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lundi 6 janvier 2020

Ozymandias





J’ai rencontré un voyageur de retour d’une terre antique
Qui m'a dit : « Deux immenses jambes de pierre dépourvues de buste
Se dressent dans le désert. Près d’elles, sur le sable,
À moitié enfoui, gît un visage brisé dont le sourcil froncé,

La lèvre plissée et le rictus de froide autorité
Disent que son sculpteur sut lire les passions
Qui, gravées sur ces objets sans vie, survivent encore
À la main qui les imita et au cœur qui les nourrit.

Et sur le piédestal il y a ces mots :
"Mon nom est Ozymandias, Roi des Rois.
Voyez mon œuvre, ô puissants, et désespérez !"

À côté, rien ne demeure. Autour des ruines
De cette colossale épave, infinis et nus,
Les sables monotones et solitaires s’étendent au loin. »


Percy Shelley, 1817.








David Roberts (1796 - 1864) - Ramesseum















« Ozymandias » est l'autre nom du pharaon Ramsès II. Ce poème de Shelley illustre l'implacable empire du temps auquel ne résiste aucune majesté. Tellement fier de son pouvoir et de ses conquêtes, Ramsès II a cru inscrire dans la roche toute la démesure de son orgueil : « Mon nom est Ozymandias, Roi des Rois. Voyez mon œuvre, ô puissants, et désespérez ! ». Mais même les statues les plus monumentales finissent par s'effondrer, toutes les splendeurs finissent par être englouties sous les sables. Ne reste que des ruines de ces œuvres colossales et des dunes pour les recouvrir. Vanité des vanités... C'est le temps qui dit aux puissants de désespérer. C'est le temps qui se moque de toute grandeur. Et c'est le temps qui appelle à contempler et à voir l'immensité du monde.



vendredi 3 janvier 2020

Fût-ce en mille éclats




Fût-ce en mille éclats
Elle est toujours là -
La lune dans l'eau.

Ueda Chôshû (1852-1932)







Kobayashi Kiyochika, Pleine lune au pont de Nihonbashi, 1930.







L'éclat de la lune est comme la vérité dans les ténèbres. On ne touche jamais vraiment cette vérité. Par contre, nous côtoyons le reflet de cette lune dans l'eau. Non pas un reflet, mais mille éclats de cette lune au gré des mouvements de l'eau. La philosophie bouddhique distingue la vérité ultime de la vérité relative en donnant une nette priorité à la première vérité, la vérité ultime. Pourtant cette vérité ultime se manifeste de mille manières dans la vérité de ce que nous vivons, la vérité relative. Cette luminosité est toujours présente pour celui qui veut bien être attentif et ouvert à ces reflets dans les mille aspects de la vie quotidienne. Quand nous faisons la vaisselle, quand nous levons la tête vers les étoiles, quand nous nous baladons dans la forêt ou quand on prend une bière à une terrasse. Il faut se rappeler que ce sont là des reflets, et non la vérité ultime même, et des reflets qui sont parfois distordus par l'agitation du monde comme le reflet de la lune qui s'allonge ou s'étire sur la surface des vagues, mais ces reflets sont tout de même une inspiration précieuse dans la vie de l'esprit.



jeudi 2 janvier 2020

Vins et bières véganes





Pendant les fêtes de Noël, des personnes qui savent que je suis végane m'ont interpellé sur le vin végane ou la bière végane. Pourquoi des produits issus de la vigne ou du houblon devraient-ils être qualifiés de « végane » ? Sur un réseau social, je suis tombé sur cette photo d'étiquette d'une bouteille de vin qui précise que la vin est « végane ». Le commentaire qui accompagnait cette photo précisait : « Je découvre qu'il existe du vin végane et que l'étiquette conseille de le consommer avec une viande rouge grillée ».








Qu'un vin ou une bière soit végane veut simplement dire qu'il n'y a pas de collagènes d'origine animale dedans. Le collage sert à ce que le vin ne soit pas trouble et avec des dépôts, et il peut être d'origine animale ou alors d'origine non-animale, c'est-à-dire : végétale, levurienne, minérale ou chimique. Dans ce cas, on parle de bière ou de vin végane.


Le collage à base de produit d'animal peut provenir de colle de poisson, d'albumine d’œuf, de gélatine, de caséine de lait. Auparavant, on utilisait également du sang de bœuf ; mais cette pratique a été bannie suite à la crise de la vache folle. Le collage végétal provient de protéines de blé, de protéines de soja ou encore de protéines de pommes de terre. Le collage levurien provient d'extraits de protéines de la levure de type saccharomyce. Le collage minéral provient d'une argile appelée « bentonite » ou de gel de silice. Enfin, les collages chimiques qui sont proscrits dans le cas des bières et vins bio ont pour nom : PVPP (Polyvinylpolypyrrolidone), chitine-glucane ou chitosane...


Après, le consommateur, lui, a le choix d'être végane ou pas. Et de manger des cadavres d'animaux en accompagnement de ce vin ou non... Comme les producteurs de vin cherchent à vendre leur vin à tout le monde, et pas seulement aux véganes, il n'est pas contradictoire qu'une étiquette mentionne sa qualité de vin végane tout en recommandant de la viande, du poisson pour accompagner ce vin.


Il faut savoir aussi que normalement les produits de collage sont éliminés lors de la production du vin dans les fûts par divers procédés : sédimentation (dépôt), par filtration ou par soutirage. Ce qui fait que s'il reste des produits servant au collage dans la bouteille que vous achetez chez le sommelier, c'est normalement en quantité très minime et résiduelle. En tant que végane, je préfère nettement acheter un vin sur lequel figure l'appellation « végane » ou alors acheter un vin bio qui, en général, n'utilise pas de collage animal. Mais j'avoue que je ne vérifie pas systématiquement si le vin est végane ou non quand je suis chez des amis, alors même que je n'accepterai rien dans mon assiette qui soit d'origine animale. Je ne pense pas qu'il faille être obsessionnel sur ce point vu les quantités très faibles de produits animaux dans ce vin ou cette bière.


Le mérite de ces appellations de vin ou de bière végane est surtout à mon sens de faire comprendre que nous baignons dans les produits d'origine animale sans que l'on s'en rende souvent compte : collagènes d'origine animale dans les vins et les bières, lactose dans les chips ou les surgelés de légume, colle d'origine animale dans vos chaussure en tissus et produits synthétiques, etc... Cela met en lumière notre obsession contemporaine pour l'apparence. Pour nous, un vin ne doit pas être trouble et avoir un dépôt. Il doit avoir un aspect bien uniforme et être limpide et brillant quand on le regarde dans sa bouteille. Cela nous ferait penser à quelque chose de marécageux et de dégoûtant. Pourtant, le collage qui fait disparaître des substances colloïdes en suspension enlève aussi certaines substances qui contribue à l'arôme et au goût du vin. Certains producteurs de vin renoncent à l'utilisation de ces produits de collage pour un vin aux saveurs plus naturelles. Peut-être faudra-t-il un jour dépasser nos idées reçues sur ce que doit être le vin !







mercredi 1 janvier 2020

matin du premier jour




matin du premier jour —
dans le poêle
quelques braises de l’an passé

Hino Sōjō (1901-1956)
Certains attribuent cet haïku à Katō Gyōdai (1732-1792) .




J'aime ce haïku du premier jour de l'an qui garde la trace encore fumante de l'année passée. Certains politiciens se plaisent à en appeler la « rupture », à faire table rase d'un vieux monde qui leur semble déjà trop ancien. Pourtant il reste toujours quelque chose du passé dans nos vies. Le présent a pour semence notre passé ; et ce présent est le terreau du futur qui vient à grand pas et qui connaîtra son éclosion dans un nouveau présent. Il me semble bon de s'en rappeler de temps en temps, particulièrement un jour qui célèbre un nouveau départ, une nouvelle révolution autour de notre Soleil.


Ces jours-ci, j'ai vu passer à plusieurs reprises un photo parodique d'extraterrestres qui se gaussent des êtres humains parce qu'il célèbre le jour où leur planète a fait un tour autour de son étoile. Certes, le Nouvel An n'est jamais rien d'autre que la célébration bruyante et alcoolisée d'un trajet de notre planète sur une orbite d'à peu près 940 millions de kilomètres. Ce n'est que çà. En même temps, ce n'est pas rien. C'est quand même une distance prodigieuse pour notre caillou. Beau parcours pour un Éternel Retour. Surtout que du point de vue de la Nature vivante, c'est là un nouveau tour dans le cycle des saisons. L'hiver en Europe, l'été en Australie. On peut bien sûr railler la fascination des peuples pour tous ces phénomènes cosmiques qui ont chacun une explication prosaïque : une éclipse n'est jamais que l'interposition de la lune dans le trajet de la lumière du Soleil, les étoiles dans le ciel ne sont que les faibles lueurs qui nous reviennent d'autres soleils après des trajets inimaginables, les étoiles filantes ne sont que des bouts de rochers qui se consument dans notre atmosphère. Pourtant ces explications ne leur enlève rien à leur capacité de nous émerveiller quand on veut bien lever nos yeux au ciel.


Le Nouvel An n'est bien sûr qu'une date fixée de manière conventionnelle. On pourrait tout aussi bien célébrer le 2 août ou le 24 septembre, on pourrait également fêter aussi l'année mercurienne de 88 jours, l'année martienne de 687 jours ou l'année saturnienne tous les 29 ans. C'est pourtant l'occasion de se rendre compte du temps qui passe et l'occasion de faire de bonnes résolutions pour ce prochain tour de piste de notre planète. Pour ma part, je souhaite que 2020 soit une année faste dans la pratique de la méditation et du Dharma. J'ai terminé 2019 et commencé 2020 en méditation. Une méditation pas très paisible avec toutes les détonations de pétards et l'éclat des feux d'artifices. Mais après une bonne demi-heure de vacarmes et d'éclats lumineux, le calme est revenu. Ce qui est une leçon : en méditation, ce qui nous trouble finit toujours par s'apaiser, s'estomper ou disparaître.


Je souhaite donc une excellente année 2020 à tout le monde. Beaucoup de bonheur, beaucoup de joie, beaucoup d'amitié, beaucoup d'entraide, beaucoup de solidarité, beaucoup de paix et beaucoup d'émerveillement.