Je viens de voir l’émission « Ce soir ou jamais »
sur France 2 où le débat quelque peu houleux portait l’interdiction des
spectacles de Dieudonné. L’intervention du physicien belge Jean Bricmont y était
particulièrement remarquable et surtout éminemment contestable. C’est pour
contester ces arguments en faveur de Dieudonné que je voudrais m’attarder ici
sur ce débat.
On pourra trouver ici le lien vers l’émission de France 2 et
là une interview de Jean Bricmont où celui-ci explique avec plus de sérénité,
puisqu’il n’a pas de contradicteur, ces vues en matière de liberté
d’expression.
L’argument de Bricmont est donc de dire que l’on ne parvient
pas à définir clairement ce qu’est l’antisémitisme. Lui-même rappelle qu’il est
un scientifique confirmé et qu’à ce titre il aime pouvoir définir clairement
avec des concepts précis le phénomène qu’il est en train d’analyser et
d’observer. Mais le fait qu’il est physicien ne rentre en rien en ligne de
compte : c’est juste pour lui un moyen commode de se faire passer pour
quelqu’un de compétent et de cohérent dans son analyse des choses, ce qu’on
appelle en philosophie un « argument d’autorité » : je suis
physicien, donc je suis nécessairement plus rigoureux dans ma pensée que des
littéraires, et donc vous devez me croire. Il me semble néanmoins que l’on ne
peut sérieusement étudier le phénomène de l’antisémitisme de la même façon
qu’on étudie le boson de Higgs…
Mais revenons à Bricmont, celui-ci dit :
« regardez, si on demande le droit au retour des Palestiniens, on est taxé
d’antisémitisme ; donc on ne peut pas définir clairement
l’antisémitisme ». C’est très contestable comme argumentation. En effet,
cela revient à nier toute accusation d’antisémitisme : à ce jeu-là, Hitler
ne faisait que critiquer gentiment dans « Mein Kampf » la
ploutocratie qui gouvernait alors le monde et dans laquelle il faut bien le
dire, se trouvait nombre de Juifs… Faurisson ne faisait que son travail
d’historien ; et ce n’est quand même pas sa faute s’il heurtait les
convictions profondes du lobby juif… Non,
ce n’est pas sérieux.
Il faut commencer par définir l’antisémitisme à la grosse
louche. Par exemple : « L’antisémitisme, c’est manifester de la haine
contre les Juifs non pour ce qu’ils font, mais pour ce qu’ils sont » ou
« L’antisémitisme, c’est faire des généralités haineuses à l’encontre des
Juifs. Dire par exemple que tous les Juifs sont avares et cruels et qu’ils
conspirent pour établir un nouvel ordre mondial avec les francs-maçons ».
A partir de cette définition grossière, il va effectivement y avoir des
querelles d’interprétation. Est-ce que soutenir le droit au retour des
Palestiniens fait de nous un antisémite ? Probablement qu’un certain
nombre de juifs ou de sionistes vont hurler au loup et dire que « oui,
vous êtes un sale antisémitisme ». Je pense personnellement que demander
le droit au retour n’est absolument pas de l’antisémitisme. Il me semble que
c’est un droit tout à fait évident et que la colonisation israélienne est basée
sur la violence et le déni du droit des Palestiniens. Mais à partir de ce genre
de controverses, il faut tenter d’échafauder une définition plus fine et plus
cohérente de cet antisémitisme, en sachant qu’il y aura toujours des désaccords
et des controverses sur ce genre de débat sensible. La faute morale et
intellectuelle de Jean Bricmont est de vouloir d’emblée une définition précise
du phénomène « antisémitisme » sans accepter qu’il puisse y avoir
débat, arguments et contre-arguments sur cette question, et que la définition
de ce qui est acceptable et de ce qui est inacceptable en matière
d’antisémitisme et de racisme évoluera et se précisera dans les cas-limites en
fonction de ces débats.
Ce faisant, Jean Bricmont permet qu’on dépasse allégrement
la ligne rouge en permanence comme l’a fait Dieudonné. Qu’il soit difficile,
voire impossible d’établir les limites de ce qu’est ou n’est pas
l’antisémitisme ne doit pas nous faire oublier qu’il y a un antisémitisme !
Bricmont, à force de sophismes, voudrait faire croire que l’antisémitisme est
une notion purement subjective qui relève de la conscience de chacun et que
chacun a le droit d’exprimer ses opinions. Mais quand ces opinions deviennent
une incitation à la haine raciale, cela devient un délit qui doit être empêché
et condamné. Je ne me prononcerai pas ici sur le bien-fondé ou non d’interdire
le spectacle de Dieudonné, si c’est efficace ou pas, si c’est utile ou pas, si
ça va lui faire de la publicité ou non… Mais toujours est-il qu’il est trop
facile de réduire Manuel Valls à sa seule dimension sioniste pour lui dénier
tout droit d’interdire des comportements délictueux et criminels, à savoir
propager la haine raciale dans la société française.
*****
J’avais un ami proche, Gaëtan, qui a
commencé à faire des blagues à connotation raciste à l’encontre des Noirs, des
Arabes et des Turcs. Au début, cela ne paraissait pas méchant. Puis son
discours est devenu de plus en plus corsé, ses blagues étaient de plus en plus
dévalorisantes et dégradantes. Il s’énervait et montait sur ses grands chevaux
quand il voyait une blanche sortir dans la rue avec son copain black ou arabe.
Mais quand je lui faisais des remarques, il me répondait que c’était de
l’humour, quand il appelait les Turcs des « Tchouks », les Arabes, des
« Maroufs », c’était du second degré. Un soir, dans sa voiture, il
m’a demandé de choisir une fréquence de radio avec de la musique sympa pour
faire la route. Je suis tombé sur une émission de musique africaine. Et là, il
m’a crié : « Ah non, tu ne vas pas mettre cette musique de
bamboula ». Les propos haineux et racistes n’ont fait qu’empirer de
semaine en semaine. J’ai fini par ne plus le supporter. Cela fait plus de douze
ans que je ne l’ai plus vu. Ce que je veux dire par là, c’est que cela vient
insidieusement, et qu’il ne faut pas minimiser ce qui pourrait s’apparenter à
des blagues potaches. Il m’est déjà arrivé de rire à des blagues racistes, mais
quand ces blagues sont répétées à longueur de journée….
Jean Bricmont, en bon partisan de la
liberté d’expression, ne comprend pas que les propos dits humoristiques sont
l’antichambre de discours et d’actes discriminatoires, haineux et violents. On
commence par utiliser l’humour pour sous-entendre ce qu’on ne peut pas dire,
parce que l’on sait que c’est mal. Puis on s’enhardit, et on en vient
progressivement à tenir des discours radicalement haineux, souvent camouflés
par un double discours et par des allusions : Dieudonné ne dit jamais
« envoyons les Juifs dans des camps de concentration et
exterminons-les ». Même les nazis pendant le 3ème Reich ne
l’ont pas dit expressément ; pourtant, ils l’ont fait. Donc Bricmont aura
toujours le loisir de dire qu’il n’y a pas d’affirmation claire de
l’antisémitisme, pas d’incitation directe à massacrer les Juifs ;
pourtant, les allusions surabondent dans son discours soi-disant humoristique
ou dans ces vidéo-conférences ; et cette répétition constante d’allusions
haineuses fait que l’on peut raisonnablement taxer Dieudonné d’antisémitisme. Tout
le monde comprend où il veut en venir. Quand je dis « tout le
monde », c’est les pros et les anti-Dieudonné…
J’ai croisé, il y a
quelques années, dans le bus un Arabe qui, voyant que je lisais une Histoire
des idées politiques, a cru bon de me dire qu’il avait lu « Mein
Kampf » et qu’Hitler avait de très bonnes idées politiques envers les
Juifs…. Suite à cela, je suis devenu sioniste sous le coup de colère, mais pour
une demi-heure seulement… Après cette demi-heure, la raison a repris le dessus
et m’a poussé à penser que je ne pouvais pas décemment soutenir Israël. Mais
pour Bricmont, c’est une opinion tout à fait respectable avec qui on doit
pouvoir discuter. Admirer Hitler pour avoir trouvé une solution afin de mettre
un point final au problème juif est une attitude qui a parfaitement le droit de
s’exprimer. Et toute velléité de s’opposer à ces discours est une censure
monstrueuse et fasciste prônée par un État totalitaire….
En conclusion, on peut légitimement débattre sur la question
de l’efficacité de la censure et l’interdiction de Dieudonné. On pourrait aussi
légitimement se demander pourquoi Dieudonné en est arrivé là. Si je puis me
permettre de citer un philosophe juif qui n’était pas en odeur de sainteté
parmi les Juifs et les chrétiens, Baruch Spinoza : « En ce qui concerne les actions humaines, ne
pas railler, ne pas pleurer, ne pas même détester, mais comprendre ».
Mais mettre en doute l’antisémitisme de Dieudonné sous prétexte que les
frontières de l’antisémitisme sont floues et difficiles à déterminer et fait
l’objet de débats divers me paraît excessivement contestable de la part de Jean
Bricmont. On peut contester la localisation exacte de la frontière entre la
France et la Belgique : est-ce que cet arbre ou ce champ de betteraves entre
Binche et Maubeuge est français ou belge ? Est-ce que cette dune entre La
Panne et Bray-Dunes est-elle française ou belge ? Mais toujours est-il que
Bruxelles fait partie de la Belgique et Paris fait partie de la France !
Cela n’est pas contestable ! Et
cela ne touche pas que l’antisémitisme. Le même débat peut se porter sur
l’islamophobie : où finit la critique légitime de l’islam et où commence
l’islamophobie répugnante ? En partisan de la laïcité, je suis contre le
port du voile à l’école. Beaucoup d’islamistes diront que je suis islamophobe.
Or pour moi, il s’agit de faire respecter la même règle à tous et il n’y a
aucune islamophobie là-dedans. Être islamophobe, ce serait dire que tous les
musulmans sont tous des terroristes qui viennent bénéficier des allocations
sociales en Europe… Ce genre de discours, quoi…
Malheureusement, il y a plein de gens qui le disent ou alors qui font
des allusions… Il y aura toujours des débats sur ce qui doit être
condamné ou pas au marge de l’antisémitisme ou de l’islamophobie; mais il
faut prendre conscience qu’il y a un moment où on franchit une ligne rouge où
on s’enfonce dans un racisme viscéral, et cela est condamnable. Quoiqu’en dise
Jean Bricmont.
Bai Wenshu, le 12 janvier 2014.
C'est quoi alors l'antisémitisme ?
RépondreSupprimerDieudonné ne dit jamais « envoyons les Juifs dans des camps de concentration et exterminons-les ». Même les nazis pendant le 3ème Reich ne l’ont pas dit expressément ; pourtant, ils l’ont fait. Vous établissez des liens logiques dans le sens de ce que vous pensez être la lutte contre l'antisémitisme, que par ailleurs vous êtes incapable de définir. Ça s’appelle tourner en rond, c'est la roue du Dharma.
On a pas le droit de contester l'histoire écrite, loi Gayssot.
A-t-on le droit de critiquer Israël et ses exactions meurtrières, ainsi que ses projets funestes ? A-t-on le droit de critiquer la communauté juive française si l'on pense qu'elle soutient systématiquement tout ce que fait Israël ? Si c'est ça l'antisémitisme alors sans nul doute il va monter. Parce que les gens commencent à se rendre compte, quand même, du chantage permanent à l'antisémitisme. A-t-on le droit de défendre son pays, et de défendre la paix, et s'il faut pour cela se faire traiter d'antisémite ? .. Mais par contre, Charlie Hebdo, ça c'est la liberté d'expression. Quelque chose ne tourne vraiment pas rond dans tout ça.
Bon blog, mais c'est comme souvent chez Bouddha, on craint la manifestation, on préfère la vacuité de l'esprit. C'est le talon d’Achille du Bouddha.