosophes favoris sur les poutres du plafond. Et notamment cette formule de Pline : « La seule chose certaine, c'est que rien n'est certain ». Dans tous les domaines et dans toutes les choses, le doute est de mise. On ne peut jamais être certain d'avoir une connaissance véritable et complète de ces domaines et ces choses que nous essayons de connaître. La sagesse est de reconnaître l'ampleur de ce doute au lieu de toujours vouloir s'accrocher à des certitudes ou vouloir imposer sa conviction contre vents et marées.

lundi 14 août 2017

Tragique




Tragique




     Quant à Pascal, Kierkegaard ou Camus, j'en ai moins retenu ce qui annonce ou rejoint l'existentialisme qu'une certaine orientation tragique de leur pensée : le refus de se consoler trop vite ou trop facilement, une sensibilité intacte à la souffrance, à l'angoisse, au malheur, à tout ce qui, dans notre vie, est à peu près le contraire de ce qu'on pourrait espérer. Loin d'être l'affirmation joyeuse de tout, comme le veulent Nietzsche ou Rosset, le tragique, au sens où je prends le mot, est plutôt la prise en compte inconsolée de ce qu'il y a d'effrayant, de décevant ou de désespérant dans la condition humaine : la mort, la solitude, l'insatisfaction – trois formes de la finitude, qui ne sont tragiques que par la conscience, en l'homme, d'un infini au moins pensable. Misère de l'homme sans Dieu... Cette tradition-là fut bien la mienne, dès le départ. Je crus un temps y échapper, par le matérialisme (Épicure et Marx), le rationalisme (Spinoza), peut-être par la sagesse... Montaigne et la vie n'ont cessé de m'y ramener. Si nous étions des sages, aurions-nous besoin de philosopher ?


André Comte-Sponville, « C'est chose tendre que la vie » (Entretiens avec François L'Yvonnet), Albin Michel, Paris, 2015, chap. I, pp. 62-63.







Dorothea Lange - Florence Owens Thompson, camp de Nipomo, en Californie - 1936








        Ce passage que je viens de lire dans un des derniers livres d'André Comte-Sponville m'a rappelé tous les doutes et les réticences envers le concept de « sagesse tragique » que l'on retrouve sous la plume de plusieurs philosophes français assez divers, mais qui ont tous en commun d'être des adeptes de Friedrich Nietzsche. Cela comprend notamment pour les plus connus Clément Rosset, Michel Onfray ou Marcel Conche. La sagesse tragique, c'est la pleine acceptation du caractère douloureux et désespérant de l'existence, c'est le fait de dire joyeusement « oui » à la vie, quand bien même la vie serait faite de douleurs et de déchirements. On reconnaît là l'amor fati de Nietzsche, l'amour du destin quoiqu'il arrive. C'est une approche très viriliste et assez romantique des choses.

vendredi 11 août 2017

Une fête en larmes



L'essentiel est d'accepter que le monde soit cette fête en larmes.

Jean d'Ormesson







Guinguette dans la banlieue parisienne, le 14 juillet 1945
Robert Doisneau







     Jolie sens de la formule chez un auteur que j'avoue n'avoir jamais lu, peut-être à tort. Il m'a toujours semblé un peu trop convenable comme auteur. C'est certainement un préjugé pour cet écrivain très médiatique dans la vie littéraire française. Mais c'est surtout ici cette petite sentence qui m'intéresse, plus que son auteur. En une petite phrase ramassée, elle me parle de trois thèmes importants : l'acceptation, la joie et l'insondable tristesse de ce monde. Sarva dukkham : « Tout est souffrance », nous a dit le Bouddha. Au XIXème siècle, les érudits occidentaux voyaient dans le bouddhisme une forme de pessimisme radical. Une mélancolie qui ne trouverait son remède que dans l'anéantissement total. Ils n'avaient pas eu l'occasion de beaucoup parler à des maîtres bouddhistes... S'ils l'avaient fait, ils seraient rendu compte de la joie et du sourire que ceux-ci manifestent régulièrement dans la vie quotidienne. La joie dans la philosophie du Bouddha est une des quatre qualités incommensurables avec l'amour bienveillant, la compassion et l'équanimité. Cette joie célèbre ce qu'il y a de bon et de lumineux dans l'existence. Pourtant, elle n'est pas de la frivolité, un oubli, un divertissement ; cette joie reste très lucide face à la douleur qui envahit le monde. Une fête en larmes.



     Voilà ce qu'il nous faut accepter. Ce mélange indissoluble de joies et de peines, de rencontres et de pertes, de vies et de morts, d'enthousiasmes et d'ennuis, d'espoirs et de craintes. En même temps, cette acceptation donne une direction. Il s'agit aussi de célébrer la convivialité, le partage, la camaraderie, l'amitié, tout un art de vivre pour rendre notre présence en ce monde agréable et plaisante aux autres. Que ce passage sur Terre soit une fête, cela aussi, il faut y travailler. Ce sera une fête en larmes, mais au moins ce sera une fête. La convivialité, la chaleur humaine et la joie rendront nos instants plus beaux. 



mercredi 9 août 2017

Présentation du maître Chan




Présentation du maître Chan



Ce que le maître enseigne est déjà en vous-même,
Pensée inépuisable que vous scrutez sans voir.
Si, le cœur concentré, vous voulez la saisir,
Feuille effrayée d'automne, elle tombe dans le vide.

Xutang Zhiyu (1185-1269)












        D'ordinaire, un maître ou un professeur enseigne quelque chose. Le prof de math, par exemple, enseigne des choses qu'il est peu probable que nous ayons trouvé par nous-mêmes comme le théorème de Pythagore, la trigonométrie ou le calcul des probabilités. Le prof d'anglais vous apprend une langue que vous n'auriez pas inventée par vous-mêmes. Un maître Chan est, lui, confronté à un délicat problème : il peut enseigner tous les points de la doctrine bouddhique comme le ferait n'importe quel maître bouddhiste, mais cet enseignement intellectuel des propos du Bouddha et des écrits des philosophes du passé n'est pas la véritable essence du Chan. Le Chan est ce courant du bouddhisme chinois que l'on connaît mieux en Occident sous son nom japonais de Zen. Cette véritable essence ne s'enseigne pas avec des mots. Et elle est au-dedans de nous, elle ne nous est pas extérieure. Elle agit en nous comme un insondable désir d’Éveil.


Mais on ne peut la voir, tout comme l’œil n'est pas capable de voir l’œil. Vous pouvez bien sûr pratiquer encore et encore la méditation pour développer la concentration et la vision pénétrante. Excellente idée. Cela vous permettra de voir beaucoup de choses en vous-mêmes : des pensées subtiles, des émotions cachées, des peurs ainsi que des ressources insoupçonnées, mais cela ne vous permettra pas de saisir cette véritable essence, l'enseignement fondamental du Chan. Plus vous voudrez la saisir, plus elle s'échappera et s'évanouira dans le vide. C'est pourquoi la poésie Chan essaye d'évoquer ce qui ne peut être dit, ce qui en peut être pensé, ce qui ne peut être saisi, ce qui ne peut être vu. Quelques paroles bien sages ou bien sottes avant de revenir au silence.

mardi 8 août 2017

Formes sur fond vide





Les arbres dans la cour ont de belles couleurs,
Et les oiseaux aimés beaucoup de jolis sons.
Parvenu aux limites de l'indifférencié,
Comment distinguerais-je les formes sur fond vide !
Quand j'en ai le loisir, seul souvent je médite ;
Mon poème achevé, je vais le récitant
Dans les chemins profonds, sous la voûte des pins,
Perdu dans la blancheur des nuages lointains.

Dai'an Puzhuang (1347-1403)




Michael Kenna, montagnes du Huangshan, Chine 










    Poème saisissant que ce poème de Dai'an Puzhuang. Ballade et contemplation des formes de la Nature, qui, spontanément, s'effacent et se fondent dans l'indifférencié de la vacuité. Méditation et, ensuite, envie d'exprimer cette méditation dans une forme poétique. Et retour aux formes de la Nature, contemplation du paysage. Dire à haute voix un poème. Forêt. Nuages. Montagnes et rivières. « La forme est vide. Le vide est forme. La forme n'est autre que le vide. Le vide n'est autre que la forme » nous dit le Soûtra du Cœur.

Souvent, le méditant va de l'un à l'autre dans sa ballade spirituelle. Par moment, on voit les formes. Par moment, on est conscient de la vacuité. Mais les formes sont vides d'une existence ultime. Et la vacuité se manifeste dans les formes ; la vacuité n'a elle-même aucune existence ultime. C'est pourquoi méditer la vacuité revient souvent à observer sous un angle nouveau les formes qui nous entourent, les sons, les odeurs, les saveurs, tout ce que l'on touche ou que le corps ressent, mais aussi les pensées, les émotions, les souvenirs, les imaginations, toutes ces formes mentales. (NB : le mental est une faculté sensorielle selon la philosophie bouddhique qui perçoit des idées, des pensées ou toute production mentale). On observe ces formes avec un regard plein de fraîcheur, débarrassé des distinctions et des concepts que le mental attache aux objets de la perception. Le mental essaye de rendre compréhensible le monde en le découpant, en faisant des catégories et des distinctions et en collant des étiquettes de concepts ou de mots aux choses du réel. Ce n'est pas mal parce que cela nous permet de comprendre et d'avoir une meilleure prise sur le monde. Mais cela devient un problème quand on s'attache de trop à cette conceptualisation et que cela nous enferme dans des mondes de représentations. Il faut pouvoir plonger à nouveau dans l'Indifférencié et voir les choses telles qu'elles sont, avant que le mental ne crée des distinctions et des différences entre les choses et nous fasse voir les objets comme des entités indépendantes les unes des autres. Plonger à nouveau dans l'Indifférencié, c'est donc voir aussi avec un regard neuf la réalité interdépendante du monde.

lundi 7 août 2017

Méditation marchée





Méditation marchée





     On se représente souvent la méditation comme nécessitant d'être assis quelque part. Pourtant, on peut très bien méditer debout, couché ou en train de marcher. La position la plus commode est certes la position assise car elle est un milieu entre la position debout où on est fort tenté de partir à gauche et à droite et la position couchée où on n'a pas envie de bouger, mais où on risque de s'endormir très vite. En position assise, on n'est pas vraiment enclin à bouger si on est assis en tailleur, en demi-lotus, voire encore mieux en lotus où on est vraiment ancré au sol. Et l'équilibre nécessaire pour maintenir le dos droit fait qu'on ne risque pas de s'assoupir trop vite (même s'il reste possible de somnoler, voire de roupiller en position assise, mais ça arrive nettement moins vite et nettement moins souvent que couché). La méditation marchée, elle, a deux avantages : c'est une méditation où l'on peut prendre conscience de notre corps en mouvement (cela prépare à la méditation en action), et c'est souvent une pause bienvenue entre deux sessions de méditation assise pour détendre ses jambes et son dos. Ceci étant dit, la méditation marchée peut tout à fait être pratiquée indépendamment de la méditation assise et dans toutes sortes d'occasions différentes. C'est ce que va aborder cet article.



dimanche 6 août 2017

Spéculation




Spéculation




Étranges sont ces pics, ce cortège de nuages,
La source n'a pour cours que cette eau qui gargouille.
Marcher dans la montagne n'épuise pas ses monts,
D'autres massifs encore nous barrent le regard.

Baiyang Fashun (XIIème siècle)




Song Zhang, Vue sur la montagne, 2013. 






     Ce poème d'un moine Chan résonne comme une métaphore de la Voie. Quand on marche en montagne, on avance d'un pas décidé vers le sommet majestueux qui se dessine bien distinct dans le ciel bleu. On grimpe jusqu'au promontoire qui nous sépare de ce sommet. Et on est content d'atteindre ce promontoire, mais cette joie est de très courte durée. On se rend que derrière ce promontoire, il y a une vallée ou un col que l'on doit franchir pour atteindre un second promontoire. Et ce promontoire-là cache d'autres vallées, d'autres cols, d'autres routes sinueuses, précipices et falaises. La route peut être longue en montagne avant d'atteindre le sommet majestueux.

       Il en va de même avec l’Éveil. Quand on commence à pratiquer la Voie du Bouddha, l’Éveil semble être proche. Mais plus on chemine, plus on se rend compte que la route est longue avant de dissiper nos penchants négatifs, nos fautes, nos obscurcissements. Il y a un sommet majestueux incarné par le Bouddha, mais les obstacles sont nombreux et subtils. De plus en plus subtils au fur et à mesure que l'on progresse.

         Il y a une autre métaphore intéressante à ce sujet. C'est celle qui compare l’Éveil à une fleur de lotus qui doit s'ouvrir pour que l'on devienne soi-même un Bouddha. Cela semble être une opération aisée. Quelques expériences de méditation, une conduite juste, éprouver la béatitude et la concentration, et la fleur de lotus s'ouvre sur l’Éveil suprême. Mais le souci est derrière les premiers pétales de la fleur de lotus se cachent d'autre pétales. On dit que la fleur de lotus de l’Éveil compte mille pétales, probablement beaucoup plus ! Certains se sentiront très proches de l'état d'un bouddha dès lors qu'ils auront ouvert quelques pétales avec quelques expériences spirituelles rayonnantes. Mais en fait, il faut toujours aller plus loin dans l'attention, dans la bienveillance et l'équanimité pour espérer ouvrir le cœur vide de cette fleur de lotus.


jeudi 3 août 2017

Passage et renouvellement





Un printemps terminé, un printemps lui succède,
Plantes et fleurs combien de fois se renouvellent ?
Ce n'est pas à la cloche que l'aurore obéit,
Le passage de la nuit et de la lune l'indiffère.

Yungai Zhiben (XIème siècle)

















        Il y a ce temps immuable et indifférent qui fait que tout en ce monde se meut et se transforme. Ce temps aussi qui fait tourner le cycle de la Nature. L'aurore succède à la nuit. Elle lui succède sans état d'âme, spontanément, sans qu'aucune loi ne lui ait prescrite de prendre la place de la nuit. Contemplation de cet univers indifférent. Contemplation de ce temps qui ne se préoccupe aucunement des atermoiements de l'homme. Tout est dissous dans le temps, tout est créé dans le temps. Le moine Chan y voit l'occasion de s'insérer silencieusement dans la grande mécanique du monde.


mardi 1 août 2017

Vie et mort





Voulez-vous une métaphore de la vie et la mort ?
Mettez en parallèle l'eau avec la glace.
Que l'eau se fige et elle devient glace,
Que la glace fonde et elle redevient eau.
Ce qui est mort doit forcément renaître,
Ce qui quitte la vie s'en retourne à la mort.
L'eau et la glace ne se causent aucun mal ;
Vie et mort, l'une et l'autre, possèdent leur beauté.

Hanshan (寒山VIIème siècle)